Une Sale Journée
Vous connaissez ça vous aussi ?
Vous savez, ces journées pourries où rien ne se passe comme prévu, rien ne va. Où tout tourne à la cata.
Pour moi, hier cétait un de ces jours-là.
Je me présente tout dabord, ça sera plus simple.
Je mappelle Eva. Eva Szemczyk. Oui, je sais, pas simple. Oubliez mon patronyme. Appelez-moi Eva tout court. Les non slaves ont généralement du mal quand les consonnes se mettent à se succéder (hormis les gallois peut être). Mais avec un peu dhabitude, on arrive très bien à le prononcer mon nom. En fait cest juste de lappréhension, javoue un peu légitime. Répétez après moi « Chev tchik ». Pas compliqué. Non ? Laissez tomber, appelez-moi Eva. A force, on apprend à ne pas en vouloir à celles et ceux qui écorchent votre nom.
Vous lavez deviné, je suis dorigine polonaise. Enfin dorigine, ma famille est installée en France depuis trois générations déjà. Mes arrière-grands-parents sont arrivés ici il y plusieurs décennies et se sont installés dans le bassin minier du Nord- Pas de Calais, près de Valenciennes. Mon arrière-grand-père et mon grand-père étaient mineurs de fond. Je suis très fière de mes origines ouvrières. Même si aujourdhui, je gagne très très bien ma vie, je nai jamais oublié doù vient ma famille et donc doù je viens.
Pour ma part, je ne suis pas retournée en Pologne depuis mon enfance avec mes parents, pour visiter la famille éloignée, restée là-bas.
Eva tout court, donc. Jai 34 ans et je suis ingénieure conseil, spécialisée dans le Risk Management. Ça aussi, oubliez
Je partage mon temps entre Paris, Londres et Amsterdam, ça retenez. Enfin, de moins en moins, avec cette foutue pandémie, tellement de choses se passent en visio-conférence. Cest pratique bien évidemment, les affaires continuent, mais ça casse ce qui fait pour moi le sel de mon métier, les contacts humains.
Pour ma part et dans mon milieu, on apprécie le face à face au moment des négociations. Le temps où on se tapait dans la main après avoir craché dans sa paume pour sceller un accord est loin. Mais le fait de voir son interlocuteur, les yeux dans les yeux reste important, voire primordial.
Jai la chance davoir de beaux yeux bleus en plus, ça tombe bien (je ne suis pas dorigine slave pour rien). Tout compte dans les affaires.
Après avoir fait mes premières armes dans un cabinet de conseil réputé, à faire du consulting en stratégie, je travaille aujourdhui en free-lance. Un peu compliqué au début de se consti un réseau, même si jai conservé pas mal de contacts du temps où jétais au cabinet. Aujourdhui, tout va bien, je refuse même des clients.
Jai 34 ans je disais, sans me vanter (jai horreur de me vanter hum hum
), jai une plastique plutôt agréable. Grande, blonde, un physique de fille qui a fait de la natation étant jeune, si vous voyez, mais sans en r. Plutôt la fille qui séchait une séance d'entraînement sur deux. Ça a sculpté mon corps, sans trop le muscler.
Je suis célibataire. Bon, à 34 ans, dans le monde actuel, ce nest pas vraiment un drame. Avant de penser à lavenir, pensons au moment présent, à nous-même donc. Comme disait lautre, lavenir cest ce quon a inventé de mieux pour gâcher le présent. Jai le temps de me fixer.
Ça na pas toujours été le cas. Je suis restée cinq ans en couple avec Aymeric. Jusquau moment où je me suis aperçue que ce connard me trompait. Cétait il y a moins de six mois.
Jétais censée être à Londres pour trois jours, sauf que jai bouclé avec mon client plus tôt que prévu. Je suis rentrée le deuxième jour en début daprès-midi, souhaitant faire la surprise à mon chéri et lui préparer un repas en amoureux pour le soir.
Ce que ce connard dAymeric a oublié, cest quon vivait ensemble, certes, mais que lappartement était le mien. En gros, je lai prévenu par SMS quil pouvait récupérer ses affaires sur le palier, et quil fasse au plus vite, je ne voulais pas de problèmes avec le syndic. Ah, et puis quil noublie pas de laisser son trousseau de clé dans la boîte aux lettres en partant.
Jai donc tout entassé sur le palier, ses fringues, ses CD, sa console de jeu, les quelques cadeaux quil mavait fait, ses autres cochonneries et le string sale trônant sur le dessus du tas.
