32.1 Thibault

Jérémie allongé sur le lit, nu. Son corps musclé, sa peau mate, abandonnée au plaisir qu’il reçoit par des lèvres qui semblent conçues sur mesure pour lui délivrer le plus grand bonheur. Ses abdos ondulant sous l’effet d’une respiration accélérée, excitée. Son visage parcouru par les vagues de plaisir qu’une langue, elle aussi « sur mesure », lui envoie par petites touches, comme de petites décharges électriques qui chatouillent ses sens et qui font monter son excitation vers des sommets. C’est beau de regarder un beau garçon en train de prendre son pied.
Penché sur son entrejambe, Nico est en train de coulisser ses lèvres sur le manche du beau brun. Nico adore sucer ce bogoss de Jérém. Et il a vraiment l’air de savoir comment s’y prendre. Ses mains se baladent sur ses pectoraux, titillant ses tétons. Un corps d’apollon frissonnant de plaisir. Peut-t-on imaginer tableau plus magnifique ?
Et Jérém, mec de chez mec, adore se faire faire ce genre de gâterie. Nico est tellement bon dans son affaire, que le beau brun ne tarde pas à voir l’orgasme approcher. Il pose une main sur la tête de Nico, il exerce une pression alternée et rapide pour lui montrer qu’il faut désormais accélérer le mouvement. Un instant plus tard il se soulage les couilles en lâchant plusieurs jets bien chauds et denses dans la bouche de Nico, alors que le tout dernier se posera sur ses lèvres… c’est beau ce qui se passe sur le visage d’un garçon qui jouit…
Jérémie est toujours allongé sur le lit, la respiration haletante, en train de récupérer de l’effort. Nico est en train de lécher sa queue toujours tendue, de goûter à la moindre trace de ce jus qu’il adore. Jérém prend une grande inspiration en fermant les yeux ; quand il les rouvre, Nico a terminé son affaire, il a relevé le buste, il est à genoux entre ses jambes, le regardant comme son Dieu. Jérém tourne la tête légèrement vers moi, allongé sur le lit juste à coté de lui ; et voilà qu’il me lance, un petit sourire coquin:
Il va te faire la même chose, tu vas voir comment il suce bien…
L’idée que ses lèvres, sa langue et sa bouche toute entière vont s’occuper de mon engin alors qu’elles viennent de se faire rincer par le jus de Jérém, cette idée me rend fou d’excitation… le jus de Jérém autour de ma queue… mélanger nos jus dans la bouche de Nico… je ne sais plus où j’habite tellement ça me rend marteau…
Nico se déplace de coté, vers moi, il commence à branler ma queue qui est déjà bien raide du fait de l’avoir copieusement caressée pendant que je matais avidement sa performance sur le sexe de mon meilleur pote; il penche sa tête vers mon bassin et il commence à avaler mon gland, à le titiller avec la langue, à le masser entre ses lèvres… quand ma queue se trouve au fond de sa bouche et que ses aller retours se font bien amples et rapides, là je me dis que décidemment Jérém n’avait pas menti… et je comprends mieux pourquoi il aime coucher avec lui… oui, ce petit Nico fait ça comme un chef !
