Chroniques Pénitentiaires D'Une Rebelle 1
1 Bonjour langoisse
Ils sont combien là-dedans, cent-vingt ou cent-cinquante voyeurs peut-être entassés dans la petite salle daudience du tribunal dAngers, pressés dassister à ma déchéance annoncée. Le box réservé à léquipe de tournage de la télévision reste vide en revanche, la diffusion en direct de quelques procès dopposants à la politique du gouvernement na jamais eu leffet dissuasif recherché, au contraire, alors lexpérience a été stoppée net. Mon histoire fera lobjet dun simple entrefilet dans les pages judiciaires du journal local car la loi loblige, rien de plus.
Les vendus de juges attachés à leurs privilèges, ils se moquent de foutre mon avenir en lair. Même suivie dun acquittement, une comparution pour des motifs politiques laisse des traces, pas seulement sur le casier judiciaire. Je suis désormais une anarchiste aux yeux du public, une terroriste quil faut empêcher de nuire par tous les moyens. Mon rêve de devenir prof dHistoire sest envolé le jour où la police est venue me passer les menottes devant ma petite sur.
Mademoiselle Marvault reconnait avoir imprimé les tracts à son domicile avant de les distribuer aux portes de luniversité, la perquisition de sa chambre a révélé un grand nombre douvrages interdits par la censure. Les preuves sont là, la tentative de déstabilisation de lÉtat est avérée. Je rappelle que le père de la prévenue a lui-même dénoncé sa fille aux autorités.
Mon beau-père, abruti ! Lavocat général raconte nimporte quoi, quant au mien, il brille par son incompétence et en tire une évidente satisfaction. Je nai malheureusement que le droit de fermer ma gueule ; pourtant, ça me démange de cracher mon indignation à la face de cette bande de rats en robes noires, tous autant quils sont.
Votre honneur, ma cliente poursuit des études universitaires dhistoire, je vous demande de voir dans cet acte, certes irréfléchi mais qui doit être imputé à la jeunesse, un jeu de rôle dans lequel elle se prenait pour une militante du début du siècle, une syndicaliste comme on les nommait à lépoque.
Cest tout ? Mon avocat commis doffice se rassoit, satisfait, alors quil vient de jeter le trouble sur mes motivations, je me sens trahie une fois encore par une personne censée maider. Ça ne devrait pas métonner vu le contexte.
Nen déplaise à mon estimé confrère de la défense, de tels agissements de la part dune étudiante, dont la violence des propos à légard du gouvernement lui a déjà valu deux fois le conseil de discipline au lycée, ne peuvent être pris pour un simple manque de discernement. Il faut y voir au contraire la volonté affirmée de piétiner nos institutions. Le Ministère public demande lapplication stricte de la loi !
Et vlan ! Le juge pose son maillet, la partie est déjà finie. Si les voyeurs dans le public attendaient une joute oratoire enflammée digne de celles auxquelles on assiste à la télé, ils peuvent regretter leur pognon. La vue brouillée par les larmes malgré la volonté de me montrer forte, la gorge sèche, le cur emballé, je me redresse entre les gendarmes. La peine se comptera en mois ou en années ? Une chose est sûre, on ne va pas me faire de cadeaux, je me fais encore moins dillusion quà mon arrivée.
Mademoiselle Louise Marvault, selon larticle 157-8 du code pénal réformé de lannée 2035, vous êtes déclarée coupable de tentative de déstabilisation de lÉtat. Au regard de vos antécédents, la cour ne vous reconnait aucune circonstance atténuante. Vous êtes donc condamnée à cinq ans demprisonnement au pénitencier pour femmes de Nantes. Vous aurez le temps de réfléchir à la menace que vos actes ont fait peser sur notre société. La sentence prend effet immédiatement.
Putain de merde ! Ça fait cher, je ne pensais pas morfler autant pour une poignée de tracts distribuée à la sortie de la fac. Donnée par mon beau-père en plus, ce salaud ma fait payer ma volonté dindépendance au prix fort. Le juge rigole avec ses accesseurs, ça sarrête là pour eux, ils peuvent aller déjeuner au resto, fêter leur victoire.
Vous appelez ce cirque un procès...
Silence, Marvault ! Un outrage à la Cour alourdirait votre peine. Gendarmes, faites disparaître cette mauvaise graine de mon tribunal.
