Le Faux Mari (1er Épisode)
A l'aube de la quarantaine, Rosine Durand avait, jusque-là, traversé sa vie sur la pointe des pieds. Fille unique d'un couple d'artisans lyonnais, elle abandonna à l'âge de 19 ans des études laborieuses, pour épouser le fils de ses voisins, ami d'enfance qui fut l'unique homme qu'elle connût. La lune de miel fit long feu et se transforma progressivement en routine ennuyeuse, aggravée par des fausses couches récurrentes qui contribuèrent à l'étiolement de Rosine. Franck, son époux, s'éloignait d'elle en partageant son existence entre son métier de commercial qui le faisait sillonner toutes les routes de la région Rhône-Alpes et ses activités sportives le week end. Pour se sortir de cette spirale dépressive, elle finit par trouver un travail dans un cabinet immobilier, "lugdunum immo", spécialisé dans le logement de luxe qui, du fait de son peu d'expérience et de compétences, ne lui rapportait pas beaucoup mais lui faisait trouver ses longues journées solitaires moins tristes.
Elle avait été une jeune femme mince, assez insignifiante, chez laquelle on remarquait surtout une superbe chevelure épaisse de rousse aux yeux bleu. La pâleur de son teint, la tristesse de son regard accentuaient l'impression d'effacement qui se dégageait de sa personne, comme si elle s'excusait toujours d'être présente. Son entourage s'inquiétait de son aspect maladif que ses échecs de maternité entretenaient.
Paradoxalement, son corps avait pris la direction opposée en s'épanouissant alors que sa vie lui paraissait se rétrécir. Ses formes s'arrondirent au point d'accéder à une plénitude dont elle ne prit absolument pas conscience. Pour elle, cette transformation était un fardeau supplémentaire. Le regard et les reproches de son mari en étaient grandement responsables car il ne cessait de lui rappeler les kilos supplémentaires dont il ne voyait que la surcharge alors qu'il aurait dû prendre conscience de l'embellissement de sa femme. Cette métamorphose l'écartait de l'image qu'il avait de l'épouse idéale qu'elle lui avait paru incarner jusque là: discrète, réservée et effacée.
En ce jeudi de veille du 1er novembre elle ne travaillait que le matin, le cabinet étant fermé l'après-midi. Elle était particulièrement désespérée car elle pensait pouvoir réaliser la première de ses ventes importantes avec une charmante propriété de l'avenue des Belges. Le client qu'elle avait attendu pendant plus d'une heure, n'étant jamais venu. Son patron avait oublié de l'informer qu'il n'était plus intéressé. Décidément elle ne comptait pour pas grand chose dans ce cabinet. Comme ailleurs! Son mari était parti pour le week end avec des copains pour parcourir à vélo les monts du Beaujolais. La perspective de ces trois jours à passer seule à Lyon l'épouvantait. Aussi, elle décida de consacrer son après-midi à elle et de se rendre dans les galeries commerciales de la Pardieu pour faire quelques emplettes.
Elle remonta dans sa mini-cooper verte foncée et entra dans le parking souterrain où elle trouva une place à côté d'une tiguan wolkswagen aux vitres teintées, si bien qu'elle ne pouvait se rendre compte qu'un homme était assis dans cette voiture.
Raoul Bargeon avait atteint une cinquantaine que l'on peut qualifier de "triomphante" dans la mesure où, ayant hérité des multiples concessions automobiles de son père, il avait eu tout le temps nécessaire pour consacrer l'essentiel de son existence à séduire les femmes. Il était devenu une sorte d'artiste en la matière qui ne se contentait pas de consommer ses proies mais qui adorait de plus en plus la difficulté dans ce délicat exercice. Lorsqu'il vit arriver cette petite mini coopère, il s'inquiéta, en apercevant une femme au volant, pour la carrosserie de sa tiguan flambant neuve. Mais ce nuage sur son front laissa très vite place à une éclaircie lumineuse quand il découvrit la superbe chevelure rousse de la conductrice. Du promontoire que lui offrait la position haute de sa voiture, il avait une vue plongeante parfaite sur l'intérieur de la petite voiture. La femme paraissait a peine la trentaine, pourtant il lui semblait qu'elle pouvait en faire quarante. Une raie asymétrique séparait son épaisse crinière rousse en une partie gauche qui tombait droite pour se réfugier sur sa nuque, tandis que la droite, beaucoup plus massive, barrait son front pour s'étaler ensuite en cascade noyant son cou et son épaule droite. Cette coiffure, à l'effet sauvage étudié, créait une dissonance avec son visage rond d'une innocente pâleur accentuée par son maquillage qui faisait ainsi ressortir un regard bleu aux sourcils bien dessinés dont la couleur trahissait l'authenticité de rousse. La bouche sensuelle et gonflée se posait sur ce visage rond d'ingénue comme une incongruité que dissimulait mal un rouge à lèvres qui n'avait pas osé souligner la provocation d'un ton trop vif. Une main soigneusement manucurée, aux ongles vernis rouge cette fois, défit la ceinture de sécurité et découvrit au regard de Raoul un corsage blanc aux rondeurs prometteuses sous une veste de tailleur grise où il pouvait distinguer un écusson bordeaux, portant en lettres noires "Lugdunum immo", assorti à la cravate rayée.
