Les Passantes
Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connaît à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais
---o O o---
LUI
Comme tous les matins je suis en retard, je dois courir pour attr mon métro. Jaurais dû me lever quand le réveil a sonné, jaurais dû rester moins longtemps sous la douche, je naurais pas dû reprendre un café. Cest tous les jours la même chose, il faut courir pour ne pas arriver en retard.
Heureusement en tête de ligne, jai une place assise.
Je connais le trajet par cur, 11 stations, changement, 4 stations, jarrive au bureau
Jen profite pour finir ma nuit.
Nouvel arrêt, un flot de voyageurs envahit le peu despace restant. Une jeune femme sassoit face à moi profitant de la dernière place libre. De façon automatique, je la détaille discrètement. Elle doit avoir la trentaine, un peu plus, un peu moins ? Mariée ? Peut-être ; des s ? Difficile à dire. Que fait-elle dans la vie, avocate ? femme daffaires ? ou secrétaire ? enfin assistante. Ou plutôt vu sa tenue ingénieur-conseil dans la finance. Tailleur strict, chemisier blanc, coiffure impeccable, cest ça !
Je continue à gamberger, ça aide à faire passer le temps. Belle femme ! La grande question, primordiale, string ou une culotte ? Et porte-t-elle un soutien-gorge ? Non je ne peux rien voir mais je peux imaginer. Elle va au bureau, donc elle a mis un soutien-gorge ; taille 90 C ou B elle nest pas très grande, enfin son sein tiendrait bien dans ma main, petits tétons cest sûr, mes préférés, il y a 20 ans elle nen aurait pas mis Un string ? Pas pratique pour bosser, mais une petite culotte en dentelle, blanche bien sûr. Elle doit avoir de la lingerie fine, en soie, raffinée, quelle achète juste pour elle. Et dessous, touffue ou rasée ? Ce doit être une assidue des instituts de beauté ; jai le choix, petit ticket de métro ou fine toison recouvrant son pubis.
On est seul. Elle ouvre son chemisier pour moi. Je viens masseoir à ses côtés, elle me tend ses lèvres pendant que je lui caresse la poitrine, faisant rouler tendrement ses tétons entre deux doigts. Non, jai mieux. Assis à côté delle, jouvre lentement les boutons, lun après lautre. Elle ne bouge pas. Jécarte les deux pans de son chemisier blanc faisant jaillir ses seins, comme Brigitte Fossey dans « les valseuses ». Je rejoue la scène, une fois, deux fois
Pas de temps à perdre, il ne me reste que 7 stations. Je lembrasse, lui pelote la poitrine, sa peau est douce. Sa main se pose sur ma cuisse. Son visage affiche un grand sourire coquin. Jen profite pour glisser une main sous sa jupe, elle une main dans mon pantalon. Elle porte des bas, je promène mes doigts sur la bande de chair nue, jécarte la dentelle, et enfonce délicatement un doigt dans sa chatte déjà bien humide. Ses jambes entrouvertes me facilitent le passage.
Je lui murmure à loreille « Met-toi à genoux, sur le siège », elle sexécute. Je soulève sa jupe, jolies fesses ! Je baisse son string, tien oui elle a bien un string ; ma queue dressée, mon gland caresse ses lèvres. Sa poitrine se soulève au rythme de sa respiration qui saccélère. La tenant par les hanches, je vais menfoncer avec délice dans son intimité
- Excusez-moi monsieur.
- Pardon ?
- Je voudrais masseoir, si ça ne vous dérange pas.
Une dame âgée, sappuyant sur une canne se tient à côté de moi. La voiture est bondée.
- Oh pardon ! Oui, bien sûr, je vous en prie.
Je me lève pour lui laisser ma place, et me retrouve coincé avec les voyageurs montés à la station précédente.
Zut, elle ma interrompu juste au bon moment. Où en étais-je ? Jai perdu le fil.
Le métro ralenti. Nous arrivons à une station, remue-ménage dans la voiture, bousculade entre ceux qui entrent et ceux qui sortent. Non ! Ce nest pas possible, ma belle inconnue sest levée, terminus pour elle, je note le nom de la station, un reflex. Paris est si petit pour ceux qui s'aiment, comme nous, d'un aussi grand amour !
