Méli-Mélo (Suite)

Une brosse à dents ?

Les phares illuminaient l'asphalte mouillé et l'auto filait entre les feux verts alignés parfaitement syncros de la rue de Rivoli.
La figure de la fille était tournée vers moi et ses yeux riaient du mauvais coup que nous avions fait ce soir-là à nos infortunés compagnons de resto.

De près, sa bouille était encore plus juvénile et gaie, malgré l'obscurité, qu'elle m'avait paru dans les lumières du restaurant.

Sa voix, qui parlait brosse à dents, m'a surpris. Une voix sourde, basse, intérieure, forte. Une voix que ne couvrait pas le bruit du gros flat six, sans qu'elle parût faire effort de hausser le ton.

Elle s'était coulée dans le baquet et se laissait conduire sans rien rajouter. Elle avait baissé le col de l'imper mais ne l'avait pas déboutonné. Aussi étais-je resté sur mon expectative concernant son devant tout plat. En fait, je n'y pensais pas, plus. J'étais plutôt épaté de ma bonne aventure.

Je m'interrogeais, au moins en ai-je une, de brosse à dents, neuve, sous blister ? Sinon, lui faudra prendre la mienne.
Une fille qu'on vient de sauter peut-elle encore faire la difficile à réclamer une brosse à dents neuve ? Au matin, épanouie ?
Et je pensais, il y a bien plus important que ces histoires de brosse à dents. Te reste-t-il au moins quelques capotes ? Ou bien te faudra-t-il faire petit détour par le drugstore de l'Etoile pour réapprovisionner tes stocks ?

Je pensais, une fille qui s'inquiète de brosse à dents, à coup sûr, lui faudra le chapelet Durex complet sinon fera sa mijaurée àque moi la dèche qui me coule sur les cuisses c'est pas classe...
Mais j'ai jeté un coup d'œil latéral et sa bouille gaie illuminée des couleurs dansantes de la nuit a d'un seul coup, d'un seul, effacé ces calculs à la con de vieux dragueur parisien.

Sûr que j'avais mon tiroir de table de nuit bien garni et tout à l'avenant en dedans.

Je ne voulais plus penser aux contingences. Je voulais juste vivre le moment présent et cette rencontre étonnante avec cette fille comme petit miracle de complicité.
Presque je dirais d'innocence. Mais, ne poussons pas...

Alors, pensez, les capotes et la brosse à dents...

Mon auto connaissait la route à suivre et nous sommes très vite arrivés devant la porte basculante du garage souterrain de mon immeuble. Petit appui sur la zapette, lever grinçant de l'huis, labyrinthe dans le double pinceau des phares, portes de la Porsche doucement claquées, le ranschlag de la zapette y clignotements oranges de confirmation technologique, l'ascenseur jusqu'au dernier étage, mon chez-moi.

Elle s'est ébrouée comme chien mouillé dans mon entrée sur mon paillasson. Elle a quitté l'imper, le suspendant tout trempé au perroquet, et s'est offerte à mes bras dans la maille claire que je savais.

C'était moment de vérité. Je la serrai dans mes bras mais, j'avoue, mes mains étaient en exploration.

Alors, elle s'est rebiffée. Zêtes tous pareils les mecs, incapables de prendre amoureusement une fille sans vous enquérir du soutif, de la brassière, du corset. Vos mains baladeuses dans notre dos disent clairement vos interrogations.

Alors, non, qu'elle m'a dit. Ne suis pas harnachée, n'ai besoin de rien. Mes ranplanplans à moi, y tiennent tout seuls, vu qu'ils sont quasi inexistants.
Et c'était vrai, je crois. Enfin je présumais.
Moi je pensais, cause toujours mon lapin, ces trucs là, pour les croire faut les voir, les toucher ... à deux mains, les palper ... à deux paumes.
Je frottais mon thorax contre le sien et faut dire que j'étais bien persuadé de la réalité de la chose. Surtout que voilà bientôt depuis début de soirée que je ne pensais qu'à ça.

J'ai décidé brusquement que bien d'autres choses importaient et j'ai filé au salon illuminer les lieux en espérant qu'ils seraient à son goût.
Mélody Gardot trébuchait sur l'écran géant du clip en basses Bose et le regard de ma conquête s'éclaira de deux dents blanches entre lèvres rouges d'une couleur que je connaissais pour l'avoir découverte avec émotion sur un miroir dessus un lavabo de toilettes souterraines.

Elle souriait pour me signifier son accord sur le jazz sur cette musique. Et je pensais voilà déjà un truc qui va bien.
Aime-t-elle aussi la SF, Tolkien, Azimov, Poe, connaît-elle Dune, Alien, la Guerre des Mondes ?
Alors on s'est assis dans le canapé et j'ai sorti mes bouquins et on a parlé, parlé.

Après le jazz, j'ai posé un CD de samba. J'ai vu qu'elle bichait, ses yeux riaient. Elle s'était emparé de mes BD et je voyais qu'elle aimait les dessins. Elle était sur le dernier album de Yoko Tsuno et me dit, je me me régale des avions, des aéronefs qui parcourent le monde l'univers. Je voudrais vivre cela. M'emmeneras-tu ?

Il était tard j'ai saisi sa main, l'ai relevée. On est allés à la chambre. Elle a voulu passer à la douche. Elle a voulu y aller la première.
Quand, à mon tour je suis revenu tout nu de la salle de bain, elle était toute cachée sous les draps de mon lit. Juste sa tête rieuse sur l'oreiller.

Je me suis glissé auprès d'elle. Même pas bandant, juste copain.
J'ai laissé les lumières. On a parlé, serrés dans les bras l'un de l'autre. Emmêlés de jambes. J'ai oublié de regarder, tâter son devant. Pourtant je ne pensais qu'à cela depuis bien longtemps.
En fait je ne pensais qu'à ça ... depuis toujours.

Elle a dit, on dort. Elle s'est tournée me présentant son dos rond. J'ai tout éteint et me suis enroulé autour d'elle.
Bien sûr mes mains sont venues, naturellement, sur son devant, sur son rien.
Et je me suis endormi et elle aussi, je crois.

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