Mes Chaussettes Hautes

J'aime cette saison d'automne. Fin de l'été, des beaux jours, des robes légères, des paillotes bord de l'eau et des garçons bronzés.
Adieu les soirées sur les planches blanches à danser entre filles, sexy, folles éperdues de musique et de rythme. En scène pour les garçons, rien que pour eux.

On est tous rentrés à la ville, les cabanes de plage éphémères ont été démontées et il me faudra attendre fin de printemps prochain pour y retourner. Pour y revivre. Sous le soleil.
La dernière soirée, closing, fut dantesque avec deux DJ venus des States. Mais l'orage s'est abattu, épisode cévenol nocturne et les toiles ont été arrachées et toute l'eau du ciel est tombée sur nos têtes. La fête a été gâchée. On a quand même dansé toutes mouillées coton collé aux nichons de l'averse délugienne pas si froide que ça enfin juste fraîche sur nos corps brûlants de sorcières endiablées, sorcières des nuits nocturnes montpelliéraines Grande-Motte.

Moi, j'ai tourné la page. J'ai remisé les petites robes de l'été en haut dans mon armoire sur l'étagère inaccessible et j'ai sorti mon équipement d'automne, mon piège infaillible à mecs.
L'idée est assez simple. Vu que c'est plus l'été, plus question de batifoler en robe légère quasi transparente sans rien en dessous que touffe noire, ombre troublante.

En avril ne te découvre pas d'un fil mais à l'automne venue, croyez-moi, tout en t'habillant de saison, tu mets à nu ce qu'ils cherchent. Et que crois-tu qu'ils cherchent ces obsédés du cul ?

Les mecs, los hombres, dirait Misa...

Moi j'ai trouvé la bonne formule. Sans faire la bimbette ou l'addict à swag attitude, je m'habille chaudement, saison froide oblige, de chaussettes de laine claire épaisses qui montent haut bien au dessus des genoux jusqu'au creux de moi. Et puis, de l'autre côté, par dessus, je nappe d'une jupe plissée lourde taille serrée qui me descend sur les hanches, élargie virevolante mais assez longue pour ne rien montrer de mes hauts de cuisses bronzés de l'été.


Ou presque...
En tous cas faite de tissu laineux épais, chaud.

Ou presque est exactement l'idée dont je parle ici. Moi, j'aime ça, sentir ma vie entre mes cuisses, ma vie ouverte offerte, palpitante.
Moi, je vois bien que cette toison épaisse qui nappe mes intimités est clairière, place ouverte offerte. Lieu de rites exotiques érotiques sataniques symboliques initiatiques.
Profanes sûrement.
Elfes dansantes aux chaleurs de mes jupes, feux dansants aux coeurs de forêt profonde. Sombre.

L'automne est là, octobre humide et froid, et moi transie tremblante entre bras aimants de garçon solide costaud, pas bûcheron mais presque ... que je vois Canadien avec son passe-partout et son alter ego chemises carreautées abattre le plus grand des arbres, le plus haut le plus fier.
Qui tombe au sol en fracas inouï et me remue les tripes, à fond.

Françoise Hardy chante tandis que je vous écris cette historiette de cuisses chaussées de chaussettes hautes chaudes. Elle chante sur mon Tépaz du siècle dernier, elle chante la rue Corvisart. C'est où ça, la rue Corvisart ? Avec Dutronc, son copain, vous savez, le père de Thomas...
Thomas, le gars des musiques manouches et son regard yeux bleus camarguais, gitans.
Mes cuisses, les gars les aiment. Et moi j'aime assez ça, qu'ils, les mecs, les aiment mes cuisses.
Tout ça pour vous dire qu'arrivés les jours tristes et froids de morte saison, je suis à nouveau d'attaque sur un autre registre.

Mon copain m'a dit, va danser toutes les danses que tu veux dans les bras de ceux qui t'entraînent au loin, va sourire des sourires merveilleux pour les danseurs qui te tiennent la main, mais n'oublie pas que je serai là pour te conduire enfin chez toi, garde bien la dernière danse pour moi.
Va danser, tu peux t'amuser, j'attendrai le tour de notre retour...
Mort Shuman, la dernière danse pour moi...

Mon cavalier me serre et je sens contre moi son désir grandissant.
La musique me tourne la tête. Mon ventre, lui, ne tourne pas. Mon ventre fond et s'épanouit sous la jupe lourde et chaude sous le jupon doux de coton sur mes cuisses serrées qui tentent de retenir le flux fluide qui dégouline de mon abricot.
Mon nez, je l'ai plongé dans le cou du garçon, là où le creux de chair nue odorante l'attendait.
Et mon souffle emplit le col de la chemise. Ses mains sont à ma taille et me tirent à lui. Je serre mes jambes l'une contre l'autre pour contenir mon épanchement mais mon ventre est tout entier tendu vers lui et lui fait bosse dure contre moi.

Je rêve de ce slow assise dans mon fauteuil au bureau au boulot, en marchant sur le boulevard balayé de bise automnale, debout immobile pendue de main droite à la poignée du métro.
Je rêve mon intimité automnale chaude fondante en attente d'un garçon caressant.

