Jérém&Amp;Nico 0302 La Suite Nous Le Dira.
Mardi 1er janvier 2002.
Le lendemain de cette nuit où pour la première fois Jérém ma dit « je taime », où pour la première fois de ma vie je me suis entendu dire « je taime », je ne me réveille pas vraiment de bonne heure. Nous avons passé la première nuit de lannée à faire lamour, c'est-à-dire, à nous aimer. Mon corps avait besoin de récupérer.
Après son « je taime », nous navons pas beaucoup parlé. Et pourtant, les caresses, les baisers, les regards, les gestes complices, lenvie réciproque de nous donner du plaisir et de la tendresse se sont chargés dexprimer notre bonheur dêtre là, lun avec lautre, sans détours. Le feu brûlait entre nos corps, nos esprits baignaient dans une osmose totale, nos curs battaient sur un accord parfait. Tout était limpide, comme une évidence, il ny avait pas derreur possible.
Le premier matin de la nouvelle année, je me réveille dans les bras de Jérém. Son torse enveloppe mon dos. Je sens sa respiration cadencée sur ma peau, son souffle léger dans mon cou. Le beau brun dort toujours, et pourtant je ressens son bonheur dêtre avec moi, même dans son sommeil. Jen prends pour preuve le fait de me réveiller comme je me suis endormi, c'est-à-dire enlacé par le gars que jaime.
Le premier réveil de la nouvelle année est enveloppé dun bonheur immense. Je nai quune envie, que cet instant parfait ne cesse jamais. Parce que je crois, jen suis même sûr, de ne pas avoir été un jour plus heureux quà cet instant précis.
Hélas, les emballages de capote sur la table de nuit me rappellent que tout nest pas rose dans ma vie. En regardant lintensité de la réverbération du soleil qui rentre par la petite fenêtre, je pense que mon heure de prise habituelle des médocs du matin, 8 heures, est largement dépassée. Et alors que tout mon être veut continuer à profiter de ce réveil dans les bras de mon Jérém, je ne peux pas attendre plus longtemps pour me lever.
Je dois me faire violence pour quitter ce bonheur de tiède douceur virile.
Je prends mille précautions pour quitter le lit, pour quitter ses bras. Mais avant que jaie pu mettre un orteil à terre, je sens le bogoss remuer derrière moi. Jentends sa respiration changer, et je lentends me lancer, la voix pâteuse, le ton presque in :
« Bonjour Ourson ».
Sa façon de mappeler « Ourson » mémeut toujours autant. Surtout quand je pense quau début de nos révisions cétait plutôt avec « salope », « sale pute », « chienne en chaleur » quil sadressait à moi. Un contraste qui ne cesse de me sauter aux yeux et qui me fait à chaque fois réaliser quen quelques mois mon statut a bien changé à ses yeux. Je me demande même comment jai pu accepter dêtre autant soumis à ce gars, comment jai pu le laisser mhumilier comme il le faisait parfois. Je me sens tellement mieux maintenant, alors que je suis dans une relation de respect réciproque, une relation damour. Mais à lépoque de nos premières révisions, je navais pas vraiment le choix. Jérém donnait le ton de notre relation, et cétait à prendre ou à laisser. Ses envies façonnaient les miennes. Mais je ne regrette rien, ça a valu le coup den passer par là, pour en arriver là où nous en sommes aujourdhui.
« Bonjour Ptit Loup ! » je ne peux renoncer à lui répondre, tout en abandonnant momentanément mon projet de quitter le lit, à me retourner, à le prendre à mon tour dans mes bras, et à lembrasser tendrement.
Jérém émerge peu à peu de son sommeil, il me regarde fixement, le regard encore vide, les cheveux en bataille, le haut des pecs qui dépasse des draps, il est beau.
« Tu as bien dormi ? je le questionne.
Comme un bébé, et toi ?
Très bien aussi. Quand je suis avec toi, je dors toujours bien !
Ravi dapprendre que je te fais leffet dun cachet pour dormir ! il plaisante.
Andouille ! Je dors bien parce que je suis bien, parce que je suis heureux avec toi !
