Alice Et Fred 2-Quand On Touche Le Fond
Six mois que ça durait. Alice sétait enfoncée dans la déprime, puis dans la dépression.
La honte, voire le dégoût delle-même ne lavait pas lâchée. Elle avait limpression quon la regardait comme une pestiférée, que tout le monde savait ce quelle avait fait, quon la montrait du doigt, parce que cétait inscrit sur son front en lettres majuscules. Souvent dans la rue elle se retournait pour regarder les gens quelle venait de croiser, pour voir sils ne la dévisageaient pas sur son passage. Dans une petite ville de province, tout se sait, se disait-elle. Même si elle navait jamais pris quelquun sur le fait, elle était sûre quon parlait dans son dos. Chez les commerçants, elle faisait profil bas, elle payait et partait. De toute façon, elle ne sortait quasiment plus. Pour lindispensable, rien de plus. Elle privilégiait lhypermarché de la ville voisine.
Elle était seule. Les amis quils avaient eus en commun avec Fred, elle ne les voyait plus. Dailleurs, aucun ne lavait appelée depuis, cest bien la preuve quils ne voulaient plus la voir.
Même Sonia sa meilleure amie avait coupé les ponts.
Elle ne travaillait plus depuis six mois, elle était en arrêt de travail.
Sophie sa sur, ne voulait plus lui parler. Sa petite sur, pour qui elle avait toujours été un modèle. Sophie avait 9 ans de moins quelle. Elles avaient perdu leur mère jeunes, Sophie était une , Alice une adolescente. Elle avait endossé le rôle de mère pour elle. Même si on ne remplace jamais une mère, elle avait fait de son mieux. Elles étaient restées très proches toutes les deux lorsquelles étaient devenues adultes, fusionnelles même. Ça, cétait jusquà cette malheureuse journée.
Son père, elle le voyait toujours. Cest la seule personne à laquelle elle rendait encore visite de temps en temps. Il faisait des efforts pour faire bonne figure, mais Alice voyait bien quil ny avait plus cette étincelle dans son il lorsquelle était avec lui.
Elle aurait pu partir, quitter la ville, la région. Mais non, au cas où Fred revenait, elle devait rester là.
Au début, elle avait essayé de se battre. De se débattre surtout.
Elle avait essayé de retrouver Fred. Elle avait cherché sur internet, un peu au hasard, ne sachant pas quoi ni où chercher. Elle était allée à la police, ils lui avaient gentiment dit que son mari était majeur et qua priori, quitter le foyer conjugal nétait pas un délit, donc aucune raison de le rechercher.
Ses investigations étaient vite devenues des impasses.
Le chagrin, la fatigue, le découragement lavaient gagnée doucement. Le cercle infernal, les pleurs, les nuits sans sommeil, la déprime, la dépression.
Les psychiatres quelle consultait ne faisaient que lui augmenter ses doses dantidépresseurs et de somnifères. Au moins, elle sécroulait régulièrement vers deux ou trois heures du matin, sur le canapé, avec son plateau-repas devant elle, la télé qui marchait dans le vide.
Six mois
Elle avait eu envie den finir le jour où tout sétait passé. Le tube de somnifère était vide. Quel dommage ! Depuis plusieurs semaines, ce genre de pensées lui revenait de plus en plus régulièrement.
11 mai, 20 heures :
Cétait un rituel, tous les jours à 20 heures, Alice composait le numéro de téléphone de Fred. Elle savait depuis longtemps que ça ne décrocherait pas. Comme hier, comme avant-hier, elle aurait le fameux message qui lui annonçait que le numéro quelle avait composé ne
Elle appelait quand même, au cas où. Comme tous les soirs donc elle compose le numéro. Rien ! Elle repose le téléphone, lasse.
Aujourdhui cétait leur anniversaire de mariage. Sa décision, elle la prit en trente secondes.
Elle qui dhabitude ne faisait plus que se traîner à travers la maison, se leva dune manière décidée.
