Léonie

Il est de ces amours instantanées qui ne cadrent ni dans le coup de foudre, ni dans
l'amourette. Qui ne sont ni éternels, ni fugitifs. Des amours du temps présent, qui
durent toujours sans véritablement naître. Léonie fut de ceux-là. Avec son prénom d'un
autre temps, comme un déguisement de vieille, porté presque négligemment. Pourtant,
pas de malaise, pas d'incongruité. Cet anachronisme concordait parfaitement avec son
espèce d'intemporalité. Elle aurait pu avoir dix-sept ans, trente-quatre ou cinquante-
deux. Dès le premier regard, la première parole, je fus envoûtée.


Nous cuisinions. Et c'est arrivé. Sans raison précise, ce fut soudain, abrupt, même.
Un instant je l'écoutais rigoler - parce que Léonie rigole, plutôt que de rire, c'est
plus chantant, plus insouciant - et le suivant j'étais stupéfaite, là, debout au
milieu de la cuisine. La gifle que je venais de recevoir était aussi palpable que si
Léonie m'avait frappée elle-même. Elle m'apparaissait, comme si je ne l'avais jamais
vue, au beau milieu d'une phrase. Les unes après les autres, ses courbes si féminines,
si désirables se dévoilaient. Une hanche avantageusement arrondie par sa posture, une
épaule dont la peau semblait si formidablement douce. Tout en riant, sa main se déposa
sur sa nuque et elle tourna la tête, dévoilant son cou, la naissance de son oreille.
Des mèches de cheveux qui avaient refusé de se soumettre à l'élastique, descendaient
jusqu'à la naissance de ses seins. Les suivre du regard me causa une douleur
incongrue, au niveau du plexus solaire, me coupant le souffle. Le sang bouillonnait
sur mes tempes et je sentais une rougeur, une chaleur s'emparer de mes joues. Bien
malgré moi, mes poumons s'emplirent. Je toussai, maladroite, pour masquer mon émotion
inattendue. Je ressentais chacun des battements de mon coeur, qui sonnait comme un
tambour gigantesque.

La terre entière devait l'entendre...


La cascade de son rire s'arrêta et, sans se départir de son sourire, elle me regarda
d'une drôle de manière. Ses paupières se plissèrent, ses sourcils se froncèrent et, la
tête toujours un peu penchée, elle s'interrogeait. À cet instant, je réalisai que
j'avais cessé de bouger, de parler. Je contemplais ce corps, pour la première fois,
tétanisée, en oubliant le reste. De peine et de misère, je tentai de rassembler mes
pensées... Je clignai des yeux deux ou trois fois, faisant mine d'avaler, mais ma
bouche était si sèche que je dus m'y reprendre par deux fois.


Reprenant d'un coup le contrôle de mes sens, je m'ébrouai et prétextai une envie
pressante. Une fois enfermée, je tentai de contrôler mon pouls. Mes pensées fusaient,
sans que je puisse en saisir une au passage. Une petite panique avait envie de prendre
le dessus, jusqu'à ce que je réalise que j'avais envie de me laisser envahir par cette
vague de désir… En ressortant, j'étais plus sereine.


Nous avions repris nos conversations, nos tripatouillages de légumes et d'épices. Je
travaillais fort pour ne rien laisser paraître. Ce placard étouffant m'empêchait de
laisser couler mon regard sur ses petits seins, libres sous son chandail, de laisser
de la place à ce délicieux frisson, chaque fois que je devais poser ma main sur sa
taille, pour la faire se déplacer d'un pas pour l'accès au frigo ou au poêle. Mon
apparente hétérosexualité me gardait enfermée à l'intérieur de moi-même, me débattant
avec cette envie irrépressible de la toucher, de poser mes lèvres sur son corps. Je me
mouvais dans la cuisine, comme le double invisible de mon moi straight. Je
bouillonnais à l'intérieur, mon imagination vagabonde tantôt lui arrachait ses
vêtements, tantôt la caressait tout en douceur, comme un bibelot fragile.



Je ne saurais dire ce qui déclencha la suite. Moi, avalant ma salive difficilement,
dévorant des yeux le bout de sein qu'un mouvement subit avait offert à mon regard une
demi-seconde, quand elle se pencha par-dessus mon épaule pour ramasser un poivron? La
proximité de nos corps, se frôlant sans cesse dans cet espace relativement exigu?


Elle me racontait je ne sais plus quelle anecdote, nous avions éclaté de rire.
Spontanée, elle s'avança et ses lèvres se plaquèrent sur les miennes. Mon souffle se
bloqua et je ressentis une onde de choc dans tout mon corps tant j'étais surprise.
Elle sembla soudain très gênée et balbutia de vagues excuses, mais, à mon tour, je
pris son visage et l'embrassai fougueusement, fourrant ma langue entre ses lèvres.
Elle laissa tomber un petit gémissement et son corps se plaqua contre le mien, de
toute sa longueur. Ses seins, devenus si fermes, pointaient de sous son t-shirt, ses
hanches et son ventre fermement collés aux miens. J'avais peine à respirer. Je n'avais
jamais touché une femme de cette façon, mais mes mains se guidaient d'elles-mêmes.
Quand je défis le bouton de son pantalon et glissai à l'intérieur, ce fut pour trouver
une chaleur qui me donna le tournis. J'avais l'impression de sentir chacun de ses
poils en glissant mes doigts toujours plus bas, toujours plus près. Elle frémit, ses
yeux se fermèrent et ne put retenir un petit cri quand je trouvai son clitoris. Je
jouissais autant qu'elle. Chaque inspiration incontrôlée, chaque petit spasme de son
corps entraînait la même réaction chez moi. De l'autre main, j'explorai sa taille,
fouillai sous son chandail et trouvai enfin ces seins qui m'avaient narguée toute la
journée.


Au même moment, je glissai un doigt en elle. C'était si doux, si mouillé, je croyais
mourir. Cette touffeur, son sein dans ma main, mes lèvres sur son cou, ces découvertes
étaient si fabuleuses, si sexuelles! Je la sentais sur mes doigts et plus elle
s'approchait de l'orgasme, plus j'embrassais, je mordillais.
Quand elle jouit, quand
cet orgasme si féminin, si puissant, la fit tressaillir, mon corps réagit avec autant
de force que le sien.


J'explorai son corps à satiété, pendant des heures et quelques plats brûlèrent cette
journée-là.


Dans les semaines qui suivirent, nous avons retenté l'expérience quelques fois, pour
finalement nous perdre de vue. Léonie avait pourtant révélé cette partie de moi qui
m'était inconnue…

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