Nico est en train de me sucer et je suis de plus en plus excité ; malgré le ravissement de mes sens et l’envie de regarder ce petit mec se soumettre à mon plaisir, je ne peux m’empêcher de regarder ce qui se passe à coté de moi… Jérém, à son tour excité par l’enthousiasme avec lequel Nico s’affaire sur ma queue, est en train de jouer avec la sienne, de se branler tout doucement…
Cette queue… la voilà enfin… après l’avoir tenue dans ma main et de l’avoir branlée jusqu’à la faire jouir par une nuit lointaine, l’été de nos 13 ans, sous une tente en camping… après l’avoir si souvent matée dans les vestiaires, sous les douches, au gré des mouvements d’une serviette, désormais elle est là, complètement exposée à ma vue, à quelques centimètres de moi, à portée de ma main…
L’excitation provoquée par celle qui ressemble déjà à la pipe de ma vie, une excitation des sens qui ressemble à une ébriété alcoolisée, me fait lentement glisser vers un état de bonheur et de bien être total… je suis tellement bien que je vois mes barrières tomber les unes après les autres… une fois dans ma vie, je sens que je perds contrôle…
La queue de Jérém est là, elle vient de cracher dans la bouche de Nico et elle est à nouveau raide, chaude, dressée devant mes yeux, excitée… j’en a envie, j’en ai envie depuis trop longtemps pour ne pas profiter de l’occasion… ce soir, dans l’ivresse des sens, tout est possible… ce soir et rien que ce soir… alors il faut y aller… j’allonge la main et je l’approche de sa queue… j’ai un peu peur de sa réaction, mais je suis surpris et heureux de voir que dès que mes doigts effleurent les siens, jusque là serrés autour de son manche, sa main se dérobe, laissant place à la mienne… ce geste a pour moi la signification d’un feu vert inespéré mais tant attendu… je m’enhardis et je la saisis… quel bonheur de tenir un engin de ces proportions dans la main, longue, épaisse, douce, chaude, puissante… il est mieux monté que moi, ce petit con de Jé-Jé… c’est une queue magnifique, à l’image de son propriétaire… et puis c’est la queue de Jérém… un pur fantasme depuis si longtemps… alors je vais encore plus loin et j’entreprends de la branler…
Je sens Jérém sursauter de plaisir… j’essaie de capter son regard, mais ses yeux semblent rivés sur ma main en train de secouer son manche.

La pipe de Nico est mémorable, un feu d’artifice… mais le bonheur de tenir dans ma main la queue de Jérém dépasse tout autre plaisir des sens, du rêve à l’état pur…
Je relève le buste, je me penche un peu vers Jérém pour être davantage à l’aise avec les mouvements de mon coude… je me penche encore un peu plus, comme aimanté par ce gland qui apparaît et disparaît au gré des mouvements de ma main… je suis de plus en plus proche du bassin du beau brun… je sens l’odeur de son sexe et du sperme qu’il vient de balancer dans la bouche de Nico… j’ai trop envie de le prendre en bouche…
Mais j’hésite et j’hésite encore… tout ça est trop beau, tout ça est tellement inespéré… je lève le regard à la recherche du sien… je croise son sourire coquin, accompagné d’un petit clin d’œil à craquer, agrémenté par un léger signe de la tête, comme une invitation claire et nette à y aller sans plus attendre… oui, son regard est une invitation à me laisser aller… il a envie de ça ce petit con… une envie plutôt pressante qu’il saura me communiquer un instant plus tard, à sa façon…
C’est d’abord la surprise quand je sens sa main se poser sur ma tête, approchant ainsi mes lèvres vers son gland pulpeux… je suis presque choqué par son geste si clair, si direct, ça me fait bizarre comme sensation que Jérém me pousse aussi ouvertement et violemment à faire ce truc dont j’ai par ailleurs très envie depuis toujours… j’ai comme un mouvement de recul, j’oppose une petite résistance… c’est mon pote… et ça ce n’est pas ce qu’on fait d’habitude entre potes… comment je le regarderai en face après ça ?