Elle vida les tubes de comprimés sur la table basse : antidépresseurs, gélules roses, il y en a 18, elle les compta et les aligna sur une ligne bien droite. Somnifères, gélules blanches : il y en a 21. Pas très symétrique tout ça. Tant pis, peu importe.
Elle navait plus envie, plus la force de continuer.
Elle prit une première poignée de comprimés dans sa main, des roses et des blancs. Elle porta le verre à ses lèvres, en but une rasade. Ça lui arracha la bouche, la fit tousser. Elle en recracha la majeure partie. Ça eut le mérite de lui mettre les idées en place.
En toussant, elle eut comme un flash. Quand on coule et quon touche le fond, il y a deux solutions. Soit on se couche et on reste au fond, soit on pousse fort avec les pieds et on remonte. Elle balaya dun revers de la main, lensemble des gélules.
Elle allait tout faire pour remonter. Elle allait appuyer fort avec ses pieds sur le fond. Elle voulait reprendre sa respiration, arrêter cette lente . Pour ça, il ny avait quune solution. Le retrouver. Retrouver Fred, où quil soit.
Oui, mais comment ? Elle avait essayé, nexplorant que des impasses.
Un professionnel, bien sûr ! Un détective privé. Eux sauraient où et comment chercher. On laisse toujours des traces, on ne peut pas disparaître comme ça.
Sur internet, il y avait des dizaines de cabinets de détectives. Lequel choisir, lesquels étaient sérieux, lesquels étaient des charlatans et essaieraient de larnaquer ? Une femme éplorée, ça pouvait consti une proie facile pour ce genre de types.
Auprès de qui prendre conseil ? Elle ne fréquentait plus personne. Toujours en explorant la toile, elle tomba sur un site, où un homme témoignait quun détective avait résolu son problème, quil avait été efficace, honnête.
Ne trouvant rien de mieux, elle se décida pour lui.
Pour la première fois depuis longtemps, Alice se coucha dans son lit et ne sécroula pas sur le canapé.
Le lendemain, elle appela pour voir si le détective exerçait toujours. Elle eut un homme en ligne, qui lui donna rendez-vous pour le jour suivant.
Elle arriva devant limmeuble du détective : 11 avenue Ledru-Rollin. La plaque annonçait « cabinet JV ».
Un homme âgé dune trentaine dannées lui ouvrit. Pas vraiment limage quelle se faisait dun détective. JV, Jérôme Vasseur, elle lapprendrait après, ressemblait à Harry Potter en plus âgé. Elle sattendait plutôt à un Philip Marlowe, un homme au regard clair et usé, fumant des cigarettes brunes sans filtres, le chapeau et le trench-coat accroché à un porte-manteau perroquet, un bureau encombré, une bouteille de bourbon vide dans la corbeille à papier. Non, elle avait devant elle, un Harry Potter derrière un bureau en verre fumé, impeccablement rangé.
Il lécouta attentivement raconter toute lhistoire, expliquant ses recherches, ne linterrompant que pour poser quelques questions. Il prenait des notes de temps en temps sur un bloc à petits carreaux, dune écriture régulière :
Bien, si votre mari na pas quitté le pays, on va le retrouver. Par contre sil nest plus en France, là
Rassurez-vous, il y a de fortes chances quil soit toujours sur le territoire. Par contre mes honoraires seront de 1000 euros pour une semaine de travail, plus les frais.
Je paierai.
Bon, maintenant, il faut trouver langle dattaque. Ce qui va nous permettre de retrouver sa trace. Laissez-moi quelques heures de réflexion, je vous rappelle en fin daprès-midi. Vous restez à Paris ?
Je vais prendre une chambre dhôtel.
Je vous rappelle rapidement.
Jérôme lui inspirait confiance. Dabord elle aurait aimé un détective plus âgé, ayant plus dexpérience, mais leur entretien lavait rassurée, les questions étaient pertinentes, posées sur un ton rassurant et doux.