En quelques secondes, le séducteur "professionnel" avait obtenu deux informations intéressantes : une femme ravissante hésitant à étaler les avantages dont la nature semblait l'avoir dotée; une employée de la célèbre agence immobilière lyonnaise réservée aux possesseurs de gros portefeuilles. Mais que venait-elle faire dans un parking de galerie commerciale au début de l'après-midi?
La femme se retourna vers la banquette arrière pour saisir son sac à mains ce qui tendit le corsage et confirma le volume conséquent de sa poitrine. Puis, posant le sac sur le siège avant, elle en sortit un tube de rouge à lèvres et tendant son visage face au rétroviseur elle appliqua délicatement le rouge à lèvres sur sa bouche pulpeuse qui s'enlumina d'un rose nacré. Raoul se délecta du mouvement de ses lèvres s'appliquant l'une sur l'autre pour mieux répartir le voile brillant. Un petit bout de langue se montra sous la lèvre inférieure comme pour s'assurer du résultat et Raoul en sourit. Le tube revint retrouver sa place dans le fouillis du sac à mains et un petit poudrier sortit. Ses mains avaient la grâce et le pouvoir de celles d'un magicien sortant du sac à mains à chaque fois un objet fantasmagorique pour un spectateur aussi averti et absorbé que Raoul. Le toupet répandit la poudre nuageuse sur ses joues accentuant le caractère juvénile de son beau visage rond. Puis elle remit le rétroviseur dans le sens de sa fonction originelle. Rosine se redressa plongea une nouvelle fois sa main magicienne dans le "sac à miracles" et en sortit un vaporisateur de parfum. Son visage s'inclina avec élégance sous l'effet des fines gouttelettes sur son cou. Puis ce charme sembla rompu quand elle referma son sac et que Raoul s' imagina entendre le bruit sec du fermoir agissant dans sa tête comme un clip de fin.
Son instant de détresse toute relative ne dura pas longtemps. La portière s'ouvrit et il découvrit la jupe grise tendue à en craquer trahissant la présence de cuisses passablement dodues.
Le clignotement des feux de la voiture, actionné par la clef de la femme s'éloignant vers les galeries commerciales, indiqua à Raoul que l'heure était venue d'établir son plan d'approche. Son expérience lui avait appris que la réussite de la séduction nécessitait une analyse froide et précise du sujet. Cette femme travaillait dans une agence immobilière de luxe et portait donc une tenue qu'elle n'avait pas choisie mais qui lui était imposée par son employeur. Elle avait ainsi toutes les apparences d'une femme aimant plaire, mais seulement les apparences, car la présence anormale d'une banale culotte de coton blanc sur des dessous et sous un tailleur de qualité la trahissait. La culotte était, de ce qu'il avait vu, la seule pièce de tissu qui n'avait pu être choisie que par elle. La vérité résidait donc là. Raoul en déduit que cette femme était une épouse probablement fidèle qui ne cherchait pas spécialement à plaire et qui n'avait pas eu le temps de se changer pour venir faire des emplettes entre deux appartements à faire visiter. Elle était donc probablement pressée et il fallait établir très vite un contact avec elle mais sans qu'elle puisse se rendre compte de l'objectif réel de la démarche.
