23.7 Drôle De Dimanche Pour Nico
Précédemment dans Cinquante Nuances de Jérémie : une soirée en boite de nuit sétait terminé en bagarre entre deux beaux garçons ; une drôle de soirée sétait transformée en nuit de bonheur ; hélas, ma magie dun instant avait été souillée par un réveil plutôt brutal : oui, après avoir été adorable pendant lamour, le matin venu Jérém sétait révélé odieux et méchant ; Nico avait quitté la chambre Rue de la Colombette triste et malheureux, regrettant de ne pas avoir écouté la petite voix intérieure que, depuis le réveil, lui avait signalé sans détour que le seul choix à faire cétait de partir avant le réveil de Jérém ; cest un Nico meurtri, incapable de comprendre le comportement à la con du beau brun, qui se retrouve en larmes assis sur un banc en plein milieu du Grand Rond
heureusement une main charitable lui avait été tendue en début daprès midi
je sens que le sommeil vient en ce dimanche soir
je ferme les yeux et jai limpression dêtre dans ses draps, comme la nuit dernière
jinspire encore son odeur à travers le tissu froissé de sa chemise et jai limpression que si je bouge mon bras il va être là à coté de moi, que je vais pouvoir le caresser, le serrer à moi
lavoir contre moi, lavoir en moi
son expression juste avant de jouir en moi revient sans cesse à mon esprit, elle me hante
ma main glisse sur ma queue et, tout naturellement, je me branle
Je suis tellement fatigué que je sens que ça va être difficile darriver au bout
je pense que le sommeil va me gagner avant
je suis bien, je me branle plus pour continuer à penser à lui que pour vraiment jouir
je suis bien, son odeur avec moi, ça me calme, je ressens un doux apaisement, je suis suspendu entre veille et sommeil, entre envie de me faire jouir et besoin irrésistible de céder au marchand de sables
Retour en arrière de quelques heures.
A deux heures ce dimanche là, Elodie était dans ma chambre. Je ne lavais pas appelée.
Calme toi, Nico
Ses mots ont une douceur et une délicatesse infinies, bien loin des piques quelle me lance parfois. Merci Elodie. Elle a vu que je suis vraiment mal, elle nest pas en mode « je te lavais dit », elle est juste en mode « je suis là, ti cousin ». Je ladore. Pendant toute ma crise elle menserre dans ses bras, sans un mot ; une de ses mains caresse mon dos et ça me fait un bien fou
ce petit câlin me donne encore plus envie de pleurer, mais cest une bonne chose, il faut que ça sorte, il faut qua ça sorte jusquau bout
Il me faut un bon moment pour me calmer et trouver la force de parler.
Cétait géniale, cette nuit
Je vois ça
- elle recommence à se moquer. Mais cest bon , elle arrive à marracher un sourire humide. Elle a toujours le bon tempo. Je ne sais pas comment elle fait. Cest une super nana.
Te moque pas, stp
Excuses
Cette nuit il était si tendre, si adorable
jamais on la fait de cette façon là
A savoir
Ce nétait plus de la baise
De lamour ? il ta fait lamour ? tu ne te fais pas des films ?
Il ma même embrassé
Tu las fait boire
! Tas pas trouvé mieux ? Cest une ruse vieille comme le monde
si je navais pas été si triste, le ton sur lequel elle a sorti sa boutade me ferait esclaffer de rire.
Il nétait pas dans son état normal
il avait un peu bu mais ce nest pas ça, pas que ça
Quoi donc ?
A lEsmeralda jai failli me faire cogner par un type aux chiottes
Tu ne me las pas dit
Je ne voulais pas teffrayer
et il est venu me défendre
il a cogné le type
Jérém ?
Oui
Oh, putain
tu ne devais plus tenir en place
Jétais fou
Alors, quand il ta proposé de rentrer avec lui
Javais pas le choix
Ca se conçoit
à ce stade ce nest même plus une question de choix, cest une évidence
Déjà dans la voiture il ma fait son jaloux
Son jaloux ?
Il a compris que le mec voulait me cogner parce que je lavais trop maté
Nico, surveille tes regards, un jour il va tarriver un truc, à force
Oui
Jaloux
le Jérém
de toi ? Tiens, curieux ça
Il ma presque fait la morale
Très fort venant dun mec qui prête sa queue bien plus souvent que son dû
Cest clair
Et une fois chez lui ?
Elodie
tu veux le croire ou pas
on sest retrouvés face à face
je lai embrassé
il ma laissé faire
je le sentais secoué, par ce qui venait de se passer en boite, par notre conversation dans la voiture, je sentais quil avait besoin de moi, de chaleur, de tendresse
je lui en ai donné, je lai caressé comme jamais avent cette nuit
à un moment il ma arrêté
et
et
il ma embrassé à son tour
du bout des lèvres, mais cest venu de lui
Il a pris de lexta !
