Le Château

J’avais peur, un peu …
Les mains humides et le ventre serré, c’est la peur ?
De la nouveauté, de l’inconnu.
Le regard fuyant qui ne se fixe sur rien, comme celui de l’oiseau affolé de tout et les plumes du cou ébouriffées, tout pareil le duvet qui se dresse dans mon cou dégagé des boucles brunes qui me balayaient le dos au soleil d’été. Parce que c’est la rentrée. Qu’il fallait couper. Court.
Plutôt inquiétude que véritable peur … la frontière est mince, aussi mince que la bande de peau claire sur la nuque visible au-dessus du col empesé du chemisier blanc, mes beaux cheveux en regrets.

Des regrets, c’est certain, ceux-là et d’autres …
Regrets d’absence, absence des doigts de l’amour d’été, le vrai premier, qui se perdaient dans les boucles épaisses, des premiers frissons, venus des mains maladroites à défaire l’agrafe dans mon dos, qui tâchaient entre mes jambes la doublure de coton de la dentelle volée pour un soir dans un tiroir de ma sœur parce que je me voulais belle s’il osait.
Ici pas de dentelles. Règlement. Vêtements imposés. Pas d’agrafe sur mon dos doré de l’été : mes petits seins qui allaient si bien à sa main bousculés dans une brassière de coton blanc, du coton blanc aussi gaufré nid d’abeilles de presque Petit-Bateau pour mes fesses et mon ventre. Comme le blanc aperçu devant moi, un coup de vent, un rire nerveux libérateur de tension du premier jour au Château qui vient.

Un rire masqué, partagé …
Caché et retenu, en complicité. Trois groupes de six, appelées et triées d’arbitraire alphabétique, toutes identiques en jupe plissée noire blaser vert chaussures vernies et socquettes, j’ai entendu « Muriel » pour la fille devant moi dans mon groupe, jupe soulevée gonflée brusquement comme un spi en tempête, mollets velus et cuisses épaisses, canotier trop petit sur des raideurs rousses. Un coup d’œil échangé avec ma voisine d’occasion et les lèvres qui mordent le rire sous le regard glacé de celle qui nous mène vers le dortoir, Miss Andrée, qu’on suit figées dans notre solitude.

La solitude pesante …
Seules à plusieurs. Pas de mots à échanger au départ de nos mères. Deux semaines pour installer un nouveau quotidien et le week-end à venir à passer à subir. Ma mère a dit « intégration » et pinçait son sourire sur les souvenirs de son passage au Château avant moi.
Seule parmi six pour partager un dortoir, les lits groupés par deux séparés d’une table de chevet, isolés des autres par des armoires accolées. « Je m’appelle Sandra », celle qui haussait les sourcils et retenait plus tôt son rire comme moi. « Béatrice ». Une année devant nous. Pas de choix. Miss Andrée nous avait appariées, obligation d’entraide et solidarité : je serai son binôme elle sera le mien.

Mon binôme …
ǒaurait pu être Marianne ou Cathy. C’était Sandra la rieuse.
Alphabet magnanime, ç’aurait pu être Jenny, associée à Muriel.
Ces deux-là ne se seraient pas choisies.
Muriel transpirante joufflue et fessue, le boutonnage de son chemisier dangereusement étiré. Jenny hautaine qui nous toisait nous snobait se détournait en pinçant les lèvres. Elle a tapé du pied, ne voulait pas être associée à « cette grosse vache mal fagotée ». Gênée et blessée Muriel baissait les yeux, au début, avant de se rebeller. Outragée trépignante, et vaincue, Jenny boudait, Miss Andrée souriait glacé.

Miss Andrée, en quelques jours devenue « Kapo » …
Elle nous réveille à 6h00, attend que nos lits soient faits et nos vêtements du jour préparés dessus pour nous autoriser à partir à notre toilette du matin.
Baptisée Kapo par Sandra un jour de semaine, inspection d’après toilette, voix sèche :
— Mademoiselle, votre tenue n’est pas conforme ! J’inspecterai votre garde-robe. Enlevez immédiatement cette … chose ! et attendez mon retour .
Miss Andrée, lèvres pincées et œil noir, les mains croisées dans le dos raide, avançait à pas lents dans la large allée qui longe les lits, toutes les six alignées en brassière et petites culottes comme un garde-à-vous de visite médicale.
Rouge de confusion et colère, Sandra a retiré le joli petit slip brésilien fuchsia en dentelle orné sur la taille d’une guirlande de fleurs roses brodées qui avait déclenché les foudres de Miss Andrée. Vêtue de sa seule brassière, boucles noires exubérantes en bataille sur son ventre, elle regardait droit devant elle sourde aux murmures amusés.
Elle a passé la journée dans l’intimité d’une de mes culottes, entraide solidarité, rire et complicité, « Je vais connaître tes pensées ». Miss Andrée est devenue « Kapo ».