Je nai pas répondu à ses coups de sonnette, à ses SMS, à ses appels. Pas envie dentendre ses excuses bidon (ses messages commençaient par « Je peux tout texpliquer, tu vas rire », non, je nai pas rigolé connard !). Excuses qui nen étaient pas à mon avis, enfin, bon, je ne suis pas allée plus loin que « Tu vas rire ». Jai des principes ! On ne se met pas en couple pour trahir lautre. Je crois en la fidélité au sein du couple. Comme dit toujours une bonne amie à moi, Salomé, « La fidélité dans un couple, ce nest pas négociable ». Salomé a divorcé depuis deux ans. Son mec, Gauthier, la trompait aussi. Tous les mêmes ! Vraiment
Remarquez, ma copine Elodie, de son côté, dit toujours « Moi avec les mecs, je ne ferai rien avant le mariage ».
Vous avez gagné, jai entendu vos récriminations messieurs ! Jenlève le « Tous les mêmes ». Certains sont de gros connards, on va dire.
Je nai pas cherché à savoir si Aymeric sest fait héberger pas sa pouffiasse, dans la mesure où elle était célibataire bien sûr, ce qui ne va pas forcement de soi, où sil est allé dormir à lhôtel, ou ailleurs. Pas mon problème ça.
Bon, en réalité, je fais la maligne, mais jai beaucoup pleuré pendant plusieurs jours. Je vous le dis à vous, même si je ne lavoue pas à tout le monde. Je préfère rester dans mon rôle de fille de caractère. On est bien daccord, je ne men vante pas, je le cache même, mais jai un cur en mousse. Ça reste entre nous !
Nempêche quAymeric est un connard. Il a essayé de me recontacter, il y a peu, je nai pas répondu. Pour moi, cest définitif. Pas de pardon.
Depuis ? Jaccumule les aventures sans lendemain, les amants de passage, en attendant celui qui fera chavirer à nouveau mon cur. Ça me convient parfaitement pour le moment. Une romantique certes, mais une romantique qui a quelques besoins sexuels.
Mais jen reviens à mon histoire et à ma journée de merde.
Pourtant, javais passé une nuit agréable. Je métais écroulée sur mon livre vers deux heures du matin, un thriller psychologique, plein de serial-ers, de crimes affreux, le genre de truc quon ne peut pas lâcher comme ça. Je métais réveillée une heure plus tard pour éteindre la lumière et ranger mon bouquin (non, dans lordre inverse plutôt). Mon sommeil a été réparateur. Je me suis réveillée vers huit heures en entendant le chant des oiseaux avec un léger rayon de soleil qui me chatouillait le dos (jaime bien dormir les volets ouverts, je nai pas de vis-à-vis). Une belle journée sannonçait. Javais certes un programme chargé, composé de choses, a priori, agréables et de corvées.
Cest là que ça cest gâté en fait. Parce que jusquà présent, aucun signe quune journée de merde se profilait.
A peine le pied par terre, le droit en plus, ça a commencé à dér. Jai investi la cuisine pour le petit déjeuner, en baillant et en me frottant les yeux. Et patatra, les catas ont commencées à senchainer. Je passe sur le choc crâne/porte de placard (classique), sur le bol deau pour le thé laissé trop longtemps dans le micro-onde (énervant), sur la tartine de pain de mie qui tombe sur les genoux, côté beurre (normal). Cest le moment que choisit le chat pour sortir dun air satisfait de sa caisse. Bonjour lodeur se répandant dans la cuisine. « Bon appétit » semblait dire ce petit con.
Jai bien sur pris sur moi. Ma pratique régulière du yoga aide à affronter ce genre de petits désagréments. Jai laissé vagabonder mon esprit : le coup de la tartine qui tombe forcement du mauvais côté, le fait que les chats retombent toujours sur leurs pattes
Et si
et si, on place une tartine de pain de mie sur le dos dun chat ? Est-ce quelle retombe du bon côté ou bien est-ce le chat qui ne tombe pas sur ses pattes ? Mouais
Une douche, vite, ça va remettre les idées en place, et les évènements vont reprendre un cours plus normal, du coup.
Cest dans la salle de bain que jai atteint ma vitesse de croisière.
Nouveau choc, cette fois le genou contre la porte de la salle de bain, la paroi coulissante de la douche, mal fermée, leau qui coule sur le carrelage, confusion entre gel douche et shampoing, mes cheveux ont apprécié. Cest évidemment à ce moment que la pression de leau a choisi de ralentir, « merdeuuu cest neuf et çà déconne déjà ce machin », puis de se tarir. Du gel douche plein les cheveux, et pas possible de rincer
Je sors de la douche, me démêle les cheveux ; driiinngggggg, téléphone.