Au loin, le beau-père évacue ma mère de force, elle se retourne. Colle-lui une beigne, maman, libère-toi de lemprise de cette ordure, viens membrasser ! Peine perdue, elle passe la porte sans avoir capté ma pensée. Ne pas pleurer, du moins pas en public, rester digne, la tête haute, surtout nimplorer aucune pitié, je refuse de leur donner le plaisir de mentendre supplier. Un jour, ce sera à eux de rendre des comptes aux citoyens, pour peu que ces froussards se réveillent.
Je suis désolé, Louise.
Incroyable mais vrai, cet incompétent davocat commis doffice cherche du réconfort auprès de moi. Quil aille se faire voire lui aussi ; au moins en reconnaissant les faits, jaurais eu la conscience tranquille davoir respecté mes principes jusquau bout au lieu dêtre rabaissée au rang de gamine écervelée dans une parodie de procès. Ils mont filé le maximum, je ne risquais pas den prendre plus.
Vous avez été payé pour mempêcher de parler, bien joué. Retournez au pied de vos maîtres comme un gentil toutou, je ne veux plus vous voir.
Après la pandémie de coronavirus dans les années 2020, le système économique a montré ses limites, la situation est devenue ingérable. Le président de lépoque, convaincu quune réduction drastique de la couverture sociale suffirait à régler le problème de la dépense publique, a privilégié la mondialisation à outrance au lieu de créer une nouvelle société basée sur les valeurs humaines davantage que sur le fric. Les gouvernements successifs ont donc supprimé les acquis historiques, du salaire minimum aux retraites en passant par la sécurité sociale, puis bradé la fonction publique.
La santé appartient à des groupes pharmaceutiques qui se vantent de pouvoir guérir nimporte quelle maladie.
Sous le contrôle des médias, la justice est passée de lente à expéditive, encore une question de rentabilité. Le nombre de juges a été multiplié par deux, les jurys populaires ont disparu, laccès à la salle daudience se paie désormais comme une place de théâtre, les téléspectateurs sont invités à parier sur lissue de certains procès diffusés en direct par des chaînes de télévision qui se vantent de mettre des avocats commis doffice à la disposition des accusés dans le besoin, une opération publicitaire à moindre coût quand on voit leur incompétence notoire.
De grandes multinationales gèrent léducation, là aussi selon les revenus de chacun. Un bon salaire permet dinscrire ses s dans une bonne école, un bon lycée, puis une bonne faculté. De toute façon, il ny en a aucune de mauvaise ; quand le pognon narrive pas, le jeune est placé doffice dans un centre dapprentissage après une batterie de tests qui permettent dévaluer au mieux ses capacités. Évidemment, les boulots les mieux payés sont réservés aux gosses de riches, les seuls à pouvoir suivre un cursus universitaire, largent ne peut aller quà largent.
Daccord, on ne parle plus dextrême précarité, le chômage est maîtrisé, une réduction sensible des charges patronales décidée il y a quelques décennies a permis aux entrepreneurs français de se montrer à nouveau compétitifs sur les marchés internationaux. En échange, la plupart des libertés individuelles nexistent plus que dans les souvenirs des vieux professeurs dhistoire ; et gare aux libres penseurs, lÉtat sest bien gardé de se débarrasser des pouvoirs de répression que représentent la police et larmée transformée en milice urbaine.
Ne vous y trompez pas, Marvault, nous saurons vous faire passer lenvie de jouer à lapprentie révolutionnaire, les gardiennes ordonnent, vous obéissez sans discuter, point final. Cest bien compris ? Ici on apprend la vertu du travail, le moindre écart se paie au prix dune année supplémentaire entre ces murs.
La vache ! Heureusement que me tenir peinarde fait partie de mes résolutions ; en tirer cinq me suffit amplement, inutile de forcer le destin. Une femme dans la cellule voisine au dépôt du palais de justice ma prévenue, le directeur du pénitencier a rayé le mot indulgence de son vocabulaire. Les tribunaux se prononcent toujours en faveur de ladministration pénitentiaire lors des procédures de comparution directe de détenus, à huis clos évidemment, autant dire que lalourdissement des peines reste à la discrétion du chef détablissement. Astucieux contournement du droit.
Bien monsieur.
Jouer les fortes têtes ne mapportera rien, autant me montrer réceptive, du moins dans un premier temps.
Je lis dans ce dossier que votre passe-temps favori est la lecture. Et bien arrêtez de fantasmer, Marvault, la bibliothèque est réservée aux détenues de droit commun, jamais une rebelle politique ny mettra les pieds. En revanche, on manque de bras au service entretien, vous commencerez à gagner votre pitance demain. Considérez que vous êtes notre invitée aujourdhui.