Il n'avait pas de temps à perdre aussi il quitta sa voiture pour suivre la belle à distance guidé par les effluves de son parfum, mêlés à la musique de ses talons. Une fois dans la galerie il se rendit compte de suite que la belle n'était pas pressée. Plutôt que de se diriger vers une boutique précise, elle flânait nonchalamment dans les allées, marquant de nombreuses poses devant les boutiques sans visiblement vouloir faire nécessairement des achats. C'était un bon point pour le plan de Raoul : il avait le temps, probablement tout l'après-midi, pour faire le siège de la jolie rousse. Il entreprit d'éviter de l'approcher de trop près pour la "survoler" comme un oiseau de proie sans jamais la perdre des yeux. Il prit, pendant une heure, un malin plaisir à se délecter du spectacle de cette jeune femme faisant les vitrines. Ses arrêts lui racontaient beaucoup sur son comportement : négligence totale des magasins de bouche; pas d'intérêt particulier pour les boutiques de vêtements ou de bijoux luxueux ; comportement d'habituée des parfumeries et des soins corporels; insistance devant la décoration intérieure; longs arrêts devant les agences de voyage et les librairies. Il en déduit qu'il avait à faire à une femme complexée par son excès de poids, aux ressources relativement modestes, attentive à son aspect corporel, sortant peu et passant beaucoup de temps à la décoration de son logement et surtout rêvant de voyages et passionnée de lectures. C'est ce côté romanesque et rêveur qui interpella Raoul. Voila la faille! Il était peut être en présence d'une Emma Bovary qui ne demandait qu'à éclore pour peu qu'on lui ouvre des perspectives, insoupçonnées jusque-là, de sortir de son univers de petite femme au foyer sans doute négligée par un époux trop absent. Il espérait ne pas se tromper mais que risquait-il?
Comme un général d'armée il choisit son terrain : il avait repéré un salon de thé qui lui paraissait tout à fait adapté. En effet, cette femme, qui paraissait fragile, serait probablement effrayée par un abordage à la hussarde avec invitation dans un bar. Il ne trouvait d'ailleurs aucun intérêt à "la jouer" ainsi. Il lui fallait du raffinement et de l'inédit dans sa démarche. Le lieu étant déterminé, il devait choisir son angle d'attaque. La personne elle-même lui paraissant inaccessible d'emblée, c'est donc la profession qui lui paraissait être le vecteur de l'approche. Se fiant à son intuition, il s'arrangea, pour la première fois, à venir en face d'elle de façon à ce qu'ils se croisent devant le salon de thé.
Rosine savourait ces instants qui n'appartenaient qu'à elle. Elle n'avait pas d'amies, encore moins d'amis, et elle savourait cet après-midi où sa solitude ne lui paraissait pas un fardeau mais une liberté. Elle se sentait légère même si l'approche d'un nouveau week-end seule à la maison aurait dû la rendre triste. Ignorant la boutique de maroquinerie devant laquelle elle passait, elle fut surprise quand Raoul se posa devant elle et dit :
- Pardon madame! Puis-je me permettre d'ennuyer un instant l'agent immobilier que vous devez être. Et son regard se posa sur l'écusson de "lugdunum immo'" ce qui lui permit de jauger le volume conséquent de la poitrine de la belle rousse sans paraître concupiscent.
- Euh oui! fit-elle, surprise par l'intervention de cet homme qu'elle n'avait pas remarqué jusque-là.
- Veuillez m'excuser mais je cherche vainement depuis plusieurs mois à acheter un appartement ou une maison sur Lyon et je n'ai trouvé aucune agence capable de satisfaire mes exigences.
La bouche pulpeuse de Rosine qui s'était arrondie de stupeur en étant ainsi abordée se referma en un sourire dessinant un arc luisant et épais de rose formé par les lèvres nacrées de rouge à lèvres.
- Oh mais nous avons certainement une solution mais l'agence est fermée cet après-midi et
Raoul sourit en se disant qu'il avait vu juste, et l'arrêta aussitôt :
- Vous êtes peut-être la personne qui va sauver mon week-end! Acceptez que nous nous entretenions un moment à propos de ma recherche car je désespère de trouver une solution.
Rosine ne savait que répondre. Cet homme semblait si sincèrement ennuyé qu'il en était touchant. Et puis, elle avait besoin de rentrer un contrat car elle était toujours à la recherche de son premier client fiable.
- Tenez, ajouta très vite Raoul en voulant exploiter la surprise, entrons dans ce salon de thé pour en discuter.