Je cours vers le salon, une serviette nouée vite fait autour de moi. Pourquoi est-ce que je nai pas laissé sonner ce maudit téléphone ? Hein ? Je vous le demande ! Qui répond encore aux fixes dailleurs, de nos jours ? A lautre bout du fil, cétait un type qui me proposait des fenêtres double vitrage en pcv, non en pvc plutôt. Malgré mes « Je ne suis pas intéressée », mes « Non, merci » ou mes « Je nai pas pour linstant lintention de », le bougre insistait lourdement, me proposant un « devis gratuit qui nengage à rien ». Et hop, moment choisi par la serviette pour se dénouer.
- Mais je vous assure Madame, cest totalement gratuit
Là, la moutarde me monte subitement au nez, toutes les petites frustrations emmagasinées depuis le matin sortent :
- Cest mademoiselle dabord, ensuite je vous ai dit non déjà. Je sors de la douche, la serviette vient de tomber, je suis toute nue au milieu de mon salon, je suis en train de me liquéfier sur mon parquet, mes cheveux dégoulinent, alors ça va bien là !!! HEIN !! CA VA BIEN !! LA !!
Et jai raccroché. Nanmého.
Bon, tout ça, ça a un peu commencé la veille, faut dire. Plus dinternet. Appel à la hotline, vingt-cinq minutes dattente pour mentendre raconter des fadaises. Oui mon gars, je sais comment on fait pour relancer une box. Tu penses bien que je lai fait avant de t'appeler et de poireauter une demi-heure.
Après dix minutes de mise en attente, le gars revient et mannonce quil va e rappeler.
Pas de rappel ce matin, internet est toujours en carafe, il va falloir que je ménerve un peu. Ça cest un peu passé comme dans un film de Quentin Tarantino, si vous voyez le genre. Le truc bien avec mon fournisseur daccès, cest quil y a une boutique pas loin de chez moi.
Je suis allée mexpliquer avec Mr Orange
Il nétait pas là, mais jai pu causer avec Mr Pink et Mr Brown
ça a ch
un moment. Il y a eu dabord une phase dobservation.
Puis ça a failli se terminer dans un bain de sang,
Mais après, finalement, ça sest arrangé. On a trouvé un terrain dentente. Internet devait à nouveau fonctionner avant le soir. Mr Orange, Mr Pink et Mr Brown auront la vie sauve. Pour cette fois du moins, foi de Black Mamba, parce quil ne faudrait pas que ça se renouvelle trop souvent ces petites plaisanteries là
Jai un sens de lhumour assez limité dans certains cas
enfin un sens de lhumour très second degré, que les Mr Orange, Pink et Brown ne comprennent pas ment au premier abord. Parce que moi si on ménerve je sers Bill volume 1 et volume 2 dun seul coup.
Tout à lheure, je vous ai parlé du programme de ma journée. Quelques corvées et des choses qui devraient être agréables.
La partie corvée, on vient de laborder.
Pour les choses agréables, javais rendez-vous avec un homme en début daprès-midi. Oui, pour un rendez-vous galant.
Guiseppe, un client. Jai été en contact avec lui pour affaires. Italien, comme son prénom lindique. Et comme tout bon italien, séducteur, coureur, dom juan. Plutôt bel homme, la quarantaine largement dépassé, le genre brun ténébreux, quelques cheveux gris sur les tempes pour faire bonne mesure, élégant. Litalian lover dans toute sa splendeur. Pas Georges Clooney quand même, mais un peu de ça.
En général, je ne mélange pas affaires et sexe. « No zob in job » comme on dit.
Là, laffaire étant bouclée, je me suis dit, pourquoi pas ! Ça n'engage à rien. Aussitôt consommé, aussitôt oublié.
Je me suis donc habillée pour loccasion, sexy mais classe, jupe assez courte, mais pas trop, petite veste cintrée, stilettos, et bien sûr, les dessous adéquats à ce genre de rendez-vous.
