Une Étudiante Bien Maladroite - Partie 3
Lhiver est arrivé et cette année, il ne faillit pas à sa réputation : lorsque Pierre tire les rideaux de sa chambre en ce lundi matin, il découvre un paysage enveloppé dans son manteau blanc.
Sur le trajet, piétons et véhicules se livrent à un ballet incertain pour se préserver du piège glissant qui les attend sur les trottoirs et la route
Malgré tout, Pierre naccuse quun retard de dix minutes. Mais comme il a pour habitude de partir toujours en avance, cela est sans effet. Cest par ce climat quon jauge toute la vétusté de lUniversité. Le bâtiment semble dans un profond sommeil. La chaleur timidement gagnée aux courants dair qui sen donnent à cur joie dans les couloirs nest pas suffisante pour sortir de leur léthargie les élèves en ce début de semaine. Les salles de cours ne dérogent pas. En cette heure matinale, on a limpression dentrer dans un congélateur. Pierre sinstalle comme à son habitude à son bureau. Déjà les premiers élèves arrivent, mais dans un flot plus discontinu quà l'accoutumé : les péripéties hivernales ny sont pas étrangères.
Voilà maintenant une bonne demi-heure que les cours ont officiellement commencé : les élèves de Pierre sont enfin là. Comme ils sy attendaient, lautocontrôle a lieu : chaque élève va répondre à un questionnaire et échangera ses réponses avec son voisin. Pierre dépose une pile de feuilles au début de chaque rang et invite les élèves à les faire passer. Dans un silence relatif, chacun prend connaissance des questions.
Alors quil rejoint sa place pour surveiller lépreuve, il entend un piétinement pressé qui sarrête juste derrière la porte. Paniquée, le cheveu hirsute, la bandoulière de son sac sur lavant-bras, Eva surgit dans la salle. Elle se fige en manquant de percuter Pierre. Il limmobilise de justesse en la saisissant par les épaules.
- Heu, pardon, Monsieur, je
je suis désolée
la neige
le bus
je
- Cest bon, cest bon, Mademoiselle, interrompit Pierre
Calmez-vous
Respirez
Reprenez vos esprits et votre place par la même occasion
La jeune femme semble ne pas savoir comment sexcuser.
Elle prend finalement place. En même temps, Pierre réalise quil navait même pas remarqué son absence. Il entreprend alors dexaminer avec attention son groupe pour voir si finalement dautres ne manqueraient pas à lappel. Malheureusement, il doit reconnaître que seule Eva avait échappé à sa vigilance
Tant bien que mal, la jeune élève tenta de prendre lépreuve en cours de route. Son visage était paniqué; ses gestes, maladroits et crispés. Mais malgré tous ses efforts, elle naura que survolé les premières lignes lorsque Pierre annonce la fin de lexamen. Eva est tétanisé et semble marmonner les mêmes mots comme une litanie
. Les élèves croisèrent leur travail. La camarade à droite dEva lui tendit sa feuille, mais Eva ne réagit pas, les yeux perdus dans le vide. Finalement, sous son insistance, elle la prit et lui passa lentement et fébrilement la sienne. Elle suivit la feuille des yeux. Puis elle examina la copie quelle avait en main et pointa les réponses. A chaque ligne, son visage était de plus en plus dépité
Visiblement, on ne pouvait rien lui reprocher. Quant à son auteur, elle semblait bien embêtée en comprenant que le résultat dEva ne serait pas fameux
Elle tenta de linterpeller du coin de lil pour avoir son soutien, sa compréhension : en vain. Eva était blanche, tremblante. Chaque bonne réponse était une blessure horrible : si seulement elle avait eu du temps, cela aurait été aussi la sienne.
- Très bien, cest terminé. Faites remonter les copies au bout du rang.
Le hasard fit que les copies du rang dEva sempilèrent sous ses yeux. Pierre monta le petit escalier pour récupérer les piles. A son niveau, lélève était blafarde, absente. Au même moment où Pierre prit les copies, elle les lui tendit dans un mouvement automatique, absente.
- Ça va ? Interrogea Pierre
Il neut aucune réponse. Ecourté par un début tardif, le cours sachevait. Les élèves ne se firent pas prier pour partir, pressés de terminer ce premier cours dune journée qui sannonçait longue. Eva, comme dhabitude, ferma la marche, mais le pas était lent. Alors quelle sapprêtait à passer la porte, Pierre linterpella :
- Eva, cest dommage : cest un peu mal tombé
La jeune femme sarrêta alors que ses camarades séloignaient. Puis, lentement, elle se tourna vers son professeur. Ses yeux étaient rouges et ses lèvres tremblaient :
- Oui
mais
je savais pourtant, Monsieur, mais, vous savez,
la neige
. si javais eu un peu plus de temps
.
Mais Eva, la voix pleine de trémolos, ne termina pas sa phrase : elle retenait difficilement ses sanglots. Ses yeux tristes étaient pleins de peine, de colère et de désespoir mêlés. Cette réaction prenait Pierre de court.
- Attendez, ce nest pas la peine de pleurer...
- Mais si. Vous ne comprenez pas.... Je travaille comme une malade pour être au niveau
Et là, je me plante lamentablement
je vais faire comment ? Je suis
- Calmez-vous, Eva.
Pierre se posa un instant, à la fois pour réfléchir mais aussi pour la laisser reprendre ses esprits. Il ne sattendait pas à cette réaction et ne mesurait pas jusquà cet instant la gravité de la situation aux yeux dEva. Pierre, qui a à cur son métier et surtout la matière quil enseigne, ny a jamais été confronté. Cest linconnu. Spontanément, il ne voit quune issue
- Eva, écoutez
voilà, je peux vous proposer quelque chose
Une fois par semaine, jorganise le mercredi soir, un cours pour ceux qui veulent aller plus loin
- Un cours de rattrapage ? Vous pensez donc que je suis si mauvaise que ça, interrompit Eva
- Non, je nai pas dit ça, répondit Pierre, embarrassé, Ce nest pas ce que je voulais dire.
- Ah, vous le penser ? releva Eva, alors quelle essuyait mécaniquement ses larmes
- Pensez-y bien et vous aurez la réponse. Je vous laisse y réfléchir et si vous voulez, rendez-vous mercredi prochain. Rien ne vous engage.
Eva acquiesça dun sourire, reflet de sa timidité retrouvée. Elle prit poliment congé de Pierre. Alors quelle séloignait, Pierre ne put sempêcher de la suivre du regard. Eva regarda sa montre et comprit quelle sétait mise en retard. Elle pressa le pas, non sans se retourner une dernière fois. En voyant Pierre qui lobservait, elle lui sourit et lui fit un salut de la main, comme pour le remercier.
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