Merci infiniment de cette marque de générosité, monsieur le directeur, jessaierai de men souvenir quand vous et votre clique desclavagistes devrez rendre des comptes devant un tribunal populaire. Car laddition se paiera un jour ou lautre ; alors, cest moi qui tiendrai le manche de la matraque.
Vous avez des questions ?... Bon, emmenez-là, reprend-il après mavoir laissé moins de cinq secondes de réflexion.
Curieux sens de lhumour avec ça, je me retourne entre les deux matonnes sans lui souhaiter une bonne journée. Faut pas exagérer.
Ah ! reprend le directeur visiblement aussi pète-sec avec le personnel quavec les détenues, mettez cette morveuse dans la cellule de Maillard, elle lui apprendra vite à respecter les règles.
Privatiser le système pénitentiaire a offert à lÉtat, outre de substantielles économies, de pouvoir sexonérer moralement devant la Cour internationale des droits de lhomme. La surpopulation carcérale est une caricature du passé, les prisons délabrées aussi ; les détenus bénéficient aujourdhui de bâtiments régulièrement entretenus, dune propreté quasi médicale, même la nourriture est qualifiée de bonne. En échange de tant de bonté, on leur demande de travailler, à lil bien entendu, pas question de filer un salaire aux mauvais sujets. La filière textile française a ainsi réussi à se relancer à moindre coûts.
Voici ton pieu, Marvault, lance sobrement la matonne. Après, je me fous de lendroit où tu ronfles tant que tu es dans la cellule au réveil de 6 heures et demie.
Punaise ! On dirait une chambre dhôpital désinfectée sans les lits superposés le long des murs. Le beau-père devrait envoyer sa femme de ménage en stage de formation ici, cette garce apprendrait à astiquer autre chose que le manche de son maître.
Ta codétenue va bientôt rentrer du travail, elle texpliquera tout ce quil y a à savoir sur la bonne marche de létablissement. Bon, ajoute la gardienne cynique, fais comme chez toi, je te laisse tinstaller tranquillement. À tout à lheure au dîner.
Si cette conne savait où elle peut se le mettre, son humour vaseux, mon retour devant le juge serait programmé avant la fermeture électrique de la cellule, un bruit qui va vite devenir familier. Je me retiens de fixer lilleton à la porte, certaine dêtre observée, de peur que ce soit pris pour une provocation. Rester calme, fermer ma gueule, subir en silence, ne montrer aucun sentiment, les évidences sont devenues des réflexes pendant un mois de préventive à Angers, le temps dinstruire mon dossier.
Inutile dexaminer les lieux, toutes les prisons sont bâties selon le même modèle. Un mur porteur donnant sur lextérieur muni dune lucarne qui laisse entrer la lumière du jour, deux lits superposés de chaque côté, une table et une chaise, une télé encastrée fait face à la fenêtre. Le choix est simple, programmes éducatifs sur une chaîne, musique sur la seconde, comédies romantiques sur lautre, histoire de nous rappeler les petits et les grands bonheurs des femmes à lextérieur, des fois quon se risquerait à les oublier.
Ladministration a pensé à tout, chaque cellule est équipée dune douche afin de limiter les risques de bagarre entre détenues. Un plexiglas transparent sert de cloison entre la « chambre » et la « salle de bain », lautre côté reste ouvert, séparé de la cuvette des chiottes par un lavabo surmonté dun miroir encastré, la notion dintimité a disparu du cahier des charges. Évidemment, tout est scellé aux murs ou au plancher, y compris la brosse à dents au bout dune chaînette de trente centimètres.
Salut.
Merde ! Aucun son na annoncé louverture de la porte. Je mets aussitôt de côté le fait quune matonne pourrait surgir nimporte quand en silence pour me concentrer sur ma camarade de misère. On va passer du temps ensemble, autant faire connaissance...
Je naime pas les questions, encore moins les curieuses qui les posent. Respecte mon espace et tout se passera bien, Louise. Moi cest Christelle.
Comment elle connait mon prénom ? « Maillard lui apprendra vite à respecter les règles. », la phrase du directeur résonne péniblement dans mon cerveau, jai intérêt à faire gaffe à ce que je dis. Ma codétenue sallonge sur une couchette, je prendrai celle en face par prudence.