Elle sourit et se laissa faire sans penser une seconde à un stratagème quelconque élaboré mas cet homme surprenant. Raoul la fit passer devant lui entre les tables art déco de cet établissement au charme faussement désuet. Il sourit en se disant que le mobilier s'accordait parfaitement avec ce qu'il avait aperçu sous la jupe de la dame. Son regard put insister sans précaution sur les fesses arrondies portées assez haut et qui tendaient la jupe jusqu'à laisser se deviner le pourtour de la culotte large dont le charme inattendu prenait alors toute sa dimension. Le bruit des talons s'estompait sur la moquette épaisse mais était avantageusement remplacé par le crissement du nylon né du frottement des cuisses à chaque pas. Rosine retint sa jupe au moment de poser son fabuleux fessier sur le bridge plutôt haut mais ses cuisses disparurent sous la table ronde où elle posa son sac à mains. Le garçon en livrée s'approcha et elle demanda un thé vert sans sucre.
- Vous prendrez peut-être une petite pâtisserie? glissa Raoul malicieusement.
- Vous n'y pensez pas! répondit-elle spontanément, je viens de prendre dix kilos en trois ans!
- C'est ce que disent toutes les femmes qui ne savent pas ce que c'est qu'être grosse! et il ajouta : un thé pour moi aussi mais avec du sucre.
Ne souhaitant pas aborder trop tôt la conversation professionnelle sans avoir plus d'éléments, Raoul reprit:
- Ainsi vous n'avez travaillé que ce matin?
- Oui! D'ailleurs ce fut un véritable fiasco dit -elle en soupirant, ce qui fit se soulever sa lourde poitrine sous le corsage blanc.
- Racontez-moi cela chère madame, reprit Raoul en fronçant les sourcils pour mieux manifester son intérêt pour son interlocutrice.
- J'avais à faire visiter un charmant cottage, avenue des Belges, et le client n'est pas venu, mon patron ne m'ayant pas informé qu'il avait abandonné le projet.
- Alors chère madame, sachez que je préfère ainsi traiter directement avec vous qu'avec un goujat de cette espèce.
Cette réponse fit du bien à Rosine. C'était la première fois qu'elle ne se sentait pas une subalterne à qui on ne confiait que des tâches sans intérêt. Elle sourit à Raoul avec un air de femme reconnaissante. Celui-ci sentit qu'il avait réussi la première étape de la séduction. Il s'était mis dans son camp et occupait en elle une place qui n'était visiblement prise par personne, ce que lui confirma les propos de Rosine quand, inarrétable cette fois, elle poursuivit :
- Vous savez, il y a peu de temps que je travaille car jusque là j'étais femme au foyer. Mon mari gagnait très bien sa vie mais depuis quelques temps la boite pour laquelle il travaille est en difficultés. Aussi j'ai trouvé cet emploi pour lequel je ne suis pas formée et c'est très difficile. Je comptais énormément sur cette vente pour montrer de quoi je suis capable et c'est foutu
Heureusement que mon mari est absent pour le week-end car il m'aurait rappelé sans cesse qu'il m'avait dit que je ne réussirai jamais dans ce métier.
Et un voile triste assombrissait le beau visage empreint d'une naïveté troublante. Raoul prit la physionomie du confident qui compatit tout en se réjouissant de ce que la belle lui confiait. Il avait donc en face de lui une femme vulnérable qui avait besoin d'un point d'appui pour se sortir de son état dépressif.
- Si je peux me permettre chère madame, je crois que j'aurais aimé être votre époux pour au contraire vous encourager à poursuivre dans cette voie.
- Oh! vous êtes gentil mais je crois que je ne suis pas née sous une bonne étoile.
- Je ne puis croire cela en vous regardant vous devriez au contraire remercier la nature. Et il n'en ajouta rien de plus que cette allusion à son physique, ne voulant pas paraître comme un dragueur, mais comme un homme cherchant à lui donner confiance.
Le visage de Rosine s'empourpra sous le compliment.
- On m'a toujours dit que je manquais de confiance en moi, c'est peut-être vrai, dit Rosine en baissant les yeux et en portant sa tasse de thé à sa jolie bouche.
