Une Étudiante Bien Maladroite - Partie 1
Lundi 6 septembre
Premier jour, premier cours
Bâtiment E, 1er étage, salle 103
Pierre est anxieux
Ce nest pas la première fois quil vient à lUniversité, mais là, cest le jour J
Cartable à bout de bras, il parcourt les allées sans prêter attention aux personnes quil croise. Daprès les écriteaux, le bâtiment est à droite. Pierre est un peu déçu. Il aurait aimé quil soit à la hauteur de son appréhension. Deux étages derrière un crépi grisonnant et défraîchis. Les huisseries semblent dépoque. La double porte est ouverte pour accueillir la foule des étudiants en ce jour de rentrée. Pierre se faufile dans lescalier, presque emportée par le flot des retardataires, des pressés, des enseignants
Derniers pas. Pierre examine chaque porte pour trouver celle de sa salle
Enfin, la voici. La porte est fermée
Une dernière vague dinquiétude monte en lui alors quil pose la main sur la poignée. Une grande respiration et Pierre entre :
- Bonjour à tous
Les retardataires, merci de bien vouloir vous asseoir.
Le cours danglais que Pierre assure va pouvoir commencer. Ses traits trahissent ses 28 ans
A l'Université, le niveau est plus important et les besoins plus spécifiques. Pierre le sait bien, Perfectionniste et amoureux de son métier comme de la langue de Shakespeare, il a à cur de mener avec passion cette nouvelle année.
L'amphithéâtre est à moitié plein. Il faut dire quil est disproportionné par rapport au nombre délèves de son cours. Et puis, un amphithéâtre pour un cours danglais, le choix est un peu atypique. Mais Pierre devra faire avec cette année.
Un premier regard sur ses élèves : la mixité semble équitable à première vue. Au premier rang, deux étudiants aux allures de premier de la classe. Pierre se rappelle de lui il y a quelques années. Certes, il navait pas leur image, mais il aimait déjà beaucoup langlais.
Sur le bureau, deux grands cahiers : déposés par le personnel administratif, il y retrouve la liste de ses élèves quil na pas pu récupérer la semaine dernière.
- Eva
.
Pas de réponse
- Eva ! Insiste Pierre
En guise de réponse, il obtient un bruit sourd accompagné de ce qui semble être un juron.
- Heu, là, présent, Monsieur
Au fond à droite, une main se lève, suivie dune tête aux cheveux châtains. La douleur du choc avec le pupitre se lit encore sur le visage.
- Excusez-moi, Monsieur, cest
mon crayon
il a glissé.
La jeune femme tente maladroitement de se ressaisir. Ses joues se colorent dun rouge de gêne. Elle regarde, apeurée, autour delle. Mais ses camarades ne sen inquiète pas. Pierre est amusé par la situation qui pique son humour :
- Try in english, Miss : Im sorry, Sir. My pencil felt on the floor and I tried to pick it up while you were calling my name. Right ?
La jeune femme est prise de court et tente de bredouiller quelques mots
-Heu, Yes, Monsieur, heu, Sir
My pencil
Pierre ne relève pas et nécoute même pas la suite de sa réponse. Il se contente de lui sourire avant de passer au nom suivant.
Le cours commence enfin. Pierre se présente définitivement. Il résume les grandes lignes de programmes de cette année, les objectifs, sa méthode. Il est plus adepte dun enseignement dynamique, en dehors des cours magistraux, trop éloignés de la réalité et dun usage pratique de la langue.
- Je ne suis pas là pour que vous soyez incollable sur luvre de William Shakespeare
. Shakespeare, vous connaissez ? Nous, français, avons eu Molière; les anglais, Shakespeare
Molière, ça vous dit quelque chose, jespère ?
Lauditoire samuse de son intervention. Mais déjà cette première heure arrive à son terme.
Bientôt deux mois. Les appréhensions des premiers jours sont passées. Ce nest pas pour autant la routine. Pierre met un point dhonneur à préparer consciencieusement ses cours. Il sinquiète toujours de savoir si les notions, les explications, les exemples sont bien compris. Comme il aime à le dire Ce nest pas au moment de monter le toit quil faut sinquiéter des fondations !. Alors, même si certains de ses élèves y voient un piège, il aime bien faire des sondages parmi eux. Ils demandent des exemples similaires à ceux quil a donnés, une mise en application dune règle, la traduction en français ou en anglais dune phrase clef
Son exercice préféré consiste à mettre en application des leçons vues plusieurs semaines auparavant. Cela soulève toujours quelques soupirs dans le fond accompagnés de mimiques dinquiétudes ou de lassitudes
Hors de question de sendormir
Après tout, cest bien un cours de langue vivante !
