Sylvie Et Rose 1

SYLVIE et ROSE



[ Chapitre : 1

Six mois de deuil.
Rose séduite et abandonné par Gilles, pour éviter une explication sincère, a préféré accepter l’hospitalité de Maurice, le célibataire du foyer d’artisanat, un quasi inconnu, homme assez effacé. Il a suffi d’une déclaration d’amour étrange, venue à point et elle a quitté le domicile conjugal, oublié les ferventes promesses du mariage, fait un trait sur deux années de complicité. Gilles l’avait détournée de moi, Maurice l’a cueillie sous mon nez. En réalité, il m’a débarrassé d’un fardeau.

Seul dans la maison, je crois la voir, l’entendre. Plus de cris de joie, plus d’appels, plus de taquineries, plus de mots d’amour, plus de baisers, plus d’étreintes, plus de « je t’aime. » Je vis en célibataire inconsolable dans cette maison hantée par le fantôme de mon amour. Je ne l’aime plus, elle e manque comme une habitude.

Le dossier de divorce de Sylvie a servi à la constitution du mien, puisque j’ai dû me rendre à l’évidence: Rose ne reviendra plus, je ne la veux plus. J’ai dû me résoudre à demander à la justice d’en tirer les conclusions. J’oublie en travaillant le rôle ingrat de cocu..J’entretiens ma propriété, ermite renfermé, je lis, j’écoute mes disques. Le juge aux affaires familiales a conclu de notre entrevue que nous ne souhaitions pas de conciliation.

Ce samedi d’hiver, il pleut, je repasse mon linge devant la télévision. Un visiteur sonne. Je fais entrer Maurice, seul, plus affligé que moi. Ce matin Rose l’a quitté parce qu’il lui a reproché d’être revenue à 3 heures du matin. Je le console, verse un verre d’alcool et nous trinquons aux femmes fidèles qui nous attendent.

Il vient de me quitter, on sonne. Deux visites le même jour, quelle agitation ! Ils étaient partis ensemble, ils reviennent le même jour. Devant moi, toujours aussi séduisante, fardée avec soin, souriante, heureuse de me revoir, Rose me tend les bras, ferme les yeux et avance bouche offerte.

Un bisou sur chaque joue l’étonne, mais elle entre d’un pas décidé, comme si elle revenait d’un lèche vitrine d’une heure ou deux. C’est une revenante, à l’aise :
- Alors, il paraît que tu veux vendre la maison ? Où iras-tu? Imagine que je veuille revenir vivre avec toi, comment ferions nous pour nous loger?

- J’ai renoncé à imaginer ton retour. Tu comptes revenir?

-Si tu veux de moi, avec joie. Tu sais j’ai changé. J’ai quitté Maurice, mes parents m’hébergent. Je n’arrête pas de penser à toi et aux jours heureux de notre mariage.

-Tu vis seule ?

- Comment pourrais je me lier avec un autre. J’ai essayé sans y parvenir. Je t’ai dans le cœur, je t’ai dans la peau. Je t’aime, je suis folle de toi. Si tu savais comme je regrette le mal que je t’ai fait. Pardonne-moi. Et si tu le permets, je reviens vers toi. Tu es toujours seul ?

Elle est là, devant moi, belle, attirante, disposée à une réconciliation, à défaut de veau gras, je devrais ouvrir une bouteille de champagne pour célébrer la fin de l’insupportable solitude. Elle se déplace à l’aise, reprend avec un naturel époustouflant son rôle de maîtresse de maison, ouvre les portes des meubles, commente mes travaux, s’attarde devant notre lit. D’un mot elle peut m’y attirer et nous serions nus, livrés à l’ivresse des sens. Je retrouverais ses seins aux pointes dressées, son sexe ardent et nous ferions l’amour. Des mois d’abstinence seraient soldés en un corps à corps fou en ce qui me concerne. Je vais céder à la tentatrice. Une question, une petite question inspirée par notre passé et par la visite de Maurice me sépare de l’union amoureuse :

- Peux-tu me dire où et avec qui tu as passé la nuit dernière
?
Elle ignore le propos, passe à l’offensive :

- Je ne devrais pas te bousculer, mais tu me manques tellement et depuis si longtemps que je n’ai pas pu résister à l’envie de te faire l’amour, malgré les recommandations de mon avocat.