Elodie
Continue, mon cousin
Et pendant lamour
il était doux, attentionné
il ma même touché
Touché ?
Jamais il ne mavait branlé
Non, putain, de la coke
il sest fait un rail sur le rebord des chiottes
Elodie
Excuse, jessaie juste de te faire rire un peu
Oui, Elodie, tu es adorable
Continue ti cousin
Il na pas été jusquau bout
ensuite il est
il est
venu
Il est venu en toi ?
Oui
quand il est venu en moi, il était différent des autres fois
il ne faisait plus son macho, son serial baiseur
il prenait son pied sans se presser, javais même limpression quil faisait attention à moi
quil faisait attention pour que moi aussi jaie du plaisir
Cest ça un homme, un vrai
Quoi donc ?
Un homme
Ça veut dire quoi ?
Pour un homme, ce qui est également important, cest de voir que lautre prend du pied grâce à lui, en plus de son propre plaisir et parfois même avant son propre plaisir
un homme ne se contentera pas de jouir
sa jouissance ne sera complète que si son partenaire aura joui à son tour
je ne te parle même pas damour, cest juste une histoire de psychologie masculine, de maturité
Pas tout compris Elodie
Ton Jérém avait envie de te faire plaisir car ça le confortait encore plus dans sa « virilité »
te voir prendre ton pied grâce à son sexe, ça doit sacrement flatter son ego
et qui sait
il commence peut-être à se rendre compte quen plus dêtre beau garçon, tu nes pas quun objet sexuel
Je ne sais pas, jai trop de mal à le comprendre
il avait un regard, pendant quil était en moi, un regard que je ne lui ai jamais connu
doux, touchant
si différent
Tu sais, Nico, parfois pendant quil couchent, les mec se lâchent un peu, tombent un peu la garde, mais faut pas croire que cest définitif
un mec près de jouir est prêt à tout pour conclure
il nest plus vraiment lui-même
Non, tu ne connais pas ce mec comme je le connais
hier soir il était pas comme dhab
il avait tombé sa carapace
La carapace dun mec après lorgasme remonte souvent aussi vite que sa queue en tombe, mon cousin
certains souvrent sur loreiller, dautres se referment comme des huîtres
pardon dêtre si directe
Cest ça que jaime le plus en toi
Nico, regardes les choses en face
il sest bagarré, tu las rendu jaloux
il avait picolé
tu las câliné
tout sest enchaîné bien différemment que dhabitude
Oui
Ote moi dun doute
ta nuit a lair de sêtre plutôt bien passée
alors comment ça se fait que je te retrouve dans un état pareil ?
Cest pas fini
Et quand tu es parti, il était comment ? enchaîne Elodie avant que je puisse aller plus loin.
Je ne suis pas parti
Ah bon ??? tas dormi chez lui ?
Il me la demandé
De rester dormir ?
Oui, et de le prendre dans ses bras
On parle bien de Jérém
de Jérémie T ?
Lui-même !
Exta+coke+alcool
il avait chargé le mek
Cest malin
Tu devais être dingue
A deux doigts de disjoncter
Bon pour lHôpital Marchand
ou alors
prêt pour un petit séjour longue durée à Lannemezan ?
Elodie !!!!
Pardon, jarrête mes conneries
tas réussi à dormir ?
Très peu
Tu métonnes
Je me suis réveillé un peu plus tard et cest lui qui me tenait dans ses bras
Tu me donneras ton numéro de chambre et les horaires de visite quand tu sera interné ?
Bien sur
Toujours pas compris comment ça se fait que tout ça tas mis dans un état pareil
tu devrais être le gars le plus heureux de la terre
Cest pas fini
Oh, non
non
non
non
nooooon !
je me refuse ce croire que même mon ti cousin Nico, le roi des maladresses, le prince des gaffeurs ait pu se cogner à un obstacle si facile à esquiver
je vais tappeler Titanic
Quoi donc ?
Tes resté
tas attendu quil se réveille
Je suis resté
Dis-moi au moins quil sest réveillé avant toi
que tu nas pas sciemment attendu quil se réveille, que tu ne lui as pas carrément tendu le bâton pour te faire battre
Je la regarde, sans savoir quoi dire.
Tétais réveillé avant lui
Oui
Et tas pas pensé quil valait mieux te tirer avant quil ouvre les yeux ?
Si
si
Et il a été odieux je te parie
Oui
Tu ten doutais pas que ça allait arriver ?
Jen avais peur mais javais envie que ça se passe autrement
après cette nuit, jy croyais un peu
javais trop envie de
De lui faire une gâterie au réveil ?
