Petits S Entre Conjoints 2 - Abigail Et Richard

Abigail Johnson sirote sa Piña Colada en se disant qu’elle aurait mieux fait de commander une Margarita.

Elle est installée sur la terrasse de l’hôtel Tonton Macoute, qui domine la baie de Port-au-Prince.

Haïti n’est pas l’escale rêvée pour un bateau de croisière tel que le Bellissima of the Seas.

L’île, sur sa partie haïtienne, n’est pas vraiment touristique. L’hôtel Tonton Macoute est un des rares établissements de standing du secteur. Il se trouve sur les hauteurs de la ville.

La grande majorité des touristes du Bellissima ont préféré rester à bord pour profiter des infrastructures et activités offertes par le navire : piscines, casino, cinéma, soirées dansantes, buffets débordant de nourriture et tutti quanti. Heureusement, car il ne restait que quelques chambres disponibles seulement au Tonton Macoute.

Abigail, elle, a souhaité descendre sur la terre ferme.

La croisière avait commencé sous les meilleurs auspices à Miami. Ils ont rejoint Nassau aux Bahamas, puis les Îles Turks et Caïques, puis Antigua et Barbuda, ont suivi la Barbade, les îles Grenadines ainsi que Trinidad et Tobago, ensuite, ils devaient remonter vers la Jamaïque, contourner Cuba et revenir à Miami.

C’est entre Trinidad et Tobago et la Jamaïque que le Bellissima of the Seas a dû changer sa route et accoster à Port-au-Prince, afin d’éviter la tempête tropicale Cindy-Kimberley, apparemment, assez virulente.

Abigail est morose. Port-au-Prince, quel trou. Elle est en train de se dire que ça a l’air beau, mais parce qu’on est loin, qu’on est en hauteur et qu’on voit la mer. C’est trompeur, de près, c’est moche et sale. De plus, la ville n’est pas sûre, on lui a déconseillé de sortir après le coucher du soleil. D’ailleurs, sur le trajet entre le port et l’hôtel Tonton Macoute, elle a surtout vu des cahutes sans intérêt. Rien à voir ici. Si elle avait su, elle serait restée sur le rafiot.



Si Abigail a choisi de venir à Port-au-Prince, c’est surtout pour suivre John Robinson, le troisième officier de bord qui devait accompagner les passagers souhaitant descendre à Haïti. Accessoirement, John lui servait d’amant entre deux escales, depuis la traversée entre la Barbade et Trinidad et Tobago.

En dehors de cela, Abigail a fait « son marché », à chaque île visitée à la recherche de quelques vigoureux jeunes hommes autochtones, nombreux à la descente des bateaux, attendant les riches américaines comme elle. Elle a encore en mémoire Antigua. Enfin façon de parler, vu qu’elle n’a pas vu grand-chose de l'île, puisqu’elle a passé le temps de l’escale chez un jeune caribéen gâté par la nature.

Après tout, c’est bien de la faute de Richard son mari, tout ça. S’il l’avait accompagné, comme prévu pour cette croisière, sûrement qu’elle n’aurait pas eu ces aventures. Enfin, pas toutes du moins.

Mais voilà, une fois de plus Richard a annulé au dernier moment. Trop de travail, paraît-il.

Paraît-il !

« Mon œil, trop de travail … Il n’avait pas envie de faire cette croisière avec moi. Ça tombe bien, moi non plus. Connard !» se dit Abigail en attaquant la Margarita qu’elle venait de commander pour faire suite à sa Piña Colada et en regardant les fesses du jeune serveur haïtien repartant vers le bar.

Elle a passé sa langue sur le bord du verre et sur le sel givré autour, puis sur ses lèvres.

« Finalement, cette escale dans ce trou va peut-être finir par être sympathique » se dit-elle en observant le jeune homme essuyer le dessus du bar.

Puis :

« Con de Richard, qu’il meurt étouffé avec tout son fric, moi j’en profite ! Je profite de la vie. J’ai 40 ans, dans 10 ans ça sera trop tard».

