Qui L'Eut Cru Partie Ii Stratagème

Mercredi 5 novembre 2014 13 heures :

- mais non au contraire, ça me fait plaisir de vous rendre service Françoise, puis vous n’allez pas rester sans chauffage avec ce froid.
- bon ben je vous remercie alors, mais si c’est trop compliqué, vous laissez tomber, je ne veux pas que vous perdiez votre temps avec ça.

Françoise regarde Stéphane Lartigue, assis face à elle, qui termine son repas.
Elle se dit que la vie est parfois bizarre.
Cela fait maintenant plusieurs semaines qu’ils prennent la plupart de leurs repas du midi ensembles, dans ce restaurant d’entreprise.
Pourtant tous d’eux ne semblent pas avoir grand-chose en commun : elle, cinquante huit ans, assez classique, sans aucun éclat particulier, travaillant au service du personnel depuis de nombreuses années, lui à peine trente ans, des cheveux bruns épais assez longs, un anneau à une oreille, un tatouage sur tout l’avant bras gauche, souvent une barbe de plusieurs jours, des santiags, affecté à l’entretien depuis quelques mois, homme à tout faire.

Tout est parti de ce fameux soir il y a quelques semaines, où elle a été victime d’un carjacking sur le parking de l’entreprise.
Elle s’est retrouvée à terre, seule ; c’est Stéphane qui l’a aidée à se relever quelques minutes plus tard..
Heureusement, elle n’était pas blessée, elle a eu la peur de sa vie ce jour là, un vrai traumatisme, elle en fait encore des cauchemars.
Il était plus de 20 heures, il faisait nuit et très froid ; elle a pris l’habitude de travailler tard depuis qu’elle est toute seule, cela lui évite de trop penser le soir, et Stéphane terminait de réparer une machine défectueuse.

La pauvre était choquée, en larmes et totalement perdue, en plus c’est la voiture de Jean-Pierre qu’on lui a volé, une BMW X5, elle y tenait beaucoup, au point d’avoir renoncé à la vendre, alors qu’elle la trouvait pourtant bien trop grande pour elle seule.


Stéphane s’est montré très prévenant, il l’a accompagnée avec sa Peugeot 205 d’un autre âge, jusqu’à la gendarmerie, pour qu’elle porte plainte, il l’a attendu patiemment dans sa voiture pendant plus d’une heure, puis il l’a déposé devant chez elle.
Françoise l’avait quasiment oublié, depuis ce premier jour, où elle l’avait reçu dans son bureau.
Elle se souvient seulement qu’elle avait été assez surprise que le directeur du personnel recrute ce jeune homme, elle trouvait qu’il n’avait pas très bon genre.
Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences !

Après cet incident, il est venu plusieurs fois échanger quelques mots avec elle, au hasard des rencontres, puis il a commencé à venir s’assoir à sa table, le midi à la cantine.
Bien que préférant prendre ses repas seule, pour éviter d’écouter les éternels ragots de ses collègues, Françoise se sentant redevable, n’a pu faire autrement que se montrer aimable.
D’un naturel plutôt réservé, elle appréhendait un peu, dans les premiers temps, ce moment où ils se retrouvaient face à face.
Puis ils se sont aperçus qu’ils avaient une passion commune pour le cinéma, Françoise y allait très souvent avec Jean-Pierre.
Stéphane lui, pirate plutôt les films sur internet, il faut dire qu’il n’a pas trop les moyens d’aller au cinéma.
D’après ce qu’elle a compris, il avait monté une petite affaire, mais un associé indélicat est parti avec la caisse et l’a laissé avec les dettes, il a tout perdu et repart avec rien.
Rapidement, Françoise a été étonnée par l’ouverture d’esprit de cet homme, qui ne correspond pas, a l’idée qu’elle se faisait a priori de lui.
Quelque part, malgré son style complètement différent, il lui rappelle un peu Jean Pierre qui s’intéressait à tout.
Bien qu’elle ne soit pas elle-même d’une culture exceptionnelle, Jean Pierre a su développer en elle cette curiosité qui lui a donné le goût de la connaissance.

