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Tu sais, il faisait très froid ce soir là. Un vent de noroît avec crachin. Je suis arrivé un peu tard, alors j'ai pris la place qui restait au bout de la galerie. Enfin, même si j'étais arrivé plus tôt, ils m'y auraient envoyé. Allongés les uns contre les autres nos odeurs se mêlent et finissent par être les mêmes pour tous, tabac froid, pisse, bière et ce parfum acide de vinaigre qui se développe par macération du corps sale dans des fringues sales. Ah oui, et l'odeur des chiens, particulièrement ce soir là, où ils étaient mouillés. Je n'ai pas pu rester là, le vent me glaçait et le crachin tourbillonnant trempait mes couvertures, même le chien gémissait un peu.
J'ai pris tout mon barda et on est parti, le chien et moi, à la recherche d'un coin plus abrité. Je savais que ce n'était pas ment prudent, d'y être seul.
J'ai trouvé une entrée d'immeuble, pas très grande mais protégée du vent. Je savais que j'allais me faire virer, je gênais partiellement le passage. Je me suis quand même endormi un peu.
J'ai été réveillé par un mec qui à trébuché sur moi. Il a dit « excuse moi », et à posé sa main sur mon épaule. Il n'avait pas l'air hostile. Il est resté à regarder le tas de loques que nous faisions le chien et moi. « Suis moi » je ne bougeais pas alors il l'a redit « suis moi, viens avec moi. Tu vas dormir au chaud ». « Le chien ? » j'ai dit. « Amène le avec toi ».
J'ai ramassé mon bordel et je l'ai suivi. Les étages il les montait lentement, je voyais bien qu'il était fatigué.
En entrant dans l'appartement, on sentait tout de suite que c'était un appartement de pauvre, meublé de bric et de broc. Le chien s'est tout de suite couché dans la cuisine contre le radiateur.
Il m'a donné deux serviettes de toilette, une brosse à dent et puis un slip et un tee-shirt blancs . « le savon est sur la baignoire. Enlève ce que tu as dans tes poches, je vais faire une lessive de tes habits, donne moi ce que tu as d'autre à laver » dit-il.
Lorsque vêtu du slip et du tricot blanc je me suis avancé dans la cuisine, il est allé me chercher une sortie de bain et de vieilles babouches, souvenirs d'un ancien voyage. Les pâtes étaient prêtes et nous nous sommes assis face à face devant la table au formica rouge. Il s'est encore excusé « je n'avais que ça ce soir, mais il reste quand même des pommes ».
Il mangeait, les yeux dans son assiette, c'est à peine si nos regards se croisaient, lorsqu'il me demandait de me resservir, ou de reprendre du vin, si j'avais soif. Moi, je le regardais. Il avait des gestes lents comme peuvent en avoir certains paysans, les mains un peu crevassées des maçons, et un beau visage ridé de celui qui a beaucoup vécu dehors. Il devait avoir la cinquantaine, peut être plus. Il avait aussi, autour des yeux, ces rides étoilées de ceux qui ont connu la joie et le rire. Sûrement qu'elles devaient remonter à loin, ces rides là. Après dîner on a desservi. J'ai fait la vaisselle. Et il m'a conduit à une petite chambre d'appoint. « Le lit est bon, tu as les draps et tu mets autant de couvertures que tu veux pour avoir chaud. ».
Je me suis couché. Je l'ai entendu à la salle de bain et aller à sa chambre.
Je n'arrivais à dormir. Nous avions si peu parlé, j'aurais aimé qu'il m'entende, et aussi de l'entendre, lui. Je voyais bien quel taiseux il était. J'ai tourné, retourné dans le lit et j'ai fini par me lever. Je suis allé gratter à sa porte. « entre » a-t-il dit. . Il ne dormait pas, il lisait une vieille revue, qui me faisait penser à « la vie du rail » que je lisais autrefois chez mon oncle.
Je crois que lui aussi pleurait, il laissait suinter ses vieilles blessures. Pour sécher mes larmes il m'embrassait les yeux, les joues, parfois les lèvres. C'est moi, moi seul qui ai pris sa bouche et l'ai embrassé. Je voulais que la tendresse, elle irradie là encore et plus intense encore. Sûrement, il a été surpris mais il m'a rendu ce baiser. C'est devenu comme le dernier baiser du monde, un baiser désespéré et passionné, qui ne pouvait s'interrompre.
Nous étions soudés ensemble, nos bras, presque, étouffaient nos respirations, nos bassins étaient collés et nos sexes rigides joints. Ce baiser abandonnait de l'un à l'autre le plus intime que nous puissions offrir, porteur de tout ce que nous n'avions pas pu dire, pas su dire. Probablement nous avons du jouir presque ensemble dans un murmure.
Je me suis endormi dans ses bras. A-t-il dormi, lui ? Au matin, il m'a réveillé d'un baiser sur le front. Il était déjà levé et avait plié mon linge propre qui avait séché sur les radiateurs. Nous prîmes le petit déjeuner en silence aussi. Un silence débordant d'émotion, qu'une parole aurait pu faire jaillir.
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