Ah! Voilà un brutal retour à la réalité : les recommandations des «  avocats. » Le mien m’a dit qu’une réconciliation ferait tomber à l’eau toutes les preuves antérieures… D’un mot Rose vient de briser le doux rêve du retour de l’épouse égarée. J’aurais fêté, tout oublié pour la retrouver. Elle voit ma contrariété :

-Si tu vends la maison, ça ne a pas mon amour. Je saurai attendre que tu me fasses signe. A ce moment, tu me verras accourir. Désormais je n’aurai plus d’autre homme que toi. Je nous fais un café ?

Ce corps souple qui danse à travers les pièces, cette femme que j’ai tant aimée, l’épouse inoubliable, je voudrais la serrer dans mes bras, la dévêtir, me couler en elle, me noyer dans son ventre chaud, la pénétrer et la faire crier de plaisir retrouvé. Mon cœur bat à tout rompre mais ma raison hurle: -AVOCAT, procès, mensonge.

Elle parle travail, salaire, nous serions si heureux. Je crève de désir devant une femme qui s’offre :

-Viens au lit, faisons l’amour, ça n’engage pas l’avenir, mais cela pourrait nous rapprocher !

-Où as-tu passé la nuit dernière ? Avec qui ?

-Pourquoi cette question? Vous êtes tous pareils, je crois entendre Maurice. Oh! Pardon.

Voilà la gaffe à éviter. Mais elle a sauté pieds joints dans la mare.

- Rose, tu n’as pas changé. Tu ne veux pas répondre, comme naguère. Je regrette ton refus de donner une réponse précise à une question sans importance. Cette attitude m’est insupportable. Je te reconduis chez toi.

Elle a compris ce qui nous sépare. Elle me quitte lèvres pincées.

Je me suis imposé une rude frustration. Refuser une pareille occasion, c’est inhumain. Maudits avocats. Un nouveau coup de sonnette me tire de ma rêverie. C’est le jour des visites. Que m’arrive-t-il ? Une autre revenante. Celle-ci est blonde, mais aussi souriante et aussi agréable à regarder. C’est Sylvie en reine de beauté, de la pointe des cheveux aux bouts des ongles, resplendissante, éblouissante, femme épanouie à l’approche de la trentaine, savoureuse, fruit mûr à cueillir sans tarder, si belle, si désirable.
Mais moi, pauvre ver de terre, incapable d’avoir gardé Rose, comment oserais-je jeter les yeux sur cette merveilleuse créature ? Le diable a juré de me damner aujourd’hui.

Elle entre, me donne l’accolade. On se tutoie, mais jamais nos salutations ne m’ont révélé avec une telle précision les formes et la chaleur de ce corps. Elle reste contre moi, affectueuse, souriante. Mon corps curieux répond à la curiosité du sien. C’est une redoutable attaquante. D’entrée elle marque des points en prolongeant ce rapprochement subit. Pendant des semaines nous nous sommes rencontrés de façon neutre pour régler nos témoignages puis nous nous sommes oubliés. Quelques projets de sorties sont restés lettres mortes, nos rencontres se sont espacées. J’en ai conclu qu’elle était trop bien pour moi. Et, tout à coup le reclus se transforme en saint Antoine tenté par de magnifiques créatures.

- Mon cher Paul, il y a bal ce soir à la salle des fêtes. Tu ferais un cavalier de rêve pour moi. Voudrais-tu sortir de ta caverne et me faire ce plaisir ? Nous pourrons nous entretenir de nos problèmes, mais surtout nous amuser. Cesse de me regarder comme si je descendais des nues. Dis-moi « Oui. »

Demandé aussi gentiment, avec une accolade aussi appuyée, ça ne saurait se refuser. J’accepte en cachant mon enthousiasme. Sylvie se souviendrait-elle de sa lointaine invitation :

- Si tu es seul, fais-moi signe.

Je n’ai pas oublié, mais je n’ai pas osé. Elle est magnifique au point de m’intimider et seules des circonstances étranges nous ont rapprochés. Au bal, Rose et moi adorions danser.

