Une Étudiante Bien Maladroite - Partie 4
Pierre se demandait si Eva allait relever sa proposition. Il ne lavait pas revue depuis. Ce matin-là, la question lui vint plusieurs fois à lesprit. Lorsque 18h30 sonna au carillon, il guetta chaque élève qui se présentait à son cours de soutien, en espérant voir Eva. Et cest parmi les premiers quil eut la réponse. Portant ses lunettes à monture épaisse, habillée dun pull écru à grosses mailles, légèrement déformé, elle inspecta rapidement la salle pour se rassurer. Puis, comme à son habitude, elle prit sa place. Sitôt assise, elle entreprit de retirer son pull. Mais cétait sans compter sur le crayon quelle avait utilisé pour lier ses cheveux : lassemblage ne résista pas à la manuvre. Et cest une longue chevelure brune qui sécoula littéralement de son pull. Eva sen rendit compte et tenta dy remettre de lordre. Mais impossible de remettre la main sur le crayon
dans la précipitation, sa maladresse coutumière lui fit renverser les affaires quelle avait posées hâtivement sur son pupitre
Son sac déversa son contenu sur le sol dans un grand bruit de plastique, de bois, de flacons et autres accessoires de jeune femme étudiante.
Eva se précipita pour tenter de réparer lirréparable. Tenant dune main son sac béant, elle ratissa de lautre le sol pour y engouffrer tant bien que mal son fatras. Pierre, après une hésitation de quelques secondes, décida de lui porter assistance. Un geste partagé entre la volonté de mettre un terme à cette situation embarrassante et celle de ne pas amputer son cours dun temps précieux. A sa hauteur, il saccroupit. Son regard fut attiré par un petit cylindre blanc. Il s'apprêtait à le ramasser machinalement, lorsque sa main rencontra celle dEva alors quelle le recouvrait de la sienne. Pierre ne comprit pas sur le coup cet empressement, jusquau moment où il reconnut lobjet : cétait un tampon
Il sentit la gêne monter en lui
Certainement la même que ressent régulièrement Eva et encore plus à ce moment-là
Eva qui est au bout de cette main
Eva dont Pierre nose plus croiser le regard
- Merci beaucoup Monsieur, je suis confuse
heu, désolée davoir dérangé votre cours
- Non, ce nest rien.
Pierre se releva, abandonnant Eva.
- Bon, commençons
En rejoignant son pupitre, il réfréna sa terrible envie de la regarder. Il arriva à un compromis grâce à une question quil lança. Cherchant qui pouvait y répondre, il inspecta la classe, et bien sûr, croisa le regard les yeux clair dEva. Elle le fixait visiblement. Leur échange ne dura certainement que quelques secondes, mais pour Pierre, il sembla durer des minutes. Eva passa la main dans les cheveux et une longue frange tomba sur son visage. Elle sembla se concentrer sur ses notes, la tête penchée en avant, sous le couvert de son rideau châtain....
Le cours passa très vite pour Pierre. Les élèves partirent par petit groupe. Eva se colla à lun deux. Discrètement, du coin de lil, Pierre lobserva une dernière fois. Sa chevelure droite descendait en pointe jusquau bas de son dos. Elle tenait fermement son sac contre elle, certainement décidée à ce quil ne lui joue plus de mauvais tour.
Pierre sinterrogea sur ce qui sétait passé pendant plusieurs jours. Tout dabord, il ne comprenait pas cet émoi qui lavait traversé
Après tout, cétait son élève
Même sil était célibataire depuis plusieurs mois, ce nétait pas la première fois et jamais il navait ressenti cette sensation. Elle navait rien dattirant, de provoquant, de remarquable
Certes, ses traits étaient loin dêtre disgracieux. Sa chevelure longue était magnifique et ses yeux
ses yeux
il revoyait son regard profond et à la fois timide mais il était incapable den dire la couleur ! Ces questions sans réponse commençaient à lintriguer sans pour autant tourner à lobsession. Mais tout de même.
Au cours suivant, Pierre organisa un atelier de travail. Les élèves constituaient des binômes pour travailler sur un texte à traduire ou à expliquer. Cétait loccasion pour Pierre de déterminer les forces et les faiblesses de chacun.
Chaque groupe parlait à messe basse, plongé dans leur travail.
- Monsieur, nous avons une question
- Oui
- Nous hésitons sur la traduction de cette phrase
celle-ci
Lélève lui tendait timidement la feuille si bien que Pierre neut pas dautre choix que de savancer. Il se mit derrière eux et tenta de sa position dentrevoir ce que lélève lui avait indiqué. En vain. Il navait pas le choix : il devait se rapprocher. Il se pencha entre eux.
Un effluve doux et délicat vint caresser ses narines. Cétait un mélange de fleurs, de sucre à peine perceptible, de vanille et de mangue
Le parfum dEva le troubla. Lélève lui précisa leur dilemme. Mais Pierre ne lécoutait.
- Pardon
je nai pas bien compris
quelle proposition ?
Lélève sexécuta sans remarquer son trouble. Mais alors que Pierre se ressaisit et sapprocha de leurs notes, son bras droit effleura celui dEva. Une sorte de décharge électrique lui parcourut le corps. Il sursauta. Conscient de sa réaction, il tenta de la dissimuler.
- Oh pardon, excusez-moi, sexclama-t-il en feignant davoir bousculé la jeune femme.
Eva le regarda.
- Non, ce nest rien, Monsieur
Bleu pensa Pierre
Ses yeux sont bleus ! Comment avait-il pu passer à côté de ce regard si clair ! Alors quil semblait lavoir fui, il se retrouvait à ne plus savoir comment sen éloigner. Il ne dut son salut quau groupe qui les côtoyait et qui réclama également son assistance. Il savait quil devait se relever, quil devait se tourner, se diriger vers lélève qui lattendait. Il voyait la scène comme sil flottait au-dessus de la salle. Le chemin lui paraissait pourtant long et leffort, surhumain.
Il se sentait troublé, profondément. Sa salle lui paraissait étrangère ; ses élèves, des inconnus
sauf Eva.
- Excusez-moi
je dois mabsenter
. je reviens
Ce fut la seule échappatoire quil trouva. Il aurait voulu courir mais il se contenta de presser le pas. La porte refermée derrière, une fois dans le couloir, il sadossa au mur et tenta de reprendre son souffle. Mais que lui arrivait-il ? Il se rendit dans les toilettes au bout du couloir et saspergea le visage deau fraîche. Puis, à la fois attiré et contraint, il rejoignit la classe. Lorsquil poussa la porte, toutes les têtes se levèrent. Il avait limpression dêtre nu, que son trouble saffichait sur son visage en lettres majuscules
- Et bien, vous avez fini ?
A ces mots, tous se remirent au travail. Seule Eva resta à lobserver. Son regard fixe semblait limplorer. Avait-elle perçu quelque chose ? Il linterrogea à son tour du regard quelques instants. Eva baissa les yeux, sans trop de conviction.
Cet après-midi-là, la fin du cours fut une délivrance pour Pierre. Le masque quil simposait était lourd à porter.
Sur le chemin du retour, Pierre ne put senlever de lesprit cet étrange sentiment
impossible à expliquer, ou bien explication de limpossible
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