Blanche (6)
Sylvain chevauche à ses côtés. Et il parle. Des châtaignes dont il y a profusion cette année. Du vin qui ne devrait pas être aussi mauvais que redouté, tout compte fait. Du nouveau vétérinaire qui est jeune, si jeune, mais qui semble néanmoins connaître son affaire.
Elle écoute et elle nécoute pas. Elle est ailleurs. Encore dans son rêve de la nuit. Et déjà dans son après-midi avec Gontran.
Sylvain parle. Il parle inlassablement. De la Commune. Des exploits quil aurait alors soi-disant accomplis.
La barricade de la rue Lepic, je lai tenue, à moi tout seul, près dune heure durant.
Et puis de la guerre. De la guerre qui approche, hélas, à grands pas. De la guerre dont personne ne veut, mais que les dirigeants finiront malgré tout par faire advenir.
Elle frissonne.
La guerre. Gontran. Son Gontran. Elle ne veut pas.
Elle linterrompt.
Sylvain
Il se tourne vers elle.
Mademoiselle ?
Je ne pourrai pas. Je ne pourrai jamais
Vous ne pourrez pas quoi ?
Il a parfaitement compris, mais il veut quelle le dise. Il veut le lui faire dire.
Elle baisse la tête.
Le quitter. Quitter Gontran.
Il saute à terre. Il lui tend la main.
Que Madame descende de cheval !
Elle obéit.
Ils sont au milieu des bois. Pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Il attache les chevaux. Il brandit la cravache.
Elle sait ce quil lui reste à faire. Elle nattend pas quil le lui demande. Elle se détourne et elle se dénude. Les fesses. Et le dos.
Lordre claque, sec, impérieux.
À genoux !
À même le sol. Cest froid. Des brindilles lui picotent la peau. Et elle a honte. Tellement honte. Mais cest pour lui. Pour Gontran. Il va tellement aimer voir sa peau striée, en suivre les boursouflures du bout des doigts. Gontran
Et Sylvain frappe. Des coups appuyés. À intervalles réguliers. De la base du cou au haut des cuisses.
Et ça repart. Dans lautre sens. Insupportable, mais bon. Si ! Oui. Tellement bon. De plus en plus. Elle tombe face contre terre. Et le plaisir la prend. Toute. La fulgure. Un plaisir fou. Elle enfouit sa tête dans les feuilles pour ne pas le crier. Pour quil ne lentende pas le crier.
Il sarrête. Elle se relève. Elle nest plus que brûlure. Elle se rhabille. Le frottement des vêtements sur sa peau est un véritable supplice, mais
Elle remonte à cheval. Ils chevauchent en silence.
Gontran passe les mains sous sa robe.
Ten as reçu une ! Ah, si, si ! Ten as encore reçu une.
Ses yeux brillent. Il est tout dur contre elle. Il veut voir.
Il va voir.
Oh, là là, oui ! Et quelque chose de bien. Cest qui ? Ton mari, hein ?
Non. Elle fait signe que non.
Qui alors ? Dis-moi !
Elle lui met un doigt sur les lèvres.
Il ninsiste pas. Il la couvre de baisers. Et il est en elle. Impatient. Impérieux. Il y éclate son plaisir. Et fait surgir le sien.
* * *
Elle est dans son lit, sur le ventre. Nue. Elle a rejeté drap et couverture. Sa peau ne supporte pas le moindre contact. Et elle a mal. Tellement. Mais elle est heureuse. Tellement aussi. Heureuse, oui. Même si elle redoute, par bouffées, que son bonheur ne prenne brusquement fin. À cause de la guerre, oui, bien sûr
Mais aussi parce quil est jeune, Gontran. Parce quil est beau. Et quil doit faire rêver, par dizaines, les jeunes filles de son âge. Quil sen trouvera ment une, un jour, dont il se sentira éperdument épris et que, ce jour-là, il lui faudra seffacer pour ne pas être une entrave à son bonheur. Il ne lui restera plus alors que ses souvenirs. Et ses larmes. Ny pas penser. Profiter. Profiter, le plus possible, des instants quil lui donne.
Je ne monterai pas, ce matin, Sylvain.
Comme Madame voudra
Il étrille Flamboyant. Il lui flatte lencolure.
Il vaut assurément mieux. Si Madame ne veut pas raviver la douleur
Elle rougit. Elle se détourne. Elle séloigne sous la futaie. Les feuilles mortes craquent sous ses pas. Elle marche. Elle veut marcher. Elle en a besoin. Sa chair est à vif sous ses vêtements. Chaque pas est un calvaire. Mais elle marche. Sylvain la fouettée. Il la fouettée et
La honte, une nouvelle fois, la submerge. Est-ce quil sest rendu compte hier ? Peut-être pas. Sans doute pas. Sûrement pas. Ces gémissements-là, quelle a poussés, quelle na pas pu sempêcher de pousser, quand ça la traversée, ressemblent tellement à ceux que procure la douleur. Non. Non. Elle se fait des idées. Il ne sest aperçu de rien. Il était, de toute façon, tellement absorbé par ce quil faisait, tellement attentif à ne pas lui laisser intact le moindre centimètre de peau quil na certainement pas prêté la moindre attention à la nature de ses plaintes. Oui, mais si
Elle hausse les épaules. Peu importe ce quil pense. Ce quil est allé imaginer. Peu importe. Elle sefforce, en vain, de sen convaincre.
Elle attend Gontran. Il ne va pas tarder. Il va apparaître là-bas, derrière la grange, entre les arbres. Courir vers elle. La saisir dans ses bras. Et elle va défaillir de bonheur.
Elle lattend. Elle simpatiente. Lui, toujours si ponctuel dhabitude. Une demi-heure de retard. Une grosse demi-heure. Pourvu quil ne lui soit rien advenu de fâcheux. Mais non ! Non. Elle est folle. Il va surgir en riant. « Un bavard importun dont jai eu toutes les peines du monde à me défaire
» Il va la couvrir de baisers. Et tout va rentrer dans lordre.
Elle est morte dinquiétude. Deux heures. Plus de deux heures. Il sest passé quelque chose, elle en est sûre. En courant vers elle, il a roulé sous un attelage. Ou bien il sest battu et on la laissé pour mort sur le pavé. Ou bien encore
Cest la dixième fois, au moins, quelle pose la question à Sylvain.
Il ne vous a rien dit ? Il nest pas passé ce matin ?
Mais non, Mademoiselle ! Vous pensez bien que, sil lavait fait, je me serais empressé de vous en tenir informée.
Le jour baisse. Il ne viendra pas. Il ne viendra plus. Il a passé laprès-midi avec une autre. Elle le sait. Elle le sent. Elle en est sûre. Et elle ne peut même pas laisser libre cours à son chagrin. Si Pierre sapercevait quelle a pleuré
Elle vogue de cauchemar en cauchemar. Elle est de toute beauté, la fille. Et comme il laime ! Comme il la caresse avec passion ! Elle la chasse. Elle sestompe. Elle disparaît. Pour revenir, plus triomphante que jamais. En robe de mariée, cette fois. Elle est resplendissante. Ils se serrent lun contre lautre. Ils sembrassent. Sous les regards ravis des invités. Elle les observe, en larmes, dissimulée derrière un arbre. Ils ly débusquent. Ils se moquent delle. Toute la noce se moque delle. Et elle senfuit, vaincue.
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