Une Sale Journée

Vous connaissez ça vous aussi ?

Vous savez, ces journées pourries où rien ne se passe comme prévu, rien ne va. Où tout tourne à la cata.

Pour moi, hier c’était un de ces jours-là.


Je me présente tout d’abord, ça sera plus simple.

Je m’appelle Eva. Eva Szemczyk. Oui, je sais, pas simple. Oubliez mon patronyme. Appelez-moi Eva tout court. Les non slaves ont généralement du mal quand les consonnes se mettent à se succéder (hormis les gallois peut être). Mais avec un peu d’habitude, on arrive très bien à le prononcer mon nom. En fait c’est juste de l’appréhension, j’avoue un peu légitime. Répétez après moi « Chev tchik ». Pas compliqué. Non ? Laissez tomber, appelez-moi Eva. A force, on apprend à ne pas en vouloir à celles et ceux qui écorchent votre nom.

Vous l’avez deviné, je suis d’origine polonaise. Enfin d’origine, ma famille est installée en France depuis trois générations déjà. Mes arrière-grands-parents sont arrivés ici il y plusieurs décennies et se sont installés dans le bassin minier du Nord- Pas de Calais, près de Valenciennes. Mon arrière-grand-père et mon grand-père étaient mineurs de fond. Je suis très fière de mes origines ouvrières. Même si aujourd’hui, je gagne très très bien ma vie, je n’ai jamais oublié d’où vient ma famille et donc d’où je viens.

Pour ma part, je ne suis pas retournée en Pologne depuis mon enfance avec mes parents, pour visiter la famille éloignée, restée là-bas.

Eva tout court, donc. J’ai 34 ans et je suis ingénieure conseil, spécialisée dans le Risk Management. Ça aussi, oubliez …

Je partage mon temps entre Paris, Londres et Amsterdam, ça retenez. Enfin, de moins en moins, avec cette foutue pandémie, tellement de choses se passent en visio-conférence. C’est pratique bien évidemment, les affaires continuent, mais ça casse ce qui fait pour moi le sel de mon métier, les contacts humains.

J’ai bien peur que cette difficile période terminée, beaucoup en restent au distanciel, pour des raisons d’économie ...

Pour ma part et dans mon milieu, on apprécie le face à face au moment des négociations. Le temps où on se tapait dans la main après avoir craché dans sa paume pour sceller un accord est loin. Mais le fait de voir son interlocuteur, les yeux dans les yeux reste important, voire primordial.

J’ai la chance d’avoir de beaux yeux bleus en plus, ça tombe bien (je ne suis pas d’origine slave pour rien). Tout compte dans les affaires.

Après avoir fait mes premières armes dans un cabinet de conseil réputé, à faire du consulting en stratégie, je travaille aujourd’hui en free-lance. Un peu compliqué au début de se consti un réseau, même si j’ai conservé pas mal de contacts du temps où j’étais au cabinet. Aujourd’hui, tout va bien, je refuse même des clients.

J’ai 34 ans je disais, sans me vanter (j’ai horreur de me vanter hum hum …), j’ai une plastique plutôt agréable. Grande, blonde, un physique de fille qui a fait de la natation étant jeune, si vous voyez, mais sans en r. Plutôt la fille qui séchait une séance d'entraînement sur deux. Ça a sculpté mon corps, sans trop le muscler.

Je suis célibataire. Bon, à 34 ans, dans le monde actuel, ce n’est pas vraiment un drame. Avant de penser à l’avenir, pensons au moment présent, à nous-même donc. Comme disait l’autre, l’avenir c’est ce qu’on a inventé de mieux pour gâcher le présent. J’ai le temps de me fixer.

Ça n’a pas toujours été le cas. Je suis restée cinq ans en couple avec Aymeric. Jusqu’au moment où je me suis aperçue que ce connard me trompait. C’était il y a moins de six mois.

J’étais censée être à Londres pour trois jours, sauf que j’ai bouclé avec mon client plus tôt que prévu. Je suis rentrée le deuxième jour en début d’après-midi, souhaitant faire la surprise à mon chéri et lui préparer un repas en amoureux pour le soir.
Aymeric était au travail. Mais en entrant dans la chambre pour défaire ma valise, j’ai constaté que le lit n’était pas fait déjà … Bon, ça ce n’est pas un motif de rupture me direz-vous ! Non, c’est certain, mais c’est surtout que sur la couette, trônait … un string, manifestement porté, et surtout, un string qui ne m’appartenait pas. Je m'en suis aperçue en soulevant le dit-string entre mon pouce et mon index. De plus, il y avait dans MA salle de bain, des affaires de toilette ne m’appartenant pas non plus, dont une brosse à cheveux avec plein de longs cheveux bruns dessus. Manifestement, ils avaient l’intention de remettre le couvert le soir. En clair, la pouffiasse s’était installée chez moi le temps de mon absence.