Moi aussi je suis heureux dêtre avec toi ! »
Et là, mon adorable Jérém me serre un peu plus fort contre lui, il glisse de doux baisers dans mon cou, sur ma joue, sur mon oreille.
« Putain ! je lentends chuchoter.
Quoi ?
Je ne peux pas te toucher sans bander dans la seconde !
Cest triste, ça ! » je plaisante, tout en glissant une main contre son boxer tendu.
En effet, malgré les heures supp de la nuit, sa queue est à nouveau bien fringante. Elle ne semble vraiment pas vouloir prendre de RTT.
Je glisse ma main dans son boxer et je lempoigne, je la caresse doucement. Son manche me remplit bien la main, chauffe bien ma paume et mon désir. Je me glisse sous les draps, je me glisse sur son corps musclé à la peau mate. Ce matin non plus les mots ne sont pas notre moyen de communication favori. Les regards et les envies manifestes des corps suffisent à dire tout ce quil y a à dire.
Je le branle sans cesser de lembrasser, et je me sens bander à mon tour. Et lorsque sa main vient exciter mes tétons, je laisse mes lèvres glisser vers ses pecs saillants. Le bogoss frissonne de plaisir, ahane bruyamment. Cest dur de ne pas pouvoir le sucer librement, jai tellement envie de le prendre dans ma bouche ! Ce matin je nai vraiment pas envie de passer une capote, alors jinvente. Je fais glisser son boxer le long de ses cuisses, et je le branle, je lembrasse, je le caresse, je lexcite pour le faire grimper au rideau.
Sentir mon Jérém vibrer de plaisir est pour moi un bonheur indescriptible. Sentir venir son orgasme, alors que je lembrasse, sentir sa respiration changer, son souffle trahir ses frissons, ses lèvres frémir sur les miennes, son corps tout entier se contracter à la venue de lapothéose, cest à la fois terriblement excitant et dune certaine façon émouvant. Oui, faire plaisir au gars que jaime mémeut.
Je nai pas besoin daller chercher bien loin pour sentir sa queue frémir sous la pression de son jus qui monte, pour sentir plusieurs jets bien lourds et bien chauds percuter mon torse, jusquà mon menton. Certains retombent sur son torse à lui. Et alors que son torse ondule sous leffet de la respiration et de la récupération après le plaisir, je ne peux résister à la tentation daller chercher son goût délicieux sur sa peau mate, dans les vallées de ses abdos, entre ses poils bruns qui repoussent. Et je dois me faire violence pour ne pas aller astiquer son gland humide.
Lorsque jémerge des draps, Jérém membrasse à nouveau. Je me laisse glisser sur son flanc et je le regarde en train de récupérer, il tellement beau mon beau brun après lamour.
Jérém part fumer sa première cigarette de la journée, et jen profite pour me lever enfin. Je jette un il par la fenêtre. Lhorizon qui entoure la petite maison est blanc, très très blanc. Depuis hier soir, il est tombé au moins 50 centimètres de neige. Jérém remet du bois dans la cheminée, et ravive le feu. Je crois quil en a remis pendant la nuit, mais je ne me suis rendu compte de rien.
Et jen profite enfin pour passer à la salle de bain et prendre mes médocs discrètement. Mais pas assez. Une boîte remplie de gros comprimés qui glissent les uns sur les autres fait toujours son bruit.
« Ten as jusquà quand ? je lentends me questionner depuis le petit séjour.
Trois semaines, je lui réponds en mapprochant de lui.
Si tu savais comme ça me fait de la peine de te voir prendre ça ! »
Son regard est triste, affecté. Cest exactement ce que je voulais éviter, éviter de gâcher ce matin heureux de bonheur intense.
Je tente de faire bonne figure, je le prends dans mes bras.
« Tu sais, Jérém, je nai rien ! Ces médocs ne sont quune précaution. A tous les coups le gars navait rien. Et avec ces médocs ça va encore réduire un risque très faible. Il ne faut pas que tu te prennes la tête comme ça !
Je sais, mais
Cest pas toi qui mas dit de coucher avec ce gars.
« Cest beau ! » sexclame Jérém en regardant par la fenêtre, avec le ton et lattitude fébriles dun gosse le matin de Noël. Je le rejoins aussitôt et je regarde avec lui, joue contre joue.
