Et Si ... (Plus) 1/4
Et si
(plus) (Misa/2011)
1ère partie
Jai installé la chaise longue sur la pelouse entre lappentis et la maison à lombre
du grand sapin et je la regarde sactiver.
Elle sest mis en tête de repeindre la petite table ronde en fer et les chaises.
On était toutes les deux en train de nous dorer au soleil en feuilletant des
magazines quand elle sest levée tout dun coup ; elle est restée un moment les mains
sur les hanches, en regardant le jardin :
- Je vais peindre la table !
- Sans moi
tu thabilles un peu, quand même ?
- Je te plais pas, comme ça ?
- Oh si, mais je suis pas sûre que ce soit adapté pour bosser !
Javais mis un maillot de bain ; elle, sétait débarrassée de sa jupe et de son
chemisier jetés en vrac sur le dossier du canapé avant de sortir et était restée
ainsi, les seins à lair, ne gardant sur elle que sa petite culotte blanche en
dentelle.
On devine encore à des tâches plus claires sur sa hanche et sa cuisse bronzées, les
endroits où la peau a été arrachée.
Elle sest penchée pour me faire un baiser et elle est partie dun pas décidé vers le
garage.
Déjà trois mois
Cétait un jeudi
Cétait un jour comme les autres. Jai cherché des signes, je nai rien trouvé. Pour
moi, cétait un jour ordinaire, et pourtant, je me souviens de tout. Vraiment de tout.
De ce jour-là, dabord
le réveil a encore sonné trop tôt, non pas quil ait interrompu un rêve, de ceux
dont on aimerait quils durent encore, mais je manque de sommeil. Encore un jour.
Un grognement de lautre côté du lit. Marie se soulève sur un coude :
- Déjà ?
merde
Elle a pris lhabitude, ne me demande même plus. Quand mes horaires de service
correspondent à ses heures de bureau, elle dort à la maison au lieu de rentrer chez
elle, pour économiser le temps de transport vers sa banlieue.
Depuis que Gilles nest plus là, elle a abandonné la chambre damis. Ça non plus elle
na pas vraiment demandé. Elle sest installée un soir dans mon lit, voilà tout.
- On va se tenir chaud
et elle sest collée à mon dos, la main sur ma taille. Si vraiment elle avait froid,
pourquoi elle dormait à poil ?
Elle est transparente
comme si je ne savais pas où elle voulait en venir depuis
quelque temps ! Comme si je croyais vraiment depuis quelle squattait mon lit que
cest par hasard que je me réveillais dans la nuit avec sa main sur mes seins ou sous
mon t-shirt !
Un soir où je nallais pas trop bien, je me suis laissée faire
cest plus difficile
maintenant de la repousser.
Je laime bien, mais je ne laime pas
et le sexe sans amour, je ny arrive pas bien
; je suis un peu mal à laise.
Hier soir, on est rentrées tard, on était fatiguées toutes les deux ; on a à peine
grignoté avant de nous coucher.
- Allez
ça nous détendra
elle avait déjà glissé la main sous ma culotte, sur mes fesses
Faut pas exagérer non plus, je ne suis pas hypocrite ! Je ne suis pas victime de ses
avances ! Jy prends aussi du plaisir, parfois. Mais je ne vais pas au-devant, je ne
ressens pas dattirance particulière. Je profite
je suis une faible ? Sans doute
Mais le plus souvent je préfère les moments où moi je la caresse à ceux où cest elle
qui veut me donner du plaisir ; elle est trop brusque, il lui arrive aussi de me faire
mal. Elle ne fait pas exprès, je le sais. Et puis cette manie de vouloir à tout prix
me rentrer ses doigts, profonds, ça magace ! Je lui ai dit, pourtant, mais non, on
dirait quelle cherche la performance ! Si je la laissais faire
! Cest pas parce
quelle aime ça que je dois aimer aussi ! Mais la douceur, cest pas son truc.
- Pas ce soir, Marie
- Mais on se voit plus avant lundi
Je me suis tournée vers elle et je lai repoussée dune main sur son épaule.
ma main sur son ventre.