Et puis il lui redonnait de lespoir.
À 17 heures, son portable sonna. Cétait le détective :
Je pense avoir trouvé langle dattaque. Vous mavez bien dit que votre mari était parti avec sa voiture ?
Oui, cest exact.
La voiture, voilà ce qui peut nous permettre de retrouver sa trace.
Comment ça ?
Une voiture, ça porte une immatriculation. On va le pister avec ça. Une voiture, ça se vend. Ou bien quand on change de département, on peut changer sa carte grise. On peut attr des PV. Ça laisse des traces. Je connais quelquun au service des cartes grises, qui, disons
me doit un petit service. Si on rajoute quelques euros, mettons
200 ou 300, on pourrait obtenir des renseignements
Je ne le connais pas ce numéro.
Rentrez chez vous et cherchez au cas où vous auriez une facture de garage par exemple, le numéro des plaques sera dessus. Rappelez-moi dès que vous aurez trouvé.
Alice avait quitté Paris et était rentrée chez elle. En fouillant, elle trouva une ancienne facture de révision de la voiture de Fred. Comme lui avait dit Jérôme, le numéro dimmatriculation de la voiture figurait bien dessus. Elle le rappela fébrilement. Il nota le numéro et promit de la tenir au courant dès quil y aurait du neuf.
Alice, pour la première fois depuis longtemps, ressentait un certain soulagement. Elle ne voulait surtout pas senflammer, mais il y a avait un début de piste, un début despoir.
Elle est restée assise sur le canapé jusquà tard dans la soirée, son portable à portée de main sur la table basse, prête à prendre lappel du détective. Elle ne risquait pas dêtre dérangée par une autre communication. Personne ne lappelait plus jamais. Si quelquun appelait, elle ne répondrait pas de toute façon. Il fallait laisser la ligne libre. Et si Fred
Elle répondrait, mais mettrait rapidement fin à lappel, si cétait un importun. Sa seule digression fut son appel quotidien à Fred à 20 heures. Comme dhabitude, elle sattendait à léternel message.
Ce soir-là, ça décrocha. Une voix masculine répondit :
Oui ?
Fred ? dit-elle dune voix mal assurée.
Euh, non.
Il
Il est là ?
Non, vous devez faire erreur.
Impossible. Elle connaissait le numéro par cur. Ses doigts couraient sur la vitre de lécran pour le composer. Instinctivement. Elle nallait même pas le chercher dans son répertoire. Cétait devenu un rituel, elle le composait systématiquement du bout de ses doigts. Une manie, un TOC. Elle se disait que si elle ne le composait pas, ça ne répondrait pas. Ça linquiétait bien un peu, mais cétait le rituel.
Tout comme quand elle allait en ville, elle prenait toujours le même chemin, celui avec lequel ils passaient quand Fred conduisait. Il était un peu plus long, mais Fred passait toujours par là. Cétait un sujet récurrent entre eux. Elle lui disait à chaque fois que par lautre côté cétait plus court. Il disait que oui, mais puisquil y avait des feux de lautre côté et pas par ici, on allait plus vite. Une private joke en quelque sorte.
Une fois, quand la rue fut barrée pour des travaux, elle ne put pas passer par le chemin de Fred. Elle fut obligée de se garer, une crise de larmes lavait prise. Elle fit demi-tour et nalla pas en ville tant que la rue ne fut pas à nouveau ouverte.
Devenait-elle folle ? Si les TOC lenvahissaient, jusquoù allait-elle sombrer ? Est-ce que ça allait accélérer sa chute ? Quimporte finalement
Quand on touche le fond, on nest pas obligé de taper fort avec les pieds, pour remonter. On peut aussi creuser pour tomber encore plus bas.
Non, jai composé le bon numéro. Celui de Fred.
Il ma été attribué ce matin seulement. Ça doit être lancien numéro du Fred que vous connaissez. Ce nest pas moi !
Je vous prie de mexcuser.
Ya pas de mal !