« Cest beau ! je lance à mon tour.
Oui, mais on nest pas sorti de lauberge, cest bien le cas de le dire ! » il tempère.
Cest vrai quen regardant lépaisse couche blanche qui encombre la cour, et ment le petit chemin qui depuis la route départementale mène à la petite maison, on a limpression quon va être coupés du monde pendant un moment. Ceci dit, lidée davoir mon beau brun rien que pour moi pendant un temps indéfini est une perspective qui ne me déplaît pas du tout.
Nous passons à la douche lun après lautre. Lenvie de la prendre ensemble ne manque pas, mais lexigüité de la cabine rend cela compliqué . En fait, cest plutôt une cabine pour faire lamour à deux que pour prendre une douche à deux.
Je passe en premier. Et pendant que Bobrun passe à son tour sous leau, jen profite pour préparer le petit déj. Il revient de la salle de bain habillé dun jeans et dun t-shirt blanc tout propre, parfaitement tendu sur ses épaules, sur ses pecs, sur ses biceps, son éclat créant un contraste détonnant avec sa peau mate et inspirant chez moi de chauds frissons. Le café vient de monter, le pain est grillé, beurré et tartiné de confiture.
« Ah bah, cest le luxe ce matin !
Prends ton café, chéri, je lui dis en lui servant la boisson chaude.
Jai très faim ! il sexclame.
Nous navons pas trop mangé hier soir.
Et nous avons beaucoup fait lamour ! il me lance. Ça ouvre lappétit, ça !
Cest clair ! »
Le beau brun att une tartine et en croque une grande bouchée. Une deuxième bouchée suffit à la faire disparaître. Une deuxième tartine y passe en quelques secondes. Bobrun prend son petit déj avec un bonheur manifeste, très concentré sur le plaisir apporté par la nourriture, lair dapprécier à fond, comme sil navait pas mangé depuis des jours. Je trouve son côté bon vivant très sensuel. Je ne peux quitter du regard ce gars à la beauté presque surnaturelle. Et pourtant, malgré la folle attirance que je ressens pour lui, je sais désormais que lessentiel de ce qui me lie à lui est ailleurs. Jaime ce gars pour ce quil est, parce que je ne suis jamais aussi bien que lorsque je suis avec lui.
« Tu comptes rester planté là à me regarder pendant que je prends mon petit déj ? il finit par me lancer, entre une gorgée de café et une troisième tartine, le petit sourire taquin en coin, le clin dil ravageur.
Oui, peut-être
Et tu fais quoi, là, au juste ?
Je me disais juste que je suis fou de toi.
Viens là, il me lance, approche ! »
Je contourne la table sans attendre. Et dès que je suis à sa portée, sa main att la mienne, mattire contre lui avec un geste rapide, fougueux. Jérém enserre ses bras autour de ma taille et plonge son visage dans mon t-shirt, à hauteur de mon ventre.
« Câlin ? je lui demande, touché, ému.
Câlin ! » il me répond, touchant au possible.
Je me penche sur lui, je plonge mon visage dans ses cheveux bruns encore humides, et je le serre à mon tour dans mes bras à hauteur de ses épaules solides. Je pose des bisous sur son oreille, sur sa joue, dans son cou.
Jérém soulève mon t-shirt et entreprend de poser des bisous légers et terriblement sensuels juste au-dessus de lélastique de mon boxer. Je sens son souffle, la douceur de ses lèvres qui caressent, le piquant de sa barbe qui chatouille. Et cela déclenche dintenses frissons dans tout mon corps.
« Tu vas encore me faire bander ! je lui lance.
Vas-y bande petit mec ! »
Et, ce disant, il défait ma braguette et prolonge ses baisers sur le coton désormais tendu de mon boxer. Mon excitation monte en flèche. Et lorsque ses deux mains font glisser mon jeans et mon boxer le long de mes cuisses, lorsque je sens ma queue jaillir à lair libre, jai terriblement envie de jouir. Mais lexcitation est vite contrariée par la peur que Jérém veuille se passer des nécessaires précautions.
« Jérém ! je le rappelle à lordre.
