Histoire Des Libertines (14) : Isabeau De Bavière Ou Quand « Une Catin Perd La France ».

AVERTISSEMENT

Un de mes lecteurs, Rémy, qui s’intéresse de près à cette série de textes sur les « grandes libertines » m’a fait remarquer qu’il y avait un « trou » dans les publications, entre le chapitre 13 (« Isabelle, la louve de France »), publié le 22 avril 2018 et le chapitre 15 (« Lucrèce Borgia, l’amorale ») publié le 14 juin 2018.

J’avais bien publié entre les deux ce chapitre 14, qui n’apparait plus sur le site. Je suppose qu’il y a dû y avoir un problème technique qui a conduit à la disparition du texte publié en 2018.

Attachée à ce que cette « collection de libertines », qui se veut une référence, soit complète, et n'ayant pas envie d'importuner les responsables du site, surtout dans le contexte actuel, j'ai préféré publier à nouveau ce texte. D’autant plus qu’Isabeau de Bavière, légende noire ou pas, a une place de choix parmi les plus grandes « salopes de l’histoire » aux côtés, la liste n’étant pas exhaustive, de Cléopâtre, Messaline, Théodora, la Reine Margot, Pauline Bonaparte…

J’en ai profité pour relire le texte et le compléter par une biographie et une indication des sources, chose que je ne faisais pas à ce moment-là.

En remerciant Rémy pour sa vigilance, je vous souhaite bonne lecture.
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Rappelons ici la prophétie dite de Merlin, sur laquelle les tenants de la royauté de Charles VII vont fonder toute leur opération de guerre psychologique : « Une catin perdra la France, une vierge la sauvera, l'une de l'autre sortira! ». Bien sûr, on ne fait plus maintenant état du troisième terme de la prophétie, qui gêne aux entournures les traditionalistes.

Isabeau de Bavière (1371 -1435) est reine de France par son mariage avec Charles VI. Son règne coïncide avec l'essentiel de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, au désastre d’Azincourt et au honteux Traité de Troyes (1420), qui livre le royaume aux Anglais.



LE COUP DE FOUDRE DE CHARLES VI

Isabeau est la fille d'Étienne III de Bavière, duc de Bavière-Ingolstadt et de Taddea Visconti, fille du seigneur de Milan.

Isabeau de Bavière est mariée le 17 juillet 1385, à Amiens, à l'âge de 14 ans avec Charles VI de France qui en a 16 et devient reine de France. Ils auront douze s.

Louis d'Orléans, frère de Charles VI, et futur amant d’Isabeau, épouse Valentine Visconti, cousine au deuxième degré de Taddea Visconti. Le mariage d’Isabeau de Bavière avec le roi Charles VI n'apporte rien au royaume de France et seul le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, oncle du roi, tire bénéfice de ces arrangements matrimoniaux en visant le Hainaut.

Le duc de Bavière refuse pour sa fille l'examen des matrones comme c'est l'usage en France, refusant l'humiliation d'un examen prénuptial à sa fille et le risque d'un renvoi en Bavière si d'aventure on lui trouve des défauts physiques.

La jeune fille est présentée à Charles VI qui en tombe éperdument amoureux et la choisit immédiatement pour reine, selon le chroniquer Froissart. Elle lui plaît immédiatement, il est envoûté par cette jeune fille qui ne parle pas un mot de français, mais dont le corps parle pour elle. Charles VI, tellement envoûté par la bavaroise, veut se marier à Amiens dans les trois jours, malgré l’insistance de son oncle bourguignon, qui voulait l’union à Arras. Mieux, il refuse la dot d’Étienne III et le cadeau de mariage de l’oncle d’Élisabeth. Si ce n’est pas de l’amour …

Les contemporains décrivent la jeune Isabeau comme étant une jolie brune, de petite taille, au teint mat.

Le mariage d'Isabelle et Charles VI en 1385 débute sous d'heureux auspices. Une fête splendide est donnée dans la capitale à laquelle assistent de nombreux nobles étrangers. Isabelle conserve sa suite auprès d'elle. Confinée volontairement, elle n'apprend que tardivement le français et ne visite jamais les provinces.
Soucieuse de se préserver, elle amasse des richesses et dote ses proches. Elle donnera 12 s au roi, mais seulement quatre atteignent l’âge adulte.