Aussi
Comment ne pas avoir envie de faire tomber la trique du matin dun beau garçon
mais là cest vraiment mal joué mon cousin
puisque tu semble ne pas la connaître, je te donne une règle très utile pour ce genre de situation : à savoir que, lorsquelle est agrémentée dun peu dalcool, de substances illicites
Je te dis quil na rien pris
Elle continue, faisant mine de ne pas avoir entendu mes mots.
et de quelques émotions, la nuit est capable de déclancher des événements que certains ne savent guère assumer le matin venu. Cest déjà vrai pour les amours hétéros, ça doit lêtre dautant plus dans ce genre de situation, là un des deux partenaires est, comme Jérém lest à lévidence, un bi qui ne sassume pas
il faut savoir comprendre sil faut rester ou partir
tu sais, cousin, une fois ça mest arrivé de coucher avec un mec qui
Elodie enchaîne sur le récit de lune de ses nuits compliquées
je fais semblant découter mais en réalité je nentends plus ses mots
je pars ailleurs dans ma tête
deux de ses phrases résonnent en moi comme un écho dans les Pyrénées : « des événements que certains ne savent guère assumer le matin venu
un des deux partenaires est un bi qui ne sassume pas » et soudainement jentends un déclic en moi. Dun seul coup tout devient clair dans ma tête. Tous senchaîne et sorganise. Ma cousine est un as. Ou alors je suis tout simplement trop bête. Aveuglé par mon amour. Abruti par mon manque dexpérience et de connaissance de la psychologie masculine. De la psychologie « Jérémie ».
Mais tout est pourtant clair depuis le début
pourquoi cette nuit Jérém était-t-il dans cet état dâme si étrange? Pourquoi sa détresse dans mes bras ?
La raison est pourtant si simple, si évidente
porté par des évènements, par des émotions inhabituelles, une fois dans sa vie il a accepté quon lui apporte, que JE lui apporte, un peu de tendresse
il sest rendu compte que ça lui faisait un grand bien, un bien dont il avait besoin mais quil avait toujours refusé, refusé pour ne pas en devenir dépendant, suivant une philosophie qui consiste à renoncer à vivre ce dont on a envie pour se protéger des conséquences
Un peu de tendresse et voilà, voilà dun coup danciennes tensions se relâcher, des blessures jamais guéries recommencer à
il a dû se sentit perdu
égaré dans cet univers daffection qui lui était jusquà là si étranger et dans lequel il sest retrouvé projeté sans vraiment le vouloir, par la présence dun petit mec prénommé Nico
Pourquoi son changement brutal de comportement le matin venu ? Ca aussi cest limpide comme eau de roche.
Mais oui
il affectionne un homme ! il maffectionne moi !! cest un changement brutal dans sa vie
tellement brutal et inattendu que ça explique sa façon davancer à reculons
il va lui falloir du temps pour digérer tout ça
il va me falloir comprendre ses regards, comprendre et accepter que certaines de ses attitudes disent autre chose que ses mots durs et que ses réactions à la con, aller au delà de son incapacité présente à assumer tout ça
Je repense alors à ce petit bruit dans mon dos pendant que je saisissais la poignée de la porte de sa chambre
un doute hante mon esprit se transformant petit à petit en certitude
je suis presque sûr que Jérém avait avancé vers moi pendant que je prenais la porte de sa chambre
quand je me suis retourné, son bras revenait vers son buste comme pour cacher un geste inaccompli et non assumé
Il avait fait un pas, certes retenu, retiré, mais un pas quand même
un pas, quelle symbolique
et puis son regard, ce bout de regard que jai capté pendant que déjà il partait loin de moi, pendant quil complétait son demi tour hâtif juste avant de disparaître aux chiottes en claquant la porte
ce ne fut quune fraction de seconde, une fraction quaucun horloge ne serait capable de mesurer
une fraction de temps où jai cru mourir
un tout petit rien pendant lequel jaurais juré, sans vraiment être sûr que ce ne soit pas mon imagination qui me joue des tours, voir quelque chose au coin de ses yeux
comme de la tristesse
humide
Avait-t-il voulu me retenir pour ne pas me laisser partir dans cet état là ? Avait-t-il pendant un court instant regretté sa dureté, sa méchanceté? Avait-t-il été touché par ma détresse et mon désespoir ? Avait-t-il à un moment voulu me réconforter sans pouvoir se forcer à le faire en bout de compte?
Mon pauvre Jérém
Jérém pourquoi résistes-tu ? Pourquoi te fais-tu violence ? Pourquoi te rends-tu si malheureux ? Pourquoi nous rends-tu si malheureux ?
