Histoire Des Libertines (83) : Mme Claude, La Grande Maquerelle.
AVERTISSEMENT
La logique chronologique que je respecte, dans la première série de ces textes sur les grandes libertines, mamène à méloigner un instant des stars dHollywood et à mintéresser à un tout autre milieu.
Jaurais loccasion, dans une seconde série de textes, de revenir sur le parcours de certaines grandes courtisanes. Javais déjà évoqué celles quon appelle aussi les « grandes horizontales » dans des textes précédents :
Lola Montès (lire « Histoire des libertines (50) : femmes dinfluence à lépoque du Second Empire », paru le 23 décembre 2019),
La Belle Otéro ou encore Liane de Pougy (« Histoire des libertines (52) : Des libertines de la Belle Epoque » paru le 2 janvier 2020)
Cest un de mes fidèles lecteurs, que je remercie et qui se reconnaitra, qui ma amené à mintéresser à Fernande Grudet, dite Madame Claude (1923-2015). Elle fut prostituée, mais est surtout connue en tant que proxénète de luxe.
L'histoire de Madame Claude et de son réseau a inspiré des auteurs et des cinéastes. Visage de ces années de décadence et de frivolité, nom indissociable des nuits sulfureuses parisiennes dantan, Madame Claude continue de fasciner le septième art français. Preuve en est, après le « Madame Claude » (1977) réalisé par Just Jaeckin, le réalisateur dEmmanuelle », un second film baptisé du même nom a vu le jour, du fait de la pandémie, diffusé directement sur Netflix en avril 2021.
Mme Claude ne semblait guère portée sur la « chose », au-delà dune réputation de bisexuelle. Ce nest donc pas sa vie intime ou sentimentale qui ma amené à parler delle dans cette série de textes, mais plutôt son « activité » et ce quelle a représenté dans les pratiques et les murs de notre société
ORIGINES MODESTES ET PROSTITUTION
Fernande Joséphine Grudet a des origines modestes : son père tient un café rue Diderot à Angers. Elle est élève à l'institution Jeanne d'Arc puis à l'Immaculée Conception d'Angers.
Mère célibataire à 16 ans, elle sinstalle à Paris et prend le pseudonyme de Claude, genre indéterminé qui manifeste peut-être une manière de neutralité sexuelle. Elle fréquente les milieux du banditisme et se prostitue. Elle apprend le métier en aidant une mère maquerelle avant de prendre son envol. Peu portée sur le sexe, selon ses propres dires, elle sait en revanche se construire une allure : deux liftings, un à 37 ans, un autre à 54 ans.
Parmi le grand banditisme quelle fréquente, elle tombe amoureuse. Ce sera la seule fois de sa vie ! Elle sentiche dun gangster, le chef du «Gang des tractions avant». Une passion dévorante et éphémère au terme de laquelle elle renferme définitivement son cur. Elle en gardera un profond mépris des hommes.
A LA TETE DUN RESEAU DE PROSTITUTION DE LUXE
Se rendant compte quelle a davantage la bosse des affaires que le goût de la bagatelle, en 1957, elle monte son « petit commerce », un bordel mondain. Lascension est fulgurante. Esthète et perfectionniste, elle cisèle ses créatures avec le soin dun génie diabolique.
Elle monte, à la fin des années 1950, une entreprise de prostitution de luxe qu'elle anime par téléphone depuis son appartement parisien. Les prestations luxueuses sont réservées à une élite disposant de moyens financiers importants. Les prostituées travaillent dans une maison close (alors que celles-ci sont censées être interdites depuis 1946).
Connue du Tout-Paris, cette proxénète, aux allures de bourgeoise, fricote avec les grands de ce monde, mais côtoie également le grand banditisme et les renseignements généraux. Très vite, Madame Claude érige un véritable empire du sexe, et amasse une petite fortune grâce « au plus vieux métier du monde ».