Le jeune couple s’adore et se le montre à toute occasion. Isabeau suit son époux dans la plupart de ses campagnes, et les époux se font de nombreux cadeaux. Tout ce que Charles VI offre, que ce soit une selle de palefroi, des bijoux somptueux, de la riche vaisselle ou des vêtements, tout est orné avec les chiffres de deux jeunes gens, entrelacés. Jusqu’aux jarretières ! Charles appose sa marque sur le corps de sa femme. Cette dernière aimait à combler son jeune mari de bijoux mais aussi de tableaux. Et quand ils ne sont pas ensembles, ce ne sont que longues lettres enflammées, montrant toute leur impatience de se revoir. Pourtant, malgré toute l’affection qu’il a pour sa belle, Charles n’est pas fidèle, bien au contraire. L’homme est doté d’une ardeur quasi-pathologique et va courir la gueuse dès qu’il en a le temps.

LA FOLIE DU ROI CONDUIT A LA GUERRE CIVILE ET A L’INVASION ETRANGERE

Le roi souffre par intermittence, depuis le 5 août 1392, de sérieux troubles mentaux et d’hallucinations. Cette dégradation évolutive de la santé mentale du roi justifia que le gouvernement du royaume soit mis sous la tutelle d’un Conseil Royal où siégeaient la reine Isabeau, ainsi que le duc Louis d’Orléans, frère du roi, et les ducs Jean de Berry et Philippe de Bourgogne, oncles du roi. Quand Philippe de Bourgogne mourut, ce fut son fils Jean sans Peur qui siégea au Conseil du royaume. Au lieu d’afficher une cohérence et une unité, ce Conseil Royal ne fut, de la part de ses membres, que sources de chamailleries, de mesquineries et de trahisons partisanes.

La rivalité entre les deux partis s'accentue pour aboutir à une véritable guerre civile entre les Armagnacs, partisans de Louis d’Orléans et les Bourguignons.

L’ADULTERE D’ISABEAU

Lors de ses crises, le roi frappait parfois son épouse la reine Isabeau de Bavière.
La jeune reine Isabeau se mit alors à prendre des amants. Elle se trouva aussi une remplaçante en la personne de la courageuse Odette de Champdivers (la fille d’un marchand de chevaux), qui arrivait à apaiser le roi lorsque les crises survenaient et qui acceptait de partager la couche du roi.

La jeune reine soutient dans un premier temps le parti bourguignon. Puis, se rapprochant de Louis d'Orléans, dont elle devient la maîtresse et dont le futur Charles VII pourrait être le fils adultérin.

La reine Isabeau, insatisfaite de sa condition d’épouse d’un fou, fut-il roi, entretenait avec son beau-frère Louis d’Orléans une liaison amoureuse que n’acceptaient pas les oncles du roi. Leurs courroux n’avaient pas pour raison la moralité, mais bien le degré d’influence sur le Conseil que la situation donnait aux deux amants.


DE LA GUERRE CIVILE A L’INVASION

Jean sans Peur, le nouveau Duc de Bourgogne, se sentant évincé du pouvoir, menace Paris en 1405 et fait assassiner le duc d'Orléans en 1407. Il entraîne la révolte des Cabochiens, pour prendre le pouvoir à Paris en 1413. Les mauvaises langues ont dit, qu’après l’assassinat de Louis d’Orléans, Jean Sans Peur lui succéda, non seulement à la tête du pays, mas aussi dans le lit de la reine. On ne prête qu’aux riches !

Le roi Henri V d'Angleterre, profitant de ces troubles, relance la Guerre de Cent ans : il envahit le pays, remporte la bataille d'Azincourt en 1415, véritable désastre pour l'armée française, et s'empare de la Normandie.

A partir de 1417, Isabeau ne cesse de se rapprocher des Bourguignons. Mais son amant, Jean sans Peur, est à son tour assassiné par des hommes de main des Armagnacs, lors d'une entrevue avec le dauphin Charles au pont de Montereau le 10 septembre 1419.