Giuseppe mavait convié à le rejoindre dans sa chambre dun palace parisien, dont nous tairons le nom ici :
- Jen suis désolé, très chère Eva, mais je ne pourrai pas déjeuner avec vous
- Hmmm
- Les affaires, vous savez ce que cest ! Un rendez-vous programmé que je ne peux pas remettre. Voyons-nous dans ma chambre vers 14h30. Je ferai monter une petite collation
- Mouiii, pourquoi pas
Et me voilà dans le couloir de cet hôtel. Chambre 126 ? Même pas une suite ? Petit joueur Giuseppe. Ou radin peut être. Ayant été en affaires avec lui, je connais approximativement lépaisseur de son compte en banque, il a les moyens. Si ça se trouve, il a même trouvé une excuse bidon pour ne pas minviter à déjeuner, ça coute trop cher. Le pingre
120, cest trois portes plus loin au bout du couloir. Une femme de chambre sort en coup de vent de la 126, alors que jétais à une dizaine de mètres. Manifestement, elle était catastrophée.
Au moment où je la croise, je maperçois quelle a de grosses larmes qui lui coulent sur les joues :
- Quest ce qui se passe Mademoiselle ?
- Rien Madame, rien de grave
- Mais si, je vois bien quil y a un souci. Un problème avec le client de la chambre 126 ? Cest là où je vais !
- Non, non, je vous assure
- Il vous a manqué de respect ? Nayez crainte, je ne suis pas sa femme.
- Il ma juste fait des propositions
enfin, il ma mis la main aux fesses aussi
Mon côté féministe a pris le dessus :
- Mais il faut porter plainte, je vous accompagne si vous voulez !
- Non, vraiment
Ce nest rien
- Ah si, jinsiste, si on laisse faire ces déguelasses
- Au final, je risque juste de perdre ma place
- Cest vous qui voyez, je peux comprendre que vous ne vouliez pas porter plainte. En revanche, moi, je ne laisse pas passer, je men occupe, lui dis-je. Cest bien le type de la 126, le gugusse ?
Elle me regarde sans vraiment comprendre :
- Oui, me dit-elle timidement.
- Attendez-moi là !
Je me dirige vers la chambre 126, frappe à la porte.
Lautre con de Giuseppe, grand sourire, mouvre :
- Eva ! Charmante Eva, vous enfin !
- Quest ce qui sest passé avec la femme de chambre là ?
- Maaaa
Quest quil y a ?me dit-il en faisant de grands gestes avec ses mains
Giuseppe qui avait peu daccent, quand on le bouscule un peu retrouve ses intonations du sud de lItalie :
- Il y a que je naime pas les porcs !
Et paf, je lui colle une baffe en pleine figure :
- Et quand je croise un porc, je balance. Alors ducon on se prend pour le président du FMI ?
- Maaaa, quest-ce qui vous arrive
Que pasa ?
Et paf, une autre :
- Et ce nest pas cher payé ! Lui dis-je en secouant mon index sous son nez. Estime-toi heureux que la petite ne veuille pas porter plainte. Beccare con le mani in pasta(1) !
- Mais arrêtez, dit-il en posant sa main sur mon épaule pour me tenir à distance.
- Et tu ne me touches pas
Basta
Et un coup de genou dans les parties. Eh oui, je sais me défendre (même si là cest moi qui attaque pour le coup), une séance de krav maga par semaine, ça désinhibe. Ce genre de plaisantin, ne me fait pas peur, même vêtue dune mini-jupe un peu serrée.
Mon Giuseppe accuse le coup pour le coup. Il se plie en deux, la bouche en cul de poule. Il a lâché un long « ooouuuuïïïïyeuh », en se tenant les roubignoles à deux mains.
Mon Guiseppe se met à inspirer/expirer comme lors dune séance de préparation à laccouchement.
Jen profite pour le pousser et entrer dans la chambre.
- Macho dopérette !
Je vois le plateau, surement apporté par la femme de chambre qui devait assurer le room service. Du caviar !
Je me tartine un blinis et le grignote :
- Du caviar, bonne idée Giuseppe. Par contre la vodka, quelle faute de goût ! Tu aurais pu choisir une polonaise !
Bon, mon petit Guiseppe, deux choses maintenant :
1- Je ne veux plus entendre parler de toi !
2- Tu vas texcuser auprès de la femme de chambre. Tout de suite ! Elle attend dans le couloir. Si elle ne veut pas porter plainte, moi je peux men occuper. Avec moi ce ne sera pas #Metoo, ça va être #Youtoo. Je vais revenir te tourmenter un peu. Tu y vas tout de suite ! Presto !
- U2 ?