Raoul en profitait pour dévisager un peu mieux le visage rond qui lui semblait à double face : d'un côté une candeur symbolisée pas sa pâleur, son regard naïf, son maquillage plutôt fade, une voix de gamine; de l'autre, une coiffure accrocheuse avec ce déséquilibre troublant entre la mèche épaisse cachant une partie du visage et celle découvrant son oreille gauche, des joues généreuses comme son corps, une bouche pulpeuse de gourmandise.
- C'est certainement vrai, confirma Raoul. Mais vous voyez je vous regardais quand vous buviez votre thé et je me demandais si vous n'étiez pas du signe des gémeaux.
- Comment avez-vous deviné? fit Rosine stupéfaite en écarquillant ses beaux yeux bleu.
- Il suffit de lire en vous chère madame. Vous avez une face visible où domine le manque de sureté, de maîtrise et de confiance et une plus ou moins cachée selon que l'on porte plus ou moins attention à votre personne.
Prise au jeu du séducteur, Rosine, avec un enthousiasme spontané, l'interrompit :
- Mais que lisez vous donc en moi de caché?
- Je risque de passer pour une vieille liseuse de bonne aventure.
Rosine éclata de rire à ces mots et Raul savoura la première réussite de son plan.
- Dans les boules de cristal de votre regard, chère madame, je lis que vous avez un potentiel de réussite qui ne demande qu'à s'épanouir. Il vous faut simplement trouver le levier nécessaire ou plutôt l'élément révélateur de ce potentiel.
Et Raoul se tut en regardant la trace de rouge à lèvres sur le bord de la tasse de thé tandis que le regard de Rosine s'évaporait dans un nuage songeur qu'il lui suffisait de laisser cheminer en elle sans rien ajouter. Il but à son tour une gorgée de thé, en évitant de grimacer, et un court silence qui parut pourtant interminable, flotta sur eux. La jeune femme était quelque peu désorientée pas les paroles de cet homme dont elle ignorait tout et qui pourtant semblait la connaître parfaitement. Et puis, il était si séduisant avec sa chevelure poivre et sel et son regard bleu-gris. Sa voix était d'une douceur et d'une gravité qui entrait en vous par tous les pores de la peau.
- Alors chère madame ce cottage?
Ces mots sortirent Rosine de son songe et elle sourit :
- Il vous faudra attendre lundi! dit-elle avec une pointe de regret dans la gorge.
- Mais c'est impossible! je suis toute la semaine prochaine à Paris. Vous savez je suis propriétaire de plusieurs concessions automobiles et j'ai lundi une réunion capitale avec tous mes chefs de d'agence.
Rosine pâlit. Allait-elle encore une fois voir une affaire lui échapper ? Ce n'était pas possible. Et puis, elle avait confiance en cet homme. C'était la première fois qu'elle se trouvait seule avec quelqu'un d'autre que son mari dans un lieu public et elle n'éprouvait aucune gêne, elle se sentait en sécurité avec lui, il était courtois et il s'intéressait à elle. Pour la première fois, elle parlait avec un homme qui semblait la considérer, lui apporter une attention particulière, la traiter autrement que comme une femme subalterne. Son regard de biche aux abois chercha celui de Raoul Bargeon en espérant voir une lueur d'espoir
- Vous m'avez bien dit que vous étiez seule ce week-end, chère madame?
- Oui mon mari est absent, dit-elle attendant cette bouée de sauvetage qu'elle n'osait proposer.
- Alors retrouvons-nous demain à onze heures devant le cottage.
Le visage de Rosine Durand s'éclaira comme celui d'une gamine à qui l'on offre un cadeau inespéré.
- Je n'osais vous le proposer, répondit-elle soulagée.
- Voici ma carte au cas où vous ayez un contre-ordre.
- Voila la mienne, mais je serai là vous pouvez compter sur moi.
Cet échange de cartes était le trait d'union permettant à Raoul de prendre congé de la belle rousse :
- Vous avez sans doute encore quelques emplettes à faire?
dit-il faussement.
- Oui je n'ai rien acheté aujourd'hui mais je dois me rendre chez Lady Vintage, c'est mon magasin de vêtements préféré, et elle confia, comme un clin d'oeil très féminin, c'est le seul endroit où le 44 ne me boudine pas.
- Alors à demain sans fautes?
- Oui dit-elle en tendant sa main à celle de Raoul Bargeon qui, habilement, n'en profita pas pour appuyer ce premier contact charnel.
Rosine sortit non sans un dernier sourire à ce client qui tombait vraiment à point comme une bénédiction céleste.