Elle allait rappeler le serveur, quand voilà cet idiot de John Robinson qui débarque avec cette pétasse de Deborah Turner.

« Je suis sûre qu’il se la baise aussi cette conne.
En plus son mari est à bord à cette chaudasse ».

- Ah très chère Abigail, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle à vous annoncer, par laquelle je commence ?

« Qu’est-ce que j’en ai à faire de tes nouvelles à la con » a maugréé intérieurement Abigail

- Commencez donc par la mauvaise … Au point où on en est !
- Eh bien, la tempête tropicale Cindy- Kimberley vient d’être reclassifiée en ouragan
- Ah ? Et ?
- Eh bien, l’escale en Jamaïque est impossible. Nous reprenons la mer demain matin. Nous levons l’ancre à l’aube et retournons à Miami directement ensuite.

La déception s’est marquée sur le visage d’Abigail qui se faisait pourtant une joie de tester les jamaïquains.

- Mais n’ayez crainte, la compagnie remboursera les passagers, bien évidemment
- Bon, et la bonne nouvelle alors ?
- Eh bien, ce soir, nous organisons une sortie dans les terres pour les passagers, sans sus, cadeau de la compagnie ! Et ce, afin d’assister à un rite Vaudou.
- Un rite Vaudou ? Quel intérêt ?
- Voyons ma chère, c’est typique, c’est authentique ! Il ne faut pas rater ça. D’ailleurs Déborah ici présente, se fait une joie d’y aller !
- Tout à fait, je suis toute excitée à l’idée d’accompagner John dans cette folle aventure !

« Mais quelle salope, toujours prête à minauder autour de John. Sûrement qu’elle a la chatte en feu encore»

Jetant un regard vers le jeune serveur, puis vers Déborah, puis vers John, Abigail semble peser le pour et le contre. Le jeune serveur présente de nombreux avantages et doit receler plein de promesses, sûrement. Néanmoins, hors de question de laisser le champ libre avec John à cette pouffiasse de Déborah Turner. Plutôt être transformée en vierge effarouchée !

- Et qui participe à cette … sortie, comme vous dites ?
- Eh bien, pour l’instant seulement Déborah et moi.
Et vous, bien sûr Abigail, si vous le souhaitez
- Je viens !

Déborah Turner pris un air déçu.

« Peut-être qu’en rentrant de cette connerie de sortie, le serveur sera encore de service ! »


Ils sont montés tous les trois dans un minibus conduit par un haïtien rabougri et à l’air complètement abruti, selon Abigail.

« Ça promet » grommelle-t-elle intérieurement.

A bord, Deborah pétassait, John étalait sa science et Abigail fulminait en regardant défiler les cabanes des bidonvilles de la banlieue de Port-au-Prince.

« Magnifique ! J’aurais mieux fait de me commander une autre Margarita bien tassée et de me taper le serveur. En plus, peut-être qu’il a un copain disponible aussi ce serveur … »

Puis :

« Et dire que j’ai loupé un plan-cul avec un ou deux jeunes hommes sûrement bien membrés et endurants. Tout ça, pour entendre les jacassements … Non, jacasseries ! de cette conne de Déborah Turner. Et l’autre con de John, débiter (débiter, joli verbe !) ses platitudes. Au moins, les jeunes haïtiens, on ne parle pas la même langue. On est moins déçu et surtout, ce n’est pas ce que je leur demande de me faire la conversation ».

La campagne haïtienne s’étale maintenant sous leur yeux :

« De pire en pire, en pleine cambrousse maintenant ! Non mais quel trou ! Pire que l’Arkansas ! Et pourtant, l’Arkansas … »

Ils arrivent dans un village. Enfin, un village … Un conglomérat de cahutes plutôt, se met à penser Abigail.

Un peu à l’écart du village, se trouve une cabane de rondins avec un toit de palme. C’est là que le minibus s’arrête :

« De mieux en mieux » se dit Abigail en descendant du véhicule, le nez pincé.