Je me dis qu’il ne faut pas réfléchir, il faut que je me laisser aller, je suis excité à un point que j’en deviens dingue… je me dis que demain au pire on mettra ça sur l’excitation du moment, sur le fait d’avoir un homo à notre disposition pour nous soulager, c’est soirée sans limites, soirée jouissance sans tabous, soirée on se vide les couilles et on fait tout ce qu’on a envie… je sens alors la dernière barrière tomber, comme s’évaporer…
« Allez, c’est bon » je l’entends chuchoter à mon oreille pendant que mes lèvres sont si proches d’approcher son gland… j’y suis presque, ses odeurs de mâle sont si intenses, si fortes… mes lèvres vont se poser sur son gland… mais c’est à ce moment précis que Nico décide d’augmenter la vitesse de sa fellation, me procurant un sursaut de plaisir et m’approchant dangereusement de l’orgasme… j’essaie de rassembler mes esprits pour me contrôler, pour ne pas me répandre de suite dans sa bouche, j’ai besoin de mon excitation pour faire plaisir à mon Jé-Jé… non Nico, pas encore… ne me prive pas de ça… j’ai envie de lui crier d’arrêter de me sucer mais je suis concentré à fond sur la maîtrise de mon corps et à un point envoûté par la proximité extrême du sexe de mon meilleur pote que je n’arrive pas à m’exprimer… mon cerveau est en panne, ma gorge est bloquée, mes lèvres, déjà entrouvertes pour accueillir le gourdin de Jérém, ne peuvent plus bouger…
Non, Nico, ne me fait pas jouir, pas encore… j’ai envie de lui faire une pipe d’abord, car après avoir joui, pas sur que j’en aurai encore envie… Nico, Nico, Nico, attends, stp… ah non, je viens, ah non… je viens, c’est bon, je viens c’est triste… Nico… Pourquoi, Nico ?…

Précédemment, dans 50 nuances de Jérémie : un regard un peu trop intéressé et Nico s’était trouvé dans une situation délicate face à un abruti imbibé d’alcool dans les chiottes d’une boite de nuit toulousaine; un t-shirt taché, une soirée écourtée pour Jérémie; Thibault l’accompagne à la voiture pour récupérer son portefeuille ; Thibault qui regarde Jérémie s’installer au volant et Nico prendre place coté passager, cette place qui avait tant de fois été la sienne, et ce soir là encore, pendant le trajet entre la Bodega et l’Esmé ; Thibault qui songera, l’esprit troublé, à la fin de soirée de son meilleur pote en compagnie de Nico…

Dimanche soir, juin 2001, 23h58

Quartier des Minimes, un beau garçon musclé, seul sous sa couette, vient de se réveiller d’un rêve plutôt bizarre qui l’a laissé retourné comme peu de fois dans sa vie… un rêve qui vient d’avoir un prolongement dans le réel, car la jouissance dont il a rêvé, est bien celle qui fait que ses draps sont moites…
Il vient de rêver qu’il était dans la chambre rue de la Colombette, avec Jérémie et Nico ; ce dernier venait de faire jouir son pote dans sa bouche, juste avant de le sucer lui… pendant que lui, non seulement était en train de branler la queue de Jérém, mais à (moins) de deux doigts de l’avaler… rêve de fou… rêve duquel il a été éjecté en jouissant… et maintenant qu’il est réveillé, voilà que ce rêve de dingue tourne en boucle dans sa tête…
Du rêve à la réalité, Thibault se retrouve à repenser à son meilleur pote avec qui il était parti en boite le soir d’avant : il le revoit venir lui parler de retour des chiottes avec son t-shirt blanc taché de sang, il le revoit partir plus tôt que prévu, suite à une bagarre qu’il avait affrontée tout seul et à son insu.
Il le revoit partir accompagné d’un autre garçon, un garçon qu’il connaît à peine, mais qu’il sait être plus qu’un simple ami pour lui.
Oui, ça fait un moment que Thibault s’imagine ce qui se passe entre Nico et son meilleur pote. Quand on connaît quelqu’un aussi bien que Thibault peut se prévaloir de connaître Jérémie, il y a des signes qui ne trompent pas. Et le malaise évident de Jérémie lorsqu’il lui avait posé la question sur son retour de boite cet après-midi là, n’avait fait que conforter son ressenti.