Elle sen doutait depuis longtemps, Fred avait changé de numéro. Depuis le début. Encore une voie de garage. Une de plus. Un espoir, presque inexistant, mais un espoir de moins.
Comment allait-elle faire, sans son rituel quotidien de 20 heures ? Là cétait foutu cest sûr. Ça ne marcherait jamais. Appeler Fred à 20 heures, maintenait lespoir. Tant quelle pouvait le faire, ça laissait une porte entrouverte.
Tes en train de devenir dingue. Tu perds vraiment pied ma pauvre fille !
Jérôme ne rappela pas de la soirée. À 5 heures 30, alors quelle navait pas trouvé le sommeil, elle sest levé, à, prit le téléphone sur la table de nuit et a été le poser sur la table de salon, pour attendre sur le canapé.
Elle a essayé de téléphoner à Jérôme. Elle tombait sur sa messagerie. Elle y laissa deux messages. Elle sapprêtait à rappeler, quand elle se dit que cétait inutile. Elle nallait pas le harceler.
Il avait promis de rappeler dès quil y aurait du neuf. Peut-être quil lui fallait des délais. Peut-être quil avait dautres affaires à gérer. De la patience ! Ce nétait pas nécessairement mauvais signe.
Elle se creusait la tête pour trouver quelque chose qui maintiendrait son espoir. Un geste quotidien quelle associerait à laction de Jérôme. Ce geste, elle en était sûre serait positif et
peut-être si elle faisait une action en répétant les mêmes gestes toujours dans le même ordre. Cela permettrait dapporter une onde positive. Par exemple, si en shabillant, elle mettait dabord le haut, puis
Daccord, la folie est là
Tant mieux ! Si je perds la raison, je perdrais peut-être la mémoire aussi, se dit-elle en passant dabord son pull avant de mettre son jean. Puis dabord sa ballerine gauche, puis la droite.
Le détective ne rappela quen fin de journée seulement.
Jai retrouvé la trace de la voiture
Cest vrai ?
Oui, votre mari la vendue un mois après son départ.
Et ? Ça nous donne quoi ?
Un lieu, la voiture a été vendue à Paris. Jai ladresse de lacheteur. Je lai appelé cet après-midi. Il a conservé des documents remis par votre mari. Notamment une facture de révision, juste avant la vente.
Et ? dit Alice pleine despoir
Et il y a une adresse dessus, 30 rue du Chemin Vert.
Vous lavez retrouvé alors !
Ne vous emballez pas. Je me suis rendu à cette adresse. Votre mari ny est plus.
Je me disais que cétait trop beau.
Attendez, je nai pas terminé. Jai interrogé les voisins. Une vieille dame qui habite à létage en dessous, une commère sûrement, qui ma dit se souvenir parfaitement de votre mari. Il a déménagé il y a quatre mois. Il a dit à cette voisine quil partait à La Rochelle.
La Rochelle ? Mais cest à lautre bout du pays ? Quest-ce quil fait là-bas ?
Ça je ne sais pas Alice. Mais je continue de suivre la piste. Ça se réchauffe.
Vous êtes sûr ?!
On sait quil est resté deux mois à Paris après son départ. Il a vendu sa voiture et il est parti à La Rochelle.
Si seulement
Je vous tiens au courant, dès que jai autre chose. Gardez espoir.
Le cur dAlice battait la chamade. Jérôme avait raison. Elle venait en cinq minutes den apprendre plus sur le parcours de Fred quen six mois. La Rochelle, ce nétait pas une si grande ville que ça. Elle allait y aller, sillonner la ville, elle tomberait peut-être sur lui
On ne semballe pas. Jérôme allait peut-être trouver son adresse.
Ce soir-là, Alice sendormit rapidement, malgré lénervement. La nuit précédente sans sommeil eut raison delle.
Le détective la rappela le lendemain :
Écoutez, jai fouillé dans les fichiers auxquels on peut accéder facilement, je nai pas trouvé trace de votre mari. Jai rappelé mon ami aux cartes grises, au cas où il aurait racheté une autre voiture. Il ne la pas fait. Ça aurait permis de connaître sa nouvelle adresse.