Les gardiennes voulaient peut-être quon me remarque, elles ont réussi leur coup, jarrive bonne dernière au réfectoire à cause dune convocation à linfirmerie. La visite dadmission aurait pu attendre demain ; ou ladministration ne voulait pas que ça rogne sur mon temps de travail. Jessaye doublier les paroles déplacées et les gestes douteux à mon encontre, il doit y avoir quelques frappées dans le tas. Avec la perpétuité réelle prévue dans la réforme du code pénal de 2035, certaines nont aucun espoir de quitter ce trou, leur état mental doit en prendre un coup.
La force de caractère ne sert à rien ici, au milieu de criminelles endurcies. Daprès une habituée rencontrée au centre de détention à Angers, des règles simples peuvent maider à survivre dans un environnement aussi rigoureux quun pénitencier, même à vivre pas trop mal. Rester dans mon coin, ne jamais répondre aux provocations ni fixer les autres dans les yeux, ne moccuper que de mes affaires, rien dinsurmontable jusque-là ; mais là où jai eu un peu de mal à comprendre, cest quand elle ma dit de trouver rapidement une protectrice.
Les gardiennes, pendant la fouille au corps à mon arrivée, mont comparée à de la viande fraiche dont certaines allaient soi-disant se régaler, faut-il comprendre quon va se disputer mes faveurs ? Lenfermement à long terme doit avoir des conséquences sur la vie sexuelle, que je sois hétéro ne dérangera pas tout le monde. La matonne mindique une table au bout de laquelle ma codétenue est complètement isolée. Mieux vaut ne pas trop mapprocher, la mise à lécart ne se fait jamais sans raison. Elle soupire en secouant la tête de gauche à droite.
Ça va, mets-toi en face de moi.
Je fais glisser mon plateau devant le sien en silence, décidée à ne pas me montrer plus envahissante que nécessaire. Les autres ont peur de Christelle, ça me suffit pour linstant. Elle relève le nez de son assiette de pâtes à la crème, le regard froid sous les courts cheveux châtains ; labsence démotions visibles laisse planer une impression de danger. Il en faudrait pourtant de peu pour humaniser le visage lisse aux traits réguliers de quadra issue dun milieu favorisé, un simple sourire par exemple.
Tas pris combien ?
Cinq ans, jai distribué des tracts contre le gouvernement à la fac.
Entre laudience, le transfert et les formalités dincarcération, je nai pas eu trop le temps de penser à ce qui marrivait. Cinq ans, cinq longues années enfermée, sans parler à ma mère ni à ma petite sur, le beau-père a décrété quil ny aurait aucune visite. Cinq ans sans voir un mec, à condition de ne pas être convoquée dans le bureau du directeur, le seul mâle de la taule. Je ne leur courais pas après dans ma vie davant, cétait plutôt linverse, mais jaimais bien me laisser rattr de temps en temps, et pas toujours par le plus rapide.
Tu vas entendre des rumeurs à mon sujet, laisse-les parler, ça mamuse de les voir se triturer les méninges, du moins celles qui en ont.
Et ? Rien, Christelle replonge dans son assiette, fermée, les confidences sarrêtent là. Une autre occasion den savoir plus sur ma codétenue se présentera peut-être plus tard, elle ménage la chèvre et le chou en sintéressant à moi par intermittence, comme si elle réapprenait doucement à discuter avec un être humain.
Ils tont collée à lentretien, je parie. Les politiques ne sont jamais envoyées aux ateliers, il ne faudrait pas contaminer le troupeau.
La pensée révolutionnaire me fait sourire, lhumour de Christelle me rassure un peu sur son état mental ; quoique, une psychopathe aussi doit se montrer sociable par moment, au moins pour approcher ses victimes...
Eh, la nouvelle, tu veux mon dessert ?
Je refuse loffre dun sourire . Dabord je ne suis pas fan du riz au lait, en plus tout doit se payer en taule, dune manière ou dune autre, et le regard de la femme de haute stature à lautre bout de la table me met mal à laise. Elle hausse vaguement des épaules puis se retourne vers ses codétenues, pas longtemps malheureusement, le regard lourd cherche le mien, je le sens.
« Fixe ton assiette, Louise. », me commande la voix de la sagesse.