Une question d’apparence anodine, qui pourtant en cachait une autre bien plus difficile à poser. Thibault se surprend à réaliser que c’est bien la première fois qu’il hésite à poser une question à son meilleur pote… c’est nouveau ça… avec son Jé-Jé ils s’étaient toujours tout dit, ils étaient tout l’un pour l’autre… mais depuis quelque temps l’intimité fusionnelle de leur amitié était en train de se brouiller du coté de Jé-Jé… Jérémie avait mis de la distance, avait érigé une barrière protégeant un coin reculé de son jardin secret… et à ce coin, même lui, Thibault, le confident de toujours, n’y avait pas accès… c’était dur d’admettre qu’une partie de la vie de son meilleur pote lui était désormais interdite… dur de voir que Jérémie lui cachait des choses…
Oui, une toute autre question lui taraudait l’esprit, elle lui avait gâché toute la nuit d’avant, une nuit qu’il n’avait pas passée seul par ailleurs ; elle lui avait empêché de prendre vraiment son pied au lit, empêché de dormir, lui réservant par ailleurs un réveil d’humeur plutôt maussade ; elle était devenue carrément insupportable lorsqu’il avait vu Jérémie arriver cet après midi là, avec la mine des mauvais jours, un regard accablé et fuyant, un malaise qui avait l’air de s’être peu à peu dissipé : dans les vestiaires avant le match, à la faveur des retrouvailles entre potes ; pendant le match, à la faveur des résultats sportifs que ce petit con ne ratait jamais ; après le match, à la faveur de la bière coulant à flots…
Cependant, Thibault connaissait trop bien son pote pour ne pas voir que même si son comportement essayait de sauver les apparences, même s’il faisait son possible pour faire « comme si », Jérémie n’était pas vraiment dans ses baskets ce jour là.
Un truc le tracassait.
Qu’est ce qui s’était passé avec Nico ?
Ou, en clair :
Qu’est-ce qui se passe au juste avec Nico ?
Voilà la véritable question qui tournait en boucle dans la tête de Thibault. La réponse, ou une partie de la réponse, il la devinait. Pourtant, il avait besoin de l’entendre de la bouche de son meilleur ami. Il avait besoin de savoir comment il allait, son Jé-Jé.
Thibault n’étant pas dupe, il sait que ce genre de question ça ne se pose pas à brûle-pourpoint, elle demande une approche progressive, en douceur. Alors, quand on n’ose pas poser la véritable question, on commence par en poser une autre assez éloignée du but, histoire d’établir le contact et de gagner la confiance avant d’orienter la conversation.
Profitant d’une pause cigarette, Thibault avait entraîné Jérémie sur le terrain de jeu. Il s’était mis à marcher en parlant du match et Jérémie l’avait suivi. Après quelques banalités, en se faisant un peu violence, il avait fini par lui demander :
Ça s’est bien passé le retour de l’Esmeralda… avec Nico… ?
Jérémie ne répondra pas de suite à la question, se cachant derrière deux longues taffes tirées sur sa cigarette. Son regard partira loin, entre deux inspirations de fumée de tabac il s’éclaircira la gorge de façon inconsciente, ses dents mordilleront nerveusement sa lèvre inférieure : Thibault reconnaîtra ainsi les signes de la tension et de l’embarras chez son meilleur pote. Pendant un instant, il imaginera que Jérémie se mettra à table, comme toujours dans le passé, et qu’il lui confierait tout ce qu’il avait sur le cœur. Son espoir en sera vite déçu, lorsque son pote, après une troisième taffe et une main passée nerveusement sur le visage comme pour se débarbouiller, finira par lui lancer :
« Ca a été… j’étais fatigué… il faut que j’arrête de boire autant… (il jettera sa cigarette, pourtant fumée qu’à moitié, il l’écrasera d’un geste rapide et approximatif, il fera demi tour de façon presque précipitée, se dédouanant ainsi d’autres questionnements, le regard toujours fuyant)… viens, on va retrouver les autres… »…
Si ça ce n’est pas de la réponse évasive… Définitivement, cet après midi là, en posant une simple question sans vraiment obtenir de réponse, Thibault avait compris bien des choses : que ses soupçons sur ce qui se passait entre son meilleur pote et Nico étaient bien fondés ; que même si Jé-Jé devait bien trouver son compte dans cette relation, cette histoire le perturbait; que cette fois-ci son Jé-Jé ne lui laisserait pas jouer le rôle de confident auquel il était habitué ; que Jérémie était en train de changer et que certainement leur amitié allait être profondément bousculée.
Et que, pire que tout, elle allait l’être à jamais. Et une profonde tristesse avait envahi le cœur de Thibault en regardant Jérémie se précipiter vers les vestiaires, comme en le fuyant, lui, Thibault, l’ami de toujours.

Retour en arrière de quelques heures. Le matin du même dimanche, 4h18.