Complicité déjà avant …
Du rire échangé avec elle le premier jour dans les rangs.
Du haussement d’épaule à la découverte des douches sans rideau ni porte le lendemain, abandon de nos culottes où Marianne arrivée avant nous se douchait avec, « c’est timide, les blondes ! », clin d’œil entendu. Et coup d’œil aussi, en échange et réciprocité, pour apprécier comparer. L’alphabet présidant aux binômes aurait pu être remplacé par association de pilosités identiques, deux brunes associées, deux blondes appariées, et les exceptions, il en faut, les ennemies, une rousse et une indéterminée qui se cachait au début, plus après, la prétentieuse Jenny avait presque tout rasé. Pas libérée, Muriel. Complexée. Pas de douche pour elle, et Jenny lui reprochait son odeur corporelle qui s’aggravait disait-elle d’un matin à l’autre, se tenait à l’écart, figée dans sa jalousie de voir Marianne et Cathy bien s’entendre, Sandra et moi nous apprécier.
Une semaine. Des balades dans le parc et les cours, les discussions du soir, je savais son école d’avant et ses flirts, elle savait mon été, confidences échangées de nos lits dans la nuit et la bise avant les rêves, ses mains fraîches et douces sur mon bras, de petits bruits la nuit qui venaient de son lit.
Et puis le samedi approchait, les fronts se plissaient de questions : intégration ?


Ma mère avait dit intégration …
Annoncé en grosses lettres à la craie sur le tableau dans le hall par nos aînées à peine croisées, « WEI », le week-end d’intégration suscitant tant de questions.
Kapo avait dit « 8h00 demain, survêtement ». C’était bien. Mieux que les réveils à 6h00 de la semaine.

L’ambiance était détendue. Cathy nous arrosait d’eau froide et Sandra chantait sous la douche. Muriel souriait devant son lavabo. Première à regagner le dortoir, elle nous a alertées d’un cri : les literies renversées, les armoires vidées, tous les vêtements mélangés en un grand tas au milieu de l’allée, « Quel bazar ! ».
Muriel était consternée, Jenny faisait la gueule. Nous, les quatre autres en fait, on riait. Cathy la première a plongé la main dans le tas de vêtement. Un hasard ? Sûrement pas ! La première chose sortie était une culotte de Muriel, tenue devant elle en riant avant de laisser tomber la serviette qui l’enveloppait et de l’enfiler en la remontant très haut sous ses seins. Elle flottait dedans et tout le monde riait, Muriel y compris. Jenny levait les yeux au ciel d’un air pincé.
Kapo qu’on croyait absente est sortie de son alcôve pour calmer les rires d’une voix sèche :
— Rangez-moi tout ça très vite !
Adossée à la porte d’entrée, Kapo un sourire ironique aux lèvres tenait devant elle un string suspendu sur son index tendu :
— Quant à ceci, que je ne reconnais pas comme un élément de trousseau, sa propriétaire ira le récupérer chez la directrice si elle le souhaite ! L’objet qui était enveloppé dedans est lui aussi confisqué !
Kapo de son autre main montrait un petit cône rose torsadé. Sandra a rougi violemment, a murmuré « salope » dents serrées que moi seule ai entendu. Un clin d’œil « un peu bruyant, ton truc », Sandra rougissait, riait aussi.
On a trié, en cherchant sur les vêtements les petites étiquettes blanches cousues portant nos noms en rouge. Six tas, chacune enfilant ses propres sous-vêtements au fur et à mesure. Comme un fait exprès, les affaires de Jenny disparaissaient sous un lit quand on en trouvait, ce qui amusait beaucoup Muriel toute contente de voir qu’on prenait son parti.
Qui avait mis un pareil bazar ?