Ce que ce connard d’Aymeric a oublié, c’est qu’on vivait ensemble, certes, mais que l’appartement était le mien. En gros, je l’ai prévenu par SMS qu’il pouvait récupérer ses affaires sur le palier, et qu’il fasse au plus vite, je ne voulais pas de problèmes avec le syndic. Ah, et puis qu’il n’oublie pas de laisser son trousseau de clé dans la boîte aux lettres en partant.

J’ai donc tout entassé sur le palier, ses fringues, ses CD, sa console de jeu, les quelques cadeaux qu’il m’avait fait, ses autres cochonneries et le string sale trônant sur le dessus du tas.

Je n’ai pas répondu à ses coups de sonnette, à ses SMS, à ses appels. Pas envie d’entendre ses excuses bidon (ses messages commençaient par « Je peux tout t’expliquer, tu vas rire », non, je n’ai pas rigolé connard !). Excuses qui n’en étaient pas à mon avis, enfin, bon, je ne suis pas allée plus loin que « Tu vas rire ». J’ai des principes ! On ne se met pas en couple pour trahir l’autre. Je crois en la fidélité au sein du couple. Comme dit toujours une bonne amie à moi, Salomé, « La fidélité dans un couple, ce n’est pas négociable ». Salomé a divorcé depuis deux ans. Son mec, Gauthier, la trompait aussi. Tous les mêmes ! Vraiment …

Remarquez, ma copine Elodie, de son côté, dit toujours « Moi avec les mecs, je ne ferai rien avant le mariage ».
La connaissant bien, je pense qu’elle ne parle pas du sien de mariage ! Ahahahah. J’avoue, certaines filles de sont pas mieux.

Vous avez gagné, j’ai entendu vos récriminations messieurs ! J’enlève le « Tous les mêmes ». Certains sont de gros connards, on va dire.

Je n’ai pas cherché à savoir si Aymeric s’est fait héberger pas sa pouffiasse, dans la mesure où elle était célibataire bien sûr, ce qui ne va pas forcement de soi, où s’il est allé dormir à l’hôtel, ou ailleurs. Pas mon problème ça.

Bon, en réalité, je fais la maligne, mais j’ai beaucoup pleuré pendant plusieurs jours. Je vous le dis à vous, même si je ne l’avoue pas à tout le monde. Je préfère rester dans mon rôle de fille de caractère. On est bien d’accord, je ne m’en vante pas, je le cache même, mais j’ai un cœur en mousse. Ça reste entre nous !

N’empêche qu’Aymeric est un connard. Il a essayé de me recontacter, il y a peu, je n’ai pas répondu. Pour moi, c’est définitif. Pas de pardon.

Depuis ? J’accumule les aventures sans lendemain, les amants de passage, en attendant celui qui fera chavirer à nouveau mon cœur. Ça me convient parfaitement pour le moment. Une romantique certes, mais une romantique qui a quelques besoins sexuels.


Mais j’en reviens à mon histoire et à ma journée de merde.

Pourtant, j’avais passé une nuit agréable. Je m’étais écroulée sur mon livre vers deux heures du matin, un thriller psychologique, plein de serial-ers, de crimes affreux, le genre de truc qu’on ne peut pas lâcher comme ça. Je m’étais réveillée une heure plus tard pour éteindre la lumière et ranger mon bouquin (non, dans l’ordre inverse plutôt). Mon sommeil a été réparateur. Je me suis réveillée vers huit heures en entendant le chant des oiseaux avec un léger rayon de soleil qui me chatouillait le dos (j’aime bien dormir les volets ouverts, je n’ai pas de vis-à-vis). Une belle journée s’annonçait. J’avais certes un programme chargé, composé de choses, a priori, agréables et de corvées.
Après m’être étirée comme une chatte, je me suis levée du bon pied.

C’est là que ça c’est gâté en fait. Parce que jusqu’à présent, aucun signe qu’une journée de merde se profilait.

A peine le pied par terre, le droit en plus, ça a commencé à dér. J’ai investi la cuisine pour le petit déjeuner, en baillant et en me frottant les yeux. Et patatra, les catas ont commencées à s’enchainer. Je passe sur le choc crâne/porte de placard (classique), sur le bol d’eau pour le thé laissé trop longtemps dans le micro-onde (énervant), sur la tartine de pain de mie qui tombe sur les genoux, côté beurre (normal). C’est le moment que choisit le chat pour sortir d’un air satisfait de sa caisse. Bonjour l’odeur se répandant dans la cuisine. « Bon appétit » semblait dire ce petit con.