Pas de baiser.
Pas de câlin.
Elle sen fout.
Pas de préliminaires.
Le pouce planté dans le vagin, lindex et le majeur entre ses fesses ; elle adore.
Elle a repoussé la couette du pied et a soulevé les genoux de ses deux mains. Elle
mouille peu. Au début, je lui proposais du lubrifiant, mais non, elle préfère comme
ça, cette friction douloureuse lamène plus sûrement au plaisir. Elle est un peu maso.
Elle a essayé plusieurs fois de me faire partager ce plaisir-là, mais moi jaime la
douceur.
Je me suis activée pour quelle jouisse vite et je lui ai tourné le dos en retenant sa
main entre les miennes. Pas envie.
Sa présence me pèse. Je finirai par le lui dire, en tentant de ne pas me fâcher avec
elle.
Ce week-end, elle rentre chez elle, en banlieue, retrouve son mec ; elle me racontera
leurs exploits la semaine prochaine
et ça aussi ça magace ! Je me fous de savoir
dans quelle pièce, dans quelle position et combien de fois ils ont fait lamour ! Mais
elle sétale, elle en rajoute et multiplie les détails. Franchement, je me fous
complètement quelle lui attache les testicules et quelle lui mette un doigt entre
les fesses ! Et plus elle raconte, plus ça lexcite, et plus ça magace ! Mais elle
sen rend pas compte, ou elle sen fout
cest ma faute
je laisse faire
Jai branché le chauffage dappoint dans la salle de bains en enfilant mon peignoir en
éponge.
Ma tasse de café à la main, café de la veille réchauffé dont les deux sucres ne
parviennent pas à faire oublier lamertume, jécarte le rideau du salon sur le jardin.
Les écailles de peinture sur la table ronde en fer disparaissent sous les gouttes
deau quelles accrochent, points de lumière miroirs où se mêlent le gris du ciel et
le vert cru des branches lourdes deau du grand sapin.
lumière mouillée du petit matin. Il pleut et jai froid. Je tire le rideau sur le
jardin mouillé et les flaques grises sur le chemin de terre qui mène au garage.
Je verse dans lévier le reste de café.
Jajoute « peinture verte » sur la liste de courses du week-end fixé par un aimant sur
la porte du réfrigérateur.
Une autre journée à vivre après une autre nuit trop courte. Comme tous les jours il y
aura des pleurs, des sourires tristes et crispés, des rires s
dautres fissures
à larmure.
Jai ouvert la porte qui donne sur le jardin : une fusée rousse sest faufilée, sest
arrêtée devant lévier, queue dressée bien droite et tremblante.
- Tes tout mouillé ! tas faim ?
- Miouaww ! maou ? Moooww !
Je parle à mon chat et il me parle lui aussi, et quand il me parle, il invente des
sons ! Cest un chat à part, on a de vraies conversations !
Sa gamelle devant lévier est garnie de croquettes, mais ça ne suffit pas ! Je sais
bien ! Il faut le caresser, rajouter deux ou trois croquettes, lui gratter un peu la
tête pour quil se décide à manger. Il se fait payer de la « ronron-thérapie » quil
moffre tous les week-ends en se lovant sur le lit au creux de mon ventre. En semaine,
depuis que Marie squatte mon lit, il préfère le canapé.
Gilles est parti
me reste «Che » ; mon chat rouquin sappelle Che. Cest lune des
rares choses que Gilles ait oubliées en partant.
Il était arrivé avec Che dans les bras et un vieux sac de sport rempli de jeans et de
t-shirts dans sa vieille R5 qui pourrit lentement sous lappentis au fond du jardin
depuis quil est parti en emportant mes CD de Neil Young et de Peter Gabriel. Et Che
ronronne pour moi le week-end, se fait les griffes sur mon canapé, réclame des
caresses pour se décider à manger.
Trois semaines.
Je fais la maline devant les copines, à lhôpital
je fais la maline. Mais jai
encore souvent les yeux qui brûlent.
