Troubles (Épisode 1)

La pluie continue de battre contre la baie vitrée. Je remets une buche dans l'âtre. Les flammes la lèchent. Elle crépite. Je me rassois. Je me plonge dans le spectacle du feu de cheminée en écoutant mon frère, Éric, me raconter ses dernières vacances à la montagne. Dans la cuisine Isabelle, sa femme, s'activer pour préparer le diner. Dans un moment Frederic, mon neveu va arriver avec sa petite amie. Un grand week-end en famille.

J'habite chez mon frère depuis mon divorce. Pour être précis, je vis dans sa résidence secondaire au bord de la mer. Il vient de temps en temps le week-end. Moins pour profiter de la plage que pour me tenir compagnie. Il joue les grands frères. Il a dix ans de plus que moi. Il s'inquiète de me savoir seul, en plein hiver, dans sa grande maison. J'ai beau lui dire que je fais bien. Que j'aime cette solitude. L'ambiance de cette station balnéaire déserte. Il ne veut pas me croire.

Il ne peut pas comprendre que si Sophie et moi avons divorcé ce n'est pas un drame. Nous nous sommes mariés trop vite. Trop jeune. Très vite nous n'avons plus rien eu à nous dire. Notre couple a viré à la colocation cordiale. Nous séparer était la meilleure solution. Éric ne comprend pas. Mais ne me juge pas. Il me soutient et me prête sa maison.

Isabelle est venue nous rejoindre dans le salon. Elle me sourit. Se blottit contre Éric. J'ai longtemps rêvé de former un couple comme eux avec Sophie. Ils sont toujours complices. Toujours amoureux. Le temps ne semble pas avoir usé leur amour. Il l'a juste transformé. Fait évoluer. Éric parle. Elle l'écoute. Vraiment. Pas d'une oreille distraite en faisant autre chose. En pensant à autre chose.

Sophie et moi étions ainsi au début. Complice. Attentif à l'autre. Puis tout s'est effiloché avec le temps. Même notre harmonie sexuelle a disparu. Avant nous vibrions à l'unisson. Nous faisions l'amour et baisions en même temps. J'avais avec elle découvert le véritable sens de faire l'amour.

Cela ne dura qu'un moment. Pas longtemps. Son boulot l'accapara de plus en plus. Elle rentrait de pus en plus fatigué. Nos corps ont été les premiers à s'éloigner. Avant que d'un commun accord nous ne liquidions ce mariage avant sombrer avec lui.

Nous nous chauffions au feu de bois en attendant de passer à table. Il ne manquait plus que mon neveu. Je proposais d'ouvrir une bouteille en l'attendant. Ma proposition fut accueillie avec enthousiasme. Le bouchon à peine retiré, Frédéric poussa la porte. Emmitoufle dans son gros manteau, il dégoulinait sur le tapis de l'entrée. Derrière lui Juliette, son amie. En la découvrant, je manquais de peu de faire tomber la bouteille que je venais d'ouvrir.

Bien entendue elle était jeune. Bien entendu elle était belle. Même transi de froid, les cheveux gouttant de pluie. Ce qui me troublait au point de risquer de briser une bouteille de haut médoc sur le plancher, c'était sa ressemblance avec l'une de mes premières petites amies.

J'avais 17 ans. Elle aussi. J'en avais rêvé tout au long de l'année scolaire. Émilie n'était pas la plus belle fille du lycée. Elle l'était à mes yeux. Rousse, la peau couverte de tache de rousseur. Les yeux verts. Grande. Fine. J'osais à peine lui adresser la parole. Pourtant, par je ne sais quel miracle, ce fut, comme l'a chanté Brassens, la première fille que j'ai prise dans mes bras. La première que j'ai vue nue. L'été de notre bac. Chez ses parents. Une après-midi de canicule. Accable de chaleur. Avachi sur les transats de la terrasse nous avons commencé a nous embrasser, nous peloter. Déjà presque nus, il ne nous fallut pas longtemps pur l'être complètement. Elle rit en découvrant mon sexe dresse, gorgée de désir. Elle me demanda la permission de le toucher. Permission que je lui accordais bien volontiers. En retour elle me laissa passer mes doigts dans sa toison rousse, lumineuse sous le soleil brulant de cet été. Abandonnant la terrasse nous avons cherché un peu de fraicheur dans sa chambre. Elle s'allongea sur son lit. M'invita à la rejoindre. Je me couchais sur elle. Hésitant sur les gestes à adopter, nous continuames à nous caresser. À nous embrasser. Sans rien brusquer, sans nous presser, nous nous sommes dirigés vers ce que nous attendions tous les deux. Je rentrais en elle. Découvrais la félicité du sexe féminin. Sa douceur. Sa chaleur. Sa moiteur. Elle cria, versa une larme quand je déchirais son hymen. Je voulus me retirer. Elle me retint. Du reste de cette première expérience, je me souviens de la tendresse de nos gestes. De ses lèvres qui quand elle n'embrassait pas me murmuraient des mots doux. De mon orgasme. Le premier partage. Le premier dans un sexe féminin. Nous sommes restes l'un dans l'autre longtemps après que je sois venu. Nous touchant du bout des doigts.

Nous nous sommes aimés tout l'été. Avant que nos routes se séparent. Je ne l'ai jamais revu. Je n'ai jamais eu de nouvelle d'elle. Et ce soir, plus de dix ans après que nous nous soyons dit une dernière fois au revoir, je la revoyais. Ou du moins une copie quasi parfaite. Ce n'était pas une photocopie. Çà et là je découvrais des différences. Le nez. Les mains. Moins de taches de rousseur. Un peu plus grande. Je passais le reste de la soirée à chercher des différences. Et a envier mon neveu de pouvoir la toucher, l'embrasser.

à suivre...