Cest dur, si dur
cest dur mais il faut que tu sois fort, Nico. Il faut te battre. Tu le sais désormais, sa violence est une armure
tu las bien découvert cette nuit
tu sais quil est capable dêtre aimant, dêtre humain
tu commences à avoir quelque clef, il faut que tu taccroches à ça, il faut que tu fasses le dos rond, il faut que tu prennes sur toi pour linstant, tu es assez fort, tu vas y arriver
ce mec en vaut la peine
cest lhomme que tu aimes
il faut que tu penses à ses regards, à ses gestes pendant lamour, il faut que tu penses à lhomme que tu as vu cette nuit et non pas au mec énervé et agressif que tu as croisé ce matin
A quoi penses-tu, mon cousin ? cest Elodie qui marrache à mes pensées. En quelques secondes à peine, elles ont totalement changé de polarité.
Pourquoi ?
Tu ne parles plus, tu souris tout seul
tas prix de lexta toi aussi ?
Tes conne ! Non, Elodie, je viens de comprendre quelque chose
grâce à toi
Quest ce que tu ferais sans ta cousine préférée ?
Elodie est restée pendant tout laprès-midi. On a encore parlé de Jérém, je lui ai expliqué ce que je venais de comprendre à son sujet, et au sujet de son comportement du matin
elle ma écouté, elle sait désormais que cest peine perdue que dessayer de me persuader que Jérém nest pas un garçon pour moi, quil faut que jarrêté de penser à lui, de le voir, que ma vie serait infiniment plus simple si jarrivais à loublier
oui, cest peine perdue car le mal est fait
ce garçon a pris mon cur à jamais, et je ne peux rien contre cette force irrésistible qui mattire vers lui ; je sais ce quelle pense, elle sait que je le sais, elle respecte mon choix ; je sais quelle a compris que je dois aller au bout de ce que jai à vivre avec ce garçon, coûte qui coûte, je le dois car je nai carrément pas le choix
et je sais désormais que je pourrai venir pleurer dans ses bras à chaque fois que jen aurais besoin car elle ma montré le mode « Je suis là, Nico » en prenant sur elle pour me réconforter.
Oui, Elodie, comment ferais-je si tu nétais pas là ?
Après avoir traité du dossier « Jérémie T » en long, en large et en travers, on a aussi parlé delle, de ses amours compliqués ; et à la fin, on a parlé de notre enfance. Depuis quelque temps, quand on reste longtemps ensemble, on finit toujours par parler de notre enfance. Ça doit être le signe que lon est en train de grandir
On sest surpris à être un peu nostalgiques de cette époque quon a vécue ensemble, une époque où tout était simple, où lamour ne faisait pas encore battre nos curs en chamboulant nos vies de la sorte. Une époque où Jérémie nétait pas encore rentré dans mon existence. Une époque où le monde avançait sans nous. Où personne ne nous demandait de comptes. Une époque où on se sentait en sécurité. On passe les dix premières années de notre vie à vouloir sortir de lenfance. Et le restant de notre existence à rêver dy revenir.
Elodie est restée dîner. Elle a fait la conversation à table. Et moi avec elle. Jétais presque euphorique. Rien à voir avec la gueule de midi. Cest bon de lavoir à mes côtés. Elodie est mon Thibault à moi. Elle me met de bonne humeur, elle veille sur moi, elle est toujours là quand il le faut, elle sait toujours quoi faire. Ni trop, ni pas assez. Le juste. Elle sait ce qui est bon pour moi, avant même que je le sache moi-même. Depuis quelle est arrivé ce dimanche après midi, jai trouvé comment sécher mes larmes.
Elle est partie peu après le repas.
Il nest que 21h30 mais je sens lappel du lit. La nuit dernière je nai dormi que deux heures à peine
demain cest le bac, il faut que je récupère, il me faut être en forme
je regarde mon portable
écran vide
inutile despérer un sms de mon beau, il nest pas du genre
surtout pas après ce qui sest passé cette nuit, surtout pas après sêtre énervé comme il sest énervé ce matin
surtout avec le bazar que ça doit être dans sa jolie tête
sacré bazar
un peu comme dans la mienne
Elodie nest partie que depuis une demie heure et, privé de sa présence, je sens rapidement mon état desprit changer : oui, sans ma cousine à mes côtés, je me sens beaucoup moins fort. Je sens que mes résolutions de laprès-midi, si déterminées encore il y a quelques minutes, semblent perdre de leur audace, de leur énergie, de leur conviction. Je sens le courage me quitter. Je sens langoisse semparer de mon esprit, lenvahir, le submerger, l. La décision d'affronter bravement l'hostilité et les humeurs changeantes de Jérém s'évapore à vitesse grand V et voilà mes doutes me rattr. Je me sens seul et sans ressources, sans défenses face à son agressivité et à sa dureté, à linstabilité affective dans laquelle son comportement me plonge.
