Le Deal 8
Quelle sale semaine je passe mais heureusement elle tire à sa fin. On est vendredi, 9h, je suis assis à mon bureau. Pascale vient juste de m'apporter un café, s'est approchée presque sur la pointe des pieds comme si elle ne voulait pas que je l'entende, sans me dire quoi que ce soit et en regardant par terre. Elle dépose le mug sur le plateau et fait demi tour puis ressort pratiquement en courrant de peur de se faire une nouvelle fois aboyer dessus. Je suis tout à fait conscient que j'ai été infect avec elle toute la semaine. Rien de ce qu'elle faisait ne trouvait grâce à mes yeux. Et surtout pas les inventaires des marchandises en transit pour la compagnie du... père de Karine. Elle faisait pourtant tout son possible, cette pauvre fille mais je retrouvais encore et encore des erreurs de références produits, des défauts de mise en page ou bien des fautes d'orthographe. J'étais méconnaissable, hors de moi, il fallait que je me défoule que j'expulse cette frustration, cette colère immense à poireauter comme un con devant mon portable la journée et mon PC le soir, attendant un hypothétique message ou bien un mail qui m'ordonnerait tout et n'importe quoi, mais qui m'ordonnerait quelque chose bordel! Mais non, rien depuis lundi soir, black out total. Toi qui voit tout à distance stratosphérique t'as pas encore compris qu'il en a marre de se reposer ton beau camarade?! C'est pas spécialement que j'ai envie de me faire casser le cul ou quoi que ce soit, mais au moins j'aurais la sensation de pas être un tas de viande à la disposition de tes délires les plus trash! Même Sandra qui a du se farcir le resto d'entreprise toute la semaine parce que je l'ai tout bonnement envoyé chier mardi et que sa cops la chef comptable est partie en vacances, Frappe à la porte de mon bureau avant d'entrer, ce qu'elle n'avait pas fait depuis des années:
-"Excuse-moi de te déranger, Jo, mais le boss est arrivé et il voudrait te voir tout de suite.
-Quoi? C'est bon, j'arrive.
Il manquait plus que ça! Si le boss demande à me voir à cette heure là et dès son arrivée, c'est que mon attitude de cette semaine a dû faire comme on le dit en Bretagne, du bruit dans Landerneau et que je ferais mieux de me préparer à une sérieuse remontée de bretelles. Cette fois je laisse mon portable dans un tiroir du bureau, je prends une grande respiration et me dirige d'un pas qui se voudrait assuré vers le bureau du boss. Je tape à la porte:
-"Entrez!"
J'ouvre et j'entre et alors là, stupeur:
-"Ah, Jo, salut comment vas-tu? Tu tombes à point nommé, il faut que je te parle d'une affaire importante."
Il se prénomme Joseph, tout comme moi. Mais lui, on ne l'appelle pas Jo, on l'appelle Monsieur et on le vouvoie. De toute façon, on a pas vraiment le choix quand on a en face de soi un mec d'1m95 pour 120 kilos, le teint mat, tout en muscle, une vraie force de la nature, c'est le fantasme absolu de Sandra! Il est l'incarnation du self made man. De dix ans tout juste mon aîné, Il a commencé il y a plus de trente ans avec un fourgon dans un hangar pourri (il a toujours gardé la photo dans son bureau) et quand il regarde sa cour aujourd'hui, il a plus de deux cent cinquante cartes grises, trois mille mètres carrés de stockage et il tape dans tous les secteurs en même temps, messagerie, frigo, porte containers, rien ne lui résiste. Même pas peur de tous ces groupes énormes qui voudraient aspirer ce concurrent gênant. Lui, il lâche rien, jamais. Même pas moi, il y a trois ans quand je lui avais fait part de mon désir d'ailleurs pour un confrère qui était prêt à mettre la main au porte feuille pour s'attacher mes services. Direct, il avait doublé mon salaire et proposé une voiture de fonction. Comme un con, j'avais accepté le fric et refusé la bagnole, pensant qu'un tel traitement de faveur m'occasionnerait des problèmes avec les collègues. J'avais un total respect pour ce type sorti un jour de nulle part, pour transformer tout ce qu'il touchait en succès phénoménaux et je crois que le sentiment était partagé lui ayant prouvé à maintes reprises qu'il pouvait avoir confiance en moi.
