Pot De Colle 7
Le champagne produit peu à peu son effet. Les derniers bisous ont été spontanés , mais ont laissé dans leurs yeux une tendresse et une douceur révélatrices dune certaine langueur. La passion amoureuse ou quelque sentiment proche couve.
Lheure est à la manifestation du non-dit. Quand cet individu partira je connaîtrai la teneur exacte de leur relation, jy mettrai le prix, mais je saurai. Jai fourni la deuxième bouteille dun cru millésimé, et Myriam a remercié Louis. Il est inutile de lui faire remarquer que la première provenait de notre réfrigérateur. Elle irait fondre dans ses bras trop rapidement, se rendrait compte de la gaffe, voudrait se racheter et se refermerait. Or mon but est de faire tomber les barrières, de libérer la parole, de faire sauter les traces dinhibition.
Cest son anniversaire, ne gâchons pas sa fête à trois, gardons les deux amoureux dans un état deuphorie propice au bavardage et aux imprudences de langage. Je débouche et je remplis leurs coupes et je rajoute quelques gouttes à la mienne : par prudence jai très peu bu et je boirai encore moins. Je tremperai mes lèvres mais je navalerai pas. Debout, je lève mon verre une nouvelle fois à la santé de ma très chère épouse et à lamour. Chacun interprète le mot selon son humeur du moment.
Louis aide Myriam à se relever pour lui faire face et entonne pour la deuxième fois la version anglaise de « Joyeux anniversaire. » Il faut voir comme ils se regardent au fond des yeux ! Lanimateur autoproclamé aurait-il une voix envoûtante, un trémolo qui donne le frisson, qui émeuve les curs, les cordes sensibles et les parties érotogènes des femmes quil hypnotise en scrutant leur âme.?
Pour rappeler ma présence, je demande à lamoureux de faire circuler le plateau de petits gâteaux. Il senracine parce quil se sent utile et Myriam est de plus en plus rayonnante dêtre le centre de toute lattention de Louis Sa joie bien visible pousse laudacieux conquérant aux confidences.
- Vous avez remarqué combien je suis enthousiaste à lidée de revoir cette délicieuse Myriam. Mon bonheur est immense de pouvoir la féliciter le jour de son anniversaire. Jai une envie folle de la couvrir de bisous.
Je renchéris :
- Ma chérie, depuis son arrivée, ton aimable invité na pas cessé de faire ton éloge. A lentendre il passe son temps à louer ta beauté, ton intelligence, ta générosité. Il est célibataire, ma-t-il avoué, parce quil attend davoir rencontré la femme idéale, dont il ma dressé un portrait qui te ressemble trait pour trait.
Je force le trait avec lespoir de montrer à ma femme que je ne suis pas dupe de la cour dont elle est lobjet. Elle est trop réceptive, à mon avis. Pour la dernière fois je tente de freiner son élan. Jobtiens leffet inverse, car Louis rebondit et me répond:
- Comme vous mavez bien compris, Monsieur. Si Myriam était libre je me jetterais à ses genoux et je lui crierais mon amour : il joint le geste à la parole, sagenouille devant lourlet de la mini jupe, lève les mains et les yeux vers sa proie :
- Crois-moi, tu es celle que jattends depuis si longtemps. Hélas-tu es mariée et ton mari représente un obstacle presque infranchissable.
Myriam est frappée par laudace de cette déclaration franche, mais hardie en présence dun mari. Elle en est muette. Louis ne va-t-il pas trop vite en besogne ? Ils nont pas encore eu loccasion de concrétiser. Ils ont discuté, se sont trouvé des points de convergence. En dehors de quelques enlacements ou de baisers conventionnels sur les joues, ils ne se sont pas embrassés avec la ferveur et limpudeur des véritables amants; ils nont pas pu avoir le moindre rapport charnel. Ils en sont au stade du flirt et encore, du flirt sous surveillance. Aussi grande soit sa joie de le recevoir, elle aurait aimé passer par des étapes intermédiaires progressives pour être certaine de ne pas commettre derreur.