Lidée de le revoir dans quelques heures au bac recommence à me paraître insoutenable, angoissante. Il me faut reprendre tout ça une fois de plus et retrouver létat dâme de laprès-midi quand Elodie était avec moi, quand je me suis senti fort et déterminé, capable de faire face à Jérém, à son attitude à la con, quand je me sentais assuré du fait quil faudra du temps pour quil se rende compte de certaines choses, mais quil y arrivera un jour, cest sur
retrouver la sensation rassurante quil me faut juste du temps, de lénergie et du courage pour apprivoiser la bête
parce que lenjeu est trop grand pour que jenvisage, ce ne serait que pendant une seconde, dy renoncer
Je me cale sous la couette dans le noir et dans le silence de ma petite chambre. Je misole, je ferme les yeux sur le monde et je les ouvre sur mon monde intérieur. Je voyage dans ma tête. Je pars loin du présent. Jai toujours été très bon à ce jeu là : mévader dans lespace infini de mon jardin secret.
Jen ai vraiment besoin car, depuis quElodie est partie, je ne me sens pas bien, je me dis que cest moi qui ais tout gâché ce matin
je décide alors de remonter le temps pour voir exactement là où ça a foiré, pour imaginer une autre issue, plus heureuse. Je ferme les yeux et dans la salle obscure de ma tête, je lance la bande des dernières 24 heures en mode rembobinage
Je fait défiler ce dimanche image par image, je revois le dîner de tout à lheure, mon état dâme guilleret tant que ma cousiné était là ; je remonte mon après-midi avec Elodie, je me remémore nos conversations, nos rires, mon récit de la nuit avec Jérém, ses blagounettes pour détendre lambiance, ses mots qui ont fait clic dans ma tête « la nuit est capable de déclancher des événements que certains ne savent guère assumer le matin venu
là un des deux partenaires est, comme Jérém lest à lévidence, un bi qui ne sassume pas
»
je voudrais à ce moment là faire arrêt sur image, mais tout circule si vite que je ne peux quen être spectateur ; je me revois en pleurs lorsquelle est rentrée dans ma chambre
je me replonge dans laffreux repas en famille de midi, passé en silence retenant mes larmes prêtes à déborder ; mon esprit se balade encore plus loin
je suis sous la couette où je tente de mendormir en ce matin de dimanche
je recule encore la bande vidéo dans ma tête et je me revois rentrer chez moi à huit heures et laisser un mot à ma mère ; image après image, je suis dans la rue, je suis triste, je suis perdu, je suis assis sur un banc du Grand Rond, je suis déjà en larmes et le chant des oiseaux du matin me donne la mesure de mon malheur ; je continue à regarder les images défiler à rebours avec un mouvement rapide et inversé qui na rien de naturel : je me retrouve rue de la Colombette, ensuite je me revois dans le couloir du dortoir, la porte de sa chambre dans mon dos, limpression que tout seffondre autour de moi, la porte se ferme et se rouvre, je suis à nouveau dans sa chambre, la poignée de la porte devant moi, Jérém qui disparaît dans les chiottes après avoir fait un demi pas vers moi et sêtre retiré
dans limage juste avant, me voilà encore assis sur le lit, Jérém débout à un mètre de moi, en silence, en colère
envie à la fois de lui faire un câlin et de le frapper
je revois son regard noir, dur, fuyant, ses gestes sans pitié, ses mots qui résonnent dans ma tête avec une violence brutale
je les entends repasser à rebours
Putain
! oublie cette nuit, je tai dit ! et débarrasse moi le plancher à la fin ! (Jai mal au bras, mal à lépaule, jai mal au plus profond de moi)
Tu te casses, oui ou merde ?... (il sapproche de moi, il me saisit méchamment lavant bras et il moblige à sortir du lit
Je le revois en train de sénerver
si sexy et si détestable à la fois)
Ne te fais pas didées
Cette nuit jétais défoncé
je tai baisé comme dhab
Je veux juste que tu foutes le champ de chez moi
Il faut que tu partes
tas rien à faire ici
Tes encore là ? (Sacrée petit con ce Jérém !).
Je tente de chasser ce cauchemar de ma tête, en vain, tous les détails remontent
je voudrais passer vite sur ces moments mais la bande vidéo semble ralentir toute seule
ou bien est-ce que ce serait moi qui est inconsciemment en train de la retenir ? la bande recule encore
je retrouve son goût, cette fois ci bien amer, dans ma bouche, ses mains sur mes oreilles enserrant ma tête, ses coups de bassin dans ma bouche, ses mains qui saisissent les miennes, coupables davoir tentée juste avant une caresse sur son visage, une caresse comme celle permise quelques heure plus tôt et redevenue tabou à la lumière du jour ; je me revois prendre sa queue raide dans ma bouche, le faire de mon propre chef, la caresser, hésiter devant le draps moulant ses attributs, avoir pensé avec tristesse au fait que cétait peut être la dernière fois que je revoyais cette chambre, avoir joui tout seul dans ses draps un instant plus tôt, avoir éternué, avoir essayé en vain de retenir mon éternuement, avoir eu peur de le réveiller
avoir soulevé le drap, lenvie de voir sa trique du matin
Et voilà arriver enfin la dernière image heureuse : Jérém endormi à côté de moi
Dernière séquence utile. Je mets sur pause. Limage est trop belle pour ne pas sy attarder un instant. Jai du mal à men détacher, mais je finis par rembobiner lenregistrement jusquau début de la scène.