Je la suis des yeux. Coup dil sur la place quelle vient de quitter, je découvre un téléphone, sûrement le sien, un bond, je me précipite :
- Madame.
Trop tard, les portes se referment elle ne ma pas entendu. La rame redémarre.
Quoi faire ? Des yeux sont braqués sur moi, on doit croire que je suis un voleur, je dis bien fort en serrant lappareil dans ma main :
- Je le porterais au guichet du métro, ils ont un service dobjets trouvés.
Pour sortir du métro, un long escalier nous mène en surface. Encore une habitude, mes yeux furètent devant moi à la recherche des plus belles fesses moulées dans un pantalon, ou dune jupe laissant apercevoir de longues jambes. Je virevolte de lune à lautre avec lespoir vain dapercevoir toujours plus haut, la lisière dun bas, une petite culotte. Je me suis souvent fait la réflexion quun ingénieur avait certainement dû calculer la hauteur des marches des escaliers, en fonction de la longueur des jupes afin de préserver la pudeur de nos dames.
---o O o---
ELLE
Le métro est bondé ce matin, il navance pas. Javais changé de circuit pensant bien faire, cest bien ma veine.
Coup de chance, une place assise. La journée va être chargée, réunion ce matin, rapide, je ny reste pas une heure. Le dossier à rendre, je le relirais en diagonale, il est parfait. Déjeuner vite fait à midi. Jai pris mon après-midi pour faire quelques courses dans les Grands Magasins, et ce soir mon chéri rentre de vacances avec les s, je vais les chercher à la gare. Cest la dernière fois que je les laisse partir seul, ils me manquent trop, et jai travaillé deux fois plus quen temps ordinaire, je suis claquée.
Ce métro qui navance pas
Tiens, il est pas mal ce type en face de moi. Voyons, la quarantaine
Oui, bien 40, il est déjà un peu dégarni, ça lui va bien. 40 mais pas beaucoup plus. Élégant, ingénieur ou médecin, non pas médecin, quest-ce quil ferait dans le métro à cette heure. Directeur, ça veut tout dire et rien dire, mais à son regard jai limpression quil sait commander. Plutôt grand à ce que je peux en voir, il faudrait quil se lève, et bien sûr pas sympa il va rester assis tout le trajet, cest bien ma veine.
Beau visage, surtout ses yeux, il doit en faire craquer plus dune avec ce regard. Bon, alors combien je lui donne ? Cette habitude que jai de noter les mecs que je croise, pas de notes chiffrées, ça ne se fait plus, moi je classe : « à ignorer », « petite conversation devant un café », « coup dun soir », « aventure de quelques mois », « vacances en amoureux », « mariage ». Je suis déjà mariée, pas de panique, cest juste une classification.
Oh ! Mon beau dégarni se lève, il ne va pas partir si vite. Il est grand, un plus. Pourquoi sest-il levé ? Pour me faire plaisir, cest gentil. Non, cest pour laisser la place à cette dame, et poli avec ça, il a toutes les qualités. Jaimerais bien entendre sa voix, difficile. Il faudrait que quelquun lui marche sur les pieds, je ne peux tout de même le demander à mon voisin, allons ça ne se fait pas.
Alors, combien ? Pour lui, rien que pour lui, je crée une nouvelle classe, « amant ».
Zut ! Jallais rater ma station, mon sac, vite
Pardon, pardon
Ouf jai failli être coincée, devoir descendre à la prochaine et revenir à pied, bonjour mon beau planning.
En marchant vers limmeuble qui abrite mon bureau, sans savoir pourquoi, je suis heureuse, y a des jours comme ça. Je chantonne une chanson de Georges Brassens « les passantes ». Mon père la passait en boucle sur notre électrophone, je lai souvent en tête. Pourquoi maintenant ? Cest un homme qui parle, moi ça me va bien :
« A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré la main ».