« Et cette odeur … On se croirait vraiment chez les ploucs … au pire endroit de l’Arkansas ! Dans le trou du cul du monde, vu l’odeur … ».

Une vieille haïtienne légèrement bossue, vêtue d’une robe rapiécée à plusieurs endroits, sort de la cabane :

- Entrez dans mon humble demeure, dit-elle en désignant la porte.


« Ça sent l’arnaque ce truc » se dit Abigail.

Ils soulèvent un rideau à la propreté douteuse pour pénétrer dans la cabane. A l’intérieur, c’est sombre et il n’y a quasiment pas de meubles. Au milieu de la pièce, à même le sol, on trouve juste quelques pierres posées en cercles et entourant un tas de cendres :

- Asseyez-vous, dit la vieille

Abigail cherche du regard une chaise :

- Non, par terre, devant le foyer.

Les trois américains se sont assis en tailleur sur le sol en rang d’oignons. La vieille fait de même en face d’eux. Elle entasse des brindilles, de la paille et allume le feu.

Les yeux d’Abigail s'habituent à la semi-obscurité. Elle distingue maintenant, à côté de la vieille, une cage posée avec à l’intérieur un poulet :

« Et vas-y, tout le folklore est en place, c’est pas possible, quelle escroquerie. Elle ne va pas tarder à nous demander un petit billet, j’en suis sûre. Et dire que je devrais être en train de me faire prendre par un jeune gars viril, voire par deux jeunes gars virils»

- Nous allons attendre que le feu prenne et que la nuit tombe, dit la vieille, les esprits ne viennent pas quand il fait jour.

« Mais bien sûr … Et la marmotte, bla-bla-bla … »

- Je vais invoquer les « Guédé », les esprits de la mort. Le Baron Samedi et Maman Brigitte, sa femme, mais aussi surement que le Baron Kriminel, viendra aussi …

Je préviens, les « Guédé » sont une famille bruyante, grossière, mais ils sont tout de même bienveillants. Ils aiment rire et s’amuser, mais ils sont aussi très portés sur le sexe. Que la cérémonie commence, dit-elle en jetant une poignée de plantes séchées dans le feu.

Une fumée opaque se met à envahir la cahute. Ça pique les yeux, ça trouble la vue.

« Ça donnerait presque envie de gerber, si au moins on avait eu la chance de manger quelque chose de potable depuis qu’on est à terre ».

La vieille femme se met à marmonner des paroles incompréhensibles. Sa voix s'élève, elle psalmodie comme une incantation maintenant. Elle se met à faire osciller son corps rabougri d’avant en arrière. Elle perd l’équilibre et se retrouve allongée sur le dos à même sol de la cahute. Elle a quelques convulsions nerveuses.

« Finalement, elle joue plutôt bien la comédie la vieille »

La fumée était de plus en plus épaisse. Abigail, maintenant, distingue à peine la vieille trembler de tout son corps. Elle pousse des cris, la bave coule sur son menton. Elle est en transe.

D’un seul coup, ses yeux se révulsent et elle s’écrie :

- Et voici les « Guédé »

Puis :

- Bienvenue à toi, Baron Samedi, esprit de la mort et de la résurrection.

Devant les flammes du feu est apparu ce qui semble être un homme de haute taille, mince, portant un chapeau haut de forme et un costume genre smoking élimé de partout, noir et violet. Son visage est couvert par un masque de tête de mort, arborant un rictus. Sous sa veste de smoking, il porte un haut et un pantalon noirs, près du corps, où sont imprimés en blanc les os du squelette humain.

- Et voici Maman Brigitte, esprit de la mort, celle qui boit du jus de piment, du venin de serpent et de poulet.

A côté de celui qu’Abigail prend pour le Baron Samedi (c’est sûr maintenant, ce ne sont plus des hallucinations due à ces plantes qui brûlent, mais la simple vérité, elle en est persuadée) est apparue une femme mince aussi et de haute taille. Elle est attifée à peu près comme le Baron Samedi son mari, sauf qu’à la place du smoking, elle porte une robe rouge et noire laissant voir ses cuisses. Elle a le même haut de forme et le même visage de tête de mort ricanante que son mari. Elle tient à la main un long bâton torsadé qu’elle porte comme un sceptre, surmonté d’un crâne de bouc. Pour compléter le tout, un serpent est enroulé autour de son avant-bras.