Tinquiète, je vais juste regarder et caresser ! »
Et en effet, pendant un bon petit moment, le bobrun caresse mes couilles, ma queue, il fait des bisous, il laisse traîner sa langue. Sans jamais effleurer mon gland, il me chauffe à blanc.
Puis, soudain, il remonte mon boxer, il se lève de la chaise, et part sallonger sur le lit. Il sinstalle en position demi-allongée, épaules appuyées à nos deux oreillers superposés. Puis, en dégainant le regard le plus coquin qui soit, il passe sa main droite sous son t-shirt, le fait remonter un peu, en dévoilant au passage lélastique du boxer ainsi quune partie du relief incroyable de ses abdos.
Et alors que sa main cachée sous le coton immaculé caresse négligemment sa peau mate au-dessus de son nombril, son regard me cherche, maimante, mattire, menflamme.
Au bout dune poignée de secondes, je nen peux plus, jai trop envie daller le rejoindre et de faire encore lamour avec lui. Mais lorsque jamorce le mouvement pour quitter ma chaise, le bogoss me lance, dun ton ferme :
« Reste assis ! »
Tout en mintimant cet ordre, il déboutonne son jeans, il lenlève carrément, tout comme le boxer. Il dégaine sa belle queue tendue et commence à la branler sans me quitter du regard, le coquin.
« Jai envie de toi ! je lui lance, frémissant de désir, ne tenant plus en place.
Assis, jai dit ! »
Et là, le bogoss att une capote dans la boîte posée sur la table de nuit, ainsi que le tube de gel. Il jette tout ça sur le lit, entre ses pieds. Puis il me regarde, lil coquin, le regard brun et charmeur, lattitude terriblement érotique. Je ny tiens plus, je me précipite vers le lit, je grimpe dessus. Je déchire lemballage de la capote, je latt entre mes doigts et je me prépare à la lui passer. Et là, le bogoss me repousse doucement mais fermement.
« Cest toi qui vas me faire lamour, Ptit mec
»
Ah, cest de ça dont il a envie ! Alors, jen ai envie aussi. Cest simple, jai envie de tout ce dont il a envie. Je me déshabille en vitesse, je me glisse sur lui, je lembrasse comme un fou. Nos regards se croisent, se figent lun dans lautre.
« Tu es beau, Ourson !
Et toi, alors ?
Ça je sais, ça fait des années quon me le dit, il crâne exprès pour me faire râler.
Petit con, va ! »
Son beau sourire amusé me rend dingue.
Sentir sa rondelle se relâcher au passage de mon gland et se resserrer autour de ma queue est une sensation indescriptible. Je commence de le limer, et mon plaisir monte très vite. Et voir, sentir son corps musclé frémir sous mes assauts, cest juste délirant. Jérém prend son pied, et il est aussi avide de bisous. Je narrive toujours pas à croire que mon beau mâle brun a désormais envie de ça aussi, parfois. Je ne peux cesser de contempler son visage frémissant de bonheur. Nos regards finissent par saccrocher, se figer lun dans lautre. Quand les regards se croisent et se figent pendant lamour des corps, sans pudeur, sans crainte, cest que lamour des esprits est là aussi.
Je jouis longuement, je jouis comme un fou, un fou amoureux.
Mon beau et adorable Jérém vient en moi à son tour, me remplit de sa virilité débordante, me fait me sentir à lui comme personne dautre na su le faire.
Et pendant que le bogoss au t-shirt blanc moulant me fait lamour, nos lèvres fébriles se cherchent toujours. Mes mains tout aussi fébriles nont de cesse de tâter ses biceps, ses épaules, ses pecs dacier, comme pour mimprégner de sa beauté, de sa virilité.
Lespace dun instant, lorgasme vient ravager dune intense grimace sa belle petite gueule de mec.
« Jespère que les autres ne se sont pas inquiétés hier soir, je considère, pendant quil fume cette cigarette qui est depuis toujours une sorte de générique de fin de nos ébats.
Non, je ne pense pas. Ils ont dû se douter quon a été bloqués par la neige. Elle était annoncée. »
Cest là quun ronronnement commence de se faire entendre. Cest un bruit qui monte en intensité, comme si un engin motorisé était en train de se rapprocher. Pas une voiture, quelque chose de plus gros.