Après un petit bonjour à mon assistante, jallume mon ordinateur. Je prendrais le café dans la salle de réunion. Mes dossiers, mon téléphone sur vibreur. Mon téléphone, où lai-je mis celui-là. Ce nest pas possible, il est où ? Dans mon sac
Dans mes poches
Rien. Pourtant je lavais ce matin, jen suis certaine. Jai regardé mes messages dès que je me suis assise dans le métro. Meeerde ! Dans le métro, me voilà belle. Je dois me rendre à lévidence, je lai perdu en me levant, ou sur le quai.
En allant en salle de réunion, jen informe mon assistante, pour appeler les objets-trouvés. Sans me faire trop dillusions, on ne sait jamais. Et quelle me trouve rapidement un nouvel appareil, et réinitialise mon répertoire avec les numéros du bureau et de chez moi, elle connaît.
Je nai rien écouté de la réunion. Mon téléphone, pourvu quil ne tombe pas entre nimporte quelle main. Toute ma vie. Mes messages, bof rien dimportant ; mon répertoire ne peut intéresser personne ; mes photos, les vacances avec s, tant pis. Mon mari ne va pas être content, il mavait dit de mettre un mot de passe, deffacer les messages anciens, de faire je ne sais trop quoi. Ça ma toujours embêté. Un téléphone, cest fait pour téléphoner, ce nest pas un coffre-fort.
---o O o---
LUI
A peine arrivé au bureau, janalyse mon trésor. Pas de code secret, si je trouve le nom de sa propriétaire, je le lui ferrais parvenir, pas trop confiance dans les objets trouvés.
Un il sur ses SMS, rien pour me mettre sur la piste, ni dans le répertoire, des noms inconnus. Trop curieux, je suis attiré par ses photos. Cest bien elle, je la reconnais, en famille, avec deux s. Bingo, elle est bien mariée. Des selfies avec un homme, sûrement lheureux élu.
Oh ! Ça devient intéressant, des souvenirs de vacances, sur une plage, en maillot de bain, je nen espérais pas tant. En maillot blanc, mon préféré, super quand il est mouillé, dommage celui-là a lair dêtre sec
Cest mignon tout ça. A vue de nez 90C. Oups ! plus de maillot, enfin plus de haut. Ça tient malgré ses deux gosses, ou alors cétait avant
enfin pas mal, pas mal du tout. Quont-ils fait dautre, seuls sur cette plage ? Jimagine, jen aurais fait autant.
Vraiment une belle femme, tout à fait mon genre. Les photos défilent, là cétait en Corse, je reconnais. Belle naïade sur des rochers, cest une sportive, elle porte un maillot noir, enfin juste le bas. Noir, cest bien aussi. Elle surplombe la mer, ça a lair haut, a-t-elle osé plonger dans les flots tout en bas ?
Et celle-là, sur une plage déserte, de dos les pieds dans leau face à la mer, entièrement nue, un corps de rêve, de longues jambes fuselées, un dos de nageuse, et ses fesses, potelées, fermes,
Zoom sur ses fesses, humm à croquer. Je ne métais pas trompé, elle a le cul qui chante.
Dommage, elle ne sest pas retournée
Voyons la suite. Allongée sur la plage, ses seins nont plus de secret pour moi. Au marché, jouant avec le contre-jour au travers sa robe légère. Et là, sur un lit, chez eux ou à lhôtel. Oh oh ! Encore plus coquin.
Stop ! Je ferme son téléphone. Jai honte de jouer au voyeur, cest un viol de son intimité, ma belle inconnue mérite mieux.
Enfin, il faut que je trouve le moyen de lui rendre son appareil. Son répertoire, ses contacts. « moi », facile je vais lappeler. Que je suis bête, cest moi qui ai son téléphone. Un autre « mon chéri », non, ça risque de la mettre en porte-à-faux, il pourrait ne pas la croire. « Bureau », un fixe cest mieux, jespère tomber sur elle et pas un standard ou un collègue. Allez, je me lance :
- 01
A peine le temps de dire allô :
- Vous avez trouvé mon téléphone ? Vous êtes qui ?
Cest elle, pas besoin dexplication. Jolie voix, je revois son visage en fermant les yeux, enfin pas que son visage :
- Vous avez perdu votre téléphone ce matin dans le métro. Je lai ramassé. Je me suis permis de regarder votre répertoire, contact « bureau », et voilà.