-"Assieds-toi, Jo s'il te plait. Tu connais Pierre Drumon, je crois.
-Oui on s'est rencontré deux ou trois fois" réponds-je avec un air faussement détaché. "On travaille souvent avec lui."
Et en moi-même, si tu savais mon pauvre comme je le connais, il n'y a pas une semaine, j'avais sa queue dans la bouche. Il continue:
-"Eh bien figure-toi qu'il m'avait appelé la semaine dernière et que j'ai dîné hier soir chez lui en rentrant de Toulouse. J'ai d'ailleurs fait la connaissance de sa charmante épouse et..." le voilà qui commence à m'expliquer ce que je connais déjà par coeur à force de repasser le film dans ma tête. Par contre, je note que Pierre l'avait appelé la semaine dernière, c'est à dire en même temps qu'il m'invitait pour un poker le week end dernier. Il enchaîne:
-"Bref, tout ceci pour te dire qu'il a toujours été impressionné par la façon dont tu traitais ses dossiers, que son département prenait encore plus d'ampleur et qu'il souhaitait vraiment t'embaucher. Il m'a expliqué en détails le projet pro qu'il avait pour toi et là, crois-moi, c'est beaucoup trop fort pour moi. Il va te faire prochainement une offre bien difficile à refuser. Je pense personnellement que tu as toutes les qualités requises et que tu mérites ce type de promotion." L'ambiance est pesante, je l'écoute sans l'écouter. J'ai l'impression que ma cervelle va éclater. Je ne sais pas quoi répondre, alors, il me sauve la mise:
-"Ben, fais pas cette tête, Jo. On dirait que je viens de te donner la date précise de l'apocalypse. Voilà ce que je te propose; tu vas gentiment rentrer chez toi, réfléchir à tout ça. Pierre m'a dit qu'il te contacterait pendant le week-end. Tu prends ta décision, tu m'appelles quand tu veux et pour moi, de toute façon, ce sera un grand ok quoi que tu décides."
C'en est trop pour moi, je me lève d'un bon et ne prenant même pas le temps de le saluer, je cours à mon bureau récupère mes clés et mon portable et je rentre chez moi, il faut vraiment que je décompresse.
-"Bonjour, mon beau camarade. Comment vas-tu, aujourd'hui?
-Bonjour Karine, c'est un délice que de t'entendre mais je voulais te dire...
-Non. S'il te plait. Te rappelles-tu? Nous ne reparlons jamais de nos séances après coup." Et toujours avec la même douceur dans la voix:
-"Je t'avais également dit que le périple qui t'attendait tout le long de cette aventure serait long et très difficile. Il sera jalonné d'épreuves qui te mèneront à repousser encore et toujours tes limites. Tu arrives maintenant à la croisée des chemins. Je suis subjuguée, mon beau camarade, quand je vois la force et la vigueur que tu déploies lors de toutes ces batailles que tu livres pour moi. Il va te falloir choisir entre la route que tu empruntais jusqu'alors et le sentier escarpé qui te mènera jusqu'à moi. Pierre va t'appeler très vite pour te parler de ses projets pour toi et rien ne me ferait plus plaisir que de t'avoir plus souvent avec moi. Je crois que tu devrais appeler ton boss et te libérer tout de suite puisqu'il est d'accord. Repose-toi un peu maintenant et seulement après, tu prendras connaissance du mail que tu as reçu." un petit clic désagréable vient clore ce monologue. Elle est déjà reparti quand moi, je serais bien resté là à boire ses paroles pendant des heures. Pendant tout ce temps, je me suis senti comme sous perfusion d'un délicieux anti-douleur que j'appelais de tout mon être depuis longtemps déjà. Apaisé, je n'ai plus la force pour l'instant de songer à quoi que ce soit et m'enfonce profondément dans un sommeil ô combien réparateur.
J'ai dormi toute la journée et le soleil déclinant va bientôt disparaître derrière la haute haie de cyprès italiens au fond de mon terrain. La sonnerie de mon portable me fait me redresser avant de prendre l'appel:
-"Bonjour, Jo." je reconnais la voix de Pierre. "Je ne vais pas t'ennuyer longtemps, ton boss t'ayant expliqué je crois l'essentiel de l'affaire..." et il continue en m'expliquant qu'il veut faire de moi officiellement son bras droit dans la compagnie. Il me rassure en me disant que je n'aurai pas plus de travail que cela à faire, le but du jeu étant avant tout de passer un maximum de temps avec Karine. J'aurai tout au plus comme lui, de temps en temps, une mission à assurer pour ne pas trop perdre le rythme m'indique-t-il en riant. Le salaire proposé est hallucinant et j'aurai la chance de choisir ma voiture de fonction dans son garage personnel lors de notre prochaine rencontre.