« Cest quoi, ça ? je métonne.
Les secours, je pense, fait Jérém avec un beau sourire. Ils arrivent pile au bon moment, ils nous laissé le temps de faire lamour !
Cétait tellement bon !
Grave ! »
Nous revenons à la petite fenêtre. Pendant quelques instants, le bruit continue daugmenter dintensité sans que sa source se présente devant nos yeux. Jusquà ce que la silhouette dun tracteur bleu avec un chasse neige à lavant napparaisse à lentrée de la petite cour.
« Jétais sûr que cétait lui !
Lui, qui ?
Benjamin !
Benjamin ? je métonne.
Benji, mon pote qui fait du fromage !
Ah, oui, ton pote
»
Je ny étais pas du tout. Le prénom Benjamin évoque désormais pour moi de mauvais souvenirs.
« Merde ! » je lentends lâcher, tout en se précipitant vers la table de nuit pour faire disparaître la boîte de préservatifs. Je laide à ramasser les capotes et les emballages de la nuit et à arranger le lit.
Jérém sort pour accueillir son pote. Malgré la température pas vraiment engageante, je le rejoins. Mon beau brun fait des grands signes avec ses bras, et son pote semble le saluer de la même façon joueuse derrière son parebrise. Jérém a lair heureux. Jadore le voir si heureux.
Le tracteur avance dans la cour et sarrête à proximité de la voiture de Jérém. La porte souvre et le pote barbu descend, toujours aussi gaillard.
« Eh, les gars, ça va ? il nous lance en approchant.
Tu peux pas savoir comment je suis content de te voir ! fait Jérém.
Je me doute
surtout de voir mon chasse-neige, je pense ! »
Jérém sourit.
« Jai vraiment de super amis
se marre le barbu, mais jen ai deux fois plus après une bonne neige !
Cest ça ! » fait Jérém. Les deux potes se font la bise. Puis, cest à mon tour de recevoir la bise de la part de Benjamin, de sentir le contact avec sa barbe douce.
« Charlène ma appelé ce matin, et elle ma dit de passer voir si vous étiez toujours vivants, il nous explique.
Eh bien, nous le sommes, comme tu le vois
tu veux un café ?
Cest pas de refus
je me suis levé de bonne heure pour faire du "ménage ".
Je ne savais pas que tu nettoyais les routes, fait Jérém.
Jai passé un deal avec la mairie il y a deux ans, ils ont acheté loutil et ça me permet darrondir mes fins de mois lhiver. Sinon, ça a été votre réveillon, les gars ?
Vite fait, tu sais, on navait pas grand-chose à bouffer et le courant était encore coupé.
Chez moi aussi ça avait coupé, mais il est revenu dans la nuit. Et ici ?
Non, il ny a rien du tout.
Vous avez de quoi bouffer, les gars ?
Pas vraiment
Comme hier soir tout a été annulé, Charlène fait un repas chez elle ce midi pour manger la bouffe qui était prévue
Même si tu as déneigé, je ne sais pas trop si cest une bonne idée de partir chez Charlène. Sil neige à nouveau, on va être bloqués chez elle, fait Jérém.
Tranquille, mec, je vous y emmène !
En tracteur ? je fais, par reflexe, étonné.
Oui, en tracteur. Il faudra se serrer, mais ça va aller, il fait avec assurance. »
Dans la cabine exigüe du tracteur de Benjamin, la proximité est telle quelle ressemble à de la promiscuité. Je sens lodeur de la lessive de ses vêtements, je détaille de très près son profil, sa mâchoire carrée, sa belle barbe rouquine. Je regarde Benjamin comme une sorte contemplation du masculin. Mais je regarde mon Jérém avec cet émoustillement, cette émotion, cette tendresse, ce désir, cette soif de lesprit quinspire la personne quon aime et avec qui on vient de faire lamour.
Les deux potes discutent pendant tout ce voyage au ralenti vers le centre équestre de Charlène. Pendant ce temps, je regarde le paysage dun blanc immaculé. Le ciel est couvert, on dirait quil va neiger à nouveau.
Au centre équestre, laccueil de Charlène est comme dhabitude très chaleureux.
