Ta Meilleure Amie 3

SUITE

Ta meilleure amie n’est pas la mienne. Ce qui précède devrait refroidir ton amitié enthousiaste. Le jeudi soir, à sa demande, je devais la rejoindre en un point précis du parc municipal. Tu y serais,  « promis juré ! » Il y avait un banc de pierre dans un bosquet propice aux rencontres discrètes.

« Mireille t’y attendra »

La nuit n’était pas tombée, j’arrivai bien avant l’heure, curieux de reconnaître les lieux, légèrement méfiant. Angèle aurait pu me tendre un piège, par exemple pour te prouver que je ne t’étais pas vraiment aussi attaché que je le déclarais : si tu étais postée en observation, ta chère amie aurait eu facile de te convaincre de mon infidélité. Les remords qui m’avaient tenu à distance de toi, depuis le rendez-vous manqué, me déchiraient le cœur et m’avaient rendu un brin de lucidité. Le comportement d’Angèle n’était pas celui d’une véritable amie, sauf si elle agissait à ta demande. Je contournai le bosquet, inspectai les alentours. Rien. Je m’approchai avec précaution. Je reconnus immédiatement ses cris étouffés de joueuse de tennis.

De peur de me tromper sur l’identité de la femme qui jouissait dans le bosquet, après tout, Angèle n’était pas nécessairement la seule à pousser la chanson de cette manière, à cet endroit, je parvins, à pas feutrés sur le gazon, à une ouverture entre les branchages. Et je vis. Deux mains posées sur la pierre du banc, tête penchée en avant, cachée par la cascade de ses cheveux longs, fesses en l’air, découvertes par une jupe retroussée sur le dos et portées par des jambes droites, mais écartées, la fille soufflait et laissait échapper une plainte rauque. En face de moi, mains solidement ancrées, cramponnées aux hanches, un type à moustache fine, balançait d’amples coups de reins en direction du bas-ventre horizontal de la demoiselle que ses yeux fixaient avec avidité. Ce n’était ni un tendre, ni un timide, encore moins un débutant. Il tirait les hanches à lui et cognait de toutes ses forces et la plainte de la fille gagnait en intensité.

Chaque percussion du gland contre l’utérus lui arrachait une sorte de hoquet. Les deux acteurs étaient endurants, luttaient comme des forçats pour libérer leurs envies.

— Alors, ça vient bientôt ? Je n’ai pas que ça à faire ! Lâche-toi ! Et n’oublie pas de te retirer ! Grouille-toi, mon vieux !

Cette fois, le doute était levé. La donzelle pressée d’en finir, c’était bien Angèle, je reconnus sa voix. Je n’attendis pas la fin des ébats. Si elle croyait que, délivrée d’un premier amant, expédié en vitesse, elle allait m’offrir un four préchauffé avant l’enfournement de ma zigounette, elle allait être surprise de devoir poireauter et pourrait se mettre le doigt dans l’œil en guise de compensation. J’étais à la fois vexé et soulagé. Ou cette nénette était jalouse de toi et voulait t’empêcher de te lier avec moi en se donnant à moi, ou c’était une nymphomane aux besoins inextinguibles, ou elle avait rencontré par hasard un ex au moment où elle se préparait à m’accueillir.

Toujours est-il que je l’avais vue en plein coït avec un autre et cela n’avait pas l’aspect d’un viol, son plaisir extériorisé était assez éloquent, elle s’envoyait en l’air. En m’éloignant, je gardai en mémoire l’image de la femelle sautée à la "va-vite", quoique je n’aie pas assisté à tout l’accouplement. Le bruissement de ses poumons suffocants résonnait dans mes tympans. Quand son amant quitta le parc, je lui demandai du feu. Je pus le dévisager. Aujourd’hui, je peux mettre un nom sur le moustachu : c’était Léon.

J’ai rayé Angèle de ma vie. Cependant, par curiosité, j’ai surveillé l’entrée du parc et le bosquet plusieurs soirs, à la tombée de la nuit. Je voyais un homme suivre Angèle et s’arrêter dans le bosquet. Elle avait ses habitudes, mais changeait de compagnons. J’en comptai cinq en peu de temps. Et elle épousa Serge. Toi, sa meilleure amie, tu devais savoir qu’elle était enceinte. De loin, le jour de son mariage, je vis une mariée au ventre rond dissimulé par les plis d’une ample robe blanche entrer à l’église.
Les époux quittèrent la ville.

Vous étiez cul et chemise, inséparables. Pour éviter "ta meilleure amie", c’est ainsi que vous vous présentiez, je ne te vis plus. Nous avions sympathisé si vite. Toute à la joie de me revoir après le départ de la très chère, tu ne me demandas pas pourquoi je t’avais négligée. J’ai aujourd’hui des raisons sérieuses de te faire savoir le peu de considération que j’ai pour la revenante trop bien accueillie dans notre maison.