Raoul la laissa s'éloigner et en profita pour faire le point. La réussite était totale jusque-là : il avait pu dépasser, en toute discrétion, le côté professionnel pour entamer une progressive déstabilisation du petit confort routinier et ennuyeux de cette jeune femme. Il fallait maintenant créer la surprise, un choc dont elle ne pourrait ni se défaire, ni se remettre.
Il sortit du salon de thé et se dirigea vers la boutique Lady Vintage. La contemplation de la vitrine lui apprit qu'il s'agissait d'une franchise spécialisée dans les vêtements classiques privilégiant le néo-rétro si l'on peut utiliser un tel anachronisme. D'ailleurs Raoul pensa que cette superbe rousse était tout à fait l'incarnation de ce style. Il ne la voyait plus dans le magasin et en déduit qu'elle essayait un vêtement dans une cabine. C'était le moment pour entrer.
Une dame blonde en tailleur noir l'accueillit. Malgré son sourire très commercial, il eut le temps d'apprécier la classe de cette femme qui avait vraisemblablement dépassé la soixantaine mais qui, dans son tailleur noir, paraissait encore séduisante.
- Bonjour monsieur, puis je vous être utile?
- Certainement madame, je suis le mari de madame Durand et je crois qu'elle vient d'entrer ici. Je voulais lui faire une surprise.
Le visage de la vendeuse marqua un instant de stupéfaction mais en bonne professionnelle elle retrouva son large sourire pour lui dire :
- Monsieur Durand! Mais c'est votre épouse qui va être ravie depuis le temps qu'elle se désole de devoir venir choisir seule ses toilettes.
Puis, elle fronça un instant les sourcils en fixant le faux-mari car elle peinait à imaginer que la petite madame Durand, si effacée, puisse être mariée à un homme d'une aussi belle prestance. Elle tourna les talons et lui dit de la suivre vers les cabines d'essayage.
Pendant ce temps, Rosine venait de quitter tailleur, cravate et corsage pour essayer une robe grise ample visiblement un peu grande. Elle pensait en même temps à cet homme qui allait peut-être acheter ce cottage d'un million d'euros, c'était un véritable jackpot pour elle totalement inespéré.
Raoul suivait la vendeuse, sans doute la propriétaire de cette petite boutique qui regorgeait de modèles au charme désuet bien troublants, et, en la suivant, son regard s'attarda sur le rayon lingerie plein de guêpières, petites culottes, soutien-gorge,nuisettes, dentelles ,satin ,nylon et soie comme autant de joyaux érotiques. Il se demanda si la vendeuse portait ce genre de dessous et il mata sans vergogne son cul qui se dandinait sous la jupe du tailleur. Peut être un peu molles les fesses, mais à son âge, de la prestance quand même.
- Madame Durand voila une belle surprise pour vous, dit-elle en arrivant devant les cabines d'essayage, et elle ajouta : votre mari est enfin venu pour vous aider à choisir!
Rosine qui enfilait la robe grise l'échappa et on pu voir le tissu tomber sous l'espace laissé en bas de la cabine par le rideau. Elle tremblait de tout son corps n'en croyant pas ses oreilles. Mais que faisait Franck ici, il devait juste passer à l'appartement pour prendre son vélo et ses affaires pour le week-end? Une peur panique s'empara d'elle quand elle pensa que peut-être il l'avait aperçue seule en conversation avec un homme dans le salon de thé. Ce n'était pas possible depuis maintenant 18 ans qu'il étaient mariés, jamais elle n'avait eu la moindre conversation avec un autre homme dans un lieu public et il fallait qu'à l'âge de 37 ans, elle soit surprise en flagrant délit. Mais je suis folle se dit-elle, je n'ai rien à me reprocher, c'était pour le travail. Oui, mais il savait qu'elle ne travaillait pas cet après-midi. Comment lui expliquer, lui qui était si jaloux!
- Je vous laisse avec votre épouse dit la vendeuse en souriant d'une façon qui parut étrange à Raoul.
Il s'approcha du rideau. Il savait que la belle s'apprêtait à enfiler une robe et il ne voulait rien perdre du spectacle. Rosine vit la main saisir le bord du rideau et s'apprêtait à tout expliquer à Franck quand elle se raidit en voyant monsieur Bargeon qui lui souriait en mettant son doigt sur sa bouche pour lui faire : chut!