-"Alors, Qu'est-ce que tu en dis, Jo?... Jo, tu es toujours avec moi?" Je ne sais pas quoi dire. J'ai soudainement cette même impression que j'avais ressenti lors de ma visite du grand canyon, il y a quelques années en Arizona, celle où je me sentais dominer le monde et en même temps être un minuscule grain de sable brûlé par le soleil. je sens comme à ce moment-là les larmes me monter aux yeux, moi le costaud qui a des milliers de kilomètres au compteur, qui disait à qui voulait l'entendre qu'il en avait vu des vertes et des pas mures durant sa carrière, là je ne peux que maladroitement articuler:
-" Ecoute Pierre... bien sûr... oui... c'est... c'est d'accord.
-Merveilleux! Tu ne peux pas savoir la joie que me procure ta réponse. Alors, on se voit bientôt."
Et voilà, deuxième KO en moins d'une semaine. Mais cette fois gros, tu vas me faire le plaisir de reprendre les choses en main, il est temps! me dis-je d'un air décidé. Pour commencer, douche glacée, ça te remettra les idées en place. Et c'est vrai qu'elle me fait un bien fou. Je me sèche et avant de m'asseoir devant mon PC, un café et une cigarette dans le canapé. Et d'un coup, je me prends à rêver sur mon futur qui s'annonce désormais torride et... riche! Putain, je vais vraiment gagner du pognon cette fois et je comprends mieux pourquoi mon boss disait que c'était trop pour lui. Je crois avoir un certain goût pour les belles choses et maintenant, je vais avoir la possibilité de m'en offrir quelques unes, pourquoi pas? Oh oui, une toile, Guillaumin, Cassatt ou même Monet. L'impressionnisme, j'adooore l'impressionnisme. Et me voilà soudain déguisé en Perrette et son pot au lait. Je finis par en rire tout seul. Maintenant, il est temps de prendre connaissance du mail que j'ai reçu. L'écran de mon PC affiche la missive et... Seulement quelques mots d'une écriture sèche et froide comme la banquise au plus profond de sa nuit interminable: "Tu la choisiras en tout point différente de moi et me l'offriras en images que tu me remettras lundi, 10h au domaine." Deux jours? Mais comment je fais en deux jours? J'ai eu il est vrai quelques aventures après mon divorce, mais je suis loin d'être un Don Juan et de plus je ne me trouve pas non plus spécialement canon! Sûrement pas pour arriver à séduire et encore moins soumettre une fille en... deux jours! Et puis mon goût pour les belles choses, au placard! C'est la panique totale! Comment elle dit la fable? "adieu veau vache cochon". C'est ça gros, t'y auras juste goûté à tout ça et basta! Mais non, pas de marche arrière, c'est trop tard, une idée, trouve une idée! D'accord. Bon, PC, Google, Tape
célibataire. Bof, pas grand chose; des liens divers vers des sites de rencontres pseudo gratuits, les éternels sites de cul qui vont avec. Rien! Ok, ajoute Finistère. Bingo! je tombe sur le lien d'une association qui permet à des célibataires de partager loisirs détente voir plus si affinités en toute décontraction et convivialité. Une rapide visite du site, ça m'a l'air de convenir parfaitement comme terrain de chasse pour le prédateur que je vais devenir. Une rapide inscription gratuite, confirmation et je consulte le programme du week end. Génial, comme tous les vendredis soirs, pot de bienvenue pour les nouveaux adhérents et soirée dansante à l'issue de celui-ci annimée par dj machin. Tu m'étonnes! La cotisation, faut bien qu'ils la récupèrent à un moment ou à un autre. D'un autre côté je me dis que 300 à l'année, va peut-être pas y avoir trop n'importe qui et que le tri me sera de cette façon facilité. N'oublie surtout pas gros que tu es pressé. Le temps de passer un petit Lacoste blanc, jean Casual Fit, mes Calliere fétiches, un cuir mi-saison , un peu de cash, mon portable et à l'attaque.
(à suivre...)
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