Mon réveil. Il est 7 heures quand jouvre les yeux
le store nest pas complètement déroulé et le jour commence à rentrer par le bas de la porte fenêtre
Jérém nest plus enlacé autour de moi
il est endormi, beau comme un , juste à coté
il est presque tourné sur le flanc, vers moi, une main entre la tête et loreiller
canaille de mec, quest ce quil est beau dans son sommeil
son regard est tellement doux, apaisé, ses angoisses et ses inquiétudes de la veille semblent complètement effacées de son visage
jadore le voir dormir car je me fais la réflexion que quand il dort il est là, tout entier avec moi
il ne fait pas des trucs que je ne voudrais pas quil fasse, il ne pense pas à des trucs dont je ne voudrais pas quil pense
je ne suis plus jaloux, je ne suis plus angoissé, je suis bien, je le regarde et je veille sur lui
je sens que ma jalousie vis-à-vis de ses nombreuses aventures du passé sestompe, je sens que mon cur est conquis
je sens quil ne peut plus me faire souffrir, que nos deux esprits sont si proches, liés à jamais
je sens une étrange sensation parcourir mon corps, un truc qui mattire vers lui, un truc dune tendresse infinie, comme un parfum de bonheur
Alors je reste là, la tête posée sur loreiller, à le contempler pendant un long moment, à le regarder respirer, le regarder dormir, rêver peut être
sil rêve, il rêve de quoi, de qui ? Est-ce quil y a de la place pour moi dans ses rêves
? Cest trop beau, Jérém qui fait dodo
je ne veux pas le réveiller, pas encore, je voudrais que ce moment de perfection dure toute une vie
jamais je ne me suis senti aussi bien avec ce mec, jamais
pendant son sommeil, tout est possible
imaginer quil mappartient tout entier, imaginer que la nuit passée ne soit pas quun épisode isolée, quune erreur de scénario
imaginer que Jérém sest enfin aperçu que je compte pour lui, un peu quand même
La choix qui se présente à mon esprit est difficile à appréhender
partir maintenant, quitte à quil se pose des questions en se réveillant seul dans son lit, alors quil sy était endormi en compagnie ; ou bien rester, rester et prendre le risque de le voir contrarié de me trouver encore là
La scène touche à sa fin. Je met sur pause. Cette image de Jérém endormi ce matin là à coté de moi est dune beauté à métourdir. Je décide que je garderai cette image là en dernier ; et que la suite sera entièrement réécrite. Sur la puissante table de montage installée dans ma tête, je coupe toute la bande tournée après ce moment et je la remplace par une scène que je suis en train de créer de toute pièce en partant du seul choix qui simposait ce matin là
dans ma tête, je revis ce dimanche matin
cest le Dimanche Matin 2.0
dans le Dimanche Matin 2.0, je sais que la seule bonne décision à prendre, cest celle de partir avant quil se réveillé. Je suis sûr de ma décision et je sais que je ne vais pas la regretter. Cest bien de choisir, on se sent soulagés après. Quand on couche avec un jeune homme bi qui nassume pas sa part de bi, handle with care, produit dangereux, risque de réactions imprévues
risque de blessures
dans le Dimanche Matin 2.0, je moblige, la mort dans lâme, à mhabiller en faisant bien attention à ne pas réveiller le beau dormant ; je me retourne vers lui, je le regarde amoureusement, je lui offre une dernière caresse et un ultime baiser sur le front
je me tiens debout devant le lit, prêt à partir
je marrache non sans difficulté du contact visuel avec ce visage dange endormi
je dois me faire violence, et pendant un instant ça fait mal comme quand on arrache un pansement
je prend la porte et je la referme doucement derrière moi
je quitte sa chambre la larme à lil
je me pose encore une fois la question de savoir ce quil ressentira à son réveil, voyant que je suis parti
ça y est, je suis dehors
je reprend enfin une bonne inspiration bien profonde
... dans le Dimanche Matin 2.0, imaginer Jérém ouvrant les yeux en entendant la porte se refermer derrière moi, lui qui ne dormait peut-être plus déjà depuis un certain moment, le laissant se réveiller trankil, sa trique matinale lui faisant regretter une gâterie que je ne lui aurais pas faite, lui faisant ressentir une frustration qui aurait gardé vif en lui le souvenir de moi pendant un long moment, lui inspirant ainsi de bonnes branlettes sous la couette et sous la douche en repensant à tout cela
dans le Dimanche Matin 2.0, je revis mon départ ce matin là avec un tout autre état dâme
dans cette réalité parallèle, après lavoir quitté avant son réveil, je me retrouve en bas de chez lui, dans la rue déserte à cette heure là. Jai les yeux pleins détoiles, jai limpression que toute la ville est pour moi, que je suis seul au monde, je me retiens de justesse de pousser un grand cri de joie
sil nétait pas si tôt, jappellerai Elodie pour la faire délirer
tous mes sens sont en éveil et je suis tellement heureux que jai limpression que autour de moi tout est plus beau que la veille
