Brigitte
BRIGITTE
Les pavés brillent comme des joyaux sous la pluie. Les larmes deau sautillent et se répandent sur le sol en petits feux dartifice étincelants. La lumière joue de rivalité avec les ombres.
Brigitte a rendez-vous avec son amant. Le fait quil pleuve ne freine que modérément son allure. Son parapluie oscille entre les bourrasques de vent et les salves deaux qui lui tombent dessus, mais elle tient son parcours.
Brigitte adore la pluie. Quil sagisse dun rendez-vous galant où dune course quelconque, elle aime la pluie. Leau na pour elle plus aucun secret. Elle en connaît toutes les textures, toutes les saveurs et les odeurs. Elle affectionne la saisissante froideur de ses morsures sur son visage et sa troublante chaleur sur son corps. Elle se délecte de sa pénétration dans le vêtement et mesure combien elle peut être bienveillante ou meurtrière. Brigitte a tout lu sur son histoire et dans toutes les cultures.
Brigitte sait précisément où elle doit se rendre. Elle néprouve de sensations plus intenses que celles vécues dans ces conditions. Son cur semballe à lévocation de vivre ce miracle de la pluie. Elle en estime la profondeur mythique du rituel. Elle transcende lintensité de son plaisir par le sentiment den connaître lissue. Sa fascination pour cette puissance de la nature na dégal que sa gratitude.
Brigitte se rend dans un quartier quelle ignore. Elle ne connaît de son lieu de rendez-vous que ladresse. De cette adresse elle nen verra que le nom. Elle prend connaissance de leur future rencontre par téléphone. Son amant dépose un message dans lequel il lui explique tous les détails. Lendroit exact où elle devra se tenir et dans quelle position. Ce quelle devra porter, quelles en seront les couleurs et la matière.
Brigitte et son amant ne sont pas sans ignorer les risques de leur entreprise. Beaucoup de paramètres et de contraintes simposent à eux sans quils les contrôlent daucune manière.
Brigitte ignore tout ou presque de son amant. Elle ne sait de lui que le désir de la combler à travers lhistoire quils écrivent au fil de leur rencontre. En dehors de leur rapport, sa voix est le seul lien tangible quelle entretient avec lui. Brigitte et son amant sont résolument attachés à ces prérogatives. Il nest de préliminaires qui précèdent leur rencontre ni de civilités quand ils se quittent. Lun et lautre sentendent sur le caractère intemporel des instants quils partagent. A son amant incombe le secret dorganiser leur rendez-vous. A Brigitte celui dêtre en lieu et place de son choix. Un profond respect les unit pour leur passion commune.
Brigitte est consciente de la fragile condition de leur liaison. Le temps est un facteur incontournable. Cest en cela son pire ennemi. Elle sait que les conditions doivent être réunis pour quensemble, ils puissent réaliser ce pourquoi ils se rencontrent. Que les éléments défaillent au moment opportun et la déception sera le gain de son effort. Il faudra attendre de nouvelles conditions, un nouveau rendez-vous, une nouvelle adresse. Cest pourquoi elle accélère le pas.
Brigitte nest plus très loin de son rendez-vous. Il lui reste assez de temps pour identifier les lieux et éviter ainsi toute erreur de localisation. Elle sait où elle doit se rendre et comment elle devra soffrir à son amant.
La pluie bat son plein. Le bruit quelle fait résonner entre les immeubles fait un joyeux vacarme et les fenêtres renvoient à ce chaos une harmonie étrange et inquiétante.
La rue où se trouve Brigitte est quasiment vide. Les rares piétons qui se risquent encore sur les trottoirs sont loin de se préoccuper delle. Cest pourquoi Brigitte est confiante et que son cur bat la chamade.
Afin dêtre tout à fait disponible, Brigitte vient toujours les mains vides, hormis son parapluie.
Brigitte consulte sa montre. Il est lheure de sa mise en place. Elle traverse la rue sans précaution et se dirige au numéro en question. Cest une magnifique porte cochère en bois massif dun hôtel particulier. Son ouverture est suffisamment échancrée pour sy installer à deux sans être exposé outrageusement à la curiosité. Cette adresse présente la particularité indispensable dêtre battue de plein fouet par la pluie. Brigitte sy installe sur la gauche, ferme son parapluie et le dépose dans langle de la porte. Elle sent immédiatement lorage lui fondre dessus. Comme convenu, elle se tient debout, face contre limmeuble, les jambes serrées, les mains dans les poches de son ciré. Elle sent les puissantes gouttes de pluie sabattre sur larrière de sa veste et ruisseler le long de ses mollets. La fraîcheur de leau assaille ses jambes et embrase son fessier dune vague de frissons.
Brigitte ferme les yeux. Au milieu du déluge, elle entend une voiture passer et le clapotis du reflux de leau sous les pneus. Le rythme de sa respiration sest accéléré. Le temps sest suspendu. Toute son attention se porte à présent sur la résonance intérieure quelle éprouve dans lattente dêtre cueillie par son amant. Etre ainsi exposée à la merci dune situation improbable et à lindécence de son comportement lui inspire un sentiment de honte et dexcitation terrible. Elle ne veut pourtant sopposer au désir de son amant de la trouver ici aux aguets et sans défense.