- Merci cest gentil à vous. Je peux passer le récupérer.
- Si vous préférez, je peux le porter à votre bureau, jai tout mon temps.
- Je ne voudrais pas vous déranger.
- Non, je suis en vacances, je visite Paris.
- Ok, à lheure du déjeuner, ça vous va ?
- Daccord. On pourrait aller déjeuner ensemble, vous devez bien connaître un petit resto pas loin.
- Je ne peux rien vous refuser. Mais je vous invite, pour la peine.
- Non, bien sûr.
- On verra. Voici ladresse. A 13 heures ?
- Cest parfait.
Lidée dun déjeuner en tête à tête avec ma belle inconnue me ravit. Bien joué mec !
Elle mattend dans le hall. Un bon point, jai limpression quelle me reconnaît.
Le repas est simple, sympathique, chacun raconte sa vie. Elle mariée, deux s, un boulot dans la Finance. Gagné. Moi jinvente, marié aussi mais un seul , une fille, et maintenant trop tard pour le second, en vacances pour quelques jours à Paris après avoir assisté à un colloque des plus ennuyeux, avant de rentrer à Bordeaux. Je me lance :
- Cet après-midi, que faites-vous ?
- Rien doriginal, des courses. Jai pris mon après-midi, et ce soir je récupère mon mari et les s gare de Lyon. Ils rentrent de vacances, une semaine dans la belle-famille ? Et vous, la suite de la visite de Paris ?
- Oui, jai prévu daller au Musée Jacquemart-André, lexposition Pierre Bonnard, je suis surtout resté pour cette expo. Vous en avez peut-être entendu parler.
- Nous allons peu au musée, pas le temps avec les s. Bonnard. Juste de nom. Cest qui ?
- Un peintre postimpressionniste, qui na pas la notoriété quil mérite, contemporain de Matisse, de Picasso, il a fait partie du mouvement Nabi.
- Désolée, je suis nulle.
- On ne peut pas tout connaître. Je ne lai découvert quil y a deux ans, en visitant son Musée au Cannet sur la Côte dAzur. Sa vie est passionnante, mais je ne vais pas vous embêter avec ça.
- Non, ça mintéresse, racontez-moi.
- Si vous voulez, mais quand je suis lancé, on ne peut plus marrêter.
- Alors lancez-vous, me dit-elle avec son plus beau sourire.
- Vous laurez voulu
Pierre était peintre. Il avait 26 ans quand par hasard, au printemps 1893, il croise Marthe dans un tramway, boulevard Haussmann à Paris. Aristocrate, orpheline, elle na que 16 ans. Le coup de foudre est réciproque Elle accepte de devenir son modèle, elle devient rapidement sa maîtresse. Ils vivent ensemble, un petit scandale à lépoque.
Il attend 1925 pour la demander en mariage. Surprise, ce nest pas Marthe de Meligny quil épouse, mais Maria Boursin, elle a 8 ans de plus que ce quelle lui a dit, elle nest pas orpheline. Sa mère, couturière, vit encore à Paris. Elle va la voir de temps à autre, comme ses cousins.
32 ans de mensonges, 32 ans de double vie. Pourquoi me direz-vous.
- Oui, pourquoi ?
- Pour rien, on na jamais su. Un sacré caractère Marthe. Elle est aussi devenue peintre sous le nom de Marthe Solange, elle a eu un petit succès dans les années 20. Ils sont restés ensemble jusquà leur mort, elle de maladie en 1942, lui en 1947.
- Quelle vie !
- Nest-ce pas ? Venez avec moi, il vous faut absolument voir son uvre.
- Non, jai à faire.
- Dommage.
- Bon, daccord. Servez-moi de guide. Les courses attendront demain.
Nous reprenons le métro pour atteindre le musée. Les couloirs sont longs. Je marche trop vite, pour me suivre elle doit saccrocher à mon bras. Je comprends quelle a des jambes plus courtes que les miennes, je ralenti. Elle reste serrée contre moi, je suis bien, un frisson me parcourt de la tête aux pieds.
Tiens, cette fois dans les escaliers, je nai pas cherché la paire de fesses de mes rêves.