Peu à peu, Françoise s’est sentie à l’aise et elle s’est mise à bavarder avec son jeune collègue avec plus de spontanéité.

Parfois d’autres se joignent même à eux.
Lorsqu’ils sont seuls, elle s’est même laissé aller une ou deux fois à évoquer le décès de Jean Pierre, ce qu’elle a toujours du mal à faire, sinon elle parle d’Alexandra, sa fille, qui est prof en région parisienne, où elle vit avec son mari, de son petit fils, ses soucis quotidiens, rien de très original en somme.
Ce qu’elle trouve vraiment agréable, c’est que Stéphane donne toujours l’impression dans ces moments là, de l’écouter attentivement et sincèrement, trouvant toujours quand il le faut, un mot aimable ou rassurant, sans en faire des tonnes non plus.
Lorsqu’elle est avec ses autres collègues, elle s’abstient de parler d’elle, craignant toujours les silences gênés ou les mots de réconfort si creux, si banals, parfois maladroits.
Petit à petit, Françoise a fini par s’habi à ce moment de complicité du midi, allant jusqu’à chercher elle-même son collègue du regard lorsqu’elle entre dans le réfectoire.


Et voila qu’aujourd’hui, alors que le chauffage de sa maison tombe en panne et qu’aucun plombier ne peut se déplacer, il se propose spontanément d’essayer de voir s’il ne peut le réparer.
Françoise, qui a toujours détesté solliciter les autres, est un peu mal à l’aise, mais elle n’a guère le choix, il fait extrêmement froid chez elle et elle ne peut rester plusieurs jours dans cette situation.
C'est dans ses moments là, qu'elle mesure toute l'étendue de sa solitude.


19 heures :

Stéphane n’en finit plus de regarder autour de lui.
Ce séjour fait au moins soixante dix mètres carrés, il est impressionné par ce pavillon.
Il est installé dans un fauteuil, un verre de whisky à la main, Françoise lui fait face assise dans le canapé.,
Elle porte un col roulé noir, un pantalon velours violet finement côtelé et d’horribles chaussettes noires épaisses, il faut dire que la température n’a pas encore retrouvé son niveau normal.
Elle paraît ainsi plus âgée que lorsqu’ils se voient à l’usine, Stéphane se demande encore une fois s’il ne fait pas fausse route.


- Je vous remercie Stéphane, vous m’ôtez une sacrée épine du pied, sans vous je ne sais pas combien de temps je serai restée dans cette situation, dit Françoise soulagée.
- Ce n’était pas grand-chose, juste un réglage de la chaudière.
- peut-être, mais pour une femme seule, le moindre grain de sable et tout devient vite compliqué.
- en tout cas, si je peux vous rendre service, n’hésitez pas.
- Vous êtes gentil, mais vous savez, je crois qu’il me faut voir les choses en face, je vais devoir me séparer de ce pavillon, c’est bien trop lourd… ça fait longtemps que j’y réfléchis, même si ma fille souhaiterais que je le conserve.
- Ce serait dommage, c’est vraiment une belle maison, en plus avec cette piscine, ce doit être très agréable d’y vivre.
- oui, je la regretterai beaucoup cette maison, sans parler de tous les souvenirs.
….
- Avant que j’oublie, je vous dois combien ?
- vous plaisantez.
- absolument pas, je tiens à vous payer et…
- il n’en est pas question, c’était un plaisir de vous rendre service Françoise…
- mais j’insiste, je sais que…
- bon très bien, dans ce cas, un copain m’a donné deux places pour le hockey sur glace, demain soir, le prix ce sera de m’accompagner.
- un match de hockey, mais…
-vous connaissez ?
- non du tout…
- c’est sympa, vous verrez…
- non, non, Stéphane, je ne peux accepter… dit Françoise soudain rougissante.
- et pourquoi ?
- vous avez bien mieux à faire que de passer votre soirée avec une personne comme moi, voyons !
- non, je n’ai pas mieux à faire Françoise, je passerai vous prendre à 19 heures, bon maintenant je dois y allez.

Françoise reste sans voix.

Comments:

No comments!

Please sign up or log in to post a comment!