Le rappel de son engagement acharné pour nous séparer, il y a vingt ans devrait suffire à te dessiller les yeux sur la vraie nature de votre amitié. J’aurais dû te raconter tout cela il y a longtemps. En son absence, tu m’aurais peut-être cru. Comme elle avait disparu de notre vie, je n’ai pas voulu gâcher tes souvenirs. Mais aujourd’hui, les choses sont peut-être allées trop loin pour que tu puisses réagir sainement à ce que j‘ai à te révéler. J’hésite à risquer de briser notre famille. Il ne fait pas de doute qu’Angèle manœuvre dans le même but qu’en ce temps là : elle veut nous désunir. Ce que je n’ai pas encore su déterminer, c’est si elle agit de sa propre initiative pour le plaisir de détruire notre couple ou si elle répond à ton désir de te défaire d’un mari devenu encombrant pour toi.

Enceinte, parmi ses amants, en hâte, elle avait mis le grappin sur le premier brave type qui avait accepté de l’épouser. Et pendant vingt ans, tu n’as plus entendu parler d’elle ! Elle n’a jamais écrit, ni une lettre ni une simple carte postale. Ça en dit long sur la qualité de votre formidable amitié. Elle revient, elle nous envahit. Elle a eu tôt fait de me relancer, de me rappeler un rendez-vous manqué dans le parc et de me mettre au défi de rattr le temps perdu sur un banc de pierre, dans un certain bosquet. Oui, elle m’a abordé sur un trottoir et m’a crûment invité à un tête -à- tête secret.

Est-ce son piège ou une combine de deux amies rassemblées et unies pour me nuire ? En es-tu l’instigatrice ou la victime ignorante ? J’ai honte de mes soupçons à ton propos, mais ton comportement me jette dans le plus grand trouble.
Ses tenues provocantes, ses propos égrillards sont-ils uniquement destinés à ton mari ? Je te vois béate d’admiration; ce qui chez elle me laisse indifférent ou me rend furieux, semble te séduire.

Oui, il faut que je te le dise, « notre couple se meurt. » Depuis le retour d’Angèle, ma vie est devenue un cauchemar et tu ne t’en aperçois pas, ou tu feins volontairement d’être aveugle. Tu me regardes sans me voir, quand encore tu trouves le temps de me regarder. Tu agis comme si je n’existais plus, en dehors des contraintes de la vie matérielle. Il n’y a plus que ta meilleure amie; tu me parles d’elle à tout propos. Vingt ans après, elle a regagné son influence sur toi, néfaste à mes yeux, magnifique aux tiens. Vous sortez ensemble, allez de réunions en shopping, organisez vos loisirs sans moi. Pire, je vous observe et je hais l’intrigante qui ruine ma vie et te soustrait aux engagements de notre mariage. Tu es tellement subjuguée par ses décisions que tu en oublies les précautions les plus élémentaires pour me dissimuler vos égarements. Peut-être prendras-tu le temps de lire cet appel au secours, peut-être réussirai-je à te mettre à l’abri des entreprises de celle que tu suis aveuglément.

Dès sa première visite, je vous ai entendues souhaiter l’union de Jean, notre fils et d’Odile, sa fille : vos s raffermiraient ainsi une amitié mise en veilleuse pendant vingt ans. Une veilleuse peu entretenue par ses soins, reconnais-le. Pardonne-moi de penser que je suis le père de notre fils,Jean, et de supposer qu’il ne serait pas absolument impossible que je sois celui d’Odile. Cette conclusion est à tirer de ma confession précédente. Nous irions ainsi à l’e, en mariant un frère et une sœur, deux êtres de même père mais de mères différentes. Mieux que moi tu connais le père de ton fils, comme moi tu peux croire que la jeune Odile a été conçue peut-être le jour où ta copine a voulu m’initier à l’amour. Le mot e te choquerait-il encore ? J’ose espérer que jusqu’à ce jour tu as ignoré comment a été rendu possible le lien de consanguinité entre ces jeunes gens, sinon tu serais plus coupable que ton amie Angèle.


Ah ! Si je savais ce que ta meilleure amie a pu te dire en confidences et quelle part de vérité contiennent ses confidences, je m’épargnerais bien des tourments. Laisseras-tu faire ou devrai-je étaler, devant Jean, cette page obscure de mon passé. C’est horrible, j’en viens à souhaiter que Jean ne soit pas mon fils, que toi, ma femme, tu m’aies trompé dès la première année de mariage. Quand tu me déclarais que tu m’aimais, je pensais qu’il était le fruit de notre amour. Depuis, je t’ai entendue dire à d’autres que tu les aimais. Voilà pourquoi tu peux, tu dois renoncer à votre projet d’unir « vos » s. Si Angèle et toi insistez pour unir Jean et Odile,je me verrai dans l’obligation de faire lire ce texte à ces innocents ou de le rendre public. Je pense que c’est la meilleure solution.