J’ai bien sur pris sur moi. Ma pratique régulière du yoga aide à affronter ce genre de petits désagréments. J’ai laissé vagabonder mon esprit : le coup de la tartine qui tombe forcement du mauvais côté, le fait que les chats retombent toujours sur leurs pattes … Et si … et si, on place une tartine de pain de mie sur le dos d’un chat ? Est-ce qu’elle retombe du bon côté ou bien est-ce le chat qui ne tombe pas sur ses pattes ? Mouais …

Une douche, vite, ça va remettre les idées en place, et les évènements vont reprendre un cours plus normal, du coup.

C’est dans la salle de bain que j’ai atteint ma vitesse de croisière.

Nouveau choc, cette fois le genou contre la porte de la salle de bain, la paroi coulissante de la douche, mal fermée, l’eau qui coule sur le carrelage, confusion entre gel douche et shampoing, mes cheveux ont apprécié. C’est évidemment à ce moment que la pression de l’eau a choisi de ralentir, « merdeuuu c’est neuf et çà déconne déjà ce machin », puis de se tarir. Du gel douche plein les cheveux, et pas possible de rincer…

Je sors de la douche, me démêle les cheveux ; driiinngggggg, téléphone.

Je cours vers le salon, une serviette nouée vite fait autour de moi. Pourquoi est-ce que je n’ai pas laissé sonner ce maudit téléphone ? Hein ? Je vous le demande ! Qui répond encore aux fixes d’ailleurs, de nos jours ? A l’autre bout du fil, c’était un type qui me proposait des fenêtres double vitrage en pcv, non en pvc plutôt. Malgré mes « Je ne suis pas intéressée », mes « Non, merci » ou mes « Je n’ai pas pour l’instant l’intention de », le bougre insistait lourdement, me proposant un « devis gratuit qui n’engage à rien ». Et hop, moment choisi par la serviette pour se dénouer.

- Mais je vous assure Madame, c’est totalement gratuit …

Là, la moutarde me monte subitement au nez, toutes les petites frustrations emmagasinées depuis le matin sortent :

- C’est mademoiselle d’abord, ensuite je vous ai dit non déjà. Je sors de la douche, la serviette vient de tomber, je suis toute nue au milieu de mon salon, je suis en train de me liquéfier sur mon parquet, mes cheveux dégoulinent, alors ça va bien là !!! HEIN !! CA VA BIEN !! LA !!

Et j’ai raccroché. Nanmého.

Bon, tout ça, ça a un peu commencé la veille, faut dire. Plus d’internet. Appel à la hotline, vingt-cinq minutes d’attente pour m’entendre raconter des fadaises. Oui mon gars, je sais comment on fait pour relancer une box. Tu penses bien que je l’ai fait avant de t'appeler et de poireauter une demi-heure.

Après dix minutes de mise en attente, le gars revient et m’annonce qu’il va e rappeler.

Pas de rappel ce matin, internet est toujours en carafe, il va falloir que je m’énerve un peu. Ça c’est un peu passé comme dans un film de Quentin Tarantino, si vous voyez le genre. Le truc bien avec mon fournisseur d’accès, c’est qu’il y a une boutique pas loin de chez moi.

Je suis allée m’expliquer avec Mr Orange … Il n’était pas là, mais j’ai pu causer avec Mr Pink et Mr Brown … ça a ch… un moment. Il y a eu d’abord une phase d’observation.

Puis ça a failli se terminer dans un bain de sang,

Mais après, finalement, ça s’est arrangé. On a trouvé un terrain d’entente. Internet devait à nouveau fonctionner avant le soir. Mr Orange, Mr Pink et Mr Brown auront la vie sauve. Pour cette fois du moins, foi de Black Mamba, parce qu’il ne faudrait pas que ça se renouvelle trop souvent ces petites plaisanteries là … J’ai un sens de l’humour assez limité dans certains cas … enfin un sens de l’humour très second degré, que les Mr Orange, Pink et Brown ne comprennent pas ment au premier abord. Parce que moi si on m’énerve je sers Bill volume 1 et volume 2 d’un seul coup.

Tout à l’heure, je vous ai parlé du programme de ma journée. Quelques corvées et des choses qui devraient être agréables.

La partie corvée, on vient de l’aborder.

Pour les choses agréables, j’avais rendez-vous avec un homme en début d’après-midi. Oui, pour un rendez-vous galant.

Guiseppe, un client. J’ai été en contact avec lui pour affaires. Italien, comme son prénom l’indique. Et comme tout bon italien, séducteur, coureur, dom juan. Plutôt bel homme, la quarantaine largement dépassé, le genre brun ténébreux, quelques cheveux gris sur les tempes pour faire bonne mesure, élégant. L’italian lover dans toute sa splendeur. Pas Georges Clooney quand même, mais un peu de ça.

En général, je ne mélange pas affaires et sexe. « No zob in job » comme on dit.

