Jules & Nathan - 15

Jules entra en trombe dans son appartement, claquant violemment la porte derrière lui.
Sans prendre la peine d’ôter sa veste il vint s’asseoir dans son sofa, prit sa tête
dans ses mains, et fixa le sol. Sa respiration était forte et bruyante comme s’il
peinait à respirer, et ses yeux reflétaient à la fois la colère qui l’habitait, et un
sentiment d’incapacité et d’incompréhension. Ils étaient rouges et embués par les
larmes, qui commençaient à couler sur ses joues. Sa tête n’était qu’un vaste chantier
désordonné et il ne parvenait plus à faire le point dans ce qui lui arrivait. Comment
en étaient-ils arrivés là ? Quelques heures avant ils s’envoyaient en l’air dans une
salle d’examen, et maintenant ils étaient profondément fâchés. Alors que ses doigts
glissaient entre ses cheveux, une goutte vint s’échouer sur la moquette du salon. Puis
deux. Il pleurait maintenant à chaudes larmes et semblait totalement inconsolable.
Après quelques minutes, il essuya ses yeux d’un revers de main et décida de se
reprendre. Il se leva, ôta sa veste, et se dirigea vers la cuisine pour s’y faire un
café. Il alluma la machine, et au moment d’attr son mug, il aperçut celui de
Nathan posé à côté du sien. Il s’appuya alors sur le comptoir pour respirer
profondément, décidé à ne pas replonger et à se recentrer. Après une grande
inspiration, il reprit la préparation de sa boisson. Et lorsque la machine décida de
ne pas fonctionner correctement, Jules la frappa violemment en lançant un « Putain ! »
et s’écroula le long du meuble, assis à même le sol. A nouveau cette boule lui monta à
la gorge en ne demandant qu’à éclater, et à nouveau il tenta de la contenir, en vain,
avant d’exploser en sanglots.

Il repensait à ces dernières heures lorsque déjeunant tranquillement en amoureux dans
un restaurant branché, ils avaient de nouveau abordés le sujet de la paternité de
Jules.

Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi cela avait autant dégénéré, à tel
point que Nathan en arriva à lui demander de choisir entre lui et son , avant de
partir du restaurant et de le laisser en plan. Il ne répondait plus à aucun de ses
appels ou de ses messages, et Jules avait lu dans son regard un sentiment mêlé entre
la colère et la peur. Comment pouvait-il faire ce choix ? C’était tout simplement
impossible. Comment choisir entre un homme que l’on aime plus que tout, et un futur
que l’on aimera lui aussi plus que tout. Laisserait-il un grandir sans
son père ? Mais à côté de ça, saurait-il vivre sans Nathan ? Il avait le sentiment que
sa tête allait éclater !

Il dénoua sa cravate et déboutonna sa chemise. Son jean ainsi que ses pompes valsèrent
au loin, suivis par son boxer. Et il se retrouva rapidement sous l’eau bouillante de
sa douche. C’était là qu’il parvenait à se détendre et à réfléchir correctement. Mais
plus il réfléchissait et moins cela lui plaisait, car il se rendait compte que le
choix imposé par Nathan était tout aussi dégueulace qu’égoïste, et il ne supportait
pas d’avoir cette image de lui. Il lui était évident que la solution ne viendrait pas
ce soir. Il sortit donc de sa douche pour enfiler une serviette autour de sa taille,
alluma sa chaine hi-fi, puis alla s’allonger dans son sofa en croisant les mains
derrière sa tête. Il regardait fixement le plafond d’un regard vide, comme s’il était
ailleurs et que seule son enveloppe corporelle était présente.
Alors qu’il paraissait progressivement sombrer dans le sommeil, la sonnette de son
appartement retentit. Pensant qu’il s’agissait de Nathan, Jules se précipita pour
aller ouvrir. Tirant la porte et s’apprêtant à sauter sur son visiteur, il s’arrêta
net en s’apercevant que c’était Grégory qui était sur son palier, et un sentiment de
déception traversa son visage.