Cest foutu encore.
Pas forcement, je vais tenter le tout pour le tout. Je vous rappelle dans une heure.
Cinquante minutes plus tard, Jérôme rappelait :
Je ne veux pas vous donner de faux espoirs, mais je vais à La Rochelle. Je vous tiens au courant demain dans la matinée.
Dites-men plus, par pitié.
Non, non, gardez espoir, je tiens une piste. Une sérieuse.
Il nen dit pas plus. Alice était condamnée à patienter. Une journée de plus ou de moins, quimporte. Il lui semblait quelle navait jamais été aussi près du but. Jérôme semblait vraiment avoir trouvé quelque chose.
Le lendemain, le téléphone sonna. Jérôme :
Jai son adresse ! Je my suis rendu. Jai sonné chez lui. Je fais comme si je métais trompé détage. Il a ouvert. Cest bien lui. Je lai reconnu avec la photo que vous mavez donnée. Plus de doutes !
Alice pleurait à chaudes larmes. Elle ne pouvait prononcer la moindre phrase distinctement. À part des « Merci » et des « Enfin ».
Jérôme lui raconta comment il avait procédé. Il avait tenté le tout pour le tout. Un truc qui ne marchait pas souvent. Après, il faut toujours une part de chance dans une enquête. Il sétait fait passer pour un médecin de lhôpital Sainte Anne à Paris et avait appelé lhôpital de La Rochelle. Les urgences psychiatriques venaient de recevoir un patient en pleine crise. Ils avaient son identité, la ville où il habitait, pas son adresse exacte. Ils souhaitaient joindre la famille pour prévenir.
Linterlocuteur de lhôpital de La Rochelle avait dabord refusé de répondre, argumentant avec le secret médical. Je suis moi-même médecin avait rétorqué Jérôme :
Oui, mais je nai pas la certitude que vous êtes celui que vous prétendez être.
Certes ! Je comprends vos réticences, mais si je vous appelle cest quon na pas vraiment dautres solutions.
Faites un courrier, on vous répondra.
Écoutez mon vieux, on est entre confrères. Vous savez comme moi que cest compliqué. Les méandres administratifs, les budgets, la charge de travail trop importante, les sous-effectifs chroniques, vous connaissez aussi bien que moi. Il faut absolument quon trouve une solution pour ce patient. On ne sait plus quoi en faire. Il va finir interné, loin de sa famille.
Je sais, mais vous connaissez les procédures.
Regardez au moins, si vous avez quelque chose.
Daccord, ça je peux le faire.
Merci mon vieux.
Oui, votre type on le connaît.
Ah, vous voyez bien que je ninvente pas !
Il sest présenté chez nous aux urgences il y a deux mois. Entorse bénigne. On la bandé, on lui a donné des antidouleurs et cest tout.
Je vous propose quelque chose. Et si vous me rappeliez, vous pourriez vous assurer que je suis bien celui que je prétends être et vous pourriez me donner son adresse, sans quon perde des semaines en faisant un courrier.
Allez daccord, je vous rappelle, mais ça reste entre nous.
Promis ! Je suis le Docteur Marchand, Philippe Marchand à Sainte-Anne, urgences psychiatriques. Voilà mon numéro, vous tomberez directement sur mon secrétariat.
Jérôme avait tout prévu. Il avait fait appel à une amie qui allait se faire passer pour sa secrétaire et qui lui passerait le prétendu docteur Marchand sur lautre poste du bureau :
Hôpital Sainte-Anne, secrétariat du docteur Marchand bonjour ! Oui ! Ne quittez pas, je vous le passe ! Docteur cest pour vous, La Rochelle
Un petit immeuble en briques rouges de quelques étages, cétait là. Un digicode, mais la porte cochère était ouverte. Son nom sur la boîte aux lettres, 1er étage droite.
