Mon Maître
Nous sommes début mai. Mon déménagement est assez animé car les deux appartements du rez-de-chaussée sont vidés le même jour. Deux semaines après, c'est au tour de celui juste en-dessous du mien d'accueillir "Madame sans gêne".
Elle n'a pas d'éducation, pas d'horaire et trop d'amis. Des gens à son image qui ne comprenne pas, eux aussi, quand je descende, parfois tard dans la nuit, leur demander de baisser la musique.
Les semaines qui suivent tournent à l'affrontement. Je préviens l'agence immobilière. La réponse est molle. Réaction paresseuse aussi de la police qui se déplace quand-même une fois. Elle recommence bien vite et je reprends mon chemin de croix. L'agence, qui pense avoir VRAIMENT fait le nécessaire en lui rappelant ses obligations avec un simple courrier (que j'ai retrouvé dans la poubelle
pas ouvert), les flics qui ne se déplaceront plus (même en cas d'homicide ?), mes recommandés qu'elle ne va pas chercher, le médiateur dont "elle n'a rien à péter"
Puisqu'il le faut, me voilà engagé dans une procé-dure. Mon avocat pense que parmi les éléments de preuve à produire, un constat d'huissier serait du meilleur effet.
L'entreprise pour laquelle je travaille fait régulière-ment appel aux services d'un des plus beaux représen-tants de cet ordre sur l'agglomération. Ce qui définit le mieux cet homme, c'est son charisme, qui émeut beau-coup de femmes au bureau.
Je viens à son étude lui exposer mon cas. Je pensai qu'il délèguerait mon dossier à un collaborateur, mais non, il viendra en personne. L'idée me gêne presque. Je m'organise. Il est susceptible de rester un petit moment chez moi, autant que ça se passe le mieux possible.
À la tombée de la nuit prévue pour le constat, il sonne à la porte. Il fait chaud aujourd'hui. Moi, j'ai eu le temps de prendre une douche et d'enfiler un bermuda et un débardeur. Lui, il est transpirant et son costume qui devait avoir fière allure ce matin est maintenant bien défraîchi.
Pas un bruit à l'étage en-dessous. Maria Callas m'aide à rompre le silence. Il accepte un grand verre d'eau fraîche. Puis une bière. Nous attendons, religieuse-ment sans presque un mot. Il a l'air aussi intimidé que moi. À minuit, il s'en va. Il me dit qu'il repassera à la même heure vendredi prochain, puisqu'il n'a pu faire état de rien concernant l'affaire qui l'amène. Elle est sortie. Je le comprends quand elle rentre (bruyamment) à cinq heures du matin ivre morte. Heureusement, elle s'écroule.
Mon Dieu que ça a été long, ces sept jours. Même lieu, même heure, même température, que son autre costume a eu du mal à supporter aussi. Ce qui est un peu différent, c'est sa posture et ses grimaces qui accompagnent certains gestes. Je prends mon courage à deux mains et le questionne. Depuis le matin même, il sent un "truc" dans le dos. Je lui propose de voir ce que je peux faire. Oups ! Je retiens ma respiration. Moi et ma spontanéité !!! Mais sa douleur semble commander et il pivote légèrement sur le canapé en passant sa main gauche par-dessus son épaule droite pour me désigner quelque chose. Je me cale à genoux derrière lui et commence à "l'ausculter". Là, au-dessus de l'omoplate, il y a une zone chaude. Je sens bien la contracture. D'abord du bout du pouce, puis avec mon poing, je défais le nud. Puis, tout autour, je cherche où la tension peut se cacher. Les trapèzes. La nuque. Je remonte jusque sous la boîte crânienne. Je redescends le long des épaules, des bras, jusqu'aux mains. La colonne maintenant. Là, quelque chose. Je lui demande de s'allonger à plat ventre et de placer un coussin en boule sous sa poitrine. D'un coup sec avec le plat de ma main au bout de sa longue expiration, la vertèbre se remet en place. Quand il se redresse, il a un sourire ra-dieux.
La discussion qui suit est animée, parfois assez per-sonnelle. Quand il s'en va aux douze coups, je lui suggère de décaler son jour de visite.