Nos aînées …
Les filles de seconde année ont envahi le dortoir avant qu’on en ait terminé de notre rangement et nous ont repoussées à grands cris et bousculades vers la pièce des lavabos au fond du dortoir. Parce que Jenny qui n’avait toujours pas retrouvé de brassière et fulminait seins à l’air en nous exhortant poings serrés à résister, deux filles l’ont prise par un bras chacune et l’on poussée dans une cabine de douche.
Trois grands sacs en plastique renversés devant les lavabos : chaussettes sales et t-shirts de sport, brassières et culottes.
Pendant une heure, on a savonné et frotté le petit linge, rincé et essoré la lessive de la semaine de nos aînées qui nous surveillaient.
Devinez ! Jenny a eu les culottes et une fille derrière elle en permanence qui la houspillait armée d’une grande cuillère de cuisine en bois dont elle lui claquait parfois les fesses ce qui nous la faisait, presque, prendre en pitié. Presque. Parce qu’on riait aussi de son air outragé quand le manche plongeait entre ses fesses sous sa culotte encore mouillée de la douche e pour ensuite lui chatouiller le nez. On ne riait pas du geste, mais de l’air horrifié de Jenny, du fou-rire qui secouait les opulences de Muriel à voir l’orgueil de son binôme bafoué.
La lessive finie, une fille agitait dans sa main des morceaux de plastique.

Les colliers Rilsan …
Les filles nous ont isolées par binôme, miss « cuillère de bois » chef de bande voix criarde. Muriel Cathy et moi à quatre pattes, nos binômes debout derrière nous, leurs pieds de part et d’autre des nôtres. Une fille attachait ensemble nos chevilles avec les colliers en plastique, une autre glissait deux autres colliers sur les hanches de la fille à genoux entre peau et culotte et les refermait sur les poignets du binôme penché derrière elle.
Debout d’une démarche chaloupée on est allée jusqu’à l’escalier, mais exercice imposé, c’est en marche arrière et à quatre pattes qu’il fallait descendre les deux volées de 16 marches jusqu’au rez-de-chaussée.
Je reculais lentement marche après marche et Sandra se laissait porter sur mon dos en riant aux éclats. Elle riait de notre progression chaotique, elle riait du spectacle qui s’offrait à nous quelques marches plus haut et du flot d’injures que Jenny déversait sur Muriel. Marianne et Cathy, avaient pris de l’avance, nous encourageaient du palier qu’elles avaient déjà atteint quelques marches plus bas.
Sandra voulait sans doute bien faire, m’aider de ses mains en prenant appui sur les marches, mais ses mains emprisonnées sur ma culotte …
— Arrête Sandra ! Tu m’aides pas ! laisse-moi te porter, c’est tout !
— Je suis moins lourde si je t’aide !
— Non ! tu me rentres la culotte dans les fesses et j’ai le ventre à l’air, arrête !
— Comme tu veux …
Appuyée sur mon dos de tout son torse elle a croisée ses mains sur mon ventre, transformant ma culotte devant en une mince bande de coton remontée haut jusqu’à ma taille.
En équilibre sur un seul bras, j’essayais d’une main de remettre ma culotte en place sur mes fesses en glissant ma main sous le ventre de Sandra, et Cathy du palier s’esclaffait :
— Oh ! Les filles ! C’est pas le moment ! Vous ferez ça ce soir !
Et Sandra enchérissait :
— Ouiii ! Continue ! c’est bon ! Ecoute pas, elles sont jalouses !
Je râlais :
— Et tu crois que ça va m’aider si tu mets tes mains là ?
— Faut bien que je me tienne ! Où veux-tu que je les mette ? Dans ta culotte ?
— Evite … ou on descendra jamais !
Plus haut, Jenny continuait à pester après Muriel, l’insultait copieusement.