Contrairement à elle, je suis pressé de passer à la conclusion. Ou leur idylle est une simple passade, un feu de paille désagréable et à oublier ou jassiste à léclosion dune passion forte qui ébranlera notre couple. Autant apprendre immédiatement la nature du lien et ses conséquences pour eux et pour moi. Je naurai pas la patience de voir leur amour franchir les lignes pas à pas, avec mille précautions pour eux et plus de tourments pour moi. Rien nest plus énervant que de marcher sans boussole et sans but précis. Je nai pas un tempérament à supporter longuement lincertitude. Myriam est quand même à lorigine de la venue de Louis. Elle ne doit plus tergiverser, je veux être fixé sur mon sort. Jaimerais la détourner de lintrus, mais le désespoir mincite à lui ouvrir les yeux.
- Nas-tu pas compris combien Louis est épris de toi. Ne connais-tu pas la signification symbolique de ces superbes roses rouges ?
- Mais si ! Cependant toi et moi sommes mariés. Avoir un penchant pour Louis me culpabilise. Je te dois tant de joies et de bonheurs depuis si longtemps. Je serais une horrible ingrate si jenvisageais de me séparer de toi.
Elle y a donc songé. Laveu lui a échappé. Heureusement elle a une excuse toute prête ;
-Finalement je suis la preuve quil est possible à une femme davoir de la place pour deux amours dans son cur. Il y a toi, cela va de soi et Louis sy installe. Mais Louis te considère à raison comme un obstacle infranchissable. Louis pardonne-moi de ne pas vouloir quitter mon mari, comme tu me las demandé.
Jobtiens leffet escompté. Cest inespéré. Jaurais tort de crier victoire. Sa réponse contient un terrible aveu.. Leurs conversations téléphoniques ont bel et bien dépassé les mamours, elle a reçu des propositions concrètes.
A cause de son refus de me quitter, les deux amoureux traversent une tempête. Le sentiment de gratitude sera balayé un jour ou lautre par des regrets de ne pas avoir accordé plus dimportance à lamour. Ma victoire ressemble à un sursis, ne saurait me satisfaire. Ce sera tout ou rien, mais pas une demi mesure à remettre en question. Je vole à leur secours mû par le besoin de clarté:
- Tu as mal entendu, ma chérie. Louis a dit « ton mari représente un obstacle presque infranchissable. »- Jaime ce « presque ».Louis est très franc, mais trop bon pour moi. Je refuse de tattacher à moi si tu confonds amour passionné et reconnaissance. Un témoignage de reconnaissance me met du baume au cur, mais nest pas un chant damour. De plus Louis ta donné de nombreuses preuves damour et toi-même tu as examiné une éventuelle séparation . Enfin par ton attitude samedi et ce soir tu as laissé entrevoir où va ton cur.
- Jean que vas-tu inventer ? Mon attitude est celle dune amie, ni plus ni moins.
- Admettons. Pour moi jai noté en premier le choix de cette jupe ultra courte, que tu jugeais toi-même « indécente » il y a quelques jours. Ce choix est ment intentionnel; cest une provocation; ce lambeau de tissu doit montrer le maximum de tes cuisses. Dans certaines positions, il expose soit létroite enveloppe gonflée de ton mont de Vénus, soit la ficelle de séparation de tes fesses jumelles et leurs appétissantes rondeurs : à trente ans tu ne peux pas ignorer les effets de cet accoutrement sur les hommes. Il ne ta pas fallu longtemps pour remarquer la tension de la toile du pantalon blanc de ton ami.
Elle prend un air désolé. Je poursuis mon raisonnement :
-En conclusion tu voues à Louis plus damour que damitié. Tu ne dois te laisser submerger ni par un sentiment de reconnaissance et damitié pour moi, ni par de la pitié pour le mari coupable de navoir pas su consolider lamour initial. Écoute ton cur, pense à ton bonheur et à celui de qui vient de te conquérir. Je ne veux pas te partager et je préfère te savoir heureuse avec Louis plutôt que mélancolique et languide avec moi.
- Oh ! Que je suis malheureuse, je me suis mal conduite au point que tu ne maimes plus.
- Sois heureuse. Je taime assez pour taccorder un divorce par consentement mutuel sans autre condition que de conserver pour moi, grâce à notre contrat de mariage de la communauté réduite aux acquêts, cette maison héritée de mes parents. Allez, sèche tes larmes. A tes amours, à tes trente ans, buvons une autre coupe.