Mais, non, ça lui convient comme ça et la semaine suivante, il revient. Avec son "plein le dos". Je lui fais part de mon inquiétude. Je pratique le massage depuis très longtemps. Le corps et ses réactions, je connais. Mais je pense que là, un rendez-vous chez un ostéopathe s'im-pose. Cette fois-ci, c'est lui qui me demande si, en atten-dant, je peux faire quelque chose. Il enlève sa chemise. Comment pourrai-je dire non ? J'adore ce qui se dégage de lui. Il n'est pas très épais. Il n'est pas maigre pour autant. La musculature est fine. Il est plutôt tout en nerf. Le plus remarquable, c'est la douceur de sa peau. Je ferme les yeux et je suis avec mes doigts les tensions et les crispations. Quand je manie les articulations, les coudes, les poignets, il s'affale un peu sur le canapé. Je me saisis d'un petit flacon d'huile et je lui masse les mains. Il se détend encore un peu plus.
Nous sursautons tout à coup. Une porte vient de claquer. Nous sommes tous prêts l'un de l'autre, aux aguets. Elle vient de rentrer. Nous tendons l'oreille. Elle n'est pas seule. Dans mon petit appartement, une gêne s'installe. C'est tout le contraire chez la voisine, qui ré-clame à cor et à cris qu'on la baise. Mon huissier remet sa chemise, se lève et me tend la main. Il m'assure que je vais recevoir mon procès-verbal au plus vite.
Notre jour de prédilection, il m'appelle et me pro-pose de venir me le remettre en main propre. Il arrive avec un pack de bières. Il a passé une bonne semaine, grâce à mes bons soins et tenait à m'en remercier. Je lui rappelle qu'un "professionnel" ferait les choses certaine-ment mieux que moi. Lui en est moins sûr. Surtout, il pense qu'il ne serait pas aussi à l'aise qu'ici.
J'ai un doute. Est-il bien en train de me tendre la perche que je crois qu'il me tend ? Zut, par quoi j'en-chaîne ? Dans un moment de grâce (comment appeler cette divine inspiration), je lui indique la salle de bain.
Aussitôt, il enlève ses chaussures. Délicatement, il pose sa veste sur le dossier d'une chaise et commence à déboutonner sa chemise. C'est comme un doux rêve. Un peu abasourdi, j'entends le cliquetis métallique de sa ceinture et le pantalon qui glisse. S'il enlève ce qui lui reste maintenant, je
je
Non. Il le garde et prends la direction de la douche.
Dès que j'entends l'eau couler, j'installe mon grand futon au sol et je mets un caleçon. Il réapparaît enroulé dans une serviette. Comme il hésite, je lui précise qu'il peut garder son boxer, ça me convient aussi. Mais il est nu sous l'éponge qu'il vient d'enlever. Il s'allonge aussitôt sur le ventre.
Je cale sa tête entre mes genoux. J'observe sa respiration. Elle ralenti. Mes mains prennent contact. Je descends le long du dos et je remonte sur ses flancs. Je recommence. Et pendant plus d'une heure, j'enchaîne. Les bras puis les mains dans lesquelles je m'attarde. Ses fesses et ses cuisses. L'utilisation des avant-bras est idéal pour couvrir de grandes surfaces, remonter haut, des-cendre bas. Je pétrie ses mollets. Les pieds, ce que je préfère. Là aussi, beaucoup de points, en lien avec tous le corps. Masser, frotter, presser, du bout des doigts, de la peau de la main, se glisser entre les orteils, puis s'enrouler autour et tirer délicatement.
Je l'entends soupirer. Il se retourne péniblement. Son cuir chevelu, ses oreilles
juste effleurées, on a l'impression d'entendre des pas craquer dans la neige fraîche. Son visage. Ses lèvres et le vent de liberté qui s'en échappe. Son menton, son cou, son torse jusqu'au plexus. Je passe sur le côté. Son ventre, tout doucement. C'est sensible le ventre, comme l'histoire de chacun. Et il y a les ganglions lymphatiques qu'il ne faut pas écraser. Juste les frôler. Comme son sexe devenu raide. En général, je préviens avant que ça peut arriver et que c'est une réaction normale, voire même obligatoire quand le massé est détendu. Lui l'est assurément.
Il débande. Il s'est endormi. Je l'essuie avec quelques mouchoirs tirés d'une boîte. Puis sans un bruit, je me glisse dans un coin de la pièce pour y continuer mon bouquin.
Quand il se réveille, je lui propose de faire un brin de toilette. Mais il se rhabille déjà. Il sourit. Il rit même. À lui-même, je l'entends se dire "Et ben
". Sur le pas de la porte, il me sert la main et me remercie chaleureusement.
Je pensai ne jamais le revoir, si ce n'est au travail. Mais dès le lundi qui suit, il m'appelle au boulot. Il veut revenir.
J'ai un nouvel amant, qui devient parfois, le temps d'un week-end ou pendant nos vacances, un délicieux compagnon à qui je demande parfois : "Encore, maître ?"
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