- Quil est con
Je me suis permis un petit « Vaffanculo», en partant, pendant que lautre bafouillait un « Scusi » à la petite sur le palier. Jai doublé mon « Vaffanculo » dun « Vai a farti fottere! », ce qui revient grosso modo au même. Jadore les mots grossiers en italien, jen connais un certain nombre. Dits en italien, avec la prononciation qui va bien, ils ne font pas ment grossiers en plus. Ils chantent plutôt. Et pourtant
Jai fait un clin dil en sortant à la jeune femme de chambre, restée dans le couloir. Elle a eu un timide sourire, mais un sourire reconnaissant. Je lai prise par le bras et nous nous sommes dirigées vers lascenseur sans nous retourner. Jai rendu sa fierté à la petite, et ça, ça na pas de prix.
Et voilà, mon rendez-vous galant, enfin mon plan-cul, appelons un chat un chat, qui tombe à leau. Journée de merde je vous dis.
Enfin bon, d'un autre côté, tant mieux, ça maura évité de me faire sauter par un salaud.
Nayant pas lintention de me faire baiser par le premier venu, il ne me restait plus quà rentrer.
Mais en plus, nayant pas déjeuné, javais les crocs, il fallait que jaille manger un truc avant.
Et cest comme ça que je me suis retrouvée à mâchonner un sandwich vers 15h30. Journée pourrie de chez pourri, je vous le dis-moi ! Faute de grives, on mange des merles.
Une manif place de la République, ça plus la pluie qui sest mise à tomber, la circulation à Paris est congestionnée. Je ménerve grave au volant. Je mets deux heures pour traverser la capitale et rentrer chez moi. En plus, il faisait si beau ce matin. Temps de merde !
Bien évidemment, un abruti sest garé sur le bateau de mon immeuble, je ne peux pas accéder à mon parking. Heureusement, une place se libère à lautre bout de la rue. Je la prends, jy gare ma Mini bicolore. Tant pis, trop mal aux pieds avec mes talons à force dappuyer sur lembrayage dans les embouteillages. Et en plus, je nai pas de parapluie.
En passant, jinvective un peu le gugusse en train de récupérer sa voiture sur mon bateau.
Pour couronner le tout, lascenseur est en dérangement. P
.., il va mentendre le syndic, au prix où sont les charges dans cet immeuble ! Six étages à se farcir, vu létat de mes pauvres pieds dans mes escarpins à talons de dix centimètres. Oui, je sais, cest moi qui ai voulu jouer les vamps aussi. Pour ce con de Giuseppe en plus. VDM.
Arrivée enfin chez moi, jabandonne mes escarpins dans lentrée, en poussant un soupir daise. Lessivée, je maffale sur le canapé, jatt mon ordi portable. Après-midi foutue, autant bosser un peu, même si je métais accordée une journée de relâche.
Damned ! Toujours pas dinternet. Et lautre-là qui ma promis ce matin que ça devait être rétabli rapidement. Je jette un regard sur ma montre, puis sur mes escarpins laissés dans lentrée, enfin un dernier regard sur mes pieds endoloris. 18h45, si je fais vite, je peux arriver chez Mr Orange avant la fermeture. Mais rien que lidée de me rechausser me hérisse le duvet sur les avant-bras.
Cest décidé demain matin, je vais mettre à sac la boutique de Mr Orange. Demain ! Pas le courage là.
Parce que moi, quand on m'en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile
Mr Orange et ses potes, Mr Pink et Mr Brown, je vais leur faire une ordonnance, et une sévère
Jai un truc hyper urgent à télécharger pour demain pour un client, je fais comment moi ! Hein ? Jai mon rendez-vous à neuf heures pétantes. Franchement, ça fait sérieux en arrivant chez le client, « Excusez-moi Msieur, mais je peux utiliser votre imprimante, paske jai pu dinternet chez moi
»
Pas possible de le faire sur mon téléphone, il me faut un ordi ! A 19 heures passées maintenant !
Et si
et si
nonnnnn
Pas le choix ma grande ! Je vais aller à côté, chez Robin Le Voisin. Robin est mon voisin, mais son nom est Le Voisin(2).
Il y a trois appartements sur mon palier, le mien, à côté celui de Robin Le Voisin et au fond, celui dune jeune femme dà peu près mon âge, une certaine Laetitia Marsac, que je croise parfois. Jai vu son nom sur les boîtes aux lettres. Blonde, comme moi, on se ressemble beaucoup, mais elle est un peu bizarre. On se dit bonjour/bonsoir, mais elle me jette des regards chelou. Je me demande si elle nest pas lesbienne. Alors, si cest ça, avec moi, tu nas aucune chance ma chérie.