Muriel et Jenny mettaient trop longtemps à descendre …
Miss « cuillère de bois », vice et méchanceté inventifs, a trouvé un usage original pour son outil. A moitié escalier elle a baissé la culotte de Jenny sur ses cuisses et a poussé la cuillère entre ses jambes, a baissé aussi la culotte de Muriel et poussé plus loin le long manche de bois, puis a remonté les deux culottes très haut sur leurs hanches, coinçant la cuillère bien haut dans leurs entrejambes, qui dépassait derrière entre les fesses de Jenny et devant Muriel qui exposait en se relevant sur le palier une épaisse toison rousse enfermé dans le triangle blanc de sa culotte.
Obscène et comique, obscène surtout. Jenny était muette de stupeur et fermait les yeux, mâchoires et poings serrés.
Muriel avait un air malheureux et les yeux gonflées de larmes, a eu un hoquet de rire à la remarque de Cathy qui posait une main sur son épaule :
— Maintenant qu’on sait que t’es rousse de partout, tu pourras te doucher avec nous ! C’est plus un secret ! De toute façon, on s’en doutait.
Pas de rires en rejoignant les deux autres groupes de 1ère années, maladresses à étendre le linge lavé plus tôt sur des fils de nylon tendus entre les arbres du parc à l’arrière du Château. Certaines barbouillées de ketchup. D’autres attachées face à face. Des seins à l’air comme Jenny, des fesses nues aussi. Une ambiance tendue. On essayait de plaisanter avec Muriel, ses yeux avaient séchés, Jenny était muette murée imperméable.
Toujours attachées, direction réfectoire. Celles qui avaient les mains libres faisaient boire et manger les autres. Amusant ? Pour celles de nos aînées qui nous bousculaient, peut-être, pour celles aussi qui prenaient la cuillère entre les fesses de Jenny et la secouaient, rires gras aux grimaces de Muriel.

Muriel allait mieux …
Barbouillées de café et de confiture, et enfin libérées de nos entraves, de retour au dortoir, un moment chacune sur nos lits sans un mot. On a fini de ranger nos affaires dans nos armoires, on a pris une douche, les premiers sourires partagés en voyant Muriel nue nous rejoindre. Pas Jenny, prostrée sur son lit.
— Ça va ? pas trop … irritée ?
— Un peu lubrifié, ça aurait pu être bien !
Et un premier rire grâce à Muriel, petit sourire et joues rougies de sa sortie, la première fois de la semaine qu’elle ne baissait pas les yeux et riait avec nous.
Toutes les cinq sur les pelouses au soleil. Sans Jenny. On a essayé. Pas un mot.
Muriel assise à côté d’elle sur son lit lui parlait à voix basse, Jenny se détournait. Malgré tout ce qu’elle avait subi d’elle depuis le début de la semaine, Muriel hésitait à la laisser seule, nous a suivies au grand air à regret.
Les filles de deuxième année nous fichaient la paix, circulaient en groupe, nous jetaient un coup d’œil en passant en riant, toutes allaient vers le grand amphi.
La curiosité de Marianne qui s’était allongée la tête sur les genoux de Muriel :
— C’était à qui le machin que Kapo a piqué ?
Personne n’a répondu, mais on regardait toutes Sandra :
— T’iras le récupérer chez la dirlo ?
— Tu parles, Kapo va se le garder pour elle !
— Trop coincée ! saurait pas s’en servir !
— C’est une salope … t’auras intérêt à le désinfecter si elle te le rend !
— Trop petit ce machin …
— Et bruyant !
Sandra m’a donné un coup de poing dans l’épaule.
On riait. Ce qui s’était passé le matin, la suite du week-end, aucune de nous n’en parlait.

La suite en soirée …
Regroupées après le repas du soir dans une salle derrière l’amphi il a fallu enlever nos survêtements pour nous déguiser d’une tunique en papier crépon enfilée sur la tête et agrafée sur les côtés, d’une jupe en deux feuilles de papier agrafées elles aussi. Une couleur pour chaque groupe, le rouge pour nous, les autres en vert et bleu, et pour toutes une lettre à la peinture sur le haut du bras, une seule lettre par binôme, un « F » pour Sandra et moi. On a défilé sur l’estrade de l’amphi sous les huées et les commentaires salaces, et les jeux ont commencés, compétitions entre binômes de chaque groupe.
Quand est venu notre tour, nos mains liées dans le dos, Sandra devait prendre avec sa bouche un pinceau au fond d’une bassine pleine d’eau, me le mettre dans la bouche. Je devais le tremper dans de la peinture et dessiner aussi haut que possible sur une cuisse de Sandra en soulevant le crépon de la jupe de ma tête un sexe d’homme comme celui dessiné en modèle sur le grand tableau de l’amphi, puis rendre le pinceau à Sandra qui devait en faire autant sur une de mes cuisses.
Nos contacts bouche à bouche et nos têtes glissées sous les jupes semblaient beaucoup amuser nos aînées, comme nos figures et nos cuisses barbouillées de peinture, les jupes déchirées de certaines. Les commentaires grivois fusaient dans l’amphi.
Chacune de nous ensuite, une éponge dans la bouche, effaçait la peinture sur la cuisse de son binôme et nos culottes mouillées étaient encore l’objet de nombreux commentaires. Et Jenny ?