Désemparée par cette apparition à laquelle elle ne s'attendait nullement, elle resta immobile, tétanisée, oubliant sa robe tombée à ses pieds et son corps seulement revêtu de ses dessous. Partagée entre le soulagement de ne pas voir apparaître son mari et l'épouvante de se retrouver face à un homme qu'elle connaissait à peine, et ceci dans une telle tenue. Elle était incapable de parler, de manifester ni sa honte ni son refus. Elle aurait voulu disparaître, s'échapper, mais elle se sentait prisonnière de cette situation incroyable, surnaturelle. Et puis comment ne pas entrer dans le jeu de cet homme puisque Laurence, la vendeuse qu'elle connaissait très bien, était persuadée que cet homme était son Franck? Il lui fallait très vite se remettre et faire bonne figure malgré une situation qu'elle n'était absolument pas prête à surmonter.
Voyant sa détresse, Raoul se pencha à son oreille et dit :
- Pardonnez moi mais depuis que je vous ai quittée je rêvais de devenir votre mari ne serait-ce que quelques minutes. Ne brisez pas ce rêve qui je vous le promets restera éphémère.
Elle ne pouvait refuser et puis le ton de sa voix, le regard de chien battu qu'il lui faisait, finirent de la désarmer et elle esquissa un petit sourire de consentement arraché.
- Bon murmura-t-elle mais n'en profitez pas trop.
L'adverbe "trop" était, si l'on peut dire, de trop. En fin observateur, Raoul le perçut immédiatement et comprit que la belle rousse lui laissait un peu de marge dans les limites qu'elle était obligée de lui opposer. Raoul profita aussitôt de la situation en restant avec elle derrière le rideau de la cabine en dépit de ses regards effrayés lui intimant de sortir. Il détailla d'un regard panoramique ses dessous : un soutient-gorge très "pragmatique" en nylon noir genre "coeur croisé de playtex" qui était sans doute une offense à la beauté de sa poitrine ; une large culotte blanche de coton sans aucune fantaisie recouvrant totalement le porte jarretelles noir ; de longues jarretelles descendant aux deux tiers des cuisses pour tenir les bas fumés qu'il avait croqué du regard dans le parking. Il évita de sourire devant tant de fautes de goûts. Il s'accroupit aussitôt pour saisir la robe grise et la remonter le long de ses cuisses qu'il évita de toucher pour ne pas effrayer la belle madame Durand. Lorsque le tissu de taffetas arriva à sa taille, elle le saisit pour relayer les mains de Raoul et cacher le plus rapidement possible la vision de sa poitrine. Une fois la robe remontée jusqu'à ses épaules il lui dit:
- Chérie retourne toi je vais remonter la fermeture éclair.
En lui jetant un regard furieux, elle se tourna et il se délecta du bruit de la fermeture tandis que ses doigts remontaient dans son dos. Il était certainement le premier homme à la toucher autre que son mari. C'était la première fois qu'un homme l'aidait ainsi à se vêtir et cela l'attendrit en dépit du contexte.
Il sortit et aperçut la vendeuse qui, de son comptoir, n'avait certainement rien perdu et paraissait très intéressée.
Elle s'approcha au moment où Rosine sortait fagotée plutôt que vêtue dans cette robe sans fantaisie.
- Alors chéri qu'en penses tu?
Il faillit s' en avalant sa salive tellement il fut stupéfait à quel point elle jouait bien son rôle pour sauver la face. Il fit une petite moue en regardant la vendeuse qui souriait et dit :
- Vous voyez madame Durand vous devriez venir plus souvent avec votre époux je sens qu'il a une meilleure idée. Et elle croisa avec complicité le regard du supposé mari.
- Effectivement, répondit Raoul en souriant à son tour à la vendeuse en qui il sentait une alliée bien involontaire. Pouvez-vous m'aider à choisir quelque chose de plus glamour pour mon épouse?
Rosine les regarda s'éloigner vers les rayons restant devant les cabines face à ce sketch incroyable dont elle était le centre malgré elle. Il lui sembla qu'une certaine complicité s'installait entre Laurence et son "mari" et elle se surprit à en prendre ombrage comme si le jeu l'emportait sur la réalité. Elle était certes rassurée par la tournure du stratagème, mais elle en voulait au comportement de Laurence qui pourtant en apparence était bien normal.