Che. Il lavait dans les bras la première fois où je lai vu. Tout petit, tout maigre,
la tête dressée, des yeux immenses et inquiets.
Jaurai dû prendre le chat
laisser le bonhomme.
Et puis voilà. Jai pris les deux. Un seul est resté.
Marie et Flore mavaient prévenue. Je ne les croyais pas. Je ne voulais pas les
croire. Il les avait draguées ? Je ne voulais pas les croire
je soupçonnais une
jalousie
une invention
Marie qui me faisait les yeux doux, dont je savais quelle
aimerait bien le remplacer dans mon lit, Flore que son copain venait de larguer, je
nai pas voulu les croire.
Che ma suivie dans la salle de bains. Il sest installé sur le tapis en éponge devant
le lavabo, les oreilles bien droites, la queue enroulée autour de ses pattes dont
seule lextrémité battait lentement. Il me suivait des yeux, ne perdait pas un geste.
Il a sursauté au claquement du couvercle du panier à linge où jai jeté ma culotte, a
surveillé le balancement de la ceinture de mon peignoir que jai suspendu à une patère
souvent, Gilles sasseyait à côté de lui sur le tapis de sol
lui aussi me suivait
des yeux pendant que je me déshabillais et que je faisais ma toilette, et ces jours-
là, jétais en retard pour prendre mon service. Ce quil aimait par-dessus tout,
cétait que je massois sur le rebord de la baignoire et que je me caresse devant lui,
lentement ; parfois il se contentait de me regarder, assis à mes pieds, parfois il se
caressait aussi avant de me faire lamour. Che ronronnait en nous regardant.
Ces matins me manquent.
Il me manque.
Et pourtant, sil revenait
je le mettrais à la porte, ça ne fait aucun doute. Mais
il me manque.
Deux hommes dans ma vie, deux échecs. Deux femmes dans ma vie, deux échecs. Je devrais
peut-être men tenir aux chats
30 ans dans deux mois
ce nest pas que jai envie de me caser, mais je naime pas
vivre seule.
Che est sorti dun air hautain quand Marie est entrée dans la salle de bain : avec
elle, il abandonne le terrain.
Elle ma entourée de ses bras en me faisant une bise dans le cou, ma pincé un téton
tendu de froid et ma mis la main aux fesses pendant que je me lavais les dents.
Si seulement elle était tendre ! Mais non ; elle me pince, elle me chatouille, elle me
claque les fesses, prends mes poils pubiens à pleine main
rentre un doigt
Je venais de penser à Gilles et à nos jeux, et jaime bien le matin
jétais un peu
mouillée. Elle a insisté. Elle sest accroupie derrière moi en mécartant du lavabo
dun bras autour de la taille.
Je me suis appuyée des deux bras sur le bord du lavabo et jai fermé les yeux,
tendant les fesses vers elle.
Cest si facile de fermer les yeux.
Elle serrait ma hanche dune main, plantait ses doigts de lautre main dans mon sexe,
comme elle aime, elle, en mouvrant, en métirant du poids de sa main, jusquà me
pénétrer de ses quatre doigts tendus, son pouce venant buter entre mes fesses à chaque
va-et vient.
Comme elle hier soir, jai joui vite. Je voulais échapper à sa main, létirement était
douloureux. Elle a insisté, comme dhabitude, continuait même quand je me suis
redressée, poussait fort de tout son bras.
Jai plié les jambes à nouveau pour atténuer la douleur et les phalanges ont dépassé
lanneau de chairs distendues.
Jaime pas quelle fasse ça, comme si elle voulait me déchirer, et pourtant un second
orgasme et venu.
Elle a ri en me claquant les fesses en partant sous la douche.
Jai déposé Marie à lentrée de lhôpital, devant les bureaux de ladministration, et
je suis allée me garer près de lentrée des urgences.
Il est à peine 8 heures et le ballet a déjà commencé : les pompiers sortent un
brancard de leur camion, discutent avec Estelle qui me fait un petit signe de la main.
Elle a les traits tirés ; la nuit a dû être longue.