Là, l’affaire étant bouclée, je me suis dit, pourquoi pas ! Ça n'engage à rien. Aussitôt consommé, aussitôt oublié.

Je me suis donc habillée pour l’occasion, sexy mais classe, jupe assez courte, mais pas trop, petite veste cintrée, stilettos, et bien sûr, les dessous adéquats à ce genre de rendez-vous.

Giuseppe m’avait convié à le rejoindre dans sa chambre d’un palace parisien, dont nous tairons le nom ici :

- J’en suis désolé, très chère Eva, mais je ne pourrai pas déjeuner avec vous …
- Hmmm …
- Les affaires, vous savez ce que c’est ! Un rendez-vous programmé que je ne peux pas remettre. Voyons-nous dans ma chambre vers 14h30. Je ferai monter une petite collation …
- Mouiii, pourquoi pas …

Et me voilà dans le couloir de cet hôtel. Chambre 126 ? Même pas une suite ? Petit joueur Giuseppe. Ou radin peut être. Ayant été en affaires avec lui, je connais approximativement l’épaisseur de son compte en banque, il a les moyens. Si ça se trouve, il a même trouvé une excuse bidon pour ne pas m’inviter à déjeuner, ça coute trop cher. Le pingre …

120, c’est trois portes plus loin au bout du couloir. Une femme de chambre sort en coup de vent de la 126, alors que j’étais à une dizaine de mètres. Manifestement, elle était catastrophée.

Au moment où je la croise, je m’aperçois qu’elle a de grosses larmes qui lui coulent sur les joues :

- Qu’est ce qui se passe Mademoiselle ?
- Rien Madame, rien de grave …
- Mais si, je vois bien qu’il y a un souci. Un problème avec le client de la chambre 126 ? C’est là où je vais !
- Non, non, je vous assure …
- Il vous a manqué de respect ? N’ayez crainte, je ne suis pas sa femme.
- Il m’a juste fait des propositions … enfin, il m’a mis la main aux fesses aussi…

Mon côté féministe a pris le dessus :

- Mais il faut porter plainte, je vous accompagne si vous voulez !
- Non, vraiment … Ce n’est rien…
- Ah si, j’insiste, si on laisse faire ces déguelasses …
- Au final, je risque juste de perdre ma place …
- C’est vous qui voyez, je peux comprendre que vous ne vouliez pas porter plainte. En revanche, moi, je ne laisse pas passer, je m’en occupe, lui dis-je. C’est bien le type de la 126, le gugusse ?

Elle me regarde sans vraiment comprendre :

- Oui, me dit-elle timidement.
- Attendez-moi là !

Je me dirige vers la chambre 126, frappe à la porte.

L’autre con de Giuseppe, grand sourire, m’ouvre :

- Eva ! Charmante Eva, vous enfin !
- Qu’est ce qui s’est passé avec la femme de chambre là ?
- Maaaa … Qu’est qu’il y a ?me dit-il en faisant de grands gestes avec ses mains

Giuseppe qui avait peu d’accent, quand on le bouscule un peu retrouve ses intonations du sud de l’Italie :

- Il y a que je n’aime pas les porcs !

Et paf, je lui colle une baffe en pleine figure :

- Et quand je croise un porc, je balance. Alors ducon on se prend pour le président du FMI ?
- Maaaa, qu’est-ce qui vous arrive … Que pasa ?

Et paf, une autre :

- Et ce n’est pas cher payé ! Lui dis-je en secouant mon index sous son nez. Estime-toi heureux que la petite ne veuille pas porter plainte. Beccare con le mani in pasta(1) !
- Mais arrêtez, dit-il en posant sa main sur mon épaule pour me tenir à distance.
- Et tu ne me touches pas … Basta …

Et un coup de genou dans les parties. Eh oui, je sais me défendre (même si là c‘est moi qui attaque pour le coup), une séance de krav maga par semaine, ça désinhibe. Ce genre de plaisantin, ne me fait pas peur, même vêtue d’une mini-jupe un peu serrée.

Mon Giuseppe accuse le coup pour le coup. Il se plie en deux, la bouche en cul de poule. Il a lâché un long « ooouuuuïïïïyeuh », en se tenant les roubignoles à deux mains.

Mon Guiseppe se met à inspirer/expirer comme lors d’une séance de préparation à l’accouchement.

J’en profite pour le pousser et entrer dans la chambre.

- Macho d’opérette !

Je vois le plateau, surement apporté par la femme de chambre qui devait assurer le room service. Du caviar !

