Une Étudiante Bien Maladroite - Partie 5

Les semaines suivantes, chaque cours suivit le même rituel. Pierre était partagé entre sa conscience professionnelle et cette attirance irrépressible pour Eva. Il ne voulait pas cette dernière lui soit préjudiciable. Il était avant tout son professeur… En même temps, leurs âges étaient proches… Pierre surprenait souvent Eva en train de le regarder… Certes, cela est normal dans ces circonstances, mais le regard n’était pas celui d’une élève pour son professeur. Dès qu’elle croisait son regard, elle le détournait.

Pierre se surprenait à attendre avec une certaine impatience les cours avec Eva. Mais le moment venu, ce sentiment laisse place à de la culpabilité, la crainte qu’elle ne regarde pas aujourd’hui ou qu’elle le regarde plus qu’avant… Tout se bousculait…

Comme à son habitude, Pierre jeta son cartable sur le siège arrière de la voiture et s’engouffra dedans. Il prit une grande inspiration, soupir à moitié dissimulé, et mit le contact. La route était un automatisme. Il se surprenait parfois en se rendant compte qu’il était déjà arrivé, perdu dans ses pensées, dans le passage en revue de sa journée, dans les yeux d’Eva.

Mais ce soir, son attention fut attirée par une silhouette qui lui tournait le dos sur le bord de la route. Le bras gauche tendu, cela semblait être un auto-stoppeur. A sa hauteur, il remarqua que c’était une femme. A cette heure, il était imprudent de rester seule sur la route. Il s’arrêta et baissa la vitre passager. Le voyageur se baissa et apparut à la fenêtre. Pierre reconnut Eva.

- Que faites-vous là à cette heure-ci ?

- J’ai raté le dernier bus…

- Vous allez loin ?

- Heu, non, je rentrais chez moi. C’est à 15mn… Mais vous savez, j’ai l’habitude de marcher…. je ne veux…

- Allez, montez ! se surprit à répondre Pierre

Eva regarda autour d’elle puis ouvrit la portière

- C’est très gentil, Monsieur, … mais je ne veux pas vous déranger…

- Allez, ce n’est rien… Où voulez-vous que je vous dépose.



La voiture repartit doucement.

- Continuez jusqu’à l’avenue Jaurès… tournez à droite jusqu’au supermarché… Après, je continuerai à pied

Pierre suivit les instructions, sans un mot. Au virage, Eva fouilla son sac. La recherche commença à devenir presque frénétique lorsqu’elle s’exclama :

- Oh non, pas ça ….

- Quoi donc, interrogea Pierre

- Non, pas ça… répéta Eva

Pierre insista.

- J’ai prêté mon trousseau de clefs à ma colocataire pour qu’elle fasse un double. Et ce matin, je ne l’ai pas récupéré…

- Décidément, vous n’avez pas de chance… vous êtes décidément toujours aussi tête en l’air

Pierre réalisa ce qu’il venait de dire et combien cette phrase pouvait être inappropriée voire blessante. Il tenta de se rattr

- Heu, ce n’est pas ce que je voulais dire… Euh… vous savez, … vos étourderies ont quelque chose de ... charmant

Pierre sentit son regard interrogatif sur lui. Il tourna rapidement la tête vers elle et lui sourit. Elle passa la main dans les cheveux, amusée. C’était peut-être la première fois qu’il la voyait esquisser un sourire… Et cela lui allait bien...

- Mais comment allez-vous faire ? reprit Pierre.

Eva ne répondit pas, perdu dans ses pensées.

- Je vais essayer de l’appeler. Elle est peut-être rentrée…

Elle saisit son téléphone et composa le numéro, visiblement tendue. La réponse se fit attendre… et ne vint pas. Eva referma son téléphone, visiblement déroutée.

- Vous n’avez personne qui a une autre clef ?

- Non, personne… Elle réfléchit puis proposa :

- La porte est un peu branlante… elle ferme mal… si en partant ce matin, elle n’a fait qu’un tour de clef, la porte devrait venir si je force un peu… Je vais essayer.