Je remplis leurs verres. Nous trinquons. Curieusement Louis nexulte pas. Il na pas eu le plaisir de combattre, le mari cède, rend les armes sans se défendre. Lépouse surprise dêtre libre le regarde avec tendresse. Ils boivent. Louis est loin de lunique coupe acceptée. Alors pourquoi tente-t-il une opération de diversion ?
- Admirable Jean. Tout nest pas aussi facile. Je connais beaucoup de choses à propos de Myriam. Mais jai une hésitation sur un point essentiel. Nous sommes compatibles, nos caractères, nos idées, nos sentiments, nos aspirations se complètent parfaitement. Reste à savoir si nous nous entendrons aussi bien sexuellement. Certes nos étreintes donnent des indications positives, mais nos corps nus sadapteront-ils.?
Je deviens son avocat par déception de nêtre plus « laimé ». Mon objectif désormais sera que Myriam revienne sur son refus de me quitter. Les raisons quelle a données sont blessantes. Jattendais un vibrant « Je naime que toi » suivi aussitôt dun « Au revoir Louis », je ne reçois que de la reconnaissance pour le passé, elle na plus de projet de vie avec moi et sans Louis qui sincruste. Son cur à deux places est trop vaste pour moi.
- Ah! Que vous êtes avisé, mon ami. Comme le dicton lindique: « On nachète pas un chat dans un sac ». Cest bien sûr encore plus judicieux lorsquil sagit dune chatte, pareille à celle quon devine mais sans la voir assez, sous la jupe trop courte. Pour certains cette tenue est une invite à la caresse, à la main au panier, pour dautres cest un appel au viol. Donc il est sage de senquérir avant le mariage de la bonne entente possible des corps et des sexes. On ne part pas à laventure sans assurance. Que voudriez-vous apprendre de moi ?
- Myriam, pourrais-tu revêtir une tenue qui contente ton mari et qui apaise mon sang ? Prends ton temps, jaimerais converser avec Jean.
Myriam, vexée par mes remarques peut-être, mais toujours disposée à se soumettre aux désirs de son amoureux, sort en emportant les deux bouteilles vides. Louis se lance après avoir vérifié que la porte est fermée.
- Merci de vouloir mentendre. Jaimerai Myriam toute ma vie. Mais avant de foncer tête baissée, jaimerais vous poser une question délicate.
- Dites, nous sommes entre hommes.
- Je lai connue tendre, affectueuse et assez sensuelle au bal,. Mais au lit ? Sur une échelle de 1 à 10, vous mettriez quelle note ?
- Avons-nous les mêmes critères ? Elle a toujours joui normalement, se comporte avec fougue, est très chaude. Depuis le début elle a satisfait mes désirs. Je mestimais comblé et je croyais me comporter virilement jusquà samedi. Votre rencontre a remis les compteurs à zéro. Aujourdhui elle recherche certainement un compagnon meilleur que moi. Tout dépendra de vos exigences. Elle saura sadapter sexuellement, nen doutez pas Quand nous faisions lamour, nous nutilisions pas de calculette; nous nous aimions ! Dautre part, aucun de ses amants ne ma fait de confidences.
- Parce que
? Combien en a-t-elle eu ?
- Je nai pas compté, et je ne sais pas tout su de possibles passades. Les femmes ont leurs secrets. Les maris sont habituellement les derniers informés, quand ils le sont.
Jai grand plaisir à balancer dénormes banalités, sans fondement dans notre cas, pour autant que je sache. Le gigolo sémeut davoir à supporter des concurrents. Jai jeté le doute, ça me fait du bien. Cela me venge du coup de fil qui la convoqué. Cette petite vacherie est une miette de satisfaction dans le flot damertume. Mon plaisir ne dure pas car Louis conclut du passé amoureux peut-être tumultueux de Myriam quil a toutes ses chances de devenir le prochain amant de la belle infidèle. La certitude de lemporter lui confère une once de pitié :
- Vous êtes un ami ; jéprouve des remords à vous piquer votre épouse. Mais cest la vie. « Souvent femme varie, fol est qui sy fie », vous connaissez le dicton..
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