Dans un appartement du Quartier des Minimes, Thibault, couché sous sa couette avec une présence féminine endormie à ses cotés, n’arrive pas à trouver le sommeil. Il revoit la 205 sortant du parking de l’Esmé et disparaissant dans la nuit… se surprenant à ressentir un étrange mélange de sentiments de déception et de frustration vis-à-vis de son Jé-Jé de toujours, rentrant seul avec ce petit Nico…
Il n’a jamais posé de questions, personne ne s’est ouvert à lui à ce sujet… pourtant il sait… c’est une intuition, presque une certitude qu’il a eue un jour quelques semaines plus tôt, lorsqu’il a croisé ce garçon devant la porte de la chambre de son meilleur ami. Lui, Thibault, en sortait après une bière entre mecs à la fin de sa journée de travail: le garçon arrivait pour des révisions de maths. C’était un garçon qui avait l’air de quelqu’un de très gentil et de très timide. Son regard était mal à l’aise lorsqu’ils s’étaient serré la main.
L’image de Nico arrivant à la chambre de Jérém, d’abord surpris de le voir en sortir, ensuite gêné de le croiser, s’accompagne d’une autre image, une image de quelques minutes plus tôt, celle d’un Jérémie lui non plus pas très à l’aise de le voir débarquer à l’improviste, lui, son meilleur pote Thibault, un Jérémie semblant pressé de finir cette bière pour se consacrer aux révisions avec ce pote qui allait débarquer d’un moment à l’autre.
Quelques temps plus tard, il y avait eu cette soirée au KL, une soirée pendant laquelle il avait eu l’occasion, ou plutôt il avait eu la curiosité et pris le temps de regarder évoluer ce Nico : il avait ainsi pu remarquer cette façon qu’il avait de regarder les garçons… oui, Nico regardait les beaux garçons au KL ; mais il y avait un garçon qu’il ne quittait jamais des yeux pendant plus de dix secondes… et ce garçon était son Jé-Jé.
A un moment de la soirée, à la faveur d’une occasion qu’il avait un peu provoquée en allant s’asseoir juste à coté de lui au bar, il y avait eu cette petite conversation… dès les premiers échanges, et malgré la musique assourdissante autour d’eux, il avait ressenti dans les mots, dans les regards, dans les yeux de Nico quelque chose qui ressemblait bien à de la tendresse vis-à-vis de Jé-Jé. « Je l’aime bien aussi » avait dit Nico; alors qu’une étincelle, à la fois émue, rêveuse et pleine de douceur, passait sur ses yeux… ses sentiments à l’égard de Jérémie lui avaient paru si évidents que dans cette simple phrase « Je l’aime bien aussi », les mots « bien » et « aussi » s’en trouvaient complètement inutiles…
Très vite, Thibault avait compris non seulement que Nico était homo mais que par-dessus tout, il était amoureux, très amoureux, de son meilleur pote.
Quant à l’attitude de ce dernier, même si elle restait plutôt discrète, voilà qu’elle ne semblait pas complètement insensible à celle de Nico. Il l’avait remarqué ce soir là, parfois le regard de son Jé-Jé semblait de poser sur ce garçon d’une façon qui confirmait son intuition. Comme s’il avait besoin de se sentir désiré par ce garçon comme avant il avait eu besoin de se sentir désiré par les nanas.
Décidemment cette fameuse soirée au KL avait été bien révélatrice pour Thibault. Et lorsque Jérémie était venu lui annoncer qu’il rentrait à 1h35, 1h35, bon sang !, et qu’il ramenait Nico, ses doutes avaient soudainement pris la consistance d’une certitude.