- « Je te dérange ? »
- « C’est plus compliqué que ça Gregory, que fais-tu ici ? »
- « Je devais te présenter un patient en urgence et tu ne répondais pas aux
bippers ni aux coups de fils. J’ai donc préféré venir m’assurer que tout allait bien,
mais je crois comprendre pourquoi tu ne répondais pas… » disait-il, en fixant la
simple serviette que Jules portait à sa taille.
- « Malheureusement tu fais erreur. Je dormais et je n’ai pas du entendre mon
bipper. Vas-y entre ! »
Grégory suivit Jules dans son appartement. Son regard n’était pas tant attiré par
l’esthétique de celui-ci, mais plus par celle de son propriétaire. Il ne pouvait
s’empêcher de fixer les fesses de son hôte lorsqu’il le suivait, et à l’inverse
lorsque ce dernier lui adressait la parole, il avait du mal à le regarder dans les
yeux tant il était tenté de dévier vers ses abdominaux et son torse dessiné. Il se
rinçait littéralement l’œil, découvrant enfin le corps qu’il avait tant cherché à
entrevoir dans la journée.
- « Installe-toi et prépare ton dossier, je reviens. Si tu veux du café, tout
est sur le comptoir de la cuisine. » dit Jules, avant de se diriger vers sa chambre.
Grégory sentait que quelque chose n‘allait pas chez son professeur. Déjà : pourquoi
Nathan n’était pas là, alors qu’ils étaient repartis ensemble ? Pourquoi était-il si
distrait au point d’oublier son bipper, lui qui ne vivait d’habitude que pour son
boulot ? Et enfin, pourquoi ses yeux semblaient-ils encore gonflés comme s’il avait
pleuré ? Grégory s’imaginait tout un lot d’explications, mais celle qui lui plaisait
le plus était que Nathan l’ait plaqué, car cela lui permettrait de sauter sur Jules et
de prendre sa place… Mais pas de précipitation.

Quand Jules revint de sa chambre, il avait enfilé un genre de survêtement de tissu
gris et un sweat à capuche bleu marine.
Cela dénotait avec son style élégant habituel,
mais Jules s’habillait souvent ainsi lorsqu’il trainait chez lui.
- « Je t’écoute ! » dit-il, en venant se placer à ses côtés sur le sofa.
- « Et bien c’est rapport à ce patient, le Dr. Laroy aimerait que tu y jettes un
œil. » disait Grégory, tendant le dossier.
Jules prit connaissance du dossier page par page, sans prononcer un seul mot. Un
silence pesant s’était installé, et Grégory ne savait pas trop quoi faire ni ou
regarder. Même s’il était fort tenté de mater son professeur juste à ses côtés.
- « Grégory. Je sais m’apercevoir quand quelqu’un me mate. Et sans vouloir être
désagréable, le moment est mal choisi. » dit Jules, sans même quitter son dossier des
yeux.
Grégory détourna son regard et se sentait très con. Il avait l’impression que son
cœur allait crever sa poitrine et atterrir sur la moquette !
- « Hum, pardon. »
- « Donc, si j’ai bien suivi, c’est le chef de service qui t’a demandé de
m’apporter ce dossier pour avoir mon avis ? »
- « C’est exact. »
- « Tu ne me prendrais pas un peu pour un con ? »
- « Pardon ? »
- « Ce dossier a déjà été traité. Par nous. C’est la patiente qui a fait un
infarctus hier… »
Grégory fixait Jules. Il était démasqué et ne savait plus quoi faire. Comment
expliquer à son prof qu’il était venu dans le seul espoir de le trouver seul ou
d’interrompre ses ébats avec Nathan. Plus aucun mot ne sortait de sa bouche et il
restait là bêtement, à la manière d’un gamin qui ramène un mauvais bulletin et se fait
passer un savon par son père.
- « Ecoute Gregory… Je ne sais pas ce que l’on t’a raconté sur moi, ou ce que tu
imagines mais… Je ne suis pas du style à sauter sur tout ce qui bouge. Et, si tu as
des sentiments de ce genre pour moi, ce que je ressens dans ta façon d’agir, je pense
qu’il serait plus sage que tu trouves un autre interne pour te superviser.
»
Grégory le regardait et son visage semblait s’éteindre au fur et à mesure que Jules
avançait dans sa phrase. Il baissa la tête, marqua un temps, et ajouta : « Si c’est ce
que tu souhaites… »
- « A toi de voir, mais saches que ça restera désormais purement professionnel.
»
- « Je… on peut en rediscuter demain ? »
- « Comme tu le souhaites. »
Ils se levèrent et se dirigèrent vers la porte. Jules ouvrit, tendit la main à Grégory
qui la serra, puis ce dernier disparut dans l’ascenseur.