C’est fait. J’ai brisé le cœur de mon fils, en lui racontant ma très brève liaison avec Angèle. Je lui ai révélé mes doutes à propos de la paternité d’Odile. Il aime bien Odile, c’est une étudiante brillante, mais toujours triste, hélas. Ils se fréquentent, sont confidents, mais Odile lui a confié qu’elle ne se marierait jamais. Son amitié pour Jean, exceptionnelle, cache un profond dégoût pour les hommes de façon générale. Tu me diras que c’est un état passager, difficile mais surmontable. Tu changeras d’avis si un jour ta meilleure amie reconnaît devant toi que sa fille a été victime d’un viol. Il faudrait aussi qu’elle nomme l’auteur du viol. Mais si elle en arrive à ce point, elle t’aura persuadée qu’il s’agissait d’un jeu ordinaire, bien naturel témoignage d’un amour passionnel irrésistible entre une jeune fille nubile et le compagnon dévoué de sa mère.

Car, je te dois ce secret, le violeur d‘Odile, c’est Léon, le compagnon moustachu d’Angèle, cet ami que tu admires et dont tu es si proche : j’en reparlerai plus loin. Il a vaillamment profité d’un jour de fête trop arrosé pour rejoindre la petite dans son lit. Honteuse, elle n’en a rien dit. Il s’est cru autorisé à récidiver pendant des jours. Incommodée, la gamine en a informé sa mère. La brave femme s’est indignée, a traité sa fille de petite salope, de vilaine aguicheuse, de briseuse de ménage et de menteuse. Je ne retiens pas les autres qualificatifs trop crus. Pour Angèle, sa fille, la victime, était fautive, responsable de l‘égarement de ce Léon, ce Léon qui dans le bosquet du parc… Relis la première partie si des détails t‘ont échappés à la première lecture… Et pourquoi mes révélations ont-elles brisé le cœur de Jean, déjà au courant de la misère d’Odile dont il m’a informé ? Devine…

Tu ne peux pas trouver ? Et tu ne voudras pas me croire, ou tu es plus à plaindre que je ne le pensais si tu sais. Un jour donc, Jean allait chez Odile. Odile s’était absentée et c’est Angèle qui l’a fort aimablement reçu. Jean a eu le courage d’évoquer le viol d’Odile. Angèle a pleuré, s’est plainte des brutalités de Léon, de sa bestialité, s’est dite perdue, s’est épanchée, a inspiré pitié. Cette pleureuse effondrée, cette mère si durement éprouvée, démunie en face des menaces de son compagnon, a fini par attendrir ton fils venu lui demander des comptes. Il a voulu sécher ses larmes, l’a gardée dans ses bras où elle se sentait en sécurité. La pieuvre l’a pris dans ses tentacules, s’est accrochée à lui, a donné et reçu un baiser et de mots de consolation en déclarations d’amour, ils se sont retrouvés au lit. Angèle m’avait déniaisé, moi le père, vingt ans plus tard, elle a consolé le fils du chagrin infligé par sa fille incapable d’aimer le jeune homme épris d’elle. Elle a conduit notre fils dans son lit, s’est jetée sur lui, puis sous lui et l’ déniaisé.

Donc, Jean venait de découvrir les gestes de l’amour dans les bras de la meilleure amie de sa mère. C’est paraît-il assez commun dans un certain monde. Tu dois éprouver un grand bonheur et un immense sentiment de reconnaissance envers cette très chère et très dévouée amie, à l’annonce du service qu’elle a rendu à ton . Mais en fait, cela t’étonne-t-il ? N’es-tu pas déjà au courant ? J’aurais presque tendance à penser que cela fait partie d’un plan d’ensemble bien élaboré auquel tu n’es, peut-être, pas tout à fait étrangère. Il se pourrait que tu aies supplié ton excellente amie, mère d’Odile, de bien vouloir initier ton fils aux plaisirs de l’amour, pour qu’il sache faire jouir la fille.

Angèle, moins prude que notre fils, a dû te faire le récit croustillant de la cougar dépucelant un étudiant et tu as dû te délecter à entendre vanter, par ta meilleure amie, les pudeurs, les élans, les qualités athlétiques déployées par ton fils dans ses draps. Peut-être même t’a-t-elle montré les traces de sperme dans des draps que tu dois connaître. J’avance d’affirmations en suppositions, je pars du passé et je fais le lien avec le présent, je croise mes constatations avec les propos des autres. Autrefois, mes insinuations t’auraient indignée. J’attends tes réactions sur ce point également.

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