Ainsi, réalisait Thibault en ce dimanche matin, depuis plusieurs semaines il se passait un truc entre eux… oui, force était de constater que Jérémie avait bien changé depuis quelques temps. Et ce « depuis quelques temps », correspondait bien au début des révisions avec Nico… sacrées révisions… jamais Thibault n’avait vu Jérémie réviser autant… au point de manquer des entraînements, au point de renoncer à une soirée entre potes… certes, le bac approchait, mais il savait son Jé-Jé bien plus nonchalant que ça… ça a bon dos les révisions…
Non seulement, « depuis quelque temps », Thibault avait remarqué que son incorrigible queutard de pote chassait moins la gonzesse, beaucoup moins… que, « depuis quelque temps » les nanas se faisaient rares dans le lit de Jé-Jé… en plus de ça, « depuis quelque temps », plusieurs fois Jé-Jé lui avait parlé de ce Nico… ce petit pd qui le kiffait… ce petit pd qui l’aidait à réviser car il devait espérer des trucs que jamais de la vie… et vas y que « ce petit pd n’arrête pas de me mater », ce « petit pd avait dit cela » et « ce petit pd avait dit ceci»…
Au final, en dépit de sa façon de faire mine d’être agacé par les attentions du petit Nico ; en dépit de son attitude, qui semblait se moquer ouvertement des ses penchants, une attitude de mépris et de dédain, le sujet « Nico » revenait de plus en plus souvent sur le tapis… et, à bien regarder, au-delà des railleries et des boutades, Thibault avait vraiment l’impression que son pote avait l’air flatté que ce « petit pd » s’intéresse à lui…
D’ailleurs, Nico semblait être de plus en plus présent dans sa vie. De plus en plus souvent, alors qu’avant ils ne le voyaient jamais, ils le croisaient presque à chaque fois qu’ils sortaient en boite; ce samedi là, début de soirée à la Bodega, il est là ; ensuite, sur proposition de Jérém et sans une véritable raison, exit l’éternel KL, les voilà partis pour l’Esmé, une boite où ils avaient du mettre les pieds qu’une seule autre fois de leur vie ; ils arrivent là bas, Nico est là encore ; Jérém part aux chiottes et il en revient quelques minutes plus tard avec lui, le t-shirt éclaboussé de sang… en racontant qu’il s’est battu avec un type à cause d’un mot de travers…
Et pour finir, une fois de plus ils repartent de boite que tous les deux. C’est déjà arrivé plus d’une fois, Jérém qui repart tout seul avec lui… Jérém qui part de boite avec des prétextes bidons… Jé-Jé naze un dimanche matin à 1h35 ? deux fois dans un mois ? Lui qui « avant » faisait la fermeture des boites après s’être tapé une ou plusieurs nanas dans les chiottes du KL ? Non, ça ne tient pas debout…
Jérém ne lui avait pas parlé de cet aspect de sa vie, c’était certainement quelque chose de difficile à assumer pour lui. Peut-être c’était tous simplement trop tôt, ou alors cette chose était brouillée dans sa tête, enveloppée dans un brouillard épais… une simple passade, peut-être ? L’envie d’essayer un truc nouveau ? De la curiosité ? Est-ce que son pote avait besoin de savoir où il en était, où il allait, avant de lui en parler… ?
Non, Jérém ne lui avait pas parlé de ce qui se passait réellement avec ce petit Nico ; cependant, si les mots n’étaient pas au rendez-vous, il y avait un truc assez troublant dans l’attitude de Jérém vis-à-vis de tout ça… parfois, lorsqu’il faisait des allusions à Nico, quand il lui parlait des révisions, quand il venait lui annoncer qu’il le raccompagnait, Thibault avait l’impression que Jé-Jé savait : il savait que, lui, Thibault, savait… comme une complicité au delà des mots, comme un truc de plus qu’ils partageaient, un secret entre potes… oui, un truc dont on ne parlera jamais, comme cette petite branlette partagée sous une tente il y a bien longtemps…

[Août 1995. C’est l’été de leurs treize ans et Jérémie est parti en camping avec Thibault et sa famille... les deux copains dorment dans la même tente... quelques branlettes côte à côte... imaginant que le copain n’a rien remarqué... et puis un soir, une main glisse sur le sexe du pote qui est en train de se caresser dans le noir… c’est agréable la sensation d’une autre main que la sienne sur sa zigounette… alors, après une première surprise, on laisse faire, ce touche pipi est si délicieux qu’on ne se pose plus de questions; d’ailleurs, après une petite bière achetée en cachette à la buvette du camping, tout semble permis... on sent ce truc monter, ce truc si plaisant dans son bas ventre... ça vient, qu’est ce que c’est bon, on jouit si fort qu’on a du mal à ne pas crier... c’est tellement bon qu’on arrive pas à s’endormir...