Ils continuèrent finalement jusqu’à la résidence de la jeune femme. Alors qu’Eva descendait et commençait à remercier Pierre en prenant congé, il osa :

- Attendez, je vais vous aider

- Non, ce n’est pas la peine, je vais me débrouiller

Pierre se sentit pris de court :

- Mais… imaginez que vous n’y arriviez pas ? Vous n’allez tout de même pas rester sur votre palier ? Vous ne pouvez pas joindre votre colocataire et ne savez même pas si et quand elle va rentrer.


Face à cette hypothèse, Eva accepta. Pierre se gara et la rejoignit. Ils montèrent d’un pas alerte l’escalier sombre. C’était un petit immeuble, un peu ancien, de trois étages. Eva y occupait une chambre sous les toits.

Sur le pallier, Pierre prit l’initiative d’examiner la porte. Effectivement, elle ne semblait pas très solide. Il plaqua tout d’abord la main dessus pour la palper. Elle semblait creuse. Puis, il appuya fermement. La porte bougea. Il savait ce qu’il voulait.

Il prit un peu de recul et envoya un coup d’épaule. Mais contre toute attente, la porte résista.

- Faites attention, conseilla Eva, n’allez pas vous faire mal.

- Ne vous inquiétez pas…

Pierre prit un peu plus d’élan et recommença la manœuvre… En vain… C’était désormais une question presque d’honneur… mais surtout d’égo.

Cette fois-ci, il recula un peu plus… Mais alors qu’il se voyait approcher de la porte à grande vitesse, il réalisa qu’il n’avait pas pensé à ce qui se passerait si la porte cédait… Il le découvrit très vite.

La porte céda enfin… Pierre perdit l’équilibre et entra avec fracas dans le petit appartement, pour finalement s’étaler par terre.

Sur le palier, Eva était stupéfaite.

- Ça va ? Vous ne vous êtes pas fait mal ?

- Heu, non, je ne crois pas, ça va merci

- Je … je suis désolée…

Eva le releva et tenta de retenir un fou rire… Ils s’amusèrent finalement tous les deux de la situation… Pierre se releva. Finalement, il avait été optimiste : la tranche de sa main droite, en ripant sur la porte ou le sol, était éraflée et saignait un peu. Eva s’en aperçu

- Attendez, j’ai une trousse à pharmacie

Elle entra et referma la porte derrière elle.

- Asseyez-vous, je reviens

- Non, mais ce n’est rien…

- Ah, là, stop… Là, ce n’est pas votre élève qui vous parle ! J’ai été secouriste, et c’est la secouriste qui vous l’ordonne !

Pierre fut surpris par ce ton péremptoire… et en même temps séduit.
Il regarda autour : une table, deux chaises, un clic-clac, un meuble bas sur lequel trônait une petite télévision, un coin cuisine rudimentaire, quelques posters et photos épinglés aux murs… Pierre avançait prudemment dans son univers et se posa sur le canapé.

Eva arriva avec une petite boite translucide. Elle s’assit à côté de lui.

- Montrez-moi ça

Pierre lui tendit la main qu’elle saisit… Pour la première fois, il ne ressentit pas cette décharge électrique qui parcourait son corps au moindre effleurement d’Eva. Au contraire. Sa main était douce, délicate, presque chaude. Elle inspecta la plaie avec attention. Pierre se laissa faire… non pas crainte d’une nouvelle invective que pour le plaisir que cette sensation lui procurait.

Eva sortit un désinfectant, un peu de gaze. Elle nettoya méticuleusement l’écorchure. Mais étrangement, Pierre nota que le soin dura plus que de nécessaire. Le soin devenait attention ; l’examen, un massage…

Eva leva les yeux pour croiser le regard de Pierre. Mais à la différence des cours, elle ne baissa pas les yeux. Pierre ne tenta pas de l’esquiver. Mais Eva interrompit cet instant

- Vous voulez boire quelque chose ? Pour vous remercier et vous remettre de ces émotions.

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