Jules renfila son jean. Il passa une chemise bleue qu’il cercla aussitôt d’une
cravate, enfila son blouson de cuir, attrapa son casque, puis fila au garage
enfourcher sa moto pour prendre la direction de l’appartement de Laura. Une fois sur
place, il sonna, et attendit devant la porte tout en respirant profondément. Puis
Laura fit son apparition :
- « Je ne pensais pas te revoir… »
- « Tu me pensais assez salop pour t’abandonner ? »
- « Disons que je commençais à avoir des doutes… Entre vas-y. »
Jules suivit Laura, qui l’invita à s’asseoir sur un fauteuil.
- « Je suis venu parce-qu’on doit mettre les choses au point. Même si je ne
souhaite pas recommencer une relation avec toi, je ne veux pas être absent de la vie
de mon et de son éducation. »
Laura écoutait attentivement tout en regardant Jules avec un léger sourire, comme si
elle trouvait attendrissante la manière qu’il avait de briser sa carapace pour se
mettre à nu devant elle.
- « Tu comprends, j’ai… j’ai quasiment vécu sans mon père et je ne souhaite ça
à personne. Je ne serais peut-être pas le meilleur, je ne serais peut-être pas le plus
présent… Je te garantis pas de devenir parent d’élève ou de faire des gâteaux pour la
kermesse de son anniversaire, mais quoiqu’il en soit je veux être là. »
Laura sourit. Elle n’avait jamais vu Jules ainsi, aussi prompt à se dévoiler.
- « Jules rassure-toi, je ne l’envisageais pas autrement. Son père et sa mère
mèneront leur vie chacun de leurs côtés, il aura surement plus de beaux-papas que
prévu » ajouta-t-elle en souriant dans la direction de Jules, « mais saches que je ne
permettrai pas que tu ne fasses pas partie de sa vie. Et je casserai personnellement
la tête à quiconque essaiera de t’en empêcher c’est clair ?! ». Elle rigolait
joyeusement, mais s’aperçut rapidement que Jules n’était pas spécialement à la fête. «
Quelque chose ne va pas ? »
- « Non tout va bien pourquoi ? »
- « Jules… je te connais suffisamment pour savoir quand quelque chose cloche, et
c’est le cas. »
- « C’est juste que dans ce cas, tu devrais commencer par bastonner Nathan. »
- « Pourquoi ?! »
- « Il… Il m’a demandé de choisir entre toi et lui. »
Laura détourna son regard comme pour réfléchir et marqua un temps.
- « Ça ne lui ressemble pas. Il n’est pas comme ça. »
- « C’est ce que je n’arrête pas de me dire, mais il ne répond à aucun de mes
appels ou de mes messages. »
- « Je crois qu’il a peur. Il réagit précipitamment parce-qu’il a peur de te
perdre. Laisse-lui peut-être un peu de temps ? »
- « Laura, je ne sais pas. Chaque instant où il n’est pas là, c’est comme si
j’étais totalement vide. Je… je ne sais plus me passer de lui, tu comprends ? »
Laura semblait de plus en plus surprise par la nouvelle aptitude de Jules à s’ouvrir
et à dévoiler ses sentiments.
- « Jules. Si j’étais toi je laisserai passer la journée de demain. Le temps que
l’un comme l’autre vous preniez le temps de faire le point sur ce qu’il vous arrive.
Pour l’heure, tu devrais aller te reposer. Tu as une tête à faire peur. »
- « Tu as raison… » Jules se leva et se dirigea vers la sortie, suivi par
Laura. Une fois dans le couloir, il se retourna « Laura … ? »
- « Oui. »
- « Merci. »
- « Je t’en prie Jules. Et prends soins de toi. »


Le lendemain, Jules passait la porte des urgences seul pour la première fois depuis de
nombreux jours. Il avait troqué sa sacoche contre un sac à dos, plus pratique pour ses
voyages en moto. Il posa son sac sur le comptoir des infirmières et se tourna vers le
tableau des patients au mur.
- « Ah ! Docteur Myringo, vous tombez bien ! »
Jules avait reconnu la voix grave et pesante du chef de service, médecin tout aussi
respecté qu’incompétent en ce qui concerne la médecine d’urgence.
- « Le Dr. Lafargue, votre bon copain, est souffrant. Par conséquent il doit
rester chez lui. Je me suis donc dit que vous vous feriez un plaisir de le remplacer
pour aujourd’hui n’est-ce pas ? »
- « Oui monsieur. »
- « Parfait parfait. Vous savez qu’on vous apprécie beaucoup ici ? Vous êtes
vraiment un bon élément. Ah, et votre externe là euh… Grégoire ? »
- « Grégory monsieur. »
- « Oui voilà, il vous attend dans la salle de garde. Faudrait peut-être le
remotiver un peu non ? Il a une tête à faire peur. Bon allez mon garçon, au travail !
»