- Salut ! ton premier client ! bras, poignet, hanche ; le visage, cest rien !
je lamène en radio. Va te changer, je peux pas faire de rab, ce matin.
Jai eu le temps de me changer, de saluer linterne de nuit devant la machine à café,
qui a lui aussi de grands cernes sous les yeux, de parcourir toutes les fiches
dadmission de la nuit. Il nous reste deux lits et deux à récupérer dans la matinée.
Jai rejoint Estelle qui était encore dans la salle de soin :
- Je suis pas encore en radio
donne-moi un coup de main.
- Ok, linterne est passé ?
Elle a fait non de la tête en levant les yeux au ciel en riant :
- Olivier ? Un rien le fatigue
On coupe ?
-
vaut mieux
- Madame, je suis désolée mais, mais on va devoir découper la blouse et le
pantalon. Vous vous sentez bien ? Ne bougez pas
- Mon fils
- Il était avec vous, madame ?
- Non
à lécole
il faut prévenir son père
Elle avait lair jeune, perdue, désespérée
et mal en point. Elle pleurait doucement,
sans se plaindre. Jai posé un instant la main sur sa cuisse qui tremblait sous le
drap : la peur, la douleur, le froid aussi sans doute ; il fait toujours froid dans
les salles de soin. .Jai jeté un coup dil sur la fiche dentrée posée au pied du
lit : Sarah M., et rien dautre ; les renseignements suivants attendront le passage de
linterne et la venue des proches.
On a découpé la blouse et le pantalon, le slip, qui ont rejoint sa veste et ses
chaussures dans le sac en plastique au pied du lit.
Jai nettoyé son visage et ses mains, puis sa hanche et le haut de la cuisse,
incrustée de petits graviers, tandis quEstelle soccupait dune coupure au cuir
chevelu.
Elle tremblait toujours sous le drap fin étendu sur elle pendant quun infirmier
poussait son lit vers la radiologie.
Estelle ma dit au revoir en partant vers le vestiaire pendant que je commençais à
remplir les documents dadmission au comptoir de laccueil.
La fiche des premiers constats laissée par les pompiers manquait. Imaginant quEstelle
lavait gardée dans la poche de sa veste, je suis allée au vestiaire pour la lui
réclamer avant quelle ne referme son casier.
Jai contourné la rangée de casiers en lappelant, et jai aussitôt fait demi-tour en
pouffant de rire : elle était en sous vêtements, à genoux au milieu de lallée entre
les casiers, en train de faire une pipe à Olivier, notre interne de nuit, dont le
pantalon était roulé à ses chevilles.
- Hey ! Quest-ce que tu voulais ?
-
la fiche « premiers constats »
- Ah
merde
tiens, elle est là
- Je repasserai !
- Au point où on en est, prends-là !
Elle ma fait un clin dil. Elle riait en me tendant la fiche dune main et en
continuant à branler Olivier de lautre. Lui, détournait la tête.
Finalement, les cernes quils avaient tous les deux ce matin ne devaient peut-être
rien à lactivité normale du service !
Radio du bras gauche : fracture du radius au-dessus du poignet.
Radio de la main droite : fractures du majeur et de lindex.
Rien à la hanche, heureusement pour elle.
Elle ne me lâchait pas des yeux, gênée dêtre quasiment nue sur le plateau de la
radio, du regard du radiologue ; la douleur lui remplissait les yeux de larmes. Jai
gardé ma main sur son épaule, je lui souriais. Elle ne savait pas, moi si :
contrecoup, douleur, soins, visites
ce nétait que le début.
Elle était jolie ; elle avait lair tellement désemparée
Jai arrangé ses cheveux,
essuyé ses yeux, bordé le drap sur elle. Je tenais son bras gauche replié sur son
ventre pendant quune fille de salle roulait son lit vers une autre salle de soins où
jai attendu linterne de jour avec elle. Elle penchait sa joue sur ma main.
Jessuyais ses yeux. Je lai embrassée sur le front.
Je ne suis pas toujours comme ça
heureusement
pas avec tous. Pourquoi avec elle ?