On reste en silence à coté du copain qui nous a fait ce plaisir... on sent qu’il est en train de se branler à son tour et alors on ne peut pas se priver de lui rendre la pareille... on allonge la main, on rencontre la sienne, elle laisse la place et on continue de branler le sexe de ce pote qui nous a fait ce cadeau en premier... on le sent jouir dans notre main et on est contents de l’entendre haleter de plaisir…].

Oui, c’est ça être potes… savoir des choses sur l’autre et savoir parfois les passer sous silence, lorsqu’on comprend que les mots ne seraient d’aucun secours… savoir comprendre, accepter sans juger… comprendre sans que la parole ne vienne gâcher ce que l’on sait déjà sans se le dire… ça s’appelle l’amitié…
Pourtant, il avait vraiment besoin de savoir, besoin que Jérém s’ouvre à lui plutôt qu’il ne se sente obligé de le brancher sur une jolie fille pour le ménager, une jolie fille dont le plus grand attrait était à ses yeux celui d’avoir couché quelques temps plus tôt avec son meilleur ami. Une jolie fille à qui Jérém avait peut-être promis de remettre ça si ce soir là elle s’était occupé de son pote…
Ça c’était bien un coup à la Jérémie… un coup qu’il lui avait fait par deux fois déjà, un coup que la nana avait toujours fini par lui avouer après l’amour… voilà une attitude de Jérém capable de le toucher et de le vexer à la fois… oui, c’est touchant un pote qui s’inquiète que vous ne finissiez pas la soirée tout seul… mais au même temps c’est humiliant de penser qu’il ait pu imaginer que vous aviez besoin de cela pour lever un coup du samedi soir…
Quelle drôle de sensation pour Thibault que d’accompagner son Jé-Jé à la voiture… il y a un truc qui le dérange, un truc qu’il n’arrive pas encore bien à s’expliquer, ou tout simplement à admettre, un truc qui lui prend bien la tête comme il faut… sur le parking, Thibault essaye de retrouver, et de montrer à « l’intrus », un peu de cette complicité qu’il y a depuis toujours entre lui et son pote… il lui lance des piques et son Jé-Jé réagit à ses petites bousculades. Pourtant, imagination ou réalité, Thibault a l’impression que Jérém n’est pas comme d’habitude… Nico est là et Jé-Jé est comme différent… alors que d’habitude il n’a aucune gêne à déconner avec lui et à être très tactile, même devant plein de monde, Thibault le trouve moins libre dans ses mouvements… il a l’impression que Jérém est pressé d’arriver à la voiture et de rentrer… alors les questions envahissent son esprit…
Qu’est ce qui se passe au juste avec Nico ? Qu’est-ce qui se passe dans la tête de Jé-Jé ? Que s’est-t-il passé dans ces putains de chiottes avec le type avec qui il s’était battu ?