Henri V s'allie, par le traité de Troyes (1420), avec la reine Isabeau et le jeune duc de Bourgogne, Philippe III le bon, désireux de venger le de son père.
Henri V est reconnu comme héritier du trône et régent, après avoir épousé Catherine, fille d'Isabeau et de Charles VI. Ce dernier conserve néanmoins le titre de roi de France. Son dernier fils vivant (le futur Charles VII) est renié dans le traité comme « soi-disant dauphin de Viennois », « en raison de ses crimes énormes ». Charles installe à Bourges un gouvernement armagnac et contrôle environ la moitié sud du royaume.

ISABEAU CONTRE YOLANDE D’ARAGON

Alors que le royaume de France n’avait jamais été aussi près de tomber dans l’escarcelle de l’Angleterre, une prédication transportée par une rumeur populaire, dont Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou, n’était point étrangère, allait s’étendre sur tous les territoires de ce malheureux royaume :

« Une catin perdra la France, Une vierge la sauvera, L'une de l'autre sortira ! »

La reine Isabeau de Bavière, drapée dans la luxure et la dépravation, venait de brader la France à l’Anglais, réduisant à néant les ambitions politique de Yolande d’Aragon à qui elle demanda de lui envoyer son fils (qui était aussi le gendre de Yolande) Charles de Ponthieu afin qu’il se soumette à la régence anglaise.
Mal lui en prit ! Ce fut en ces mots que Yolande lui répondit :

« A femme pourvue d'amant, point n'est besoin d'. N'ai point nourri et élevé icelui jusqu'ici pour que vous le laissiez trépasser comme ses frères ou le rendiez fol comme son père, à moins que vous le fassiez anglais comme vous. Le garde mien; venez le prendre si l'osez ! ».

C’est sur cette base qu’a été construite la légende d’une Jeanne d’Arc, qui serait la fille cachée des amours d’Isabeau et de Louis d’Orléans, avec Yolande d’Aragon à la manœuvre.

Mon hypersexualité et mon non-conformisme font que je me sens plus proche d’Isabeau que de Jeanne d’Arc.

UNE FIN DE VIE DANS L’OUBLI

Henri V s’était installé au donjon de Vincennes avec sa nouvelle épouse et attendit la mort de beau-papa pour poser la couronne sur la tête. Isabeau vit entre l’hôtel Saint Pol et Vincennes, assez recluse, tout le monde semblait attendre la mort du roi. Mais pas celui qu’on attendait : en effet, Henri V décéda le 31 août 1422, laissant derrière lui un seul fils, désormais Henri VI, âgé de 10 mois. Charles VI, quant à lui, passa de vie à trépas le 21 octobre de la même année.

L’héritier anglais, bien que portant les titres de roi d’Angleterre et de France, ne pouvait prétendre à quoi que ce soit. Ce fut un nouveau tourment pour la France, les Anglais voulaient ce qui avait été convenu et le dauphin, désormais Charles VII allait se battre pour la reconquête de son royaume.

Quant à Isabeau, il lui restait 13 ans à vivre, dans son hôtel Saint-Pol, occupant son temps à la gestion de sa fortune et de ses biens. Elle n’avait plus aucune influence sur les deux possibles rois de France, ni son fils, ni son petit-fils anglais. Elle mourut dans l’indifférence totale, le 29 septembre 1435, à l’âge de 64 ans.

ISABEAU, CATIN DEBAUCHEE ?

Beaucoup de choses ont été dites sur Isabeau de Bavière, surtout des choses peu reluisantes, plus ou moins à tort. Le marquis de Sade, trois siècles plus tard, dans son ouvrage « Histoire Secrète d’Isabelle de Bavière, Reine de France », prétend que la maladie du Roi progresse différemment, selon que sa femme ait quelques envies ou non de diriger le pays et de détourner de l’argent. En gros, il dit qu’Isabeau fait passer le roi pour fou afin de gérer le royaume. Sade dit aussi qu’aucun des s de la Reine n’a pour père le Roi. L’auteur a beaucoup contribué à la réputation sulfureuse posthume d’Isabeau !

