Soirée Découverte

J’avais espéré ce soir, sans y croire. J’avais reçu ton “invitation” avec une grande surprise, mais dissimulée. Imaginer que je puisse être là restait du domaine du fantasme. Là, non seulement j’allais basculer du rêve à la réalité en ce qui me concerne, mais, qui plus est, je t’y verrai. Double plaisir alors... Mais après tout, ne m’as-tu pas dis un jour que tu étais parfois là où on ne t’y attendait pas ?

La salle est sombre; l’ambiance, feutrée. Quelques appliques éclairent d’une lumière discrètes les murs de velours rouge, mais laissent suffisamment de pénombre aux personnes présentent pour en user et se dissimuler. J’en fais parti, mais j’ai l’impression d’être sous un immense projecteur, à la vue de tous. Le “spectacle” se prépare, je perçois ça et là quelques chuchotements. Mon observation visuelle tout comme auditive teint à me rassurer : finalement, je ne suis pas si exposé que cela. Je n’arrive pas à distinguer les traits des autres personnes, juste une silhouette, des mouvements. Sans plus.

Un homme sort d’une porte dérobée dans le mur, suivi d’une autre personne. Il porte une chaise qu’il dépose au milieu de la salle. Spontanément, un vide se fait tout autour. Je crains que ce mouvement de foule n’amène à ma proximité quelques spectateurs. L’autre personne s’assit : à ses formes, je comprends que c’est une femme.

L’homme se retourne et fait un signe de la tête et de la main : deux ou trois spots puissants illuminent le siège. Tes yeux tentent de dissimuler le gène occasionné par cet afflux de lumière. En même temps, une douce musique commence à les murmures que ta découverte suscite auprès du public. Moi, je ne dis rien. Après tout, avec qui pourrais-je parler ? Je ne connais personne et j’avoue, je ne souhaite pas partager ce moment avec qui que ce soit.

Vêtue d’une veste écrue, ton corps semble, du moins de ma place, onduler au son de la musique. Tu es ailleurs. La veste entrouverte laisse découvrir un chemiser noir, ou bien une sorte de nuisette.

.. Je me satisfais en contemplant tes longues jambes nues. Je ne suis pourtant pas fétichiste, mais les escarpins noirs que tu portes m’enchantent.

Un homme sort de la masse sombre des spectateurs depuis la gauche de la salle. Il a l’air plutôt jeune. Je ne peux pas voir son visage. Il s’approche de toi, par devant, droit, fixe. Au bout de quelques secondes, tu daignes ouvrir les yeux et tu le fixes avec un sourire complice. Il ne lui en fallu pas plus pour comprendre ton approbation. Il s’agenouille en posant les mains sur tes genoux nus. Puis, doucement il écarte tes jambes. Toi, tu es déjà partie : tes yeux sont à nouveau clos, la tête légèrement en arrière, abandonnée peut-être à la pensée des intentions qu’il a.

Il s'avance un peu et sa tête plonge entre tes jambes. Je guette le moindre signe de ton corps qui trahirait ton émoi. Tu es lascive, passive. De lui, on ne voit rien de ce qu’il fait. Aucun mouvement ne le trahit. Mais après quelques minutes, ta tête chavire délicatement de gauche à droite. Tes mains plongent dans sa chevelure pourtant courte et j’ai l’impression que tu te pinces les lèvres.

Certains auraient envié sa place. J’aurais pu en être. J’ai un avantage sur lui : je te connais. Après tout, j’aurais pu en user en passe-droit. Mais je sais la “règle” qui nous interdit de franchir cette limite. Quel plaisir puis-je avoir à te contempler ainsi ? La question me traverse l’esprit. Certainement l’idée que j’en connais un petit peu plus sur toi que la majorité des gens ici. Que je fréquente la Femme. Tu sais aussi que je suis là, sans savoir où, et me dire que peut-être, à cet instant, tu te demandes ce que je vois, ce que je pense, si j’aurais envie d’être à sa place, m’excite beaucoup.

L’inconnu oeuvre dans ton intimité, sans broncher, depuis maintenant plusieurs minutes. Seules quelques crispations de ton corps témoignent de son succès. J'épie chacun de tes gestes : tes poings se crispent et tu bascules soudain la tête en arrière.


Tu poses ensuite la main sur son épaule. Y-a-t-il un code ? Quoiqu’il en soit, il se retire et reprend sa position, face à toi. Vos regards se croisent certainement. Un sourire se dessine sur ton visage. Sans le quitter des yeux, tes mains s’avancent jusqu’à sa taille pour défaire le haut de son pantalon. Tu approches ton visage, non sans lui jeter un dernier regard. Etant de trois quart, je ne peux pas tout voir, mais je n’en ai pas besoin. Je pense que tu as eu envie, si ce n’est de lui faire partager ton plaisir, de lui rendre la monnaie de sa … langue. Ses mains veulent caresser ta chevelure, mais tu lui saisis les poignets pour les immobiliser le long du corps. Il ne proteste pas. Penchée en avant, les mouvements du haut de ton corps illustrent ton entrain. Spectacle étrange... Je ne parle pas de tous ceux qui vous observent (moi y compris), mais plus de cet homme, dans la pénombre, stoïque, et toi, sous la lumière presque aveuglante qui donne vie à votre plaisir. J’imagine, à défaut de voir, ton plaisir sournois à jouer de son sexe dans ta bouche, à dessiner ses contours turgescents du bout de ta langue. Certaines auraient usé de leurs mains, mais tu ne le fais pas. A sa place, j’aurais certainement porté une attention toute particulière à t’observer m’aspirer, me gober. J’aurais savouré chaque millimètre de mon sexe désireux rentrant en toi. Mon esprit n’était plus dans cette pièce : nous sommes ailleurs.