Jules attrapa son sac sur le comptoir, soupira, puis se dirigea vers la salle de
repos. C’était une des première fois où son travail semblait l’ennuyer plutôt que
l’exalter.
- « Salut Grégory. Prépare-toi, on commence dans cinq minutes. »
- « Euh ok. »
Il se dirigea vers les casiers, ouvrit le sien, et décida pour une fois de porter un
pyjama, comme le fait Nathan. Il ôta donc sa chemise pour enfiler une tunique verte,
et en fit de même pour son jean qu’il remplaça par un pantalon de bloc. Il passa sa
blouse, son stéthoscope, rangea ses stylos, puis ferma la porte et appuya sa tête
dessus. Il sentait que cette boule qui était dans sa gorge hier revenait
progressivement prendre place dans sa gorge. Nathan lui manquait terriblement. Et
puis s’il était malade, c’était peut-être grave ? Il allait très bien la veille, mais
cela était inquiétant. Jules prit donc de nouveau son portable pour tenter de le
joindre, en vain. « Nath’ c’est encore moi. J’ai appris que tu étais malade et je
voulais avoir de tes nouvelles… Et… je voudrais qu’on se voit. On doit parler
sérieusement de tout ça. Je… tu me manques beaucoup. Rappelle-moi. »
Il sortit enfin pour rejoindre son externe, et la journée débuta. Du fait de l’absence
de Nathan, il fallait redoubler de travail, et Grégory commençait à exercer seul pour
les cas subaigus, même si on sentait qu’il prenait un réel plaisir à venir questionner
son professeur lorsqu’il avait un doute. Jules lui, était encore dans un de ses grands
jours, où il diagnostiquait et soignait à vitesse record. Les urgences commençaient
enfin à se désengorger sous les coups de quinze heures, et les deux médecins
décidèrent donc de prendre une pause pour déjeuner.
- « Greg’, ça te dérange si on déjeune un sandwich sur le toit ? J’ai besoin de
prendre l’air. »
- « Non pas de soucis, j’ai besoin de m’aérer aussi. »
Ils se retrouvèrent donc sur le toit, avec une vue imprenable sur la ville, à déguster
leurs sandwichs de la cafétéria.
- « C’est une journée un peu spéciale aujourd’hui. Tu peux enfin voir ce à quoi
ressemblent réellement les urgences. On y devient fou mais on adore ça. »
- « Je dois avouer que l’ambiance me plait assez. Et puis bosser avec toi c’est
vraiment sympa, j’veux dire… on apprend plein de trucs. »
- « Tu les apprendrais avec n’importe quel interne. Je ne pense pas être le prof
le plus pédagogue du service »
- « Tu te fais du mal tout seul. Au fait, il a quoi le Dr. Lafargue ? »
- « Je n’en sais rien. »
- « Bah vous… »
- « Pas en ce moment. Mais je ne préfère pas en parler. »
- « Ok. »
Ils regardaient la ville sans échanger un seul mot. Jules buvait maintenant son
gobelet de thé d’un air pensif.
- « Excuse-moi. »
- « Pardon ? » dit Gregory en se retournant vers lui.
- « Je suis de mauvaise humeur et je me comporte comme un con. Je n’ai pas à te
faire subir ça, excuse-moi. »
- « Ne t’inquiètes pas, je comprends. » dit Gregory, en venant poser sa main sur
l’épaule de son professeur.
Jules se retourna vers lui pour le regarder. Il croisa ses yeux bruns qui le fixaient.
Il l’observait de nouveau, son allure athlétique, ses cheveux blonds un peu en
bataille, son sourire… Grégory s’approcha lentement de lui, plaçant une main derrière
sa nuque et inclinant légèrement la tête pour venir l’embrasser. Jules en fit de même,
et leurs lèvres entrèrent bientôt en contact. Ils partirent alors dans un baiser
fougueux, tandis que Grégory glissait déjà sa main sous sa tunique.

Comments:

No comments!

Please sign up or log in to post a comment!