Son époux le roi Charles VI est fou, ce qui facilite, sans doute, ses débauches. Malgré le peuple qui succombe, Isabeau est entourée d'une cour brillante. Initiée aux plaisirs des sens par les plus grands du royaume, ses tumultes sentimentaux débordent. Elle est séduite et elle séduit. Ses amours s'enchaînent.

Sous l’influence de la propagande bourguignonne, le peuple accusera Isabeau de délaisser s et mari pour se taper son beau-frère Louis d’Orléans. En quelques mois les Parisiens lui ont trouvé un surnom : « Isabeau la grande Gaure », autrement dit « Isabeau la grosse truie ».

Si la reine prend sans doute pour amant Louis d’Orléans, l’homme le plus puissant du royaume, les deux rivalisent de richesses à la Cour, au point que Jacques Legrand, moine augustin, a décidé de prêcher devant la reine l’Ascension 1405. Isabeau aime le luxe, les bijoux et les beaux vêtements, et comme une souveraine se doit être la vitrine de ce qui est à la mode, tout le monde la suite : nouvelle mode, nouvelles coiffures et de plus en plus de peau montrée : la gorge, les épaules et même une sacrée échancrure entre les seins. Le moine lui dira « La déesse Venus règne seule à votre cour ; l’ivresse et le débauche lui servent de cortège. »

Brantôme disait de Louis d’Orléans qu’il était un grand débaucheur des dames de la cour et toujours des plus grandes. Un soir le roi Charles VI qui n’avait pas toute sa tête, errait dans le château et alla dire bonsoir à son frère le duc d’Orléans, qui occupé à besogner la reine, ne s’était même pas arrêté. Cette dernière avait la tête sous les couvertures et le roi ne la reconnut pas, bien au contraire : il se joignit à la séance de jambes en l’air. Son frère lui avait juste demandé, par respect pour cette grande dame, de ne pas retirer la couverture sous laquelle elle dissimulait son visage.

La popularité d’Isabeau déclinait : en prenant le parti des Armagnacs, elle avait attisé la colère des Bourguignons, les diverses rumeurs à son sujet couraient. On l’appelait la Grande Gaure, persuadée de son grand nombre d’amants et que son hôtel de Barbette n’était qu’un lupanar géant.

De plus, ses nombreuses grossesses et son train de vie lui avaient donné un très fort embonpoint, la jeune femme charmante arrivée en France, avec sa peau pâle et ses cheveux noirs, n’existait plus.
Elle se retira d’abord à Vincennes où elle vécut avec une petite cour, protégée par des chevaliers débauchés. Autant dire qu’un baisodrome n’aurait pas été moins scandaleux !

Isabeau a eu autant d’amants que possible. Parmi les noms qui furent cités, le vidame de Maulle, Lourdin de Saligny, Pierre de Giac (1377-1427), qui sera ensuite ministre de Charles VII, Georges de la Trémoille (1384-1446), futur conseiller de Charles VII et ennemi de Jeanne d’Arc.

Le plus célèbre des amants d’Isabeau, de par la punition que lui fit infliger Charles VI, fut Louis de Bosredon.

LA VENGEANCE DE CHARLES VI

Le connétable Bernard d’Armagnac, et le prévôt de Paris, Tanguy du Chatel, décident de mettre un terme aux intrigues d’Isabeau et de son amant Bosredon, 1er écuyer de la reine. Bosredon était le principal compagnon de débauche d’Isabeau, c’était aussi le plus dépravé, l’organisateur, et l’instigateur de toutes les orgies. Bosredon était grassement payé par la reine qui était fort riche. Isabeau, qui était probablement très amoureuse, donnait à son amant Bosredon d’importantes sommes d’argent et des joyaux.

Une rumeur prétendait qu’une des distractions de la reine était, à l’instar de Messaline, de se déguiser en prostituée avec quelques dames de sa suite et de se rendre dans les rues malfamés de Paris et de se livrer à la «bourdelerie», en s’accouplant avec des «voleurs et des meurtriers».

La conduite libertine de la reine et de sa cour scandalisait les grands du royaume.