---o O o---
ELLE
La rame est vide à cette heure. Assis lun en face de lautre, nos esprits senvolent
Il y a à peine quelques heures
Une éternité.
Avant de commencer la visite, il tient absolument à me faire visiter la maison qui héberge le musée. Jimagine les calèches qui amenaient les invités dans la cour. Quel luxe ! une maison bourgeoise de la fin du 19ième, la chambre de monsieur, celle de madame, très vieille France. Un collectionneur aussi, sa maison est à elle seule un vrai musée, Rembrandt, Fragonard, et sa collection italienne dont un Botticelli. Il ne devait pas vivre au SMIC ceux-là.
Mon guide connaît tout, mexplique tout. Je suis sous son charme, je narriverais jamais à tout retenir, je me laisse bercer par le son de sa voix.
Cest le grand moment, lexposition temporaire. Il ma prévenu, cest un petit musée, ce sera rapide, une vingtaine duvres, quelques paysages, mais surtout des nues de sa femme.
Ambiance feutrée, peu de lumière, seuls les tableaux sont éclairés. Les gens parlent à voix basses comme à léglise. A côté dun jardin ensoleillé vu au travers une fenêtre, le premier nu de Marthe, une belle femme, il est en extase. Je comprends sa passion pour Bonnard dès ce premier tableau, simple comme le bonheur. « Nu en contre-jour », une salle de bain 19ième, une femme nue de dos, jolies fesses, on distingue à peine sa poitrine. Un tub pour la toilette, et dans le coin gauche un petit miroir, le reflet de la femme de face.
Maintenant il parle peu, il est sous le charme du peintre, de son modèle. Je nose rompre ces instants magiques. Devant un autre nu, il me prend la main. Je ne la retire pas, nous contemplons ensemble, sans faire attention à ceux qui à côté de nous ne savent regarder quau-travers leur téléphone. Pourquoi toutes ces photos ?
Petites salles, grands trésors :
- Vous allez voir mon préféré, « lindolente ».
Une femme étendue sur un lit, Marthe bien sûr, nue bien sûr. Sur le dos, sans rien cacher de sa nudité, une jambe repliée, on imagine que le peintre et son modèle viennent de faire lamour. Elle est alanguie, dans une pose qui pourrait être obscène. Mais non, cest beau comme lamour, comme lamour physique. Cela me fait penser au tableau « Lorigine du monde » de Gustave Courbet.
- Oui, mais Courbet est plus réaliste, presque anatomique dans sa façon de peindre le sexe féminin. Bonnard lui garde son mystère, tout en faisant rêver devant cette femme offerte à la vue des spectateurs.
Devant son chef-duvre, il minvite à masseoir sur un petit banc. Il ne dit rien, fasciné. Serrés lun contre lautre, je sens sa cuisse contre moi, il passe son bras autour de mes épaules, je pose ma tête contre la sienne. Je suis émue, pour quoi ? Par qui ?
Pas un mot, lart se ressent, il ne sexplique pas.
Je le regarde. Cest certain, il est amoureux de Marthe, limage de la femme parfaite, de lamante parfaite. Sortant de sa torpeur, il se tourne vers moi :
- Excusez-moi, continuons.
Je le suis, regrettant déjà ce moment magique qui nous a réunis. Nous continuons la visite main dans la main. Il me donne quelques explications sur chaque tableau. La fin de lexposition, des photos de Marthe prise par son mari, en noir et blanc, encore nue bien entendu, quelle belle femme ! je ne peux mempêcher de le taquiner :
- Vous êtes amoureux delle ?
- On peut dire ça. Si je devais voler un seul tableau, vous savez lequel je prendrais.
La visite se termine, petit passage à la boutique, il machète la reproduction de son tableau.
- En souvenir.
Lheure avance, je nai pas envie de le quitter. Il me propose daller à la cafétéria du musée, salon de thé feutré. Magnifiquement décorée, la petite salle est bondée. Coup de chance, une table se libère proche de la fenêtre qui donne sur le jardin.