Jen sais rien. Ses yeux
La matinée a été calme. Les pompiers nous ont amenés un lycéen avec une entorse de la
cheville ; une dame est arrivée seule, une main profondément entaillée enroulée dans
un torchon sale, accident domestique ; deux policiers ont accompagné un homme, jeune,
ivre, qui avait reçu un coup de couteau, sans gravité.
Javais du temps ; je suis souvent passée voir Sarah. En voyant son air désespéré
quand une fille de salle lui a donné le bassin, je lai aidée à se lever et je lai
installée sur le siège des toilettes. Elle était là depuis deux heures : la douleur
dans sa hanche sétait réveillée, sa jambe était raide. Je lai laissée seule un
instant et je lai lavée ensuite. Là encore, ce nétait quun début : les quatre
prochaines semaines elle allait devoir vivre avec le bras gauche et la main droite
dans le plâtre. Ça rend le quotidien compliqué !
Une heure plus tard, jai dû menacer son ex-mari pour le faire sortir de sa chambre :
il sénervait, criait ; elle détournait les yeux.
En début daprès-midi, ce sont les patrons de lagence de voyage où elle travaille qui
sont passés la voir : jai prétexté des soins à faire pour quils aillent geindre
ailleurs.
Je tenais le téléphone contre son oreille quand elle a appelé une tante en province,
apparemment son seul parent proche.
Pourquoi, je me suis autant occupée delle ? Par compassion ? Oui, et parce que
javais du temps libre, que cétait une journée calme, et puis un petit quelque chose
en plus
Elle a entendue comme moi les filles de salle se moquer :
- Ouououh ! La 8 a trouvé une nounou ! Va falloir frapper avant dentrer !
Quelle ait le temps de remonter sa culotte !
Elle a haussé les sourcils et a eu un sourire, le premier, des propos entendus peut-
être, de ma tête sans doute, et a secoué la tête :
- Cest de lhumour dhôpital ? Cest pas grave
voyez, moi ça me fait rire !
Et puis moi, jai plus de culotte
et si elles parlent de la vôtre, je vois pas bien
comment je pourrais y toucher ! En plus, je suis pas sûre que vous en ayez une
Elle a fait une grimace en voulant soulever ses bras pour appuyer ses propos. Elle
riait :
- Je suis pas sûre dêtre en état dapprécier ! Cest bête !
ouille
Cest
pas un mythe alors, les infirmières sont nues sous leurs uniformes ?
Jai fait semblant de me fâcher :
- Hey ! vous matez mes fesses ?
-
jai rien dautre à faire
elle riait, cest déjà ça
- Je mets des strings
cest si transparent que ça, ma blouse ?
- Pas trop
un peu
Elle ma raconté son ex-mari, celui que javais dû mettre dehors le matin, elle ma
surtout raconté son fils. Quand je voyais ses yeux se gonfler de larmes, je lui
parlais de mon chat et de celui qui était arrivé avec lui, reparti sans ; jessayais
de la faire rire, jy arrivais parfois. Elle avait une voix douce. Et de si jolis yeux
Je suis allée lui dire au revoir avant de partir après mes heures de service. Estelle
était de retour pour la nuit du vendredi au samedi et sest étonnée que jaille
embrasser Sarah avant de partir ; en général, on évite ce genre deffusions avec nos
patients :
- Tu sais que ça fait causer les filles, dans le vestiaire ? Elles parlaient de
Marie, aussi
les rumeurs
tu les connais, fais gaffe !
Toutes les armures ont des fissures. Ce jour-là, jétais fragile, sans doute.
Sur une impulsion, je suis passée à lhôpital le samedi midi après avoir fait mes
courses de week-end.
Son ex-mari était passé le matin en coup de vent pour lui amener quelques affaires ;
il navait même pas amené son fils. Elle navait pas le moral. Linfirmière de week-
end était un peu surprise que je passe autant de temps avec Sarah, ma un peu chambrée
avec un clin dil appuyé
la rumeur courait
je men fichais.