Pour perdre Bosredon, le Duc de Bourgogne fit savoir à Charles VI que c’était l’amant de la reine. Un jour Louis de Bosredon qui revenait de Paris croisa sur son chemin le roi, tandis qu’il rejoignait le Bois de Vincennes. On dit qu’il salua ce jour-là, le roi d’une façon très cavalière, sans prendre la peine de descendre de son cheval, comme l’exigeait l’étiquette, ce qui ne fit qu’énerver le roi d’avantage. Furieux de l’affront que lui faisait cet homme qui le faisait notoirement cocu, le roi lança le prévôt de Paris Tanguy Du CHATEL et ses hommes à sa poursuite. C’est ainsi que Louis de Bosredon, fut arrêté et jeté à Paris dans les terribles cachots du Chatelet. A plusieurs reprises, il sera soumis à la question devant le roi. Ses biens meubles furent confisqués par le roi Charles VI et le père du condamné fut obligé de faire le nécessaire pour les remettre au roi. Bosredon aurait été longtemps retenu à Montlhéry, garrotté et enchaîné avant d’être noyé secrètement dans la nuit du 14 juillet 1417, enfermé dans un sac de cuir solidement cousu, lesté de pierres, avec pour inscription « laissez passer la justice du roi ».

Puis, sur ordre de son époux, ou plutôt du nouveau dauphin, futur Charles VII, Isabeau dut partir pour Blois, puis pour Tours avec seulement quelques dames et serviteurs. Plus de confort, de mets délicats, de robes somptueuses et surtout, plus d’amants.

C’est plus que la reine ne peut accepter ! C’est à ce moment-là qu’eut lieu le retournement d’alliances en faveur des Bourguignons, qui la font libérer.

Si Isabeau a laissé une si mauvaise image, c’est qu’on a pris les sources de ses détracteurs, et que le XIXe siècle a toujours fait mal aux réputations des « mal aimés ». Isabeau n’était pas parfaite, femme cupide, versatile sur son comportement et ses choix politiques, mais on n’avait jamais appris à la petite princesse bavaroise à vivre avec un roi fou, faire l’arbitre pour les deux familles les plus puissantes du royaume, ni à gérer une guerre qui a duré cent seize ans.

En tout cas, elle a prouvé qu'on savait s'amuser à cette époque, avec ces fêtes somptueuses, et ces nombreux amants.

PEUT-ON REHABILITER ISABEAU ?

Question provocatrice ! L’image d’Isabeau de Bavière est terrible et la cause semble entendue. La condamnation est unanime, du fait de ses débauches proverbiales, mais surtout parce le rôle politique qu’elle a joué, passant, y compris physiquement, d’Orléans à Bourgogne, entretenant donc la guerre civile. Les turpitudes d’Isabeau alimentaient les doutes sur la légitimité du Dauphin Charles, affaiblissant gravement la cause des Valois.

Elle est surtout celle qui a endossé le traité de Troyes de 1420 et qui donc a « vendu la France aux Anglais ».

Tout cela est vrai et rend donc a priori vaine toute tentative de réhabilitation.

La réalité est un plus complexe. Ce n’est pas Isabeau qui a lancé la querelle des Armagnacs et des Bourguignons, qui n’avaient pas besoin d’elle pour s’écharper. Au contraire, en la mettant dans leur lit, Louis d’Orléans, puis Jean Sans Peur, se sont servis d’elle.

Doit-on ajouter que ce n’est pas Isabeau qui est responsable du désastre d’Azincourt, plus grande défaite française de la Guerre de Cent ans ? C’est là qu’avait été durablement anéantie une bonne partie de l’armée et de la chevalerie française, ce qui conduisait un monde aussi superstitieux à penser qu’entre les Valois et les Plantagenets, Dieu avait fait son choix, que la guerre était perdue.

Il faut ajouter la faute du Dauphin Charles qui laisse assassiner, lors de l’entrevue de Montereau (1419) le Duc de Bourgogne, Jean Sans Peur. Il rendait ainsi impossible, pour longtemps, toute réconciliation entre Armagnacs et Bourguignons.

On peut aussi rappeler que les concepts de nation et le patriotisme n’étaient pas complétement formés en cette fin de Moyen-Age. La Guerre de Cent ans était au départ une querelle de succession, les rois d’Angleterre, descendants d’Isabelle, la « louve de France » (voir récit n°13 de « l’histoire des libertines » qui lui est consacré), réclamaient l’héritage de Philippe le Bel.