Ton application à lui donner du plaisir porte ses fruits : à son tour, je le vois se raidir et pencher la tête en arrière. Je pense que dans des circonstances plus intimes, il aurait ponctué ce moment d’un râle profond. Pendant quelques secondes, je ne te vois plus bouger, la tête plaquée sur son bas ventre.

Tu réapparais, visiblement satisfaite. A nouveau, le jeu des regards s’instaure. Comme captée par le sien, comme si personne d’autre n’était là, comme si tu avais peur de le perdre, comme si tu ne voulais pas que quelque chose vienne s’intercaler entre vous, tu te relèves de la chaise.
La tête tournée vers lui, tu lui présentes ta croupe, un genou posé sur le siège. Est-ce une impression ou ai-je cru que tu me cherchais l’espace d’une seconde ? Comment pourrais-tu me voir ? Mais j’aurais aimé le savoir...

Il s’approcha doucement de cette offrande qu’il saisit des deux mains. Il te plaqua contre lui et s’immobilisa en toi. Même à cet instant, vos regards ne se quittent pas... je dirais peut-être même que de ta part, il est approbateur... Puis de petits mouvements d’avant en arrière de sa part se manifestent. Difficilement, tu tentes de garder un regard sur lui. Ton corps bouge au gré de son ardeur.

De l’autre extrémité de la salle, un autre homme se faufile à travers le premier rang et s’avance jusqu’à ta tête. Tu te retournes au moment où il est à ta portée. Torse nu, le visage dans l’ombre, il plonge les mains dans son pantalon pour en extraire son sexe. Face à une telle proposition, tu te résous à abandonner du regard ton premier amant. Vos mains s’unissent sur son membre. Je peste enfin en moi sur le choix de ma position : tes attentions se cachent derrière ta chevelure blonde.

De concert, tes deux amants jouent de tes offrandes, de tes attentions. Tu n’es pas en reste visiblement. Dans la salle, les témoins discutent : je vois des têtes qui se penchent sur des épaules, des doigts qui se pointent. Vous êtes examinés, observés, jugés. Performance, originalité, envie ? Je ne sais. Pour moi, c’est ton plaisir qui me vient en tête : je l’espère... profond. Altruisme, empathie, ou … baliverne ? Quelle idée ! Est-ce que je les envie ? Aimerais-je leur place ? Dans l’immédiat, peut-être. Mais je me sens différents de ceux qui t’observent. Frustration ? Si je devais me limiter à l’envie de partager ce que vous échangez, oui. Mais tu abreuves mon imagination au delà de tous mes espoirs. Là, dans les entrailles de mon esprit, tu es mienne, seule. Mon seul regret : ne pouvoir t’en remercier....

La scène me rappelle bien vite à la réalité.
Ton amant qui t’a prise par derrière, suit une bonne cadence et multiple les assauts. Ses mains que tu as tout à l’heure consignées explorent tes courbes. La douce musique du début est maintenant ponctuée des bruits de ses cuisses qui viennent heurter tes fesses. A l’unisson, tu savoures encore plus le sexe de ton second partenaire. Bien cambré, il essaye de te donner toute la longueur qu’il peut. Ta main sur le dossier de la chaise, l’autre tient fermement son membre et ne s’éclipse que lorsque ta bouche est venu à bout … voire, au bout, de sa queue.

L’espace d’un instant, j’imagine ton regard se porter sur lui et … découvrir mon visage... Mais, juste l’espace d’un songe... Mais je dois me raisonner... Certaines choses devront rester ainsi, certaines me sont interdites... Elles restent dans mon esprit où tu n’as pas ton mot à dire.... Mais, il y a des fois, comme ce soir, où j’aimerais qu’elles puissent sortir au grand jour.

Ton premier amant te saisit fermement par les hanches. Une fois de plus, il jouit en toi aussi profondément qu’il le peut, aussi profondément que tu lui permets. Tu libères une main pour le saisir par la cuisse et lui faire comprendre de rester. Dopée par la situation, tu accélères le rythme auprès du second. Je crois voir que ta tête soudain se décale de son bas ventre, tandis que la main que tu avais abandonnée à ton premier reprend sa place sur son membre. Aussi silencieux que le premier, son plaisir ne transparaît pas.

Chacun tente de prolonger ce plaisir. Tu goûtes une dernière fois de quelques aller-retour de la tête cette queue que tu viens de faire exploser. Ils se retirent enfin dans l’ombre.

Tu te relèves puis tu te rassoies sur la chaise, comme au début, les jambes écartées; la tête en arrière; les yeux mi-clos. Ton corps est inondé de lumière. Ton regard parcourt soudainement la salle, défiant, fusillant. Puis, comme un final, tu te replis sur tes genoux et ton visage disparaît en même temps que la lumière s'éteint.

Je reste là, hagard, les yeux pleins d’images. L’extinction de la lumière sonne comme un tombé de rideau. Les spectateurs reprennent possession de la salle. Je voudrais te faire un signe, croiser ton regard, mais je ne te vois plus.

Je me résigne, comme j’étais venu, à repartir seul.

Sur le trottoir, mon téléphone vibre : un sms.

“J’ai passé une très bonne soirée. Je te la raconterai. Biz”

A Stéphanie

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