Jaurais pu aller sonner chez elle ce soir, mais non, je vais plutôt aller chez Robin. Elle serait du genre à prendre ça pour une excuse pour
je ne sais quoi
Et ce regard effronté quelle arbore !
Robin Le Voisin ! Tout un poème celui-là ! Le geek parfait. Grand, châtain, toujours vêtu de jeans, de sweats ou t-shirts et chaussé de baskets. Un mélange de Gaston Lagaffe et dHarry Potter (sans les lunettes). La trentaine, mais son look et sa nonchalance me font plus penser à un ado attardé. On a toujours limpression quil déambule. Bon, on va dire que lorsque je le croise dans lescalier, ou dans le hall, je fais à peine attention à lui.
Et me voilà devant sa porte, ma clé USB à la main. Quand il a ouvert, pour la première fois, jai observé attentivement son visage et lensemble de sa personne. Vraiment observé. Plutôt mignon en fait, athlétique, mais sans trop lêtre. Même avec son t-shirt à leffigie de Bruce Springsteen et ses jeans délavée, il ne faisait pas forcement si ado attardé que ça. Je ne lavais pas vraiment vu sous cet angle-là. Il y a un petit quelque chose de baroudeur, de mec qui en a vu dans sa vie. Jolis yeux en plus, noisettes et joli sourire, engageant en fait :
- Euh, bonsoir
- Bonsoir.
- Je suis votre voisine, Eva
- Oui je sais qui vous êtes Eva.
- Vous connaissez mon prénom ?
- Oui, cest écrit sous votre sonnette. Et même sur votre boite aux lettres.
- Ah, euh oui, daccord.
- Vous avez besoin de quelque chose ?
- Euh, oui, voilà
Quest ce qui tarrive Eva ? Toi la fille sûre de toi, la battante, celle que rien narrête, te voilà en train de bafouiller, dhésiter devant la porte de ton voisin :
- Mon internet est en panne. Jai besoin de télécharger et dimprimer des trucs pour demain pour mon boulot
Je pourrais utiliser votre... Euh
ordinateur ? Et votre imprimante ?
- Mais bien sûr, Eva, entrez, me dit-il en se déplaçant sur le côté.
Je mattendais à trouver un appartement complètement encombré, des ordinateurs avec des fils partout, des figurines et des affiches de Jedi ou de super-héros, des boîtes de pizza vides entassées sur la table de salon. Le truc limite pas propre. Eh bien non, javais devant moi un appartement clair, rangé meublé avec goût, enfin avec un goût proche du mien.
La configuration de son appart était la même que le mien. Une entrée, le salon à gauche et deux chambres vers le fond :
- Ah, vous avez abattu la cloison entre le séjour et la cuisine ? Je comptais faire pareil !
- Oui, ça agrandit et ça donne plus de lumière. Vous me donnez votre clé.
Jai failli lui tendre mon trousseau de clés, avant de réagir et de lui donner ma clé USB. Il a pris un ordinateur portable, me la ouvert et ma laissé lancer mon téléchargement :
- En attendant, vous vous asseyez deux minutes ? me demande-t-il en me montrant son canapé.
- Joli canapé et fauteuils ! Un créateur italien sûrement ? Jadore
- Oui, jaime le design seventies.
- Comme moi, nous avons les mêmes goûts on dirait, au moins pour la décoration.
Je reprends un peu de poil de la bête, je retrouve un peu dassurance :
- En plus cest confortable ! Les créateurs de cette époque-là ont fait de jolies choses, mais souvent ne se sont pas préoccupés du confort.
- Cest vrai. Je vous offre un verre en attendant que ça charge ?
- Je ne voudrais pas vous déranger
- Ça ne me dérange pas. Bon, je nai pas grand-chose. Porto, vodka, de la polonaise, me dit-il en souriant, jai aussi vu votre nom sur votre boîte aux lettres. Je ne vais pas me lancer à le prononcer. Sinon, soda, jus dorange
- Facile pourtant, Chev tchik, mais en attachant les syllabes. Une vodka avec de la glace et surtout !! Sans jus dorange
- Scchekouik
- Presque ! Et vous faites quoi dans la vie ?
- Je suis concepteur de jeux vidéo, Mademoiselle Scheekik
euh
Mademoiselle Eva !
- De jeu vidéo ? Pourquoi je ne suis pas surprise...
- Pardon ?
- Non, rien
Cest chouette comme métier !