Et c'est bon.

Les chaussettes montent haut sur mes cuisses. Jusque là où les peaux deviennent tendres douces souples fines.
Le jupon de coton nappe mes fesses et chaque pas est une caresse. C'est doux d'avoir les fesses nues tendant le tissu, tissu qui les protège du râpeux de la laine de la jupe.
Le râpeux on le sent quand même mais atténué, adouci, à chaque mouvement. On le sent sur les hanches sur le dessus des fesses. Comme une cloche protectrice ouverte sur la fraîcheur du monde extérieur.

Le jupon descend bien au dessous du nu des hauts de cuisse. Les chaussettes alors font relais de protection et l'on sent bien que l'épaisseur de maille apporte la chaleur en gainant pied mollet genoux jambe et cuisse.

C'est le haut qui fait l'émotion.

La touffe épaisse habille le pubis charnu proéminent et repousse en avant le tissu du jupon. La jupe en est discrêtement gonflée. Cette rondeur souligne le plat du ventre et l'on est fière des séances de stretching et autres muscu abdo-fessiers. Longues séances de gymnastique avec les copines au club.


Ce soir j'ai rendez-vous. On est jeudi et le jeudi à Paris c'est fête. On a rendez-vous dans un bar à huîtres, enfin un bar à vins avec huîtres. Il y aura mes copines et puis des gars que je ne connais pas. Pas encore. C'est en bas de Montmartre.
La soirée est frisquette. Néanmoins beaucoup de gars et de filles restent dehors, le verre à la main, à discuter en regardant l'écaillère qui ouvre les huîtres à vitesse grand V sur un petit comptoir au milieu des assiettes déjà pleines, sa bourriche de bois blanc marquée Papin à main gauche.

Un projecteur puissant sur une potence au dessus d'elle éclaire ses gestes et c'est elle qui fait l'attraction.

C'est une fille au visage plein. Le bonnet de ski rouge qu'elle porte enfoncé sur les oreilles accentue son côté poupin. Elle sourit chaque fois que le couteau pointu pénètre le talon du coquillage comme une brusque consentance du mollusque conchylicole.

Sa main solide agite le couteau en va et vient latéral pour couper le pied. Le couvercle se soulève, elle pèse du couteau en levier et du pouce achève l'ouverture. Elle jette le couvercle à ses pieds dans un seau de fer galvanisé qui sonne au choc et résonne comme cloche d'airain.
Chaque fois la même mimique, après avoir vidé l'eau de la coquille et posé l'huître dans l'assiette, bien en équilibre sur le bord. Mimique amusante expressive de relevé de sa tête, menton en avant comme pour dire aux spectateurs massés autour d'elle, voyez celle-là aussi je l'ai eue.

Et l'huître verte bleue grise faisait, elle aussi, un sourire du fond du nid de sa coquille nacrée éblouie du projecteur, dans l'assiette.

La fille était debout derrière son établi d'écaillère, pull informe qui lui moulait les seins et jupe longue serrée à la taille et aux hanches. Hanches larges, épaules larges de fille solide.

Moi je la matais, verre d'entre-deux-mers en main, museau coudrier en cherche. Coeur ouvert et humeur gaie.


La bande autour de moi papotait, garçons filles, politique, économie, Macron, Valls...
Les huîtres sont-elles vraiment aphrodisiaques ? Moi je regardais l'écaillère et je la trouvais à mon goût.
Elle aussi m'avait vu, repéré.
On était en connivence, en complicité.

Elle m'a tendu une coquille et son sourire était bonheur du Monde. J'ai lappé aspirant le mollusque puis le gardant en bouche j'ai encore humé la coquille vide avant de la rendre. On était tous deux hors du temps hors du lieu, ensemble.

Moi je pensais à la dernière valse.
Moi je pensais rencontre qui serait l'ultime
Le bon choix.

Je pensais, cette fille moi, moi cette fille
Moi je ne pensais plus, j'étais bousculée par des sentiments nouveaux
Les garçons que tant j'aimais...

Sous ma jupe, sous mon jupon, mes cuisses nues, au dessus de la lisière des chaussettes Dim Up, trempées de mon émoi. Chaleur des étoffes, froidure qui remonte le long de mes jambes.

Je la regarde, on se regarde. Je tends la main pour frôler la sienne. Elle me serre de trois doigts, son couteau tenu haut entre pouce et index. Ses doigts sont froids, humides. Je porte ma main à mes lèvres pour boire le goût d'huître. Ses yeux sont bleus, bleu clair, délavé. Comme l'huître qu'elle m'a donnée et que j'ai gobée, communion, sacrement.

Plus rien n'existe ce soir-là à Montmartre. Mes copines ont disparu et leurs copains avec et moi je reste là à bader cette fille solide bretonne chapeautée de bonnet rouge avec ses joues gonflées de froidure et de vent, couperosées. Cette fille debout qui ouvre à toute allure les huîtres Papin devant moi.

Le moment est venu. Froidure a eu raison des chalands d'extérieur et tout le monde est rentré au chaud manger et boire sur les tonneaux façon tables.

Nous étions enfin seules.

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