Je me tartine un blinis et le grignote :

- Du caviar, bonne idée Giuseppe. Par contre la vodka, quelle faute de goût ! Tu aurais pu choisir une polonaise !
Bon, mon petit Guiseppe, deux choses maintenant :
1- Je ne veux plus entendre parler de toi !
2- Tu vas t’excuser auprès de la femme de chambre. Tout de suite ! Elle attend dans le couloir. Si elle ne veut pas porter plainte, moi je peux m’en occuper. Avec moi ce ne sera pas #Metoo, ça va être #Youtoo. Je vais revenir te tourmenter un peu. Tu y vas tout de suite ! Presto !
- U2 ?
- Qu’il est con …

Je me suis permis un petit « Vaffanculo», en partant, pendant que l’autre bafouillait un « Scusi » à la petite sur le palier. J’ai doublé mon « Vaffanculo » d’un « Vai a farti fottere! », ce qui revient grosso modo au même. J’adore les mots grossiers en italien, j’en connais un certain nombre. Dits en italien, avec la prononciation qui va bien, ils ne font pas ment grossiers en plus. Ils chantent plutôt. Et pourtant …

J’ai fait un clin d’œil en sortant à la jeune femme de chambre, restée dans le couloir. Elle a eu un timide sourire, mais un sourire reconnaissant. Je l’ai prise par le bras et nous nous sommes dirigées vers l’ascenseur sans nous retourner. J’ai rendu sa fierté à la petite, et ça, ça n’a pas de prix.

Et voilà, mon rendez-vous galant, enfin mon plan-cul, appelons un chat un chat, qui tombe à l’eau. Journée de merde je vous dis.

Enfin bon, d'un autre côté, tant mieux, ça m’aura évité de me faire sauter par un salaud.

N’ayant pas l’intention de me faire baiser par le premier venu, il ne me restait plus qu’à rentrer.

Mais en plus, n’ayant pas déjeuné, j’avais les crocs, il fallait que j’aille manger un truc avant.

Et c’est comme ça que je me suis retrouvée à mâchonner un sandwich vers 15h30. Journée pourrie de chez pourri, je vous le dis-moi ! Faute de grives, on mange des merles.

Une manif place de la République, ça plus la pluie qui s’est mise à tomber, la circulation à Paris est congestionnée. Je m’énerve grave au volant. Je mets deux heures pour traverser la capitale et rentrer chez moi. En plus, il faisait si beau ce matin. Temps de merde !

Bien évidemment, un abruti s’est garé sur le bateau de mon immeuble, je ne peux pas accéder à mon parking. Heureusement, une place se libère à l’autre bout de la rue. Je la prends, j’y gare ma Mini bicolore. Tant pis, trop mal aux pieds avec mes talons à force d’appuyer sur l’embrayage dans les embouteillages. Et en plus, je n’ai pas de parapluie.

En passant, j’invective un peu le gugusse en train de récupérer sa voiture sur mon bateau.

Pour couronner le tout, l’ascenseur est en dérangement. P….., il va m’entendre le syndic, au prix où sont les charges dans cet immeuble ! Six étages à se farcir, vu l’état de mes pauvres pieds dans mes escarpins à talons de dix centimètres. Oui, je sais, c’est moi qui ai voulu jouer les vamps aussi. Pour ce con de Giuseppe en plus. VDM.

Arrivée enfin chez moi, j’abandonne mes escarpins dans l’entrée, en poussant un soupir d’aise. Lessivée, je m’affale sur le canapé, j’att mon ordi portable. Après-midi foutue, autant bosser un peu, même si je m’étais accordée une journée de relâche.

Damned ! Toujours pas d’internet. Et l’autre-là qui m’a promis ce matin que ça devait être rétabli rapidement. Je jette un regard sur ma montre, puis sur mes escarpins laissés dans l’entrée, enfin un dernier regard sur mes pieds endoloris. 18h45, si je fais vite, je peux arriver chez Mr Orange avant la fermeture. Mais rien que l’idée de me rechausser me hérisse le duvet sur les avant-bras.

C’est décidé demain matin, je vais mettre à sac la boutique de Mr Orange. Demain ! Pas le courage là.

Parce que moi, quand on m'en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile…

Mr Orange et ses potes, Mr Pink et Mr Brown, je vais leur faire une ordonnance, et une sévère …

J’ai un truc hyper urgent à télécharger pour demain pour un client, je fais comment moi ! Hein ? J’ai mon rendez-vous à neuf heures pétantes. Franchement, ça fait sérieux en arrivant chez le client, « Excusez-moi M’sieur, mais je peux utiliser votre imprimante, paske j’ai pu d’internet chez moi… »

Pas possible de le faire sur mon téléphone, il me faut un ordi ! A 19 heures passées maintenant !

Et si … et si … nonnnnn …

Pas le choix ma grande ! Je vais aller à côté, chez Robin Le Voisin. Robin est mon voisin, mais son nom est Le Voisin(2).