Alice est montée, et a sonné. Personne. Il était encore tôt. Elle est redescendue pour aller sinstaller dans le bar juste en face. Elle a fait durer son café. Le patron du bar la regardait dun sale il.
18 h 30, le voilà, cest lui. Il na pas changé. Toujours la même silhouette, la même allure. Alice eut envie de sortir et de courir vers lui, mais ses jambes ne répondaient plus, elle restait pétrifiée assise à sa table, incapable de bouger. Elle serrait fort le bord de la table. Elle ne pouvait pas le quitter des yeux. Il est passé devant la vitrine du bar, sans la voir, il a traversé la rue et il est entré dans limmeuble.
Au bout de quelques minutes, elle a enfin pu se lever.
Tous ces efforts pour le retrouver, elle nallait pas rentrer chez elle. Pas maintenant.
Il fallait quelle le voie, quelle lui parle, quelle lui dise
Quelle lui dise quoi ? À vrai dire, Alice avait préparé son discours pendant ces six mois. Elle le connaissait par cur, chaque phrase, chaque mot. Elle les avait répétés à haute voix, seule dans son lit, toutes les nuits. Là maintenant, tout ça lui semblait bien creux. Cétait du vent, du vide. Le fait est quelle navait rien de nouveau à lui dire, hormis quelle laimait et que la vie sans lui cétait impossible.
Il faut quelle lui dise, juste ça. Après, il fera ce quil voudra, mais au moins, il doit savoir ça.
Un peu requinquée, Alice put se lever, sortir du bar pour se diriger vers limmeuble.
Elle passa au moins cinq minutes devant la porte, tendant son bras pour sonner, le rebaissant sans le faire. À un moment, elle faillit même faire demi-tour. Ses lèvres, son visage, ses membres tremblaient. Elle sonna enfin, en fermant les yeux et en baissant la tête.
La porte souvrit. Elle releva la tête. Il était là devant elle. Elle faillit lui sauter au cou. Elle se retint. Par contre les sanglots lenvahirent. Elle pleurait à chaudes larmes.
Il la regardait, le visage fermé.
Cest toi, dit-il enfin au bout de quelques secondes, dune voix blanche.
Oui, lui répondit-elle entre deux sanglots.
Entre.
Lappartement était petit, une chambre au fond, une cuisine sur la gauche, un séjour avec juste un canapé, un fauteuil, une table basse, une télé.
Assieds-toi, lui dit-il en désignant le fauteuil.
Il sinstalla en face sur le canapé.
Merci, peut-être que je te dérange, peut être que tu attends quelquun, lui dit-elle, prise dun doute.
Non, personne.
Alice narrivait pas à se lancer. Ses larmes se calmaient.
Elle prit sa respiration et elle sortit tout en bloc.
Elle lui raconta tout depuis le début, ce quelle avait fait, le dégoût que ses actes lui avaient procuré aussitôt après, dégoût qui navait pas faibli depuis six mois. Elle lui dit que ses regrets ce nétait rien à côté de ce quil avait vécu à cause delle. Elle lui dit quelle navait aucune excuse. Elle lui dit quelle laimait à chaque phrase. Que sans lui, sa vie nétait rien. Oh bien sûr, elle aurait dû y penser avant. Impardonnable, elle létait. Elle laimait.
Voilà, dit-elle après son laïus, un sanglot lui revenant dans la voix. Mon vu le plus cher est de te récupérer. Je conçois que tu men veuilles encore et que tu me rejettes à nouveau. Mais au moins, je voulais te le dire en face et te voir une dernière fois, si cest ton choix.
Elle ne rajouta pas que sil la repoussait, elle irait directement se jeter dun pont en sortant. Ça, elle le garda pour elle.
Fred gardait le silence, le regard fixé sur elle. Son visage ne laissait rien paraître de ses sentiments.
Alice vit que cétait terminé. Elle se leva en disant :
Je vais y aller. Au revoir, Fred, merci de mavoir écoutée.