Je suis aussi passée le dimanche. Parce que je navais rien à faire. Parce quelle
était seule. Parce que
parfois quelquun vous émeut, comme ça, sans raison
Elle a
été étonnée, bien sûr de me voir le dimanche aussi. Elle a juste fait une petite
remarque adoucie dun sourire :
- Vous allez alimenter la rumeur
mais cest drôlement gentil
et a enchaîné aussitôt par un commentaire sur la nourriture sans me laisser le temps
de répondre.
- Ça mennuie, vous êtes pas là pour ça
vous voulez maider à me lever pour
aller aux toilettes ? Jaime pas ce truc
Elle montrait le bassin et a baissé la voix :
- Votre collègue, elle est un peu
je me sens plus à laise avec vous
je sais
que j
A cause de sa jambe raide, je devais la prendre dans mes bras pour lasseoir, à
nouveau pour la redresser. Elle ma fait une bise sur la joue avec un grand sourire
quand je lai aidée à se recoucher.
Je me suis retenue den faire autant
cétait pas le moment
Jétais de service le lundi quand une petite jeune-fille est venue la chercher. Une
nièce, je crois, quelle ne connaissait pratiquement pas, qui allait soccuper delle
pendant quelque temps. Elle semblait toute timide et un peu empruntée.
Javais fait prendre une douche à Sarah le matin, pour que le problème de sa toilette
soit moins contraignant les premiers jours. Javais enveloppé ses deux bras dans des
poches de plastique et je lavais lavée. Elle était mal à laise, a souri quand je
lui ai demandé ce qui nallait pas.
- Ma nièce, celle qui va soccuper de moi, je ne la connais pratiquement pas
Jaime pas être dépendante
- Vous avez froid, je vais me dépêcher !
- Euh
non ! ça va
Elle a suivi mon regard sur ses tétons dressés, a ri en rougissant, a haussé les
épaules en pinçant les lèvres.
Cest sa nièce qui la habillée, disant quil fallait bien un début, et je lai
encouragée.
Elle ma tendue la main droite fortement bandée dont deux doigts étaient pris sous une
atèle en partant, a soulevé la main que je lui tendais contre son visage. Je lai
embrassée sur la joue.
Javais le cur serré en la voyant partir enveloppée dans sa veste déchirée et un
méchant pull posé sur ses épaules, le cur serré par son sourire triste derrière la
vitre du taxi qui lemmenait.
Elle est revenue aux urgences le jeudi pour faire refaire son pansement sur la hanche,
et le mardi suivant, linterne lui a enlevé les deux agrafes posées sur une plaie de
son cuir chevelu.
Je ne lavais pas vue la première fois, et très peu la seconde. Elle a attendu à la
porte de la salle où je donnais des soins pour me dire bonjour, mais pressée par sa
nièce, elle est partie très vite, et nous navons échangé quune bise et quelques
mots. Cétait sa dernière visite ; elle nallait pas très bien, avait lair agacée et
malheureuse.
A plusieurs reprises elle a voulu me parler, et sest toujours arrêtée avant de
prononcer le moindre mot. Elle me semblait inquiète.
Avant quelle ne reprenne son taxi, je lui ai tendu le papier que javais préparé à la
hâte avec mon numéro de téléphone :
- Il faudra refaire à nouveau votre pansement sur la hanche
nhésitez pas
je
nhabite pas très loin de chez vous
et puis
ça me ferait plaisir de vous voir,
Sarah ! Tout va bien ?
Elle a haussé les épaules en jetant un petit coup dil vers sa nièce :
- Ça va
Le ton nétait pas très convaincant :
- Appelez-moi ! Je vis toute seule dans une grande maison et mon chat ne men
voudra pas si je mabsente ! Faites-le, daccord ?
- Daccord, merci
vraiment merci pour tout
(((La 2ème partie de cette histoire a en fait déjà été publiée : je lai un peu, très
peu, modifiée, et donc, peut-être que certains parmi vous la reconnaîtront.
Jai écrit cette première partie (et une suite), parce quune lectrice mavait dit
vouloir voir linfirmière de plus près. Voilà, cest fait. Que ne ferais-je pour
)))
(à suivre)
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