- Enfin, voici le Baron Kriminel, vengeur, juge et punisseur des morts

Une troisième forme se matérialise à côté des autres, tout aussi ricanante. Il est torse nu lui et porte juste un pantalon déchiré. Un chapeau melon sur la tête d’où débordent de longs cheveux blancs, tressés en ce qui ressemblait à des dreadlocks. En pendentif, il a sur le torse les os d’une main humaine et il tient sous son bras gauche un grand livre, manifestement ancien, relié de cuir, avec des runes et des symboles, sûrement magiques, sur la couverture. Ses dents serrent un gros cigare fumant.

Abigail les observe tous les trois. Ils sont impressionnants, et leur présence ici, qui aurait pu sembler impossible pour son esprit d’habitude si rationnel, semble une évidence. Malgré leur aspect peu rassurant, elle n’a pas peur.

Les trois « esprits », puisque a priori, s’en étaient bel et bien, devisent ensemble dans un langage incompréhensible. Ils semblent plaisanter et des rires ou des ricanements entrecoupent leurs échanges.

Maman Brigitte désigne du doigt les trois américains, toujours assis en tailleur devant le feu. Abigail ne comprit pas ce qu’elle dit, mais ça fit bien rire les deux barons, surtout Kriminel qui s’est penché en avant en se tapant la paume contre le genou, le visage hilare.

Le baron Samedi, campé devant Abigail, ouvre son pantalon et en extirpe (avec difficulté), son sexe en érection :

- Nom de dieu, se dit Abigail, c’est impressionnant !

C’est plus long que gros en fait. D’une circonférence, on va dire « normale », l’engin est somme toute, très très long.

« Combien ?» se demanda Abigail

Compliqué à déterminer. Puisque les mecs aiment exprimer le plaisir qu’ils donnent en centimètres, on va dire 25 ! Non 28 ! Pas 30 tout de même.

« Oups » pense Abigail avant de le prendre dans sa bouche (pas entièrement) et de le sucer.

« Ohhh par tous les diables et tous les esprits vaudous, que c’est bon ! On le sent sur les gencives le truc, ça vous démonte le palais et la glotte, mais quel pied !! »

« Jamais eu un truc pareil dans la bouche » se dit-elle.

« Enfin la dernière fois, ça doit remonter au 20ième siècle … ».

Le baron Samedi repousse Abigail et l’allonge sur le dos, il lui lève les jambes, déboutonne le short court qu’elle porte, ôte la petite culotte en dentelle qui se trouve dessous :

« Il ne va pas me … Mais si, il le fait … ».

« Il ne va pas me le mettre dans … » un peu horrifiée tout de même, puis « Mais si, il va me le…. », et enfin, « … jamais connu ça ! Ouh, on le sent passer, quel gourdin».

Abigail jette un regard aux deux autres, qu’elle a un peu oublié.

Déborah est à quatre pattes sur le sol, la jupe remontée au-dessus des hanches. Le Baron Kriminel la prend en levrette. Elle pousse des petits couinements suraigus. Apparemment, celle de Kriminel est courte mais très volumineuse.

« Ça doit être bien aussi …» se dit Abigail.

John, quant à lui, est allongé sur le dos. Maman Brigitte, la jupe retroussée et les seins à l'air, le chevauche. Elle donne des grands coups de bassin d'avant en arrière en ricanant et en se pinçant les tétons. John a la bouche grande ouverte et tente d’aspirer des goulées d’air entre deux coups de reins.

Le regard d'Abigail se positionne sur les petites fesses café au lait de Brigitte en train de s’agiter de haut en bas et sur la bite de John, qui apparaît et disparaît au rythme du pilonnage.

« Joli cul, la fille » se dit-elle un peu envieuse.