A la table voisine, deux jeunes femmes, une brune et une blonde, la main dans la main, les yeux dans les yeux, elles néchangent aucune parole. Je les avais remarquées dans lexposition, en admiration devant une toile, elles aussi sous le charme de ce peintre qui rapproche les curs, qui rapproche les corps.
Devant mon thé et lui son café, je lécoute, buvant ses paroles, ne pouvant détacher mon regard de ses yeux qui me fascinent comme ce matin dans le métro.
- Alors, en 50 ans, il na connu quune seule femme, quun seul modèle ?
- Non ! Sa vie a été très mouvementée, mais je voudrais pas vous lasser.
- Dites-moi. Je veux tout savoir. Ce Pierre a-t-il été lhomme dun seul amour ?
- Même pas. Il a connu Renée, un autre modèle qui est aussi devenu sa maîtresse.
- Et Marthe ?
- Cétait avant son mariage. Il vivait avec Marthe et couchait avec Renée. Le beurre et lagent du beurre. Il avait deux modèles, il a même peint des tableaux avec ses deux femmes, montrant la dualité, le doute, le choix
- Elles le savaient toutes les deux, elles avaient accepté ?
- On ne se sait pas si Marthe savait, Renée sûrement.
- Un vrai vaudeville, qui finit comment ?
- Il a longtemps hésité, et comme je tai dit
Pardon comme je vous ai dit, il a épousé Marthe en 1925.
- Quest devenue Renée ?
- De chagrin, enfin cest ce que lon peut penser, elle sest suicidée 15 jours après le mariage de Pierre.
- Cest dramatique. Comment a-t-il réagi ?
- Après le suicide de Renée, il a peint les derniers tableaux que nous avons vus, Marthe allongée dans sa baignoire, toute une série de nus.
- Pourquoi ?
- Allez savoir. Il parait que Renée sest suicidée dans sa baignoire.
- Comment savez-vous tout ça ? Vous êtes un spécialiste.
- Non, cest récent. En prévision de cette expo, jai lu sa vie sur Internet. Jessaie toujours de connaître lhomme avant de connaître lartiste et ses uvres.
Je prends conscience que pour me parler, il a pris mes mains dans les siennes. Nous sommes appuyés sur la table, nos visages proches, il me parle comme sil me faisait des confidences, à voix basse. Nos yeux se croisent, il dépose un baiser sur mes lèvres, je me recule vivement :
- Allons, soyez sérieux.
- Excusez-moi vous êtes belle, lambiance.
- Je ne suis pas Marthe.
Il se recule, embarrassé. Mais comment lui en vouloir ? Comment avouer que jai aimé ce baiser furtif.
---o O o---
LUI
En sortant, sans un mot, nous nous promenons dans les rues de Paris. Nos pas nous portent vers les quais. La Seine coule toujours pour les amoureux. En regardant leau, je pose mon bras sur sa taille, elle ne se dérobe pas, au contraire, elle se serre un peu plus contre moi.
Nos regards se croisent, petites gênes, non il ne faut pas. Elle regarde sa montre. Voulant décontracter latmosphère, je propose :
- Je vous emmène dans un restaurant gastronomique.
- Vous avez oublié, je dois être à la gare de Lyon pour 21 heures.
Sans lui laisser le temps de réfléchir, jentre dans un Mc Do.
- Un Mac Do, ça vous va ?
- Parfait pour un repas gastronomique. Dit-elle en riant.
Attablés, nous attaquons un Big Mac, moi un XL. Le ketchup coule sur son menton, elle essaie de limiter les dégâts en se léchant les lèvres. Délicatement avec la serviette papier donnée gracieusement par notre serveuse, je lui nettoie la bouche, mes doigts caressent sa joue. Quand je prends de la mayonnaise avec les frites, elle sourit et telle une maman grondant ses s, elle me montre du doigt :
- Pas léger votre truc, pas bon pour la santé.
- Jai une excuse. Tout ce qui est mauvais pour la santé, est si bon.
Il est lheure daller à la gare. Nous savons tous les deux que cest notre dernière heure ensemble.
Dans le hall, les panneaux nindiquent pas encore le quai où arrivera sa famille. Tapit dans un coin, nous suivons la marche inexorable des aiguilles de lhorloge de la gare. Je tiens ses deux mains au chaud dans les miennes. Nos yeux parlent à notre place.