Non attends, lui dit-il, comme sil émergeait dun rêve.
Il lui raconta aussi tout. Ses doutes, sa colère, son envie daller casser la gueule au type, daller lui mettre une paire de gifles à elle au restaurant, son effondrement, sa tentative de suicide. Il parla de la colère qui revint à son réveil dans la nuit à lhôpital. Une colère différente, plus froide, quand il décida de ne jamais la revoir. Il lui raconta son changement de vie, de ville, de boulot. Bien sûr, les choses sétaient tassées depuis. La colère envolée. Mais il ne sétait pas résolu à faire machine arrière. Son foutu ego, son orgueil. Et puis les doutes bien sûr. Y en avait-il eu dautres avant ? Et après ? Et puis il avait peur quelle soit installée avec lautre type après son départ. Il lui avoua quun week-end, il était rentré, était venu devant la maison, navait pas sonné. Les volets étaient fermés, mais la voiture dAlice était là. Il avait fait demi-tour. Il était revenu le lendemain, la voiture nétait plus là. Elle devait être absente. Il aurait pu rentrer. Il avait vérifié et le double des clés se trouvait toujours caché dans lappentis du jardin. Il ne lavait pas fait. Il était revenu ici.
Il lui dit enfin, quil ny avait pas eu un jour, pas une nuit, pas une heure où il navait pas pensé à elle.
Alice sanglotait. Une larme coula aussi sur la joue de Fred. Il lui dit :
Viens tasseoir à côté à de moi.
Elle le rejoignit sur le canapé. Se serra contre lui. Il passa son bras autour de ses épaules. Elle posa son visage sur son épaule à lui. Le toucher, le sentir, le respirer
Enfin !
Ils restèrent un très long moment ensemble assis, sans rien dire. Les derniers sanglots et reniflements dAlice cessèrent. La nuit était tombée. Ils restaient toujours là, serrés dans la pénombre.
Puis Fred reprit la parole :
Tu sais, je tai pardonné, presque complètement jusquà tout à lheure. Complètement maintenant. Après, je nai pas oublié. Ça, cest impossible.
Mais je ne veux pas que tu oublies ! Moi non plus je noublierai jamais ! Je veux que ça reste ancré dans ton esprit. Que tu puisses te rendre compte que tu as récupéré ta femme qui taime. Ce maudit samedi doit rester gravé dans notre esprit. Je veux que tu saches que tout ça naura duré que quelques heures. Quavant, je taimais, quaprès je crevais damour pour toi et que même pendant que je faisais
ça, je tai aimé. Noublie jamais, mon chéri.
Leurs lèvres se rapprochèrent et ils échangèrent un baiser.
Viens, lui dit-il en la prenant pas la main et en lentraînant vers la chambre.
Ils sembrassaient debout devant le lit. Elle sur la pointe des pieds lui tenait le visage à deux mains
Ils se redécouvraient. Ils voulaient le faire durer, ce baiser, en savourer chaque seconde.
Elle, plus personne navait touché son corps depuis six mois. Il lui était arrivé de se caresser seule la nuit dans son lit. Ça finissait systématiquement par de mauvais orgasmes.
Lui, un soir, il avait rencontré une femme dans un bar, une femme cassée par la vie aussi. Il était allé chez elle. Ça navait pas été terrible. Cétait la seule fois, le reste du temps, cétait les plaisirs solitaires. À ces occasions-là, cétait toujours Alice qui occupait ses pensées.
Progressivement, leurs mains descendirent sur le corps de lautre. Il nétait pas question darrêter le baiser, juste de toucher lautre. Fred sentait la peau dAlice frissonner au contact de ses doigts. Il sentait sa femme vibrer sous ses caresses. « Sa femme » ! Il avait dit « Sa femme ». Elle était redevenue « Sa femme » après ces longs mois de séparation. « Sa femme ! » Il avait envie de le crier :
SA FEMME !
