Talons
Talons
(histoire vécue ; printemps 2013)
Clic, clac, clic, clac
la rue est quasi déserte en cette matinée de printemps et il me semble quon entend queux. Je suis rue de lUniversité à Paris, présentement chaussé de souliers rouges et noirs à talons hauts et je me dirige vers la musée dOrsay. La rue longe larrière de lAssemblée nationale et je vais devoir passer devant les sentinelles de la Garde républicaine de faction à lentrée du bâtiment. Je songe à changer de trottoir mais je me dis que ce serait une reculade et que ce mouvement illogique attirerait peut-être même lattention.
Clic, clac, clic, clac
javance le regard droit devant moi, isolé dans ma bulle de soumission. Le garde ne peut pas ne pas remarquer cet homme habillé normalement mais dont la démarche est particulière et résonne sur le trottoir. Je suis cet homme et jobéis à ma Maîtresse Niva qui ma prescrit une virée parisienne en talons hauts.
Retour en arrière. Je me revois à Montréal trois mois plus tôt. Avec ma Maîtresse qui conduit, nous roulons prudemment dans la ville fortement enneigée par une récente tempête. Notre but : une boutique nommée «Chaussez en grand» sise rue Saint-Hubert et vouée à loffre de chaussures pour des tailles inusitées. Quand nous y entrons, je suis frappé par lapparente normalité des lieux, clairs et colorés : une rangée de rayons présentant des modèles masculins au-delà de la pointure 45, une autre parallèle pour des femmes aux grands pieds qui ne se résignent pas à ne porter que des baskets ou des mocassins
Le vendeur moriente vers la première rangée, je respire un grand coup et je lui explique que non, ce sont les chaussures de femmes qui mintéressent et que cest pour moi. Ma demande est reçue comme si cétait la chose la plus naturelle du monde et la familiarité chaleureuse québécoise aidant, je peux essayer le modèle repéré sur le catalogue en ligne, une paire de délicieuses bottines victoriennes noires à talons, point trop hauts pour un début, point trop bas néanmoins pour flatter le désir de ma Maîtresse de faire de moi sa soubrette.
Ces bottines, je les étrennerai dans lintimité de lappartement de ma Maîtresse et pour la première fois jéprouverai cette sensation de basculement du corps, quand je me relève après les avoir chaussées. Pour mes premiers pas, je ne men tire pas mal. Et cela réjouit Niva qui massure avoir plein de projets en la matière
Reste que lhiver très neigeux et verglacé de mon séjour nest pas propice à lusage extérieur de mes jolies bottines. Je ne perdrai rien pour attendre.
De retour en France après ces jours divresse, ma Maîtresse et moi labourons activement le champ de mes défis de féminisation. Je devrai accomplir seul des étapes, puisque locéan nous sépare mais un usage intensif de la Toile nous relie constamment dans la poursuite de nos objectifs. Celui-là est clair : je dois avant fin avril avoir acheté une paire de souliers à talons hauts que je porterai à plusieurs reprises dans Paris. Pas question de recourir aux boutiques discrètes de vente en ligne qui proposent des chaussures «différentes» : je dois trouver un vrai magasin et relever le défi d'un achat à découvert, comme sil sagissait dun banal achat de chaussures.
Nous avons, ma Maîtresse et moi, longuement «magasiné » en ligne avant didentifier le lieu adéquat et de trouver un modèle seyant et dun prix abordable, car les fantaisies mêlant le bdsm et les chaussures se paient cher.
Cest ainsi que je me suis trouvé devant une boutique dallure modeste de la rue de C
, dans le nord de Paris cest le quartier de Barbès-Rochechouart, populaire et coloré, débordant de magasins bon marché. Le magasin sappelle «S
», il est petit et rempli de cartons. Rien à voir avec le bel espace montréalais de «Chaussez en grand».
Mes premiers pas dehors seront épiques. Je suis seul et les sensations éprouvées nont rien à voir avec celles de la douce intimité de lappartement de ma Maîtresse. Jai limpression que je vais maffaler sur le bitume et jhésite longuement avant de traverser ma première chaussée. Je dois être le point de mire des passants mais rien ne saurait matteindre. Pour parfaire mon initiation, une violente giboulée éclate et je dois me réfugier dans un bistrot africain bondé, où un jeune Américain me fera la conversation, sans que je puisse deviner sil a remarqué ma nouvelle allure.
Ces sourires explicites, je les glanerai au fil de mes promenades parisiennes. Un jour, ce sera dans le Marais, le fief du Paris gay : une toute jeune fille marchant derrière moi, minterpelle : oh ! les jolies chaussures
Cest parfaitement intéressé car celle qui se décrit comme une petite lesbienne en précarité veut me placer une plaquette de poèmes militants homosexuels. Je la lui achète mais la détrompe gentiment sur mon orientation sexuelle supposée et lui signale que je me situe plutôt dans le registre de la soumission. Sourire chaleureux de la demoiselle qui na pas vingt ans et que rien ne semble devoir surprendre sur ce terrain.
Un autre jour, ce sera laccueil gentiment amusé des employées vietnamiennes de longlerie où jai mes habitudes. Elles me connaissent, cela fait des mois que régulièrement et sur ordre de ma Maîtresse, je vais me faire vernir les ongles des mains en noir, rouge, bleu
avec mission de les garder pour la journée et de les exhiber dans divers lieux de la capitale. La discrétion asiatique est de mise, mais je sens nettement cette gentille familiarité née avec lhabitude devant ma nouvelle prestance quand jentre dans leur établissement. Ce jour-là, elles me verniront les ongles en un superbe rouge vif, assorti à mes chaussures. Evidemment, elles ne peuvent manquer mon collier de soumis en acier fermé par un cadenas, ni la chaîne elle aussi cadenassée qui entoure mon poignet. Elles ne savent pas encore quaprès les avoir quittées, je peindrai mes lèvres en un rouge voyant, un autre défi, toujours pour complaire à ma Maîtresse et réaliser ses désirs de faire de moi «sa petite pute» parisienne.
Un autre sourire récent, celui-là. Un musée parisien, un de ses établissements ignorés et tranquilles qui expose des toiles du peintre symboliste J-J.Henner. Il est installé dans un hôtel particulier de la plaine Monceau et sitôt entré, je réalise que sur les beaux parquets des salles, on entendra mes talons comme jamais. Cest le cas et cela me vaut la présence des gardiennes qui, à tour de rôle, viendront étancher leur curiosité pour ce visiteur étonnement bruyant. Que vais-je dire, si une madresse la parole et me questionne sur mes chaussures ? Que cela ne la regarde pas et que rien ne linterdit ? Que je me livre à une expérience «sexe et genre en milieu urbain» pour ressentir ce que vivent les femmes chaussées de talons ? Que jai relevé un pari stupide ? Que je fais cela pour obéir à ma Maîtresse et que cela me rend profondément heureux ? Mais même lorsque je questionnerai une gardienne présente sur la possibilité de photographier un tableau, léchange ne débordera pas sur sa muette curiosité. Cest seulement un chaleureux sourire qui accompagne sa réponse ; je finirai presque par regretter cette réserve
et je méloigne, martelant de mes talons les marches lambrissées de lescalier du musée. Clic, clac, clic, clac
Le soumis de Niva
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