Maman Brigitte entre deux rictus, porte à ses lèvres le goulot d’une bouteille contenant un liquide marron clair où flottent plusieurs piments entiers.

Elle pose la bouteille et toujours en chevauchant le pauvre John qui respire à peine, att le poulet dans la cage, un coupe-chou qui traînait là et tranche le cou de la pauvre bête. Elle fait couler le sang de l’animal sur sa bouche et sur sa poitrine.

Le Baron Samedi accentue le pilonnage en règle sur Abigail. Les vagues de plaisirs montent dans son ventre et explosent d’un seul coup.

« Putain d’orgasme, je n’ai jamais joui comme ça … pas possible … C’est des coups à y rester … », telles furent ses dernières pensées … avant de s’évanouir.


Abigail reprend conscience doucement.

Plus de fumée dans la cabane, il ne reste plus que quelques braises dans le feu.

La vieille est assise en tailleur devant le foyer.

« Combien de temps, je suis restée évanouie ? » se demande-elle en se relevant encore un peu groggy.

A côté, Déborah et John émergent doucement, eux aussi.

La vieille ricane et leur dit :

- Alors, votre petit voyage au pays des esprits a été agréable ?

Elle désigne un petit objet au milieu des cendres. Une sorte de poupée faite de cire, de bouts de bois et de chiffons.

- Les « Guédé » ont laissé ça pour vous … Une poupée d'envoûtement. Ça représente l’esprit d’une personne. Avec ça, vous pourrez lui jeter des sorts. Les actions sur cette poupée auront des effets sur la personne que vous choisirez, à travers la poupée d'envoûtement. Dans la pratique de la magie Vaudou, la poupée est piquée d’une aiguille. La personne visée souffrira aux endroits où la poupée a été atteinte.

Elle laisse planer un long silence, afin que les esprits des trois américains s’imprègnent bien de ce qu’elle venait de dire :

- Il n’y en a qu’une, qui la veut ?
- Moi, s’est écrié Abigail, avant que les autres ne s’expriment
- C’est 50 dollars M’dame, dit la vieille avec un grand sourire édenté.

Elle ajoute :

- Dollars, euros, yens, on évitera les livres sterling, depuis le brexit … Visa ou American Express, aussi.

Abigail ne sait pas trop pourquoi elle veut cette poupée. Peut-être pour se remémorer le rêve qu’elle a fait. Surement que ces plantes étaient légèrement hallucinogènes. En tout cas, ça restera un sacré rêve et un bon souvenir.

Elle tend un billet de 50 dollars à la vieille :

- Faites en bon usage M’dame, dit la vieille en rangeant le billet dans un portefeuille en cuir et en empochant le tout. Ah ! Et n’oubliez pas l’aiguille. Sans elle, ça ne sert à rien. Il faudra, pour que ça marche placer à l’intérieur de la poupée, quelque chose de la personne à envoûter, des cheveux, des bouts de peau ou des rognures d’ongle.


Le lendemain matin à l’aube, Abigail suit les autres américains et remonte sur le Bellissima of the Seas. Le reste de la nuit a été agité. En revenant à l’hôtel, le jeune serveur était toujours là. Il a suivi Abigail dans sa chambre, accompagné du barman qui, ça tombait bien, fermait justement son bar.

Le bateau de croisière a pris la direction de Miami pour échapper à l’ouragan Cindy-Kimberley. Après deux jours et trois nuits de navigation agitées, il est arrivé à bon port.

Abigail est partie aussitôt vers l’aéroport et a pu prendre le premier vol pour Los Angeles.

Dans le taxi qui la ramène de l’aéroport à chez elle, elle repense à cette croisière :

« Pas fâchée de rentrer à la maison. Pas mal les caribéens, mais on se lasse ! »

Bill Graham, son amant officiel, lui manque un peu. Ted le fils des voisins aussi. Et puis, il y a ce mécano chez qui elle a laissé sa voiture en révision le mois dernier et qui l’a prise sur le capot d’une Chevrolet Impala. Elle compte bien lui rendre une petite visite de politesse, peut-être pour tester un capot de Cadillac.