À la maison, jaurais certainement traîné devant la glace histoire de constater si mes rondeurs avaient disparu par miracle dans la journée. Pas de psyché au pénitencier, ni de phénomène surnaturel, le portrait poupon dans le miroir reste celui dune nana aux formes un peu trop épanouies à mon goût. Je laisse tomber luniforme constitué dune combinaison rouge sans poche, dune paire de socquettes et dune culotte règlementaire, le soutien-gorge nentre pas dans les options, ni les effets personnels. Tout ce qui ne porte pas la marque du pénitencier est interdit.
Le thermostat réglé à 28°, leau me fait du bien, rien ne vaut une bonne douche tiède après une journée pénible, sauf peut-être une baignade dans locéan les yeux rivés à lhorizon, le sentiment de liberté absolue... « Arrête de te r, Louise, ten as pris pour cinq piges, autant ty habi. Ferme ta gueule, fais ce quon te dit, évite les ennuis au moins une fois dans ta vie. » Mon cerveau est de bon conseil ce soir, je décide de lécouter en appuyant sur le distributeur de gel douche liquide scellé à la cloison, encore une mesure de sécurité.
Un savon glissé dans une chaussette fait une excellente matraque.
Je me retiens de sursauter ; Christelle adossée au lavabo me regarde, et pas dans les yeux, son sourire gourmand dit combien le spectacle lui plaît. Parler, surtout la faire parler, quitte à oublier ma promesse de ne pas me montrer trop curieuse, cest ça ou céder à la panique de la voir sinviter sous la douche.
En cours dhistoire jai visionné des vieux films sur la vie en prison au début du siècle, toute cette violence, la saleté, la surpopulation, ça craignait.
On nous en montrait aussi à lécole de police. Eh oui, personne nest à labri de se retrouver en taule, soupire Christelle devant mon air déconfit, une pointe de nostalgie dans la voix.
Merde ! Une fliquette ! Ça explique lattitude des autres à son égard au réfectoire, et ce qui ressemble à de la considération de la part des surveillantes, la prédiction du directeur, surtout les éventuelles rumeurs à son sujet. La survie est devenue une seconde nature chez ma codétenue, certaines sont certainement enfermées ici par sa faute ; jhésite entre la plaindre ou me foutre de sa gueule.
Pourquoi tes là ?
Jai tiré sur mon mari, il me battait, soffusque Christelle un trémolo dans la voix. Le salaud sen est sorti.
Je crois quelle regrette davantage que son mec soit en vie que le fait de se retrouver en taule. Fin des confidences, inutile de demander la longueur de sa peine, une tentative de cest trente ans de détention. La notion de femme battue, les circonstances atténuantes ? Encore des reliques du passé. Les juges laissent les avocats en débattre, ça assure le spectacle au cours du procès ; cependant, aucun verdict na tenu compte de ces éléments depuis la réforme du code pénal.
Ma codétenue se déshabille comme si je nétais pas là, ou car je suis là au contraire. Gouine ou opportuniste, peu importe la raison de son attitude, ma présence linspire, elle commence à se caresser la poitrine négligemment, campée sur ses cuisses largement écartées, le bas-ventre en avant comme une provocation supplémentaire. Lair de rien, au bord de la syncope à lidée de subir des outrages encore plus avilissants, je la surveille du coin de lil.
Tu peux en faire autant, je ne ten voudrai pas, cest meilleur que de se branler chacune de notre côté après lextinction de la lumière.
Et puis quoi encore ! Dabord, je ne suis pas en manque, du moins pas tant que ça ; ensuite, la masturbation est par nature un acte solitaire.
Tourne-toi, montre-moi tes seins.
Je mexécute, carrément effrayée à lidée de faire fantasmer une femme, pressée que ma codétenue en termine avec sa petite affaire pour aller me planquer sous le drap.
Ils sont beaux.
Le compliment ne fait quajouter à langoisse dune situation déjà glauque à mes yeux, mais qui semble parfaitement naturelle à Christelle ; elle pince ses tétons entre ses doigts jusquà les faire durcir en fourrageant dans son entrecuisse dune main furieuse. Oh putain ! Je suis tombée où, là ?
Touche-toi.
La voix nest plus quun filet sonore tremblotant, jobéis une fois encore malgré le dégoût, rassurée de lentendre perdre pied, Christelle va prendre son plaisir rapidement avec de la chance. Pourvu quelle se contente de ça. Leau ne coule plus, merci larrêt automatique. Le silence ne dure pas, aussitôt remplacé par le clapotis de ses doigts dans sa mouille. Complètement déconnecté de mon esprit malmené, mon regard reste posé sur la toison drue, des fois quun diable sortirait de sa boîte.
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