- Ce bal a-t-il un caractère particulier ? Faut-il se déguiser ?
- Non, c’est un bal au profit des orphelins en vue des fêtes de fin d’année, organisé par une association. Il y a deux ans, je vous ai vus danser toi et Rose à ce bal.

- Rose ! Sais-tu qu’elle sort d’ici. Peu avant Maurice m’avait annoncé qu’elle venait de le quitter. Que me voulait-il ?

- Peut-être a-t-il pensé qu’elle s’était réfugiée chez toi.


- A peu de choses près il la trouvait ici. elle est arrivée juste après son départ.

- Cherchait-elle Maurice? Je plaisante, mais c’est curieux, continue, je te dirai après… Et que voulait-elle ?

- Ensorcelante, parfaitement à l’aise, elle venait proposer de revenir en bonne épouse, ni plus ni moins et voulait mettre fin à ma longue période d’abstinence.

- Ah! Bon…Vous allez vous remettre ensemble ?

- La solitude, c’est terrible, sais-tu. J’ai été tenté. Mais dans l’état actuel du procès, j’ai jugé prudent de ne rien décider. Je lui ai demandé où elle avait passé la nuit dernière, elle a pris la mouche, cela a coupé ses déclarations.

- Imagine quelle visite j’ai reçue de mon côté.

- Pas vrai ? Lui ?
- Si, Gilles, en grande tenue, tout disposé à me revenir, plus amoureux qu’à nos débuts. Pour renouer en beauté, il prévoyait de m’emmener au bal ce soir en compagnie des amis de son club ?

-As-tu besoin de plusieurs cavaliers ? Pourquoi es-tu venue m’inviter si Gilles se proposait de partager cette soirée avec toi ? Veux-tu le rendre jaloux pour le reconquérir ?

Sylvie réfléchit, puis m’interroge :

-Gilles et Rose, est-ce le fait du hasard, ont le même avocat. A l’évidence, ils ont reçu la même consigne : se rapprocher de leur ex,, renouer pour rendre nulles toutes les preuves qui pourraient nous faire gagner le procès.

-J’ai tenu le même raisonnement. Bon Dieu, que cela a été dur.

Sylvie se colle à moi, ses deux bras entourent mon cou, son parfum m’enivre, son regard mouillé se plante dans mes yeux, sa bouche s’empare de mes lèvres. Oui, cela a été dur, pour elle comme pour moi. Et soudain, ce long baiser, très doux, très long c’est une délivrance. La mélancolie, les regrets, sur le champ, sont oubliés. Nous nous regardons étonnés, frappés par la foudre :

- Qu’attendais-tu pour venir chez moi ? Je t’avais dit que si tu étais seul, je serais là pour toi. Ca fait si longtemps que j’espérais. Je ne te plais pas ?

- Au contraire, tu es si belle. Trop belle pour moi. Je n’ai pas osé croire que tu t’intéresserais à moi. Et puis j’avais un deuil à faire.

- Oh ! Le sot timide. Pendant que je me languissais, il avait peur. Ce n’est pas vrai, pas possible. Trop belle pour lui ! Et quoi encore? Approche.

Et c’est reparti pour un tour: pour rien au monde je ne donnerais ma place. Elle m’insuffle cette assurance qui me manquait. Quelle étreinte, quel baiser. La chape de timidité s’évanouit et cette fois je donne autant que je reçois dans cet échange. Toutes les barrières sautent, le salon en est illuminé. Le paradis, ça doit être ça.

- Eh! Bien, dis donc. Tout ça couvait en toi, tu te cachais. Tu peux avoir confiance en toi, jamais personne ne m’a montré une telle ardeur. J’adore t’embrasser. Encore.

Je suis aussi insatiable que Sylvie. Ce corps pressé contre le mien me fait oublier toute décence. Quand malheureusement il faut se séparer, Sylvie a un sourire entendu. Elle a senti et sait ce qu’elle a éveillé chez le solitaire. Et ce n’est pas pour lui déplaire. Le dos de sa main effleure ma joue :
-Allez, prépare toi et viens me rejoindre chez moi dès que tu seras présentable. N’oublie pas de te raser.

Effectivement, j’ai négligé mon apparence depuis que Rose… Rose, le départ de Rose, l’absence de Rose, la possibilité du retour de Rose, Rose ici, Rose là. Le dernier piège de Rose. Mon deuil est terminé.

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