Bon, elle rentre avec deux jours d’avance sur le programme, il allait falloir qu'elle supporte son con de mari plus tôt que prévu, mais tant pis …

« Connard de Richard » pense-t-elle.

Le taxi la dépose devant la villa à Beverly Hill. En remontant l’allée bordée de palmiers, elle pense à Bill Graham et à son engin bien dur.

« A cette heure, ce con de Richard doit déjà être rentré du travail. Je vais devoir le supporter tout de suite en arrivant. Quel calvaire » se dit-elle.

Dans le hall, personne, ni dans le séjour.

« Où il est cet abruti … Bon rien à foutre, mais je vais juste devoir monter ma valise moi-même dans la chambre. Quel con ! Décidément ! »

Arrivée devant la porte de la chambre restée ouverte, elle se fige, bouche bée …

Richard est à poil sur le lit, Lorna sa jeune, blonde et plantureuse secrétaire le chevauche en râlant :

- Oh ouiiii mon choupinet, mon Richardou d’amour, je la sens ta grosse queue dans mon minou. Ouh la la, la queue du gros chat de Richardounet dans le minou de Lorna. Aaaaahhh ouiiii, tu y vas fort mon chou …
- Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries !!!
- Abigail …
- Madame Johnson …
- Je pars en croisière et toi, gros salopard, je me suis à peine retournée que tu me trompes !! Avec cette … cette … cette … créature …
- Ce n’est pas ce que vous croyez madame Johnson, bafouille Lorna.
- Et qu’est-ce que tu crois que je crois ? Hein ?
Bon, je vais descendre au salon … Toi Richard, tu me rejoins …Enfin tu débandes et tu te rhabilles avant hein … On va discuter de tout ça … Crois-moi … Et la pouffiasse à gros seins là, elle dégage !!! Je ne veux plus la voir chez moi !
- J’ai peut-être des gros seins, mais au moins les miens ils sont naturels, pas comme certaines, répond Lorna en regardant Abigail
- Ta gueule, dégage d’ici.

Richard rejoint sa tendre épouse au salon, où elle l’attend en tapotant nerveusement avec ses doigts l’accoudoir du fauteuil où elle est assise :

- Bon, Richard, on va discuter toi et moi, calmement. Inutile de s’énerver … Je ne vois qu’une seule solution, le divorce !
- …
- Je garde la villa, la corvette, tu me verses un capital d’un million de dollars et une rente mensuelle de 10 000 dollars.
- Mais, bien sûr … ricane Richard
- Quoi ? Je rentre deux jours plus tôt que prévu et je te surprends en plein adultère ! Avec ta salope de secrétaire en plus. Cette Lorna ! Quel cliché ! Tu as toujours été un gros con mon pauvre Richard … Mais là … Ça dépasse l’entendement ! Je vais toucher le pactole, crois-moi !! Soit tu acceptes mes conditions, finalement assez sympathiques, vu la situation. Tu noteras au passage que je suis magnanime, soit je te plume complètement devant le tribunal.
- Ma salope de secrétaire et moi on te dit merde Abigail ! On s’aime ! Tu comprends ? Elle est douce et attentionnée, elle.
- Pathétique Richard, c’est ce que tu es … N’empêche que la femme trompée, couverte de honte par son mari, c’est moi !
- Et combien de mecs tu t’es tapée pendant ta putain de croisière là ? Et ce con de Bill Graham, on en parle ? Et le grand benêt de fils des voisins ? Et tous les autres, que je connais ou que je ne connais pas !
- …
- J’ai tout un dossier, des photos, des vidéos, toutes les preuves sur une dizaine d'années. Ça va fortement intéresser le juge ça ! S’il y a une salope ici, c’est bien toi ! Pas Lorna !
- …
- Donc ta rente, ton capital et tutti quanti, tu te les fous au cul ! S’il y reste de la place !
- Bon écoute Richard, trouvons un arrangement.
- Que dalle, on divorce et on part chacun de notre côté. Tiens, je te laisse l’appart à Santa Monica. Oui celui où tu te fais sauter par Bill Graham (et les autres …).
- Reprenons les choses plus calmement Richard, on ne va pas se déchirer, on s’est aimé toi et moi.
- Il y a longtemps alors !
- J’ai un marché à te proposer.
- Un marché ?
- J’ai ramené ça d’Haïti.
- C’est quoi ce machin ?
- Une poupée vaudou.
- Une poupée vaudou ? Et qu’est-ce que tu veux que je fasse de ce truc ?
- Tu me donnes la moitié de ce que l’on possède …
- N’importe quoi, Non !
- Laisse-moi finir, Richard. Voilà le marché. SI je pique avec cette aiguille la poupée envoûtée, tu risques fort de mourir. Donc, tu me donnes la moitié où je pique la poupée.
- Foutaises, tu es tombée bien bas ma pauvre Abigail. C’est ça de se faire baiser par des ringards comme Bill Graham.
- Tu crois ça … Tu devrais au contraire me remercier de te donner une chance de sauver ta peau. Je pourrais te en deux secondes, sans coup férir. Et laisse Bill en dehors de tout ça. Ce n’est pas une lumière, certes, loin de là même. C’est un con, c’est vrai, mais il n’a pas mérité ça.
- Et tu crois m’impressionner avec ta connerie de poupée vaudou ? Tu veux que je te donne la moitié ? Mais tu rigoles ! L’appartement de Santa Monica, c’est déjà énorme !
- Puisque tu n’y crois pas, tu ne risques rien alors ? Vas-y donne-moi une rognure d’ongle ou une mèche de cheveux, qu’on fasse l’expérience. Moi là-bas, j’ai constaté que ça marchait la magie vaudou.