je descend la rue de la Colombette et je tourne vers St Aubin direction La Patte dOie
jai envie de marcher pour me calmer
jai limpression que tout est facile et que la vie est vraiment belle et que rien ne peux môter ce sentiment
dans le Dimanche Matin 2.0, jarrive au Grand Rond et je suis tellement heureux que je dois marrêter un instant sur un banc pour reprendre le souffle ; mes oreilles sont ravies par des chants doiseaux célébrant le printemps sur le silence de la ville encore endormie
cest dingue ça
je ne sais pas où ils sont ces oiseaux, pourquoi sont-t-ils en ville alors quils seraient bien mieux à la campagne ? Sacrée bonne idée que cet énorme espace vert en ville
quoi quil en soit, ils sont là et leur chant gai et coloré est fait pour donner la pêche
cest tellement riche comme son, tellement rond comme mélodie
on dirait du Abba
mon cur est heureux et lorsque on a la joie dans le cur, la joie quun ressent autour de nous ne fait que faire écho à la notre et à nous rendre encore plus heureux
dans le Dimanche Matin 2.0, je suis enchanté et je me surprends à regarder en arrière à ce qui a été jusquà là mon existence
je me pose la question de savoir si de ma vie je navais jamais vraiment été amoureux
et la réponse que je me donne est
non, clairement non
jamais dune fille, ça cest sur, et peut être jamais dun garçon non plus
depuis très longtemps déjà jappréciais lexercice de regarder les bogoss, je me branlais souvent en pensant à un tel ou à un tel que je trouvais sexy
javais souvent été attiré, charmé, entiché
mais ça sarrêtait là
jamais encore je navais eu la possibilité de pénétrer assez dans la vie, dans lintimité de lun ou lautre dentre eux pour avoir de quoi réellement tomber amoureux
et si parfois je métais dit que même Jérém nétait au fond quun coup de cur, que cétait plus de son physique, de sa beauté aveuglante et de sa queue toujours droite dont jétais épris
à partir de cette nuit là jaurais la certitude que ce que je ressentais pour lui cétait bien plus que ça
jamais encore je navais rien vécu quelque chose qui ressemble, de loin ou de près, à ce que je venais de vivre
dans le Dimanche Matin 2.0, je me suis rendu compte que non, définitivement je navais jamais été amoureux de ma vie avant cette nuit là
je ne pouvais pas avoir été amoureux car je navais jamais senti ce que je sentais ce matin là en partant de chez lui
le ventre plein de papillons, un optimisme infini au regard de lavenir et de lévolution de notre relation
cétait comme si dun coup tout devenait possible, grâce à un baiser, à un regard
à cette certitude qui sest soudainement installée en moi, la certitude quil ressent un truc spécial pour moi, la certitude que je ne suis pas que son vide couilles comme il me la montré jusquà là, ou du moins que je ne suis plus son vide couilles
merde, alors !... cette nuit il y a eu de la tendresse, on sest fait des câlins
jai envie de le crier dans la rue, de le crier à tue-tête
dans le Dimanche Matin 2.0, jai limpression davoir vécu mille nuits en une seule
jai lesprit embrumé et confus
oui, décidemment il y a des images de cette nuit dont jignore si elles appartiennent vraiment au souvenir ou si elles ne sont pas directement issues de mon imagination trop excitée
comme des flash, comme dans la bande annonce dun film, des extraits, des images percutantes juxtaposées pour créer des effets de surprise, des questionnements, des coups de théâtre, des chutes, un véritable feu dartifice
oui, dans ma tête il y avait tout ça
de la surprise, des questionnements, un feu dartifice
dans le Dimanche Matin 2.0, la pluie avait cessé de tomber mais le vent soufflait toujours en ce dimanche matin heureux
comme il soufflait le jour de notre première révision. Je réalise soudain quà chaque épisode marquant de ma relation avec Jérém il y avait du vent
le vent dAutan
presque la partition de ma vie, un peu comme notre chanson à Jérém et à moi
cette chanson à nous qu'on n'aura jamais
dès lors le vent me parla de Jérém. Des que le vent se lève, surtout au printemps, lors de ces journées de soleil très claires, quand le vent souffle sur plusieurs jours, je revois Jérém le jour de notre première révision, son t-shirt blanc, son sourire coquin, son insupportable et irrésistible assurance quand il avait donné le coup denvoi à notre histoire
je me souviens encore de ses mots précis
« Eh mec - me dit en posant une main sur mon épaule - je sais que tu veux la voir, je sais que tu en as envie... alors viens la chercher... »
Ça ne doit pas être facile pour toi, mon beau Jérémie
passer du mec qui couche avec toutes les meufs
à une situation où tu as envie de te faire enlacer par un mec (et ce mec, cest moi !) pour dodo. Tu as besoin de temps pour admettre cette réalité... je suis ce que je fuis, nest-ce pas mon beau Jérém ?