Mais ce jeu a aussi un revers : par manque de temps, Pierre ne peut malheureusement pas faire participer tout le monde. Tous ne manifestent pas ment un enthousiasme immense à répondre ou à chercher la réponse
Il abandonne régulièrement ceux du premier rang qui sempressent de lever la main à la moindre question
Le deuxième et troisième rang est partagé : si on les questionne, ils arrivent facilement à avoir la réponse, mais ils ne viendront pas se plaindre si on les oublie. Le quatrième est plus discret. Il ny a dailleurs souvent pas grand monde. Pourtant, Pierre essaye toujours de discerner qui y a ses quartiers. Car si pour les autres rangs, il nest pas rare que les élèves changent de place, le dernier fait autorité en terme de constance.
Sans sen rendre compte, ses interrogatoires sont toujours précédés du même rituel. Dos à lauditoire, il sinterrompt dans son discours. Il pose le feutre dans la goulotte du tableau et après une courte pose de quelques secondes, il se retourne tout en commençant à énoncer sa question
Il ne change pourtant pas son habitude, même sil sait que leffet perd en surprise.
Ce jour-là, Pierre est décidé à ne laisser personne sur le bas-côté.
- Vous navez pas oublié que la semaine prochaine vous avez un contrôle, nest-ce pas ? lança-t-il ?
Comme à son accoutumé, il posa le feutre sur le rebord du tableau et se retourna
- Au fait, les question tag, vous vous rappelez leur usage ?
Pierre pose tout dabord le regard sur le deuxième et troisième rang. Il ignore totalement les mains qui se sont spontanément levées devant lui. Il soupçonne même certains davoir anticipé sa question.
Les attitudes sont partagées : il y a ceux qui continuent à noter les dernières phrases; dautres inspectent le tableau à la recherche dune hypothétique réponse ou font mine danalyser en profondeur les quelques phrases qui sy trouvent. Enfin, il y a ceux qui plongent la tête dans leur sac pour chercher encore une fois ce fameux stylo
Tiens, en parlant de stylo
Au dernier rang, la jeune femme au stylo.... Pierre parcourt le rang du regard à sa recherche. Finalement, tout au bout, la jeune femme lobserve derrière de lunettes à monture sombre et épaisse. Force est de constater que le peu dintérêt quelle semble porter à son apparence la rend quasi invisible, fondue dans la masse.
- Vous, heu
Pierre bredouille tout en montrant la jeune femme du doigt
- Eva, Monsieur...
- Oui, Eva, que pouvez-vous me dire sur les question tag ?
- Et bien, Monsieur, quand on pose une question en anglais, on utilise fréquemment à la fin de sa question un question tag pour obtenir l'approbation de son interlocuteur.
- Oui, cest bien ça
Eva regarda presque surprise ses camarades et se mit à rougir. Pierre est étonné. Etonné déjà de la priori dont il avait fait preuve lorsquil avait posé les yeux sur elle la première fois : une étourdie, un peu maladroite, certainement là un peu par hasard sans vouloir dire par erreur.
- Intéressant, intéressant
se surprit à penser Pierre
La sonnerie retentit. Scrupuleusement et avec un automatisme certains, les élèves enfournèrent dans leur sac, cartable et autre attaché-case, leurs notes et livres avant dévacuer les rangs à la queue leu leu.
- Au fait, lança Pierre, étourdis, Lundi prochain, autocontrôle sur les chapitres 21 à 25
Attention la note comptera double pour votre évaluation mensuelle.
La troupe sarrêta un instant dans son élan, pestant à demi-mot, et reprit son chemin. Pierre, machinalement, suivit Eva des yeux alors quelle fermait quasiment la marche. Il prit conscience de son regard insistant lorsque la jeune femme se retourna et croisa le sien. Dun hochement de tête à peine perceptible, elle sembla le saluer. Pierre se ressaisit et fit mine de se replonger dans ses notes sans lui retourner la pareille.
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