Richard réfléchit trente secondes :

- J’ai les ongles courts, mais laisse-moi deux minutes, je vais dans la salle de bain me couper une mèche de cheveux. Et pour finir, quand tu auras piqué ta poupée et qu’il ne se sera rien passé, tu fais tes valises et tu dégages à Santa Monica, jusqu’au divorce.

Richard est revenu au bout de cinq minutes avec à la main une mèche de cheveux :

- Tiens, qu’on en finisse …
- Qu’on en finisse oui, dit Abigail.

Elle enfonce la mèche dans la cire de la poupée, pétrit et malaxe bien le tout comme lui a expliqué la vieille à Haïti. Elle prend l’aiguille et avec un grand sourire, l’enfonce dans la poupée et la traverse de part en part.

Abigail se fige et pousse un long cri strident. La douleur se lit sur son visage. Elle lâche la poupée et l’aiguille qui tombent au sol. Elle se tient le ventre au niveau du nombril. Là précisément où elle a piqué la poupée juste avant.

Elle s’écroule dans un dernier râlement au sol et après quelques convulsions, son corps est devenu inerte.

Après avoir vérifié son pouls, Richard a ramassé la poupée, l’a observé attentivement et dit :

- Finalement, ça marche ces conneries … J’ai bien fait de me méfier et d’assurer le coup, se dit-il.

En effet, dans la salle de bain, au lieu de se couper une mèche comme il l’a dit à Abigail, il a rassemblé les cheveux de son épouse, enfin de son ex- épouse, pris sur sa brosse à cheveux, il les a taillé à la bonne longueur, pour faire croire que c’était les siens, ils sont bruns tous les deux (enfin, il est brun et elle l’était aussi !), il les a rassemblé en ce qui ressemble à une mèche, qu’elle s’est empressée de mettre à l’intérieur de la poupée.


Le médecin qui a autopsié le corps d’Abigail a conclu à un arrêt cardiaque. Aucune lésion n’était apparente sur le ventre de la morte.


Qui est pris, qui croyait prendre ….



Cette petite histoire est une libre interprétation (très libre), d’une nouvelle d’un auteur américain, Fredric Brown (oui Fredric et non pas Fréderic), tirée d’un recueil paru en 1958, Lune de Miel en Enfer.

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