Les Cavalières
Phèdre shabille de tulles et de dentelles, de robes légères et vaporeuses, ses dessous sont de soie, à ses pieds des escarpins, elle ne porte jamais de noir sur elle, jamais de pantalon ou de collant ; si, des jodhpurs cest vrai, concession, lamazone ne convenant pas, elle regrette, aux obstacles quelle franchit sur son hongre bai.
Peu de hanches, de jolis seins, de longues jambes gainées de gris ou de blanc, souvent découvertes au-dessus du genou, le dos battu de longues boucles brunes nouées lâche dun foulard, elle est toute élégance fragile, sourire et yeux baissés, douceur alanguie qui invite à garder distance, ne pas déranger.
Depuis bientôt quatre ans elle vit seule à Paris, sort peu, Sorbonne, bibliothèque, cinéma parfois, et à Vincennes le dimanche pour monter, sauter des barrières et des haies sur son hongre aux pâturons blancs.
A Vincennes devant les Floralies une jeune femme trop pressée est tombée en se faufilant entre deux voitures garées, joggeuse du dimanche à Vincennes.
Phèdre na assisté à laccident que de loin, alertée dun cri, a vu comme elle sapprochait deux jambes étendues dépassant entre les deux voitures garées.
Elle sest penchée, son sac lourd de sa tenue déquitation glissant de son épaule, sest accroupie sur le gravier de la contre-allée : un bras soutenu dune main, la main ouverte qui tremblait sur la tige dune rose rouge volée sans doute dans les jardins, deux larmes trop lourdes tombant sur du coton blanc, un visage défait privé de couleur, une jeune femme assise adossée au parechoc dune voiture, ses jambes allongées sur le trottoir.
Il fallait deux bras valides pour conduire la Mini de la jeune femme blessée jusquaux urgences les plus proches, puis jusquà son appartement, taper le code douverture de sa porte et sur le palier sortir les clefs ; il fallait fouiller ses placards pour trouver tasses sucre et thé, il fallait ouvrir son armoire, pour un pull à poser sur ses épaules remplaçant le blazer prêté dont elle était enveloppé depuis quun interne avait découpé au ciseau le t-shirt déchiré, pour dénicher dans un tiroir de sa commode un soutien-gorge remplaçant le foulard de soie qui cachait ses seins nus sous le blazer.
Il f allait un vase pour la rose rouge quelle avait gardée.
Marianne a croisé un ange ce dimanche à Vincennes.
Des paroles, très peu. Lessentiel, le nécessaire. Le minimum. Un bras pour la soutenir, un sourire, un regard à peine croisé. Irréel.
Marianne se souvient, quand linterne avait découpé son t-shirt, que la porte de la pièce souvrait souvent sur une infirmière, un autre interne, de ses seins nus piqués de froid et de gêne, du foulard de soie noué autour de son buste et du sourire.
Elle se souvient du foulard détaché dans sa salle de bains, son bras droit soulevé lentement dune main sous le plâtre lemprisonnant du poignet au coude, de la douceur du gant sur sa peau, de la douceur des gestes pour laider à enfiler son grand peignoir, de bain, du départ discret et de la porte tirée pour lui laisser un moment dintimité, du sourire dexcuse pour ajuster dans son dos culotte et pantalon avant quelle ne sassoit dans la cuisine pour le thé préparé pour elle.
Quatre semaines. Elle me rendait visite, téléphonait toujours avant, apportait des sushis, des éclairs au chocolat et des pâtes de fruits, enveloppait mon bras dun sac plastique pour une douche et préparait le thé en mattendant, mes affaires prêtes disposées sur mon lit, une jupe, pas de dessous qui compliqueraient le quotidien empêché, un pull quelle aidait à enfiler.
Elle ne posait jamais de questions, écoutait, je me racontais. Delle je ne savais rien. Que sa douceur et ses yeux baissés quand jinterrogeais, son sourire, quelques mots lâchés, à peine. Deux ou trois fois elle a croisé la secrétaire de lagence où je travaille, a souri un jour dun geste surpris et de ma mine agacée, à mon excuse gênée dune histoire dépassée elle a haussé les épaules et ma dit « Je naime pas les garçons ».
Et moi qui déjà laimais je ne savais pas quoi penser, nosais pas être moi. On ne bouscule pas un ange, mais on peut en rêver.
Fin juin je lai accompagnée à Vincennes, lai suivie au manège pour échauffer Monarque, jai tremblé aux barres blanches et rouges qui tombaient parfois et que jaidais à remettre en place, ménageant mon bras encore affaibli.
En juillet je montais avec elle pour des balades dans le bois sur Cybèle, une jument grise très douce quelle avait choisie pour moi.
En août, je lai remerciée dun baiser volé au bord de ses lèvres pour le foulard de soie peinte quelle passait à mon cou : javais 24 ans un mois avant elle.
Ses mains sur le foulard, elle a levé les yeux, souffle retenu un instant avant de souffler en murmure « Je suis vierge ».
Toujours elle économise ses mots.
Ses mains en coupe sur mes joues elle a balayé des pouces mes sourcils froncés. Elle a fermé les yeux à mon baiser, a retenu mes gestes nouant ses doigts aux miens, « Naie pas peur, je suis à toi, patiente ».
Je lhabille de tulles et de dentelles, de robes légères et vaporeuses, elle ne porte plus de dessous, même sous ses jodhpurs ; effacés les obstacles.
Depuis bientôt un an elle vit avec moi.
Vincennes le dimanche pour monter et sauter des barrières et des haies, elle sur son hongre bai aux pâturons blancs, moi sur ma jument grise.
Ce que je suis, je savais sans lavoir vécu. Ce quelle est, « anguissette », elle ma appris.
La rose du premier jour cueillie aux Floralies que je tenais dans les mains en tombant, elle la porte sur son dos, tige noire qui naît au creux de ses reins et sépanouit en feuilles qui habillent ses épaules, pétales rouges ouverts sur sa nuque sous les longues boucles brunes qui battent son dos, à chaque épine une larme de sang de lécarlate de la tâche dans le blanc de son il.
« Sois patiente ». Jattendais. A chaque séance je tenais sa main, jessuyais son front, enivrée de ses parfums de femme qui venaient au plaisir chaque fois renouvelé quand naissait sous les aiguilles la rose dans son dos.
La rose sur son dos a éclos en deux mois, deux mois je navais delle que ses lèvres à mes lèvres, que ses plaintes et ses cris de femme aux aiguilles qui déchiraient son dos, que son corps alangui assouvi dans mon lit chaque nuit. « Sois patiente, je suis à toi ».
Elle est mienne. Je suis sienne.
Sa douleur, son plaisir et le mien.
Du premier jour où jai déchiré son hymen et quelle se pâmait offerte les yeux clos, elle crie son plaisir et jamais encore elle na prononcé ce seul mot convenu qui marrêterait, « Monarque ».
Jamais encore
Misa 02/2015
« Anguissette » ? Google est votre ami
Personnage étonnant que Phèdre no Delaunay de Montrêve, anguissette héroïne de « Kushiel », la trilogie de Jaqueline Carey.
Mighty Kushiel of rod and weal
Late of the brazen portals
With -tipped dart, a wound unhealed
Pricks the eyes of chosen mortals
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