Jenny se fermait …
A deux reprises quand son tour est venu, Jenny a refusé de participer.
Muriel et elle ont été écartées et copieusement huées. Les filles les ont obligées à grimper sur le bureau et les ont attachées face-à-face en liant leurs mains de colliers rilsan dans le dos l’une de l’autre avant de leur arracher leurs habits de papier et de leur jeter des détritus de cuisine. Jenny tremblait de tout son corps et fermait les yeux, les mâchoires crispées, sourde aux mots que lui murmurait Muriel à l’oreille. Elles sont restées sur le bureau tout le temps qu’ont duré les jeux.
A la fin de la soirée, deux autres filles les avaient rejointes sur le bureau, toutes les quatre leur culotte abaissée aux genoux. Un poireau était coincé entre les fesses de Jenny et Muriel, une carotte plantée entre celles des deux autres filles.
Muriel bien souvent devait soutenir et porter Jenny dont les jambes se dérobaient sous elle.
A nos regards et nos signes, Muriel répondait d’un sourire et résigné, à plusieurs reprises faisait « non » de la tête quand l’une ou l’autre de nous voulait intervenir. Des chansons paillardes saluaient notre sortie.


Et la nuit …

Avant …
De retour au dortoir, Muriel a tenu à s’occuper seule de Jenny. Elle l’a lavée, lui a mis sa chemise de nuit, l’a couchée. Quand on a éteint les lumières, assise sur son lit elle lui tenait la main.
Quelques mots dans le noir chuchotés avec Sandra, aussi gênée que moi … de ne pas avoir eu le courage, de nous être amusées … « … on aurait dû … », « … j’arrivais pas à dérouler la capote sur cette saleté de balai, je fais pas ça avec la bouche, moi … », « elle est tombée dans les pommes, je crois », « t’as vu la grande blonde ? la pelle qu’elle lui roulait ? », « on va l’appeler super Mumu, sans elle … », « t’as déjà embrassé une fille, toi ? ».
On s’est pas embrassées. Pas à ce moment-là. Quand les filles sont arrivées en pleine nuit dans le dortoir, on s’étaient endormies sur mon lit, pour nous rassurer, un peu pour ça.

Au début …
Elles voulaient emmener Muriel et Jenny. Muriel ne s’est pas laissée faire et on l’a soutenue. L’échange de coups a été évité, de peu, Muriel encore a calmé tout le monde, « je viens si vous voulez, mais elle, elle reste là » « on prend les gouines aussi, alors ! ». Les gouines c’était nous, Sandra et moi, parce qu’elles nous avaient trouvées endormies ensemble ? Cathy et Marianne les yeux pleins de sommeil nous jetaient des regards curieux, voulaient suivre, les filles voulaient pas, nous ont traînées poussées vers la sortie comme on était, Muriel en chemise nuit rose à fleurs bleues, Sandra en culotte et top de coton, moi avec mon grand t-shirt, pieds nus toutes les trois. « On va où ? », « On va faire quoi ? », « C’était pas assez, tout à l’heure ? ».
Sorties du Château, traversée de pelouse, on savait. On allait au foyer.
Il y avait déjà 4 filles en tenue de nuit comme nous, une dizaine d’autres filles affalées sur les canapés, bières et bouteilles d’alcool sur les tables, musique de fond et la voix de « miss cuillère » pour nous accueillir « ooooh ! des jouets ! de la chair fraîche ! et ma copine ? pas là ? chuis déçue … », « en échange t’as la grosse et deux gouines ! elles sont pas mignonnes ? ».
Le cercle se fermait sur nous, regards rougis de fumée de cigarettes et d’alcool. Plus de jeu. Nous et les autres. Inquiétude ? Plus que ça. Plus.
On nous tendait des bières, et trois filles en triangle bousculaient l’une d’entre nous comme on se jette un ballon, elle n’avait pas aimé qu’on soulève sa nuisette. «Pas de bière, merci », un sourire entendu, une bouteille de scotch tendue lèvres pincées et sourcils levés qui disaient « Refuse si tu l’oses », j’ai bu. Un peu. Un peu plus parce que d’un doigt elle levait la bouteille, et encore.