Ces préliminaires de lattente sont pour elle tout aussi précieux que la finalité de leur rencontre. Son imagination élabore toutes sortes de scénarios plus troublants les uns que les autres. Elle envisage indécemment dêtre vu de limmeuble den face. Que quelquun lobserve derrière sa fenêtre. La juge dans son attitude irrationnelle et intrigante. Que cette personne appelle la police et quelle doive alors se justifier de sa présence et être démasquée dans ses intentions.
Brigitte se sent happée et dun mouvement de pivot sur elle-même se retrouve dans les bras de son amant. Elle prend à peine le temps de croiser son regard que sa tête est exposée frontalement au déluge qui vient lui couper le souffle par sa puissance. Brigitte tente douvrir les yeux sans succès et peine à les garder clos. Elle respire difficilement par le mouvement incessant de la pluie sur son visage. Ce quelle éprouve à cet instant est un sentiment de panique et dintense excitation. Elle sent ses bras être saisis et pris en étau derrière son dos. Une jambe se glisser entre les siennes et les écarter pour former un angle et laisser la voie libre à son intimité. Son amant vient déposer ses lèvres sur les siennes puis lui prendre la bouche dun baiser fougueux. Brigitte suffoque et tente de trouver son souffle dans le peu dair qui pénètre encore ses narines. Tout son corps oscille entre labandon et la résistance. Elle voudrait à la fois se livrer totalement et trouver le confort dans son déséquilibre. Plaqué contre le corps de son assaillant, légèrement cambré vers la pénombre du ciel et lorage ininterrompu, Brigitte se rapproche de lextase qui lui est promise.
Ses cheveux sont trempés et ruissellent comme un linge. Son mascara a coulé et forme une trainée noirâtre sur le flanc de ses tempes mais elle se sent intensément vivante. En prise avec son corps, ses émotions, sa vie.
Livrée aux truculences de son amant, elle sent une main glisser sur sa poitrine et saisir lun de ses seins.
Le talent de son amant pour la transporter vers labandon total et lorgasme touche à son zénith. Il sait précisément comment faire jouir sa maîtresse. Il connaît son point de rupture qui lui livrera son dû et lintense satisfaction de lavoir possédé toute entière. Quand il sent quelle approche du paroxysme de son plaisir, sa main dessine encore quelques esquisses sur son entre jambe et vient caler ses doigts autour du clitoris.
Le vent conjugué à la pluie balayent les cheveux de Brigitte dans un fouillis invraisemblable. Sa respiration est haletante. Elle sent la fatigue et la vulnérabilité lenvahir. Plongée dans une semi conscience, entre la douleur et le plaisir, Brigitte exulte de rassembler enfin lalchimie de sa féminité profonde et celle des éléments qui se déchaînent autour delle.
Ses cellules toutes entières bouillonnent de ce feu brûlant qui embrase ses entrailles. Ce quelle vit à présent est proche de la transcendance. Pour rien au monde elle ne renoncerait à cet état, fut-il éphémère. Son amant maîtrise à merveille lincandescence de ce ballet sensoriel et sans plus attendre, entame une série de pressions sur lobjet de désir. Des vagues de profond bien-être envahissent immédiatement son corps. Il sent sa poitrine marteler contre la sienne, leurs bouches continuant de se confondre en un baiser passionné. Lhomme saisit alors le bijou tant convoité et le presse violemment entre ses doigts. Brigitte sembrase dans une extase jouissive infinie. Leur bouche se séparent et elle laisse éclater un cri déchirant. Son corps est secoué de convulsions. Son sexe est en feu. Elle chancelle de fébrilité. Son amant la soutient, desserre doucement son emprise et lui offre sa poitrine pour y savourer son extase. Le temps séternise et prolonge intensément sa jouissance. Délicatement, son complice dégage sa main et vient envelopper sa maîtresse dune tendre étreinte. A leur tour, les bras de Brigitte senlacent à son cou. De sa gorge émanent quelques mots incompréhensibles. Sa respiration sest apaisée. La pluie aussi.
Dans la clarté cristalline de leur présence et encore ruisselante de son ivresse, Brigitte se dégage et cherche la porte de lhôtel particulier pour sy adosser. Les yeux fermés, elle susurre un ou deux mots à son amant. Celui-ci dépose quelques baisers sur son visage puis séclipse sans bruit dans la rue devenue lumineuse et dégagée.
Doucement, Brigitte se laisse glisser vers le sol jusquà se retrouver assise. Recroquevillée sur elle-même, les bras contre sa poitrine, elle sabandonne à ces touts derniers instants de ce nouvel opus dans la paisible lumière de la rue et la quiétude de son plaisir. Lair frais envahit ses poumons. La lumière baigne son visage. Plus rien na désormais dimportance et pour Brigitte, tout peut reprendre son cours
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