- Regardez cette petite robe en jersey qui contient juste assez de lycra pour la maintenir collée au corps, proposa Laurence. Il y a un mois je l'ai proposée à votre épouse et elle n'a pas osée la prendre la trouvant trop courte et trop près du corps.
- Je fais confiance à la professionnelle, dit-il à la vendeuse dont le sourire était de plus en plus espiègle, lui semblait-il. Visiblement cette respectable soixantenaire s'amusait beaucoup de cette situation. Mais à quel degré?
-Tiens ma chérie essaie donc cette robe qui est faite pour toi.
- Elle reconnut la robe qu'elle avait essayée l'autre jour et rougit, avant de disparaitre derrière le rideau.
Raoul n'osa pas infliger une autre épreuve d'exhibitionnisme à Rosine et entraina Laurence vers le rayon lingerie.
- Pouvez-vous glisser discrètement dans le paquet cet ensemble en soie et dentelle noir lui demanda-t-il en montrant le modèle affiché sur un mannequin comportant soutient gorge, porte jarretelles, string et bas fumés.
Laurence sourit à nouveau et s'exécuta aussitôt :
- Je l'ai justement dans sa taille, c'est une chance.
Lorsque Rosine apparut dans cette robe , elle parut transformée. On aurait dit que la robe avait été cousue sur elle tellement elle paraissait être plus une seconde peau qu'un tissu. Elle sourit à Raoul avec l'air gêné de celle qui se croit illégitimement provocante. Elle lut la satisfaction dans le regard de son "mari" qui s'illuminait. Il y avait bien longtemps que son vrai mari ne l'avait pas regardée avec une telle intensité. Elle tourna sur elle-même découvrant un côté fesses moulé dans la robe qui traduisait avec une précision chirurgicale les moindres plis, replis, creux et rondeurs de son corps. Elle se retrouva de nouveau face à lui. Sur sa poitrine le tissu était au contraire souple et froncé ce qui rendait le profond décolleté en rond plus incertain dans sa fonction suggestive mais suffisamment révélateur du volume de ses seins. Encore flottante sur son ventre la robe se rétrécissait sur ses hanches pour mouler ses cuisses à l'extreme. La robe s'arrêtait juste au-dessus du genoux mais le lycra promettait la remontée récurrente du tissu sur les cuisses dodues.
Lorsque la vendeuse revint, Raoul devança Rosine en disant :
- Nous la prenons. Elle est parfaite. Comme toi ma chérie ! ajouta-t-il.
Quand Rosine se retrouva seule dans la cabine en essayant de se dégager de cette robe étroite au possible, son premier réflexe fut de penser qu'elle ne pourrait jamais la mettre devant son mari. Et puis en se regardant dans le miroir, elle se surprit à sourire à son corps, ce qu'elle n'avait pas fait depuis son adolescence. Elle se souvenait des longs moments où elle se regardait dans la glace alors que son corps devenait celui d'une femme. Bien sûr, elle était beaucoup moins grosse à cette époque. Cet homme, qui paraissait très à l'aise avec les femmes et qui avait sans aucun doute une longue expérience d'elles, la trouvait ravissante. Et s'il avait raison?
Elle rejoignit à la caisse Raoul qui venait de régler. Elle s'approcha de lui n'oubliant pas son rôle.
- Merci chéri!
- Et ma récompense? fit-il en se penchant pour approcher son visage du sien.
Rosine surprise marqua un temps d'hésitation qui n'échappa pas à la vendeuse, mais bien vite tendit son cou pour recevoir un baiser à peine chaste sur ses lèvres nacrées qui imprimèrent de rose celles de Raoul. Jubilant, il lui proposa son bras qu'elle prit pour sortir du magasin.
Une fois dehors, Rosine se sentit obligée de manifester sa colère.
- Mais vous êtes complètement fou! Vous vous rendez compte de la situation dans laquelle vous m'avez mise?
Comme s'il n'avait pas écouté il lui répondit :
- Merci madame Durand d'avoir accepter de me laisser rêver pendant ce court instant.
- Mais je n'ai rien accepté! je n'avais pas le choix de faire autrement.
- Je saurai me faire pardonner demain matin. A onze heures, vous n'avez pas oublié?
Cette évocation la calma quelque peu et sans sourire elle acquiesça en repensant au million d'euros du cottage alors que Raoul, lui, avait une perspective bien plus ambitieuse.
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