Pendant …
… des filles dansaient sur un slow au fond de la salle, l’une d’entre nous entre elles qui la tenaient serrée … Sandra dans un canapé qui buvait un truc vert … Muriel debout sur une table basse ondulait les yeux clos en soulevant lentement sa chemise de nuit accompagnée de sifflets et de cris de 4 ou 5 filles … Sandra ? à côté d’elle ? cheveux défaits, Kapo ! que je n’avais pas reconnue … et les sorties fermées à clé, les rideaux tirés … il y a eu des « non » et des cris … une fille à quatre pattes troussée chevauchée par « miss cuillère » … et moi sur la table face à Muriel « un baiser ! un baiser ! » « allez ! pelote-la, la grosse ! t’aimes ça, on le sait ! » et Muriel qui murmurait à mon oreille « j’aurais dû garder ma culotte », et plus tard « t’en fais pas, elles seront bientôt bourrées » … au rythme où les bouteilles nous étaient présentées, moi je pensais « nous aussi ! » en tenant troussée sur sa taille la chemise de nuit rose à petites fleurs bleues …
Sur le canapé, accoudée au dossier, Kapo levait la bouteille vers la bouche de Sandra et caressait sa joue d’un petit cône rose, suivait son cou et restait sur un sein, le glissait sous la taille de sa culotte qu’une fille à ses pieds avait soulevée. Je voulais bouger, un peu lâche je cédais à Muriel qui me retenait.
Derrière le canapé une fille était allongée nue jambes ouvertes sur la table de ping-pong se protégeait des deux bras sur le visage pendant que deux filles se relayaient raquettes en main pour la bombarder de balles.
Muriel sous les exhortations des filles autour de la table basse et les encouragements sonores des claques sur ses fesses m’avait enlevé mon t-shirt et collée à mon dos mimait une sodo en me tenant les seins sous les hourras des filles, murmurait à mon oreille «je voudrais pas te vexer, mais ça me plaît pas plus que ça de te tripoter ». Super Mumu faisait ce qu’elle pouvait pour que la nuit passe …
« Merde ! elle va dégueuler ! ». Sur le canapé Sandra se penchait bouche ouverte agitée de hoquets. La fille à ses pieds s’était reculée, et Kapo la repoussait d’un bras.
« Elle vomit ? », « Bien imité, t’inquiète pas … elles vont lui foutre la paix ».
Muriel avait l’œil à tout.
Solide derrière moi, sans pouvoir éviter qu’une fille prenne ma chatte à pleine main, elle me calmait d’un « chhhttt … » quand cette salope m’a mis un doigt « on bouge, t’en fais pas » et m’a retournée face à elle dans ses bras rassurants … « si elle te tripote les fesses, je peux plus rien pour toi ».
Le spectacle les lassait, d’autres filles ont pris notre place pour exhib sur la table.
J’ai récupéré mon t-shirt et à toutes les deux on s’est occupées de Sandra qui jouait la malade, qui s’est redressée sur le chemin des toilettes « ça va, les filles, je peux marcher toute seule » et a glissé la main sous sa culotte. Le petit « ggzzz » agaçant qui nous accompagnait s’est arrêté « ça devenait chiant, ce truc ! ».
L’esprit pratique de Muriel :
— Laisse-le au chaud, t’auras pas à le réclamer à la dirlo !
— Quelle salope, cette Kapo ! Elle a rien à foutre là ! Elle me tripotait, cette conne !
— Moi, c’était Mumu …
— Oh ?
— Mais elle aime pas …
— J’ai dit ça pour pas te gêner … pas mal, tes seins !
— Cochonne !
— On se planque dans les toilettes ?
— Ou on sort par les fenêtres …
— Encore un jour, les filles, vaut mieux pas nous faire remarquer …
— On joue les bourrées ?
— J’aurais pas besoin de me forcer, j’ai la tête en vrac !
— Moi aussi, ça tourne …
— J’ai rien bu, elles étaient trop occupées à mater mon gros cul, je m’occupe de vous, on se trouve un coin sombre.