Il ne s’agit pas d’exonérer Isabeau de ses responsabilités, juste de les relativiser et de les placer dans leur contexte.

En ce qui concerne sa conduite, l’hypersexuelle que je suis ne peut évidemment que la voir d’un œil favorable. Je n’insisterai pas sur « l’excuse » qu’on lui donne généralement, à savoir que son époux avait des crises de démence de plus en plus fréquentes et qu’à cette occasion, il la battait. Je pourrais reprendre, en ce qui concerne Isabeau, ce que j’écrivais sur Messaline, à qui elle fut souvent comparée, y compris dans l’accusation de descendre dans les bas-fonds pour se faire saillir. On peut cependant estimer qu’Isabeau a eu bien moins d’amants que la sulfureuse épouse de l’empereur Claude.

J’ai donc décidé de reprendre presqu’intégralement la fin du texte que j’avais consacré à celle qui fut « impératrice et putain » et de le reprendre pour Isabeau « la catin, la grande gaure », en remplaçant simplement « Messaline » par « Isabeau ». J’ai eu très peu de choses à adapter !

Isabeau, comme avant elle Messaline ou Théodora, symbolise l'appétit de luxe, la soif du plaisir et l'esprit de lucre de la Cour, une sulfureuse, et même plus que ça, une belle coquine affamée de sexe , une insatiable, cruelle et tyrannique qui n’a cessé de faire fantasmer les hommes et les femmes au cours des siècles. Mais Isabeau ne vivait pas au temps de Messaline, où la sexualité était une activité saine. On n’était au Moyen-Age, où l’Eglise imposait sa morale. Faut-il rappeler le châtiment, un siècle auparavant, des princesses adultères de la Tour de Nesle ? Dans l’histoire, peu de rois ont été autant cocus que le roi fou, Charles VI.

Comme Messaline, Isabeau est surtout connue pour son libertinage et son hypersexualité.

Elle est aussi, comme Cléopâtre, Messaline ou Théodora, un symbole de l’ambition féminine, et c’est aussi ce qu’on lui reprocha.

Admirable nymphomane, Isabeau, femme ambitieuse, a sans aucun doute utilisé ses charmes pour son propre plaisir mais aussi, à des fins politiques, pour assouvir toutes ses ambitions.

Isabeau fut une étrange alliance de fureur et de plaisir, un délicieux supplice, une diabolique persévérance dans la volupté.

Avec un peu de recul, aujourd’hui Isabeau, comme Messaline avant elle, incarne l’image de la femme libertine, assumant à 100% sa sexualité, ses désirs même les plus secrets, prenant en main sa vie sexuelle et choisissant ses amants comme bon il lui semble. Une telle femme n’est pas l’objet de désir d’un homme, ni le faire valoir d’un mari en quête d’aventure extra conjugale avec permission, Isabeau, à l’égal de Messaline est la libertine incarnée, libre et totalement libérée. C’est pour cela que ce type de personnages est fascinante, au-delà des controverses qui l’entourent.

REFERENCES

Dans son ouvrage « Dans le lit des reines : les amants » (Perrin, 1984) Juliette Benzoni a consacré un chapitre à Isabeau de Bavière.

Les ouvrages sont nombreux au sujet de celle qui restera dans l’histoire comme épouse infidèle, mère dénaturée, reine félonne. Parmi eux, je citerai :

• « Histoire des Reines de France : Isabeau de Bavière » par Philippe Delorme (Pygmalion, 2003)

• « Isabeau de Bavière » par Jean Verdon (Taillandier, 1981)

• « Isabeau de Bavière » par Marie-Véronique Clin (Perrin, 1999)

• « Isabeau de Bavière - Reine de France » par Inès Nollier (Editions du Rocher, 1996)

• « Les amours d'Isabeau de Bavière. Vivre ses plaisirs » par Jocelyne Godard (Le sémaphore, 2002)

Sur Internet, je renvoie, outre à l’article Wikipédia, au lien suivant :

• http://www.racontemoilhistoire.com/2017/03/isabeau-baviere/

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