Blanche (3)
Il est bien jeune
Sur le ton de la simple constatation. Il ny a pas de véritable réprobation dans sa voix.
Il est jeune, oui, et alors ? Elle na pas à se justifier. Elle ne se justifiera pas.
Ils chevauchent côte à côte en silence. Prennent à droite vers La Bastide de Peuch.
Avec monsieur Pierre, Madame nest pas heureuse. Na jamais été heureuse.
Inutile de nier. Il la connaît depuis si longtemps. Et il vit à côté deux. À leur contact. Il y a une foule de choses quil sent. Ou dont il a pu se rendre évidemment compte.
Une nuée de perdreaux les survole.
Ce mariage
Que ses parents ont voulu. Parce que Pierre avait une bonne situation. Parce que leurs deux familles étaient liées depuis des temps immémoriaux.
Ce mariage était une énorme sottise.
Jamais, auparavant, il ne se serait permis de donner ainsi son avis. Jamais il ne se serait octroyé une telle liberté. Seulement il y a
ce qui sest passé ces jours derniers. La complicité quelle a été, par la force des choses, obligée de laisser sinstaurer entre eux. Il simagine quelle lui donne des droits dont il ne disposait pas auparavant.
Vous navez, Monsieur Pierre et vous, strictement rien en commun. Cest le jour et la nuit.
Si elle ny met au plus vite bon ordre, il va en prendre de plus en plus à son aise. Se permettre beaucoup. De plus en plus.
Vous vous trompez, Sylvain ! Vous vous trompez complètement. Il y a une foule de choses sur lesquelles, Pierre et moi, nous nous entendons à merveille.
Il insiste.
Ah, oui ! Et lesquelles ?
Elle cherche désespérément. En toute hâte.
Nous
Nous apprécions tous les deux la peinture. Et
Et la musique du XVIIIe siècle. Et puis
Et puis ?
Un lapin, sur le chemin, effraie Flamboyant. Quelle rassure de la voix et du geste.
Là
Là
Cest tout
Gontran veut encore la grange.
Cest mieux, attends !
Et ils sont dans le foin.
Arrête ! Arrête ! Je suis chatouilleuse.
Ben, justement, raison de plus !
Il se déchaîne.
Ah, tes chatouilleuse ! Ah, tes chatouilleuse !
Elle se tortille, tente, sans succès, de lui échapper.
Pouce, Gontran ! Pouce !
Il limmobilise, bras en croix, poignets fermement enserrés. Sa bouche sapproche de la sienne, sy pose. Elle ferme les yeux. De sa langue, il lui entrouvre les lèvres. Sa queue est dure contre son ventre. Elle tend la main vers elle. Elle sen empare.
Ils reposent lun contre lautre.
On est bien, hein ?
Ils sont bien, oui.
Gontran se redresse sur un coude, fixe, devant lui, la paroi de planches mal jointes.
Il y a quoi, derrière ?
Une remise.
Peut-être quil nous regarde !
Sylvain ? Sûrement pas, non !
Quest-ce ten sais ?
* * *
Elle jette un coup dil à la pendule, quitte son fauteuil.
Bonne nuit, mon ami !
Pierre lève la tête de son journal.
Puis-je venir vous rejoindre ?
Elle simmobilise. Lui sourit.
Mais certainement !
Quatre mois, presque cinq, quil ne le lui avait pas demandé. Il fallait bien que cela finisse par arriver.
Elle referme la porte, soupire. Un mauvais moment à passer.
Un très mauvais moment.
Il y a cette insupportable odeur de tabac. Son souffle dans son cou. Il y a ses mains sur elle, adipeuses, suintantes. Son sexe qui la pénètre dun coup. Qui entreprend son va-et-vient. Il ahane. Il se vide. Il retombe.
Cétait bien, chère amie ?
Cétait parfait.
Il arbore un sourire satisfait. Il se lève. Il regagne sa chambre.
Elle se précipite dans la salle de bains.
Mademoiselle a pleuré.
Mais non, Sylvain, non ! Une poussière.
Si, elle a pleuré. Bien sûr que si ! Toute la nuit.
Il se tait. Ils se taisent.
Un grondement de tonnerre se fait entendre au loin.
Mademoiselle se sent coupable.
Comment il sait ? Mais comment il sait ?
Il ne la regarde pas. Il poursuit, imperturbable.
Oui, elle se sent coupable. Parce que Monsieur Pierre lui assure une existence confortable. Parce quelle na rien dautre à faire, de toute la journée, que de donner des ordres à sa cuisinière. Que de monter à cheval. Que daller errer, de magasin en magasin pour y acquérir tout ce quil lui semble bon dacquérir. Et comment le remercie-t-elle du luxueux train de vie quil lui assure ? En se pâmant de plaisir dans les bras dun autre.
Je
Vous vous sentez néanmoins coupable. Et cest tout à votre honneur. Vous vous sentez dautant plus coupable que vous vous savez totalement incapable de mettre un terme à cette relation.
Il lit en elle. Il lit en elle à livre ouvert.
Et que léducation que vous avez reçue ne vous prédispose guère à vous absoudre dune faute dont vous savez quelle est, dans le cadre du mariage, lune des plus graves qui soient.
Elle voudrait parler. Elle voudrait lui dire
Il ne le lui en laisse pas le loisir.
Cette culpabilité, vous allez, au fil du temps, la ressentir de plus en plus vivement. À tel point que, par moments, elle vous sera parfaitement insupportable. Une chose, et une seule, pourra mettre un peu de baume sur les souffrances qui seront alors les vôtres. Et qui le sont peut-être déjà
Elle tourne la tête vers lui.
Il prend tout son temps. Pour descendre de cheval. Pour laider à descendre du sien.
Il la fixe droit dans les yeux.
Toute faute mérite châtiment. Cest à ce prix seulement quon peut retrouver un peu de sérénité. Et de tranquillité desprit.
Il brandit sa cravache. Quil fait claquer plusieurs fois en lair.
Elle se détourne. Sans un mot.
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