Il y a trois appartements sur mon palier, le mien, à côté celui de Robin Le Voisin et au fond, celui d’une jeune femme d’à peu près mon âge, une certaine Laetitia Marsac, que je croise parfois. J’ai vu son nom sur les boîtes aux lettres. Blonde, comme moi, on se ressemble beaucoup, mais elle est un peu bizarre. On se dit bonjour/bonsoir, mais elle me jette des regards chelou. Je me demande si elle n’est pas lesbienne. Alors, si c’est ça, avec moi, tu n’as aucune chance ma chérie.

J’aurais pu aller sonner chez elle ce soir, mais non, je vais plutôt aller chez Robin. Elle serait du genre à prendre ça pour une excuse pour … je ne sais quoi …Et ce regard effronté qu’elle arbore !

Robin Le Voisin ! Tout un poème celui-là ! Le geek parfait. Grand, châtain, toujours vêtu de jeans, de sweats ou t-shirts et chaussé de baskets. Un mélange de Gaston Lagaffe et d’Harry Potter (sans les lunettes). La trentaine, mais son look et sa nonchalance me font plus penser à un ado attardé. On a toujours l’impression qu’il déambule. Bon, on va dire que lorsque je le croise dans l’escalier, ou dans le hall, je fais à peine attention à lui.

Et me voilà devant sa porte, ma clé USB à la main. Quand il a ouvert, pour la première fois, j’ai observé attentivement son visage et l’ensemble de sa personne. Vraiment observé. Plutôt mignon en fait, athlétique, mais sans trop l’être. Même avec son t-shirt à l’effigie de Bruce Springsteen et ses jeans délavée, il ne faisait pas forcement si ado attardé que ça. Je ne l’avais pas vraiment vu sous cet angle-là. Il y a un petit quelque chose de baroudeur, de mec qui en a vu dans sa vie. Jolis yeux en plus, noisettes et joli sourire, engageant en fait :

- Euh, bonsoir …
- Bonsoir.
- Je suis votre voisine, Eva …
- Oui je sais qui vous êtes Eva.
- Vous connaissez mon prénom ?
- Oui, c’est écrit sous votre sonnette. Et même sur votre boite aux lettres.
- Ah, euh oui, d’accord.
- Vous avez besoin de quelque chose ?
- Euh, oui, voilà …

Qu’est ce qui t’arrive Eva ? Toi la fille sûre de toi, la battante, celle que rien n’arrête, te voilà en train de bafouiller, d’hésiter devant la porte de ton voisin :

- Mon internet est en panne. J’ai besoin de télécharger et d’imprimer des trucs pour demain pour mon boulot … Je pourrais utiliser votre... Euh … ordinateur ? Et votre imprimante ?
- Mais bien sûr, Eva, entrez, me dit-il en se déplaçant sur le côté.

Je m’attendais à trouver un appartement complètement encombré, des ordinateurs avec des fils partout, des figurines et des affiches de Jedi ou de super-héros, des boîtes de pizza vides entassées sur la table de salon. Le truc limite pas propre. Eh bien non, j’avais devant moi un appartement clair, rangé meublé avec goût, enfin avec un goût proche du mien.

La configuration de son appart était la même que le mien. Une entrée, le salon à gauche et deux chambres vers le fond :

- Ah, vous avez abattu la cloison entre le séjour et la cuisine ? Je comptais faire pareil !
- Oui, ça agrandit et ça donne plus de lumière. Vous me donnez votre clé.

J’ai failli lui tendre mon trousseau de clés, avant de réagir et de lui donner ma clé USB. Il a pris un ordinateur portable, me l’a ouvert et m’a laissé lancer mon téléchargement :

- En attendant, vous vous asseyez deux minutes ? me demande-t-il en me montrant son canapé.
- Joli canapé et fauteuils ! Un créateur italien sûrement ? J’adore
- Oui, j’aime le design seventies.
- Comme moi, nous avons les mêmes goûts on dirait, au moins pour la décoration.

Je reprends un peu de poil de la bête, je retrouve un peu d’assurance :