Les vêtements tombèrent les uns après les autres. Tout se faisait doucement. Ils retrouvaient les gestes davant, quils faisaient machinalement, instinctivement. Il mesurait pleinement le plaisir de serrer sa femme dans ses bras, de la déshabiller, de lembrasser. La toucher, la ressentir
Il dévoila ses seins, les caressa, sentit le bien que ressentait Alice, à ses frémissements, à la chair de poule qui naissait sous ses doigts, aux gémissements qui venaient du fond de sa gorge, malgré le baiser quil navait toujours pas interrompu. Lentendre
Il sépara ses lèvres de la bouche dAlice, il se recula de quelques centimètres pour la découvrir. La voir
Il se rapprocha à nouveau delle, fourra son visage dans ses cheveux, simprégna de ses odeurs. Odeurs quil connaissait par cur, toujours le même shampoing, le même parfum sur sa peau quelle utilisait depuis des années. Odeurs quil avait oubliées, qui lui revenaient. La sentir, la respirer
Il écarta les cheveux blonds dAlice, sa bouche chercha un cou, une épaule à embrasser, retrouver chaque petit grain de beauté dont il connaissait lemplacement exact. La goûter
Elle le serrait fort de ses deux bras, la tête rejetée en arrière, profitant de chaque pression des lèvres ou des doigts de son mari sur elle.
Viens sur le lit, lui dit-il enfin en la relâchant, un peu malheureux, toutefois, davoir eu à interrompre cet instant hors du temps.
Il lallongea sur le dos, écrasa du bout dun doigt, la larme qui coulait sur la joue dAlice.
Ne pleure plus, on sest retrouvés.
Cest les plus belles des larmes, des larmes de joie.
Ils se caressèrent longtemps, ne négligeant aucune partie de leur corps. Toujours ce besoin de se redécouvrir, de se remémorer, de raviver, de faire revivre.
Fred enleva la culotte dAlice, fut étonné de sentir sous ses doigts une importante toison.
Oui, je sais, je me suis un peu négligé la foufoune ces derniers temps, mais promis, rapidement je me refais le petit ticket de métro que tu aimais tant.
Ils rirent de concert. Cétait la première fois quils riaient ensemble depuis plus de six mois. Quils riaient tout court même. Ils avaient oublié les bienfaits du rire, de la joie. Ils retrouvaient ces sentiments simples. Ils étaient à nouveau bien. Ensemble. À lunisson.
Alice avait pris le sexe de son mari en main :
Toi, par contre, toujours aussi
Comment dire
hmmmpff, dit-elle, juste avant de lengloutir.
Les préliminaires furent brefs. Ils avaient tellement envie, elle de le sentir en elle, lui de se sentir en elle.
Le coït fut bref également. Ils avaient été tellement sevrés du corps de lautre, lexcitation était telle, que lorgasme vint vite. Elle dabord, lui rapidement après.
Ils sécroulèrent sur le lit lun à côté de lautre, à profiter de ce moment magique qui suit la jouissance. Ce relâchement des corps. La quiétude qui envahit lesprit. Ils redécouvraient doucement leur environnement, lappréhendaient.
Quelle est belle dans ces moments-là, se dit-il. Une femme au moment de lorgasme, est belle. Une femme après lorgasme est magnifique.
Ils refirent lamour rapidement.
Épuisés, repus, ils savouraient. Fred dit à Alice :
Tu sais ce quon va faire demain ?
Non.
On rentre à la maison !
Elle lembrassa :
Oui mon amour, reprendre une vie normale.
Reprendre là où on sest arrêtés.
Refermer une parenthèse désagréable.
Revivre.
Vivre.
Et on emmerde ceux qui nous regarderont de travers !
Alice poursuivit :
Je tai retrouvé toi, je veux aussi retrouver ma sur.
Nous irons la voir ensemble.
Tu sais ce quon va faire après demain mon chéri ?
Non.
On va soccuper de ce dossier dadoption.
Jaimerais bien une petite fille.
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