Mélo Mélo
Resto branché, VIIème, beaucoup de monde. De la jeunesse.
Face à moi, derrière le visage de la femme qui m'accompagne, une table pour deux et les épaules larges d'un mec bras tatoué jusqu'au poignet, arboré. Dos puissant moulé de tee-shirt clair.
Chevelure bouclée blonde courte, cou épais, oreilles larges.
Et puis, tantôt cachée, tantôt me regardant, la bouille rigolote d'une fille brune, cheveux au carré quatre dents devant saillantes, blanches de ses lèvres de sa bouche roses.
Une fille causante qui n'arrêtait pas de bouger de ses yeux de ses pommettes de son nez relevé impératif de ses sourcils interrogatifs de ses dents claires comme tâche au milieu de sa frimousse agitée.
Le pull de maille fine moulait son thorax et l'on voyait parfaitement, rien.
Rien. Pas de relief mammaire. Un thorax de garçon parfaitement plat insipide insignifiant.
Vous le croyez, vous ça, qu'un thorax pareil puisse faire bander un garçon normalement constitué, comme moi ?
Et bien ... c'était ainsi.
Moi, je bandais sous la table de bistrot. Braguette puissamment tendue sans raison apparente.
Je n'avais pourtant pas mangé de coriandre ou autres épices aphrodisiaques, vasodilatateurs...
Avait-elle, mon amie du soir, dilué quelques comprimés bleus dans le Fitou AOC épais que nous dégustions sur le demi-pigeonneau au foie gras ? Quand aurait-elle pu faire cela ? A-t-elle osé pareille offense ?
Je pensais, peut être quand je suis sorti pour répondre à ce SMS du Bon-Coin, le gars qui voulait m'acheter le vieux PC HP Présario. On ne devrait jamais se laisser disturber.
En fait, je me moquais de tout, yeux braqués sur le haut de maille claire de la fille d'en face, de la table en face.
Comment peut-on être hypnoptisé par un poitrail plat et vide ?
Encore y eût-il eu deux yeux aréolaires aux pupilles saillantes dardées sur moi comme regard de fakir, on eût pu comprendre.
Mais là non, rien, calme plat.
Avant la tempête ?
La fille avec moi n'existait plus. Quant au mec avec elle, j'étais déjà déterminé à n'en faire qu'une bouchée malgré ses avant-bras Lavillers très chargés.
Comment expliquer pareille détermination ?
Elle jouait, elle chantait. Ses bras s'agitaient, ses mains parlaient.
Et son buste restait, lui, désespérément sans relief aucun.
Cette fille c'était un garçon, et moi, je bandais. En vanité.
Je causais. Je disais n'importe quoi et mon amie du soir badait mes propos insipides. Mon esprit était en face à mater la frimousse de gamine de cette fille avec ses incisives éclatantes sur le devant et rien sous la maille de son haut brillant.
Il y a des jours où l'on se demande pourquoi on est allé dîner avec une autre que celle avec qui on aurait dû être...
Ma copine, je l'aimais bien alors je lui ai tout expliqué. La conne n'a rien compris et m'a jeté, de dépit, un fond de blanc au visage.
L'autre était aux premières loges, a tout vu tout compris. Nous étions amants avant même le café gourmand.
Lavilliers, cocu, me tournait le dos, dos solide de lutteur de foire, de rockeur castagneur aux bouclettes blondes sur la nuque. Et moi je n'en n'avais cure.
J'étais prêt à toute confrontation.
Moi j'étais amoureux d'une limande sole. Allez comprendre ça...
Ce soir-là.
J'ai dit, je vais au comptoir payer et je te ramène. La copine me roulait des yeux furibards mais, quand même, elle s'était résignée, elle avait compris que ce soir-là n'était pas pour elle. Finalement c'était une vraie copine, compréhensive. Une amie.
A peine levé j'ai vu la brune bondir, sa tête ronde juvénile dents blanches éclatantes jaillissant comme diable d'un pot de moutarde surprise. Lavilliers l'a saisie au poignet et moi je me faufilais entre les tables, carte Gold en main droite pour bien exprimer mes intentions pacifiques.
Je n'a pas vu comment elle s'était dégagée de l'emprise du vieux rockeur mais j'ai senti soudain son parfum léger lors qu'elle se glissait derrière moi en direction du sous-sol, de l'escalier étroit qui y menait.
Elle est trés vite remontée et sans un regard pour moi est retournée à sa table finir sa crème catalane.
Indifférence étonnante. Je suis à mon tour descendu et là sur le miroir dessus le lavabo, tracé au rouge, son portable éclatait comme déclaration.
Le mémoriser et l'effacer d'un Kleenex, puis remonter, très vite remonter, pour lui sourire en complicité.
Retour un peu géné, pas très sexy, sous les essuie-glace et le crachin froid jusqu'au beau portail nouille fonte noire et sans proposition de mon amie ce soir là de dernier verre.
A peine avais-je redémarré que je tapais le SMS. Oh, pas long, pas disert ce message. Juste deux lettres : où ?
Et l'iPhone n'a pas tardé à lancer des éclairs.
Elle m'attendait Métro Madeleine.
J'ai filé rapide, Trocadéro, les Champs, Concorde et je l'ai vue silhouette fine et tête noire de son casque de brune et toujours son sourire étincelant, sous un petit parapluie clair qui me guettait. Au dessus d'elle, une grande pancarte Métropolitain portée par deux poteaux sombres tarabiscotés.
Elle a reconnu mon auto qui s'avançait vers elle, tous phares allumés, directe, incisive, déterminée.
J'ai entrebâillé la portière, elle l'a ouverte et sans même vérifier qui se cachait derrière le pare-brise mouillé elle s'est laissée glisser dans le baquet à ma droite tout en repliant son petit parapluie, me tournant le dos. Elle a claqué la portière, glissé le pépin trempé sur le côté puis s'est retournée vers moi.
Son imper lui aussi était trempé mais elle n'en n'a eu cure et s'est enroulée de ses deux bras de sa tête autour de moi.
Je n'ai même pas pensé, elle va ruiner ma veste Armani, non, moi j'avais plongé mon nez mes lèvres dans sa chevelure mouillée et je me régalais des parfums que celle-ci exhalait.
Avez-vous remarqué comme la pluie exhauste les odeurs ?
Elle ne parlait pas
Moi non plus
Juste on se serrait
Le coup de Klaxon d'un taxi parisien hargneux nous a fait sursauter. J'ai démarré.
Elle a dit, tu auras bien une brosse à dent ?
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