- Oh, vous savez, ça se limite à écrire des lignes de codes surtout. Jai un scénario conçu par les créatifs et je traduis en langage informatique. Jai toujours été bon en maths, cétait ça, ingénieur ou prof. Tout le barda pour travailler, les trois ordis sont dans une des chambres transformée en bureau. Je travaille à domicile.
- En effet, dis comme ça
- Doù mes tenues décontractées, je nai pas besoin de mhabiller pour travailler. Même si ça marrive de temps en temps quand même. Je nai pas que des t-shirts et des jeans. Il marrive de sortir de ma caverne, vous savez. Parfois, je vois la lumière du jour et je respire le grand air.
Puis avec un léger sourire, il a ajouté un peu taquin :
- Pas comme vous, toujours élégante. Vous aimez les jeux vidéo ?
- Pas du tout, lui répondis-je en tirant ma jupe courte vers le bas
Euh excusez-moi, je ne voulais pas paraître cassante
je ne considère pas que les jeux vidéo cest puéril, ce nest pas ça, mais
- Mais ne vous excusez pas, vous ne me vexez pas, je ne joue jamais non plus. Jy baigne toute la journée, pas envie de my replonger le soir. Jaurais limpression dêtre encore au boulot.
Décidément ce garçon métonnait vraiment. Hormis sa tenue (et encore), rien du geek que jimaginais. On se fait parfois des idées préconçues sur les gens. Sur les gens quon a à peine regardés en plus :
- Voilà, votre téléchargement est terminé, je vous rends votre clé ?
- Oui, merci
- Et vous, vous faites quoi dans la vie ?
- Je suis consultante pour des entreprises
- Et on vous consulte pour quoi ?
- Risk management
- Oh là ! Cest quoi ce truc-là ? Me dit-il avec un sourire en coin
- Alors, dis-je avec le même sourire en coin, ça se base sur l'identification de faiblesses potentielles dune entreprise et sur les recours utiles envisageables pour compenser ces faiblesses lors du diagnostic complet de la dite entreprise et de son organisation.
- Ah oui, carrément
- Carrément oui
Nous avons éclaté de rire en même temps :
- Ce que japprécie surtout, cest que cest un métier de contact. Et vous faites quoi le soir, si vous ne jouez pas aux jeux vidéo ? Vous vivez seul ? Enfin, si ce nest pas indiscret
En même temps que je posais ma question, mon regard sest porté sur une photo encadrée posé sur un meuble, lui et une jeune femme. Il surprend mon regard :
- Oui, je suis célibataire, pas de copine. Là, sur la photo, cest ma sur.
Dont acte ! Mais Eva
A quoi tu penses
- Rien de bien original, je lis, le ciné aussi, jaime bien aller voir les films en salle, mais en ce moment cest un peu foutu. Jai une belle collection de DVD.
- Jaime bien aussi le cinéma, vous aimez quel genre de films ?
- Même si jaime beaucoup Star Wars et le Seigneur des Anneaux, jai des goûts beaucoup plus variés, me dit-il en souriant.
Là, jai un peu craqué. Finalement, ce garçon est plein de surprises. Jadore son humour pince sans rire, pas éloigné du mien, jadore son sourire, jadore... Mais Eva, quest ce qui tarrive ? Où est ton pragmatisme, ton détachement ? Cet après-midi, tu étais prête à aller te faire sauter par un bellâtre quadra pour passer le temps et là tu craques pour ce garçon en moins dun quart dheure ? Reprends-toi ! Vite
Tu en es quasiment réduite à minauder là. Pitoyable ma pauvre fille !
- Quel genre de films alors ?
- Un peu de tout, jaime surtout Kubrick, Coppola, Scorsese
Les frères Coen aussi.
- Comme moi alors. Mes deux films préférés sont Apocalypse Now et Barry Lyndon. Jaime beaucoup les films français des années 60 aussi, la nouvelle vague, Godard, Truffaut, Belmondo, BB
- Et sinon Eva, toi, à part le cinéma
Je peux te tutoyer ?
- Euh oui
Bien sur
Moi quoi ?
- Tu es célibataire ?
- Oui
- Pourtant, il ma semblé que quelquun habitait avec toi ?
- Oh là, cest terminé, je lai mis à la porte !
- Oui, je me souviens de cet épisode et du tas daffaires sur le palier, dont un string dailleurs.
- On ne va pas évoquer ce triste épisode.