Thibault regarde Jérémie et Nico prendre place dans la 205, une sensation bizarre dans le ventre. Pourtant, depuis bien longtemps déjà, Thibault est habitué aux escapades de son Jé-Jé… combien de fois il l’a vu s’éclipser avec une gonzesse à une fête de village ou dans les chiottes d’une boite de nuit, ou repartir direction rue de la Colombette en charmante compagnie… à chaque fois ça l’a rendu un peu jaloux, jaloux du succès de son meilleur pote avec la gent féminine…
Mais au final, les aventures de son pote l’avaient toujours fait sourire… d’autant plus que le lendemain, ou plus tard le soir même, il serait venu lui en parler, lui raconter, faire des blagues de mec… ils auraient rigolé ensemble, retrouvé à l’instant cette entente de potes qui avait toujours été la leur depuis l’enfance…
Oui, Thibault est habitué aux escapades de son Jé-Jé… en quoi le fait que ce soit un mec et non pas une nana devrait le perturber ? Il n’y a pas de raison… pourtant c’en est ainsi…
En revenant vers l’entrée de l’Esmeralda, Thibault ne peut pas quitter la 205 des yeux; il reste là, planté sur le parking, à fixer la lumière rouge des feux arrière s’éloignant dans la nuit jusqu’à qu’elle soit définitivement hors de sa vue ; le vent souffle sur sa peau et il se surprend à penser à son pote seul avec Nico… en vrac, au fond de lui, de la tristesse, un peu de déception et, il faut bien l’admettre, un autre truc qu’il ressemble bien à de la jalousie… comme si on le privait de quelque chose… comme si on lui arrachait quelque chose… comme s’il était laissé… sur le carreau…
Est-ce qu’il est jaloux que Jé-Jé ait un autre pote ? Ou bien jaloux du fait qu’il se passe un truc, ce truc, avec ce pote ? Est-ce qu’il est jaloux de savoir son pote en train de s’envoyer en l’air ?... Ou alors, est-ce qu’il est jaloux de savoir son pote en train de s’envoyer en l’air… avec Nico ? Jaloux de savoir son pote en train de s’envoyer en l’air loin de lui ? Pourquoi donc ? Est-ce qu’il a envie de voir Jérémie s’envoyer en l’air ? Envie de le voir nu, en train de prendre son pied ? Est-ce que ce soir là, à pouvoir choisir, il aurait eu envie de monter dans la voiture avec eux ? Est-ce que, à pouvoir choisir, il serait bien monté dans la voiture à la place de Nico et… pour la même fin de soirée que Nico… Est-ce qu’il est tout simplement jaloux qu’ils couchent ensemble, que Jérém partage avec ce Nico quelque chose qu’il n’a jamais partagé avec lui ?
L’idée est tellement énorme et difficile à assumer que Thibault ressent le besoin de rester seul pour accuser le coup de toutes ces nouvelles questions qui se bousculent dans sa tête et secouent son esprit au point de lui brouiller la raison. Il s’arrête un instant appuyé à la rambarde à coté de l’entrée de la boite. Il ne se sent pas le courage de retourner dans le boucan de la salle, dans la chaleur étouffante, au milieu de tout ce monde, de retrouver les potes, de devoir déconner alors que le cœur n’y est pas… il prend une inspiration profonde, il essaie de faire le vide dans sa tête, de repousser cette image, cette idée complètement délirante… avoir envie de rentrer avec Jérém… d’être à la place de Nico pour tout…
Il avait fallu qu’un petit Nico surgisse dans la vie de son pote pour que les désirs de Thibault, des envies que sans cela seraient certainement restés tapies au fond de son cœur, remontent à la surface de sa conscience avec une violence inouïe. Une violence nourrie par la jalousie.
Celle là, alors, Thibault se disait qu’il ne l’avait pas vue venir… que jamais il n’aurait cru que Jérém chercherait un jour la compagnie d’un garçon… « Et moi qui croyais le connaître… – se dit-t-il, le regard perdu dans le vide, sentant une étrange fatigue le gagner, le malaise se dissipant petit à petit laissant apparaître une sorte de tristesse empreinte de résignation – mais comment ça se fait qu’un mec comme Jé-Jé ait eu envie de se taper un garçon alors qu’il peut avoir toutes les nanas qu’il veut ? Bien sûr… beau comme il est, il doit se faire brancher par des mecs… et dans le quartier où il habite, c’est pas ça qui manque, les mecs à mecs »…
Tu le sais, Thibault, il a des gars qui ont un truc, une façon de regarder qui fait qu’on a envie de les regarder aussi… ça t’est arrivé à toi aussi de te faire mater… au taf, en boite… une fois t’as même du refuser du rentre dedans plutôt cash… t’avais même trouvé que le mec n’était pas mal et en plus il savait s’y prendre… il était charmant… ça avait été dur pour toi de lui dire que tu n’étais pas intéressé… alors, si ces trucs là t’arrivent à toi, ils doivent arriver dix fois plus à Jé-Jé… toutes les nanas sont folles de lui… alors les homos…

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