Un endroit discret, derrière le baby-foot. Toutes les trois assises contre un mur, un bras de Muriel sur chacune de nos épaules.
« Ooooh ! La vache ! regardez, là ! ».
Je leur montrais du doigt. Près des distributeurs de boisson sur une banquette, deux jambes levées et entre elles un cul qui pilonnait..
— … ils sont en train de baiser !
— C’était une perruque ! C’est un mec !
— Une de celles … un mec qui jouait au ping-pong sur la fille !
— C’est qui la nana ? Une nouvelle ?
— … on voit pas …
De notre coin sombre on a guetté, pas pour mater, pour guetter, mais on matait …
On les a regardés jusqu’au bout, jusqu’à ce que le garçon se relève et remonte son jogging sur ses fesses et sa perruque blonde sur sa tête, jusqu’à ce que … Kapo ! à genoux, s’essuie entre les jambes et remette sa robe en place.
— Les filles, c’est chaud ! avec des mecs ici et ces folles, il vaudrait mieux pas traîner !
Muriel s’est levée « Vous suivez, je m’en occupe ».

Elle nous a accompagnées jusqu’à la porte et nous laissées. On l’a vue repousser d’une main « miss cuillère » et parler avec Kapo avant de nous rejoindre.
Cinq minutes plus tard, une fille est venue nous ouvrir la porte. On est reparties, toutes les 7 nouvelles, vers nos dortoirs à la lueur de l’aube échevelées et le pas hésitant l’estomac et la tête lourds d’alcool.

Fin de nuit, au petit matin …
Muriel a arrangé le drap sur Jenny, nous a fait une bise à chacune « désolée les filles, je crois que ce WEI est fini pour nous ! » et s’est couchée.

J’avais le visage levé vers la pluie de la douche. Un main sur mon épaule. « Fais-moi un peu de place ». Je me tenais à son bras. Elle se tenait à mes hanches.
Les vapeurs dans ma tête balayées par l’eau chaude s’évaporaient lentement, pas de trouble aux mains fermes qui frottaient mon dos, juste calme et chaleur et bien-être rassurants après la tension. Elle, c’était naturel et complice après les attouchements vicieux de la nuit.
Elle qui souriait et baissait les yeux en se mordant les lèvres dans le petit jour qui filtrait des volets une main sur le ventre « Trop bu », « C’était quoi ? », « Izzarra, je crois … fort. Et toi ? », « Du whisky », excuse ou raison à ne pas s’allonger, assises sur mon lit nos oreillers relevés, en silence longtemps avec la chaleur de son épaule contre moi. Elle s’est blottie sous mon épaule et s’est endormie.
C’est Muriel qui nous a réveillées en posant sur nous la couverture enlevée du lit vide de Sandra, s’est assise au pied du lit, s’est allongée après sur les jambes de Sandra.
Des murmures et le grand jour, cinq sur mon lit. Muriel racontait. Laissait des blancs dans l’histoire.

Et après …
Après ? Kapo en sévérité froide et glacée toute la semaine, fidèle à elle-même. Jenny chouchoutée du matin à la nuit par Muriel restait muette. Elle savait déjà ? Sans doute. Elle est retournée chez elle comme nous toutes le week-end suivant, mais n’est pas revenue. Une autre a pris sa place, sympathique, mais toujours restée un peu extérieure au groupe.

En raccourci ?
L’année suivante, c’est Muriel qui organisait le WEI. C’était différent. Pas détourné.
Muriel, c’est la grande sœur qu’on veut avoir, qu’on avait.
Sandra ? Sandra … Un trimestre entier à nous tourner autour l’une de l’autre, partagées entre l’envie et la peur de perdre l’amitié, la vraie, jusqu’au jour où on s’est dit cette peur et où elle a disparue. Ça ne choquait personne de nous voir parfois le matin dans le même lit.

Misa – 11/2013