- En plus c’est confortable ! Les créateurs de cette époque-là ont fait de jolies choses, mais souvent ne se sont pas préoccupés du confort.
- C’est vrai. Je vous offre un verre en attendant que ça charge ?
- Je ne voudrais pas vous déranger …
- Ça ne me dérange pas. Bon, je n’ai pas grand-chose. Porto, vodka, de la polonaise, me dit-il en souriant, j’ai aussi vu votre nom sur votre boîte aux lettres. Je ne vais pas me lancer à le prononcer. Sinon, soda, jus d’orange …
- Facile pourtant, Chev tchik, mais en attachant les syllabes. Une vodka avec de la glace et surtout !! Sans jus d’orange …
- Scchekouik
- Presque ! Et vous faites quoi dans la vie ?
- Je suis concepteur de jeux vidéo, Mademoiselle Scheekik … euh … Mademoiselle Eva !
- De jeu vidéo ? Pourquoi je ne suis pas surprise...
- Pardon ?
- Non, rien … C’est chouette comme métier !
- Oh, vous savez, ça se limite à écrire des lignes de codes surtout. J’ai un scénario conçu par les créatifs et je traduis en langage informatique. J’ai toujours été bon en maths, c’était ça, ingénieur ou prof. Tout le barda pour travailler, les trois ordis sont dans une des chambres transformée en bureau. Je travaille à domicile.
- En effet, dis comme ça …
- D’où mes tenues décontractées, je n’ai pas besoin de m’habiller pour travailler. Même si ça m’arrive de temps en temps quand même. Je n’ai pas que des t-shirts et des jeans. Il m’arrive de sortir de ma caverne, vous savez. Parfois, je vois la lumière du jour et je respire le grand air.

Puis avec un léger sourire, il a ajouté un peu taquin :

- Pas comme vous, toujours élégante. Vous aimez les jeux vidéo ?
- Pas du tout, lui répondis-je en tirant ma jupe courte vers le bas… Euh excusez-moi, je ne voulais pas paraître cassante … je ne considère pas que les jeux vidéo c’est puéril, ce n’est pas ça, mais …
- Mais ne vous excusez pas, vous ne me vexez pas, je ne joue jamais non plus. J’y baigne toute la journée, pas envie de m’y replonger le soir. J’aurais l’impression d’être encore au boulot.

Décidément ce garçon m’étonnait vraiment. Hormis sa tenue (et encore), rien du geek que j’imaginais. On se fait parfois des idées préconçues sur les gens. Sur les gens qu’on a à peine regardés en plus :

- Voilà, votre téléchargement est terminé, je vous rends votre clé ?
- Oui, merci
- Et vous, vous faites quoi dans la vie ?
- Je suis consultante pour des entreprises
- Et on vous consulte pour quoi ?
- Risk management
- Oh là ! C’est quoi ce truc-là ? Me dit-il avec un sourire en coin
- Alors, dis-je avec le même sourire en coin, ça se base sur l'identification de faiblesses potentielles d’une entreprise et sur les recours utiles envisageables pour compenser ces faiblesses lors du diagnostic complet de la dite entreprise et de son organisation.
- Ah oui, carrément …
- Carrément oui …

Nous avons éclaté de rire en même temps :

- Ce que j’apprécie surtout, c’est que c’est un métier de contact. Et vous faites quoi le soir, si vous ne jouez pas aux jeux vidéo ? Vous vivez seul ? Enfin, si ce n’est pas indiscret …

En même temps que je posais ma question, mon regard s’est porté sur une photo encadrée posé sur un meuble, lui et une jeune femme. Il surprend mon regard :

- Oui, je suis célibataire, pas de copine. Là, sur la photo, c’est ma sœur.

Dont acte ! Mais Eva … A quoi tu penses …

- Rien de bien original, je lis, le ciné aussi, j’aime bien aller voir les films en salle, mais en ce moment c’est un peu foutu. J’ai une belle collection de DVD.
- J’aime bien aussi le cinéma, vous aimez quel genre de films ?
- Même si j’aime beaucoup Star Wars et le Seigneur des Anneaux, j’ai des goûts beaucoup plus variés, me dit-il en souriant.

Là, j’ai un peu craqué. Finalement, ce garçon est plein de surprises. J’adore son humour pince sans rire, pas éloigné du mien, j’adore son sourire, j’adore... Mais Eva, qu’est ce qui t’arrive ? Où est ton pragmatisme, ton détachement ? Cet après-midi, tu étais prête à aller te faire sauter par un bellâtre quadra pour passer le temps et là tu craques pour ce garçon en moins d’un quart d’heure ? Reprends-toi ! Vite … Tu en es quasiment réduite à minauder là. Pitoyable ma pauvre fille !

- Quel genre de films alors ?
- Un peu de tout, j’aime surtout Kubrick, Coppola, Scorsese …Les frères Coen aussi.
- Comme moi alors. Mes deux films préférés sont Apocalypse Now et Barry Lyndon. J’aime beaucoup les films français des années 60 aussi, la nouvelle vague, Godard, Truffaut, Belmondo, BB …
- Et sinon Eva, toi, à part le cinéma … Je peux te tutoyer ?
- Euh oui … Bien sur … Moi quoi ?
- Tu es célibataire ?
- Oui …
- Pourtant, il m’a semblé que quelqu’un habitait avec toi ?
- Oh là, c’est terminé, je l’ai mis à la porte !
- Oui, je me souviens de cet épisode et du tas d’affaires sur le palier, dont un string d’ailleurs.
- On ne va pas évoquer ce triste épisode.
- Triste pour lui surtout, comment peut-on faire ça à une fille aussi jolie, intéressante … sexy …

Ses lèvres se sont approchées des miennes. Je ne me suis pas écartée. Au contraire, j’ai approché mon visage du sien :

- Belle, enjouée, craquante … a-t-il ajouté avant que nos bouches ne se rencontrent.

