Le Fil À Linge De La Voisine
Le fil à linge de la Voisine
Jpj, Montmartre, janvier 2016
Chaque jour en revenant du boulot, j'ouvre la porte de mon appart le coeur battant, impatient. Tout le long du chemin qui grimpe, j'y ai pensé. Pas comme obsession mais comme thème de songeries en marchant. Et plus j'approche, plus mon pas se fait rapide malgré la pente.
L'hiver, engoncé dans mon manteau ou plus souvent dans mon gros anorak molletonné, l'été chemisette au vent et veston sur l'épaule tenu de main droite, pendant dans mon dos.
Tant de temps, tant de saisons, tant de souvenirs et d'émotions.
Passée la porte je grimpe deux à deux les marches de l'escalier étroit qui mène à mon home. Vite.
Essoufflé face aux trois porte-fenêtres du salon je fais, chaque fois, une pause. Sorte de retenue de moi face à moi. Je ne veux pas me précipiter. Je ne me soumets pas à mon impatience.
En quelque sorte je m'oblige à vaquer à mes routines avant de m'approcher de la vitre. Poser mon petit cartable de cuir sur le bureau, me débarrasser du veston ou du manteau, jeter un il sur le courrier glissé sous la porte par la concierge...
Mais en vérité je ne vis que pour ça, mater le fil à linge de la voisine d'en face. Et l'attirance vient comme conclusion évidente de mes jeux d'évitement.
Faut dire que la ruelle qui nous sépare est tant étroite que je pourrais toucher tout ce qu'elle étend à ses fenêtres sur ce fil tendu entre deux longues potences d'acier un peu rouillées.
J'aime tout.
Pas seulement ses sous-vêtements, non !
J'avais commencé à fantasmer, il y a bien un an, sur une sorte de polo, de tee-shirt, de débardeur de coton côtelé écru. Elle l'avait suspendu par l'ourlet de la taille avec trois pinces à linge. L'une au milieu, les deux autres aux extrémités. Et le débardeur pendait ainsi parfaitement vertical. Sans manches, très échancré comme un marcel d'homme mais avec un long manchon au col dont on comprenait qu'il faisait col roulé.
Un manchon étroit qui disait la finesse de son cou.
Et moi j'imaginais son buste habillé de cette vêture qui m'était offerte à la regardure. Et je pensais à ses seins mal protégés par le coton trop lâche et les ourlets d'aisselle trop bas.
Je les voyais danser dans ma tête au rythme de ses pas sur le trottoir de la rue devant chez nous.
Je voulais la connaître.
Il est vrai que la lessive suivante m'a ouvert des horizons nouveaux, qui ont calmé mes enthousiasmes. Ou du moins ont ramené mes ambitions à plus de modestie.
Un pantalon, trois paires de socquettes, un slip blanc de coton côtelé façon Petit Bateau. Rien pour emmener l'esprit sur les hauteurs des montagnes alpestres.
Le slip. Le slip me chavirait. Quand même.
Pas tant de son tissu, de ses formes empaquetantes, non, ce slip me plaisait de l'idée Petit Bateau petite fille petite enfance...
On est con, non ?
Moi, je voulais la connaître cette voisine. C'était ça mon idée, le soir en rentrant, en matant tout son bazar étalé, suspendu, présenté.
Moi, cette idée de bander devant ses culottes ne me convenait pas. Moi, ce que je voulais, c'était mater sa frimousse biser ses lèvres écouter ses discourades et la serrer dans mes bras.
Ses culottes ne m'interressaient pas. Sauf pour les baisser à ses chevilles. Lentement, en matant sa zigounette velue. Enfin, que j'espérais telle...
Qu'en pensez-vous, lecteur HDS ? Vous contentez-vous de mater une petite culotte ou bien êtes-vous comme moi plutôt amateur de serrer dans vos bras aimants ce qu'il y a ordinairement à l'intérieur de la dite petite culotte ?
Enfin, moi je suis comme ça. Alors vous pensez que lieu d'attendre la prochaine machine pour voir ce qu'elle allait me révéler de brassière de soutif de jupon, je me suis enquis de qui elle était, de son nom et de toutes ces choses qui font qui on est.
Je suis allé rôder à sa porte, j'ai pris photo avec l'iPhone des sonnettes avec les noms marqués dessus, j'ai poireauté longtemps attendant que quelqu'un arrive ou sorte pour m'immiscer en douce et voir les boîtes aux lettres.
Et, j'avoue, je suis monté. J'ai gravi l'escalier cinq étages, je savais le niveau où chercher. Je savais même de quel côté. Est, car moi j'étais en ouest, en inverse.
J'ai été déçu, il n'y avait sur sa porte aucune étiquette, aucun signe de qui elle était.
J'ai pensé, il me faut procéder par élimination. Sorte de raisonnement par l'absurde. Alors j'ai flashé chaque porte depuis tout en haut jusque tout en bas pour savoir où crêchait chacun dans cet immeuble.
Rentré chez moi, sur la table de la cuisine, papier crayon en main, j'ai fait mes comptes et j'ai compris qu'elle s'appelait Magali. Joli prénom, Magali. Sans e à la fin.
O, Magali, qu'est-ce qui t'a pris de t'emmener dans ce pays, Magali... Entendi leï tambourinaïres
E lou souleu de la Gamarguo
Es besaï louo de ma muor.
Facebook, Copains davant, Linkelin, jétais de partout à scruter en scan tous azimuts.
Bien entendu je lai trouvée. Sur FB, Facebook, Paris XVIIIème.
Javais tout delle, son passé, ses études, sa situation amoureuse, ses like, les coins du monde quelle avait visités, tout.
Mais moi je préférais ses culottes de coton clair crochées au fil à linge dépingles de bois. Ces culottes parlaient mieux à mon esprit que les lignes de texte des réseaux sociaux.
Jattendais à mon balcon le prochain étendage.
Ce fut une robe. Claire de cotonnade imprimée Laura Ashley. Fines bretelles, échancrures daisselles larges, corsage étroit serré, taille fine très fine et longue jupe, jusquaux chevilles semblait-il.
Savait-elle, cette fille mon intérêt ?
Fallait quelle le sache et je cherchais dans ma tête comment le lui faire savoir.
Je voulais plein de choses. Lui composer un poème, lui chanter ma chanson comme aubade de ma fenêtre à la sienne. L'emmener à travers Paris, Père Lachaise comme coin de campagne verdoyant ou bien Grand'Arche modernité stérile.
Ca s'est fait tout seul.
A Paris, sur la terre, la terre qui est un astre.
A Paris, Montand, et toutes ces choses qui font les chansons
Elle était à sa fenêtre et moi j'étais devant, tout ébahi.
J'ai juste souri
Et elle aussi a souri
On s'est juste souri et tout a été dit.
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