il te faut du temps, mais tu finiras par te rendre compte que lon est fait lun pour lautre
pour linstant tu ne peux pas assumer tout ça, cest trop nouveau et trop puissant pour toi, tu ne le peux pas encore, mais tu maimes, mon Jérém, tu me las montré cette nuit
tu maimes à ta façon à toi mais tu maimes, ça cest sur
Je ferme les yeux et jai limpression dêtre dans ses draps, comme la nuit dernière
jinspire encore son odeur à travers le tissu froissé de sa chemise et jai limpression que si je bouge mon bras il va être là à coté de moi, je vais pouvoir le caresser, le serrer à moi
lavoir contre moi, lavoir en moi
son expression juste avant de jouir en moi revient sans cesse, elle me hante
ma main glisse sur ma queue, tout naturellement, je me branle
Je suis tellement fatigué que je sens que ça va être difficile darriver au bout
je pense que le sommeil va me gagner avant
je suis bien, je me branle plus pour continuer à penser à lui que pour vraiment jouir
je suis bien, son odeur avec moi, ça me calme, je ressens un doux apaisement, je suis heureux, demain je vais le revoir au bac
il faut pas que je lui tienne rigueur pour ce matin, je dois lire entre les lignes, surtout pas marrêter à son comportement à la con, penser quil peut être quelquun de bien, quil peut se laisser aller, faut juste trouver la bonne porte, le bon moyen, le bon moment
et tu vas y arriver, Nico, tu vas y arriver
non, il ne faut pas que tu lui tienne rigueur pour ce matin, dailleurs ce matin na jamais existé car tu es parti avant son réveil !
Assuré de son amour, un amour réel dont le seul défaut est celui de ne pas sassumer, assuré de ma capacité à attendre quil mûrisse et quil en prenne conscience, avec au plus profond de moi la certitude, comme une lueur dans une nuit sombre, que cette nuit soit un peu plus quune scène ratée copulée au montage dun film magnifique, me voilà suspendu entre veille et sommeil, entre envie de me faire jouir et besoin irrésistible de céder au marchand de sables
entre rêve et conscience, mes pensées se déforment
qui eut cru ce jour là quon en serait arrivé à une nuit comme celle que je venais de vivre ? Qui eut cru à ce fabuleux matin, le Dimanche Matin 2.0 que je viens de fabriquer, le matin qui aurait certainement été si je navais pas commis lerreur de rester
Quand on a à ce point envie de croire en quelque chose contre vents et marées, cest impressionnant la capacité de lesprit de créer des rêves sur mesure et de les prendre pour des réalités. Je sens en moi une force incroyable, inattendue, je laime, je me sens fort. Aimer rend forts, aimer rends fous. Imaginer limpossible. Même si on est seuls à y croire.
Mais quimporte, définitivement, en concevant le Dimanche Matin 2.0, je suis le garçon le plus heureux de lUnivers
et je le suis toujours en arrivant au bout de mon plaisir solitaire. Je finis par mendormir dans des draps moites.
En mendormant, jai aperçu lécran de mon portable sallumer. Un sms vient darriver. Je nai pas le courage dattr mon téléphone. Je mendors. Je laurai demain matin au réveil. Un sms dElodie :
Bon courage pour demain,
pour ton bac, et pour le reste
je pense très fort à toi, mon cousin
Au même moment, à lautre bout de la ville, dans une petite chambre détudiant, un beau brun cherchait lui aussi le sommeil
et il finirait par le trouver de la même façon que Nico trouva le sien
quant aux images qui défilaient dans sa tête pendant la recherche de son plaisir solitaire
à suivre
samedi prochain
Certains dentre vous reconnaîtront dans certains passages de ce texte, des mots ou des phrases tirés des commentaires de lépisode de la semaine dernière. Cest mon hommage à lintérêt que vous portez à mon histoire.
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