« Ding dong » un message nous informe que « le train en provenance de Lyon est annoncé quai numéro 19 ».
Direction quai 19. Inconsciemment, nous restons à bonne distance du quai. Cest le moment de se quitter. Soyons théâtral :
- Adieu Marthe.
- Adieu monsieur Bonnard.
La prenant par les épaules, je dépose un baiser sur ses lèvres. Elle ne me repousse pas, elle répond par un sourire.
« Ding dong » nouveau message de la Compagnie des Chemins de Fer qui résonne dans le hall, «
avec un léger retard de 10 minutes
»
Nos poitrines se gonflent, 10 minutes de gagnées.
Sans un mot, elle se précipite dans mes bras et écrase ses lèvres sur les miennes. Nos lèvres sont soudées, nos dents se cognent entre elles, nos langues se cherchent, se trouvent, se caressent, elles font tout ce que nos mains ne peuvent faire. 10 minutes, le baiser du siècle, ô temps, suspends ton vol.
Je sens ses seins contre moi. En fermant les yeux, je revois les photos entrevues ce matin. Sentant une forme se développer dans mon pantalon, je me décale un peu, soyons gentleman, pas vulgaire. Mais
Elle se rapproche, se colle face à moi, frotte sa cuisse, nous ne faisons plus quun. Comme lindolente, lamour physique est plus fort.
Elle se détache un peu, reprend son souffle, avec un sourire, son sourire
Main dans la main, les yeux dans les yeux, nous sommes seuls, plus personne autour de nous. Mon esprit semballe, si elle navait pas d, si elle nétait pas mariée.
« Ding dong », nouveau message « Le train en provenance de Lyon entrera en gare dans deux minutes, quai numéro 19 ».
Je vais la perdre. Non ! Je la prends dans les bras, elle se blottit contre moi, je lembrasse langoureusement. Baiser profond, 2 minutes cest long et cest court.
Je sens sa respiration soulever sa poitrine. Cet instant ne doit jamais finir. Mon dieu, changez-nous en statue.
Le train arrive. Jessaie de la retenir encore quelques secondes. Elle est troublée :
- Merci pour cette journée, merci
merci pour tout.
- Jaimerais vous revoir.
Elle me pose un doigt sur la bouche :
- Chut, ne gâchons pas ces derniers instants.
Elle effleure mes lèvres dun dernier baiser, et court vers les voyageurs qui commencent à arriver.
Nous ne nous connaissons plus, voyageurs anonymes perdus dans la foule. Elle doit sentir mon regard fixé sur elle. Elle se retourne rapidement. Petit sourire rassuré, je suis toujours là.
Elle agite la main, deux s se jettent dans ses bras, effusions attendrissantes, je nexiste plus. Son mari arrive avec les valises. Il la prend dans les bras, un baiser rapide :
- Pas ici, il y a trop de monde.
Je traduis « pas devant moi ». Il ninsiste pas.
Son mari lui raconte son voyage. Tenant ses s par la main, elle a le regard vague, lécoute-t-elle ?
Elle passe devant moi, juste un petit coup dil rapide, je ne bouge pas. Jai limpression quelle serre plus fort la main de ses s. Je serre les poings dans mes poches.
---o O o---
ÉPILOGUE
Adieu belle inconnue dont je ne connais pas le nom.
Pourquoi lui avoir dit que jétais en vacances à Paris ? Pourquoi lui avoir dit que jétais marié, que javais un ? Je me suis forgé ce personnage en repensant à ses photos de famille vues sur son téléphone.
Je repense à Pierre et à Marthe, à leur rencontre dans un tramway boulevard Haussmann, au printemps 1893. De nos jours, un coup de foudre au premier regard dans un métro, ça nexiste plus.
Demain, je retournerai au musée revoir Marthe, ma Marthe.
Sur ce quai maintenant désert, tristement, je regarde séloigner sa « frêle silhouette si gracieuse et fluette ». Les paroles dune chanson me reviennent en mémoire :
« On songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus,
Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir.
On pleure les lèvres absentes,
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir. ».
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!