Un beau baiser de cinéma, nos lèvres se sont collées, se sont entrouvertes sous la pression, nos langues se sont rejointes et offertes l’une à l’autre.

- Attachante, charmante, désirable …. Et qui sent bon … dit-il en lâchant mes lèvres.

Et voilà, moi qui pensais avoir la tête sur les épaules, je suis en train de lâcher prise complètement pour ce garçon, de perdre pied même. Moi qui avait juré qu’on ne m’y reprendrait plus, enfin pas de sitôt, me voilà amoureuse en un quart d’heure. J’ai trouvé celui qui devait me faire chavirer le cœur, celui dont je parlais en début de ce récit. Il y a des choses dont on est certaine et tout de suite.

En plus, je l’avais sous la main depuis pas mal de temps. Il habitait la porte d’à côté.

Le coup de foudre ? J’en rigolais jusqu’à il y a une demi-heure, du coup de foudre ! Moi ? Mais jamais, je disais. Trop pragmatique, trop …

De la peur surtout. L’amour m’a fait mal, Aymeric m’a fait mal, Aymeric m’a trahie, j’ai finalement eu un mal fou à m’en remettre. Je me suis persuadée du contraire, que c’est du passé, que ça ne me touche plus. C’est plus simple comme ça, plus facile à vivre. Je ne suis plus amoureuse, c’est certain, mais j’ai toujours mal quand même, je suis toujours blessée. Je joue la fille détachée de tout, la battante qui vit pour son boulot, celle à qui on n’en compte pas, la mangeuse d’homme presque. Sauf que c’est juste une armure, je me protège seulement. Les hommes je ne les mange pas, je les goûte seulement. Je m’en nourris plus que je les mange. En tout cas, je ne les déguste pas.

C’est ce sentiment, ce bien-être intérieur un peu béat, qui m’habite là tout de suite, quand je me penche en arrière pour m’allonger sur le dos sur son canapé en l’attirant sur moi.

Nous avons repris notre baiser, mes mains se sont glissées dans son dos sous son t-shirt. Les siennes le long de ma cuisse sous ma jupe. Il s’est légèrement arrêté dans sa caresse quand sa paume a atteint le haut de mon Dim-up, avant de s’égarer sur la chair dénudée du haut de ma cuisse.

Il s’est relevé légèrement, nos yeux ne se sont pas quittés. Il a remis une de mes mèches derrière mon oreille. Puis sans un mot, s’est levé, m’a prise par la main et m’a emmenée dans sa chambre.

Le reste ? Euh … ce fut tendre, d’abord, ça oui, tendre, je me souviens bien. Puis moins tendre, plus chaud, avant d’être épique.

J’avais l’intention de me faire sauter aujourd’hui en me levant, finalement, on m’a fait l’amour. Oh, ce n’est pas la première fois qu’on me fait l’amour, mais il me l’a fait, comme jamais on ne me l’avait fait avant, Je tiens à le signaler.

J’ai connu un certain nombre d’hommes, de bons baiseurs parmi eux. Mais là, c’était autre chose. La technique c’est une chose, l’endurance aussi, et Robin n’est pas le meilleur de ceux que j’ai connus. Mais de nos ébats de ce soir, je retiens le savoir-être plus que le savoir-faire, notre complicité, notre union, notre collusion même. Nous avons fait un/une. Même avec Aymeric, que j’ai aimé, je n’ai pas connu ça. Nous avons fait l’amour comme si nous nous connaissions depuis dix ans. Quand je disais épique tout à l’heure, je parlais d’intensité bien sûr.

Me faire baiser, ça a toujours été agréable, j’ai aimé ça. Après ce que je viens de connaitre, ça me parait bien fade. Je suis changée à jamais.

Je vous ai demandé au début de ce récit, si vous avez déjà connu ces journées catastrophe, où tout va de travers. Je pense que oui.

Comme moi, avez-vous remarqué aussi, que ces fameuses journées se terminent souvent plutôt bien ? C’est ce que je me suis dit juste avant de m’endormir, épuisée par ma journée, mais heureuse dans les bras de Robin.



(1) Beccare con le mani in pasta : littéralement « pris la main dans les pâtes », pris en flagrant délit en fait. Expression typique et imagée dont la langue italienne regorge.
(2) Oui, je sais, je vous l’ai déjà faite celle-là. Mes fidèles lecteurs se souviendront de mon histoire abracadabrantesque, publiée ici. Les autres, je vous engage à la lire, elle est excellente.

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