Pendant vingt ans, « Madame Claude » règne sur un groupe de cinq cents prostituées, les fait habiller par de grands couturiers et recourir à la chirurgie esthétique. Selon un ancien habitué, Mme Claude recrutait parmi les filles qui avaient échoué à devenir mannequins ou actrices.
Une prostitution haut de gamme dont les tarifs sont très élevés pour lépoque : entre 1 000 et 1 500 francs pour une demi-heure ou une heure et 15 000 francs pour une nuit en moyenne. Sur chaque passe, Madame Claude prend 30%. En quelques années, elle devient ainsi millionnaire.
Elle ose pourtant réfuter le terme de proxénétisme et prétend donner une éducation à des jeunes femmes pour fréquenter les dîners mondains en compagnie d'hommes importants ! Elle a longtemps bénéficié de complaisance, en particulier parce qu'elle fait des comptes rendus réguliers à la brigade mondaine et au SDECE.
La situation change au milieu des années 70, la justice et le fisc entreprenant alors de démanteler le réseau.
CAVALE AUX ETATS-UNIS
Madame Claude est condamnée mais elle épouse (un mariage blanc) un citoyen suisse pour obtenir sa nationalité, puis senfuit aux États-Unis en juin 1977.
Afin d'obtenir la carte verte, elle se remarie avec un barman homosexuel et ouvre un restaurant, Elle est finalement dénoncée aux services de l'immigration. Persuadée qu'il y a prescription en ce qui concerne ses ennuis fiscaux, elle revient en France en 1985. Elle est arrêtée le 31 décembre 1986 et purge une peine de un an et demie de prison.
RECIDIVE
À sa sortie de prison, elle devient vendeuse dans une boutique de vêtements. En 1991, elle tente de monter un nouveau réseau de prostitution avec une douzaine de prostituées dans un appartement du quartier du Marais. Son réseau est à nouveau démantelé et elle est arrêtée par la brigade de répression du proxénétisme.
Poursuivie par la justice pour proxénétisme aggravé en 1992, elle est condamnée à six mois de prison ferme, trente mois avec sursis et un million de francs d'amende.
CALL GIRLS, PERSONNALITES ET PROTECTION
Mme Claude a perfectionné, pour ne pas dire inauguré, un système consistant à mettre en relation des jeunes femmes, tout à fait averties et sélectionnées avant tout pour leur allure et leur minimum de culture, avec une clientèle aisée, et ce, par le biais du téléphone (d'où le nom de « call-girls » donné à ces jeunes femmes). Elle évitait ainsi le plus souvent tout contact avec la clientèle.
CARNETS NOIRS
On connaît maintenant les noms prestigieux des clients : lord Mountbatten, Elie de Roths, John Kennedy (lui réclamant « une Jackie mais en plus hot »), le couple Onassis-Callas qui appréciait le triolisme, Gianni Agnelli, patron de la Fiat qui préférait lamour en groupe, Moshe Dayan, Kadhafi, Marlon Brando, Rex Harrison, le shah dIran qui offrait des rubis en pourboire
Sans parler des politiques français, à commencer par certains ministres. Ce qui explique la protection tacitement accordée à Madame Claude pendant vingt ans. On dit quelle fournissait des renseignements aux « services. » Elle avait surtout dans ses carnets noirs de quoi déclencher des scandales dEtat en cascade.
LE CYNISME DUNE MAQUERELLE
Ambitieuse, cassante, elle était aussi cynique que douée en diplomatie. Elle se qualifiait elle-même de « meilleure maquerelle du siècle »
Elle jouait de la gourmande curiosité que suscitaient ses activités de dirigeante dun réseau de prostituées de luxe.
Elle dira : « Deux choses marchent dans la vie, la bouffe et le sexe.
Son cynisme fait froid dans le dos. La maquerelle a recours à des «goûteurs», comme elle le dit, des hommes amenés à évaluer les capacités érotiques de ses «protégées». Parmi eux, le frère et le premier mari de lécrivaine Françoise Sagan.