- Triste pour lui surtout, comment peut-on faire ça à une fille aussi jolie, intéressante
sexy
Ses lèvres se sont approchées des miennes. Je ne me suis pas écartée. Au contraire, jai approché mon visage du sien :
- Belle, enjouée, craquante
a-t-il ajouté avant que nos bouches ne se rencontrent.
Un beau baiser de cinéma, nos lèvres se sont collées, se sont entrouvertes sous la pression, nos langues se sont rejointes et offertes lune à lautre.
- Attachante, charmante, désirable
. Et qui sent bon
dit-il en lâchant mes lèvres.
Et voilà, moi qui pensais avoir la tête sur les épaules, je suis en train de lâcher prise complètement pour ce garçon, de perdre pied même. Moi qui avait juré quon ne my reprendrait plus, enfin pas de sitôt, me voilà amoureuse en un quart dheure. Jai trouvé celui qui devait me faire chavirer le cur, celui dont je parlais en début de ce récit. Il y a des choses dont on est certaine et tout de suite.
En plus, je lavais sous la main depuis pas mal de temps. Il habitait la porte dà côté.
Le coup de foudre ? Jen rigolais jusquà il y a une demi-heure, du coup de foudre ! Moi ? Mais jamais, je disais. Trop pragmatique, trop
De la peur surtout. Lamour ma fait mal, Aymeric ma fait mal, Aymeric ma trahie, jai finalement eu un mal fou à men remettre. Je me suis persuadée du contraire, que cest du passé, que ça ne me touche plus. Cest plus simple comme ça, plus facile à vivre. Je ne suis plus amoureuse, cest certain, mais jai toujours mal quand même, je suis toujours blessée. Je joue la fille détachée de tout, la battante qui vit pour son boulot, celle à qui on nen compte pas, la mangeuse dhomme presque. Sauf que cest juste une armure, je me protège seulement. Les hommes je ne les mange pas, je les goûte seulement. Je men nourris plus que je les mange. En tout cas, je ne les déguste pas.
Cest ce sentiment, ce bien-être intérieur un peu béat, qui mhabite là tout de suite, quand je me penche en arrière pour mallonger sur le dos sur son canapé en lattirant sur moi.
Nous avons repris notre baiser, mes mains se sont glissées dans son dos sous son t-shirt. Les siennes le long de ma cuisse sous ma jupe. Il sest légèrement arrêté dans sa caresse quand sa paume a atteint le haut de mon Dim-up, avant de ségarer sur la chair dénudée du haut de ma cuisse.
Il sest relevé légèrement, nos yeux ne se sont pas quittés. Il a remis une de mes mèches derrière mon oreille. Puis sans un mot, sest levé, ma prise par la main et ma emmenée dans sa chambre.
Le reste ? Euh
ce fut tendre, dabord, ça oui, tendre, je me souviens bien. Puis moins tendre, plus chaud, avant dêtre épique.
Javais lintention de me faire sauter aujourdhui en me levant, finalement, on ma fait lamour. Oh, ce nest pas la première fois quon me fait lamour, mais il me la fait, comme jamais on ne me lavait fait avant, Je tiens à le signaler.
Jai connu un certain nombre dhommes, de bons baiseurs parmi eux. Mais là, cétait autre chose. La technique cest une chose, lendurance aussi, et Robin nest pas le meilleur de ceux que jai connus. Mais de nos ébats de ce soir, je retiens le savoir-être plus que le savoir-faire, notre complicité, notre union, notre collusion même. Nous avons fait un/une. Même avec Aymeric, que jai aimé, je nai pas connu ça. Nous avons fait lamour comme si nous nous connaissions depuis dix ans. Quand je disais épique tout à lheure, je parlais dintensité bien sûr.
Me faire baiser, ça a toujours été agréable, jai aimé ça. Après ce que je viens de connaitre, ça me parait bien fade. Je suis changée à jamais.
Je vous ai demandé au début de ce récit, si vous avez déjà connu ces journées catastrophe, où tout va de travers. Je pense que oui.
Comme moi, avez-vous remarqué aussi, que ces fameuses journées se terminent souvent plutôt bien ? Cest ce que je me suis dit juste avant de mendormir, épuisée par ma journée, mais heureuse dans les bras de Robin.
(1) Beccare con le mani in pasta : littéralement « pris la main dans les pâtes », pris en flagrant délit en fait. Expression typique et imagée dont la langue italienne regorge.
(2) Oui, je sais, je vous lai déjà faite celle-là. Mes fidèles lecteurs se souviendront de mon histoire abracadabrantesque, publiée ici. Les autres, je vous engage à la lire, elle est excellente.
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