Madame Claude vend du rêve à ses « employées » : la promesse de faire un beau mariage. Car ses clients fortunés et prévenants font voyager les filles en première classe, les logent dans des palaces et les sortent en yacht. De son côté, Madame Claude les habille chez les plus grands couturiers, leur paie des dessous raffinés et coûteux
Elle y distribuait avec complaisance les anecdotes que ses interlocuteurs venaient quémander sur le « Tout-Paris » au lit, les préférences sexuelles de tel « ministre en vue » et de son épouse, de tel « politicien américain », le « masochisme » de ce « souverain du Moyen-Orient » ou « limpuissance » de cet « acteur mondialement connu. » Rien nétait dit, tout laissait croire, les fantasmes assuraient la renommée.
Madame Claude racontait comment elle recrutait des jeunes filles « de bonne famille », parachevait leur éducation en les abonnant à la revue Historia pour le dîner, choisissait leurs dessous blancs pour les nuits tarifées et décidait, pour chacune dentre elles, des défauts que le bistouri devait impérativement corriger, nez, bouche, seins, pommettes, fesses, avant de prétendre figurer dans son précieux annuaire dentremetteuse.
Mme Claude sera condamnée deux fois, et finira sa vie seule et loin dêtre riche. Quant à ceux qui ont profité de ses services, ils restent comme toujours impunis. Les vrais exploiteurs, qui se cachent derrière elle : tous ces hommes, puissants et riches, sen tirent toujours à bon compte, et nont pas hésité une seconde à la lâcher au moment où cela les arrange.
Derrière le rideau des fantasmes, dans les coulisses huppées, les antichambres des suites de grands hôtels, la réalité était beaucoup plus prosaïque. La sélection n'était pas une partie de plaisir et passait par l'humiliation des filles, raconte une ancienne « pensionnaire ». Bien loin en somme des images de charme sophistiquées d'une prostitution qui se disait haut de gamme.
Beaucoup de zones dombre subsistent tant sur la personnalité de Fernande Grudet que sur ses activités, ses protecteurs et ses célèbres clients. Car ses forces étaient, du dire de tous, son silence et sa discrétion. Difficile aujourdhui pour le commun des mortels de connaître les noms de ces centaines dhommes de son cercle quelle consignait pourtant dans un célèbre carnet noir.
Les filles de Mme Claude sont aujourdhui de vieilles dames de la bourgeoisie, insoupçonnées et insoupçonnables davoir dans leur jeunesse appartenu au célèbre réseau. Des noms circulent toujours dans les dîners mondains !
Quelle soit ou non de luxe, la prostitution reste synonyme dexploitation dêtres humains et le proxénétisme une activité à combattre sans compromis, quil soit celui des « petits macs », des réseaux et des mères maquerelles.
REFERENCES
Outre larticle Wikipédia, je renvoie aux articles suivants sur le Web :
https://plus.lapresse.ca/screens/416a95b5-87be-4703-bc82-949a6b94d7a9__7C___0.html?utm_content=email&utm_source=lpp&utm_medium=referral&utm_campaign=internal+share
https://www.vanityfair.fr/savoir-vivre/story/la-folle-vie-de-madame-claude-la-proxenete-qui-detenait-les-secrets-du-tout-paris/12062
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2015/12/22/mort-de-madame-claude-la-proxenete-la-plus-celebre-de-france_4836669_3382.html
https://www.lemonde.fr/vous/article/2011/10/01/madame-claude-sexe-mensonges-et-secrets-d-etat_1580995_3238.html
https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Madame-Claude-interview-1981-proxenete-prostitution-Fernande-Grudet-1730733
https://www.elle.fr/Loisirs/Cinema/News/Madame-Claude-sur-Netflix-qui-etait-cette-celebre-proxenete-francaise-3919890
https://monopinion939.wordpress.com/2018/09/16/madame-claude-celle-qui-a-fait-trembler-la-republique/
https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/culture/madame-claude/
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