« Je suis heureuse de vous voir les garçons ! fait-elle en nous claquant la bise.
On dirait quon ne sest pas vus depuis des mois ! On sest vus avant-hier !
Depuis quil a quitté le Sud, on dirait quil est devenu con, non ? fait Charlène, en faisant semblant de me prendre à parti, mais avec humour et bonhomie.
Quoi ? » fait Jérém, amusé.
Quest-ce que jaime le voir si complice avec Charlène, le voir réagir comme un gosse avec sa mère.
« Jai eu tout le temps de minquiéter hier soir, banane ! Pendant que je passais ma soirée toute seule avec mes chiens ! Tu parles dun réveillon !
On na pas bougé de la maison, fait Jérém.
Ça je me doute ! Vous aviez au moins de quoi bouffer ?
Cétait pas copieux, mais on a fait avec.
Allez, on va se rattr à midi avec les autres.
Qui vient ? demande Jérém.
Presque tout le monde, je pense. »
Charlène nous propose un café que nous acceptons volontiers. Jérém demande à pouvoir utiliser le téléphone pour appeler son frère Maxime. Jen fais de même, pour appeler maman et lui souhaiter la bonne année.
Après la pause-café prolongée, nous nous rendons à lécurie. Lodeur typique de cet endroit, un mélange dodeur de fourrage, de crottin et du cuir des harnachements monte très vite à mes narines, cest presque la signature olfactive de mon bonheur. Jérém file direct faire des papouilles à Bille, Téquila et Unico. Je ressens une immense tendresse en le voyant poser sa chevelure brune contre lencolure tout aussi brune dUnico, et lorsque ce dernier semble se frotter tout doucement contre son cavalier, comme en quête de câlins.
Nous aidons Charlène à terminer de soigner les chevaux, puis à évacuer quelques brouettes de fumier des box. A nous quatre, ça va vite. Nous sommes complémentaires. Charlène a de la technique, mais elle manque de force. Jérém a de la force, mais il me semble quil manque de technique. Surtout quand je le compare à Benjamin qui, en bon éleveur, cumule la force et la technique dans ce genre de tâche, quil exécute à une allure dingue. Quant à moi, jai de la bonne volonté, mais il ny a pas de quatrième fourche. Alors je mattèle à vider les brouettes sur le tas de fumier. La corvée se fait dans la bonne humeur, et elle se termine bien trop vite pour moi.
Nous venons tout juste de ranger les fourches et la brouette lorsquune sonnerie sonore retentit dans lécurie.
« Je vais répondre », nous annonce Charlène.
Elle revient une minute plus tard pour charger Benjamin daller délivrer Ginette et son mari bloqués par la neige.
« Jy vais, fait le grand gaillard.
Tu es notre ange gardien, fait Charlène, il ne te manque que les ailes !
Mais jai un chasse-neige, et ça suffit pour avoir ce titre ! » il plaisante, en déclenchant le rire sonore de Charlène.
Benjamin vient de partir et Charlène demande à Jérém de sortir l« appalooza » de son box pour lui faire faire un tour dans le manège couvert. Elle soupçonne un problème de pied, et elle voudrait avoir un avis extérieur. Le bobrun sexécute. Il selle léquidé en question, un mâle castré à la robe noire à lavant et blanche tachetée à larrière, le conduit dans le carré de travail et commence de le faire tourner en longe, au pas.
Charlène et moi nous tenons un peu à lécart. Le bruit léger du sabot sur le sable est apaisant. Regarder mon Jérém tout concentré à la tâche mattendrit.
« Alors, mon petit Nico, ça a lair de bien se passer avec notre rugbyman préféré ! me glisse Charlène discrètement.
Très bien, très bien, cest vrai
Ça me fait plaisir de vous revoir ensemble, tu as lair heureux, et lui aussi.
On nest jamais aussi heureux quensemble et ici, loin de tout.
Vous devriez venir plus souvent, alors !
Si seulement on pouvait
En tout cas, je suis rassurée. Javais peur que la distance ne vous éloigne.
Tu sais, Charlène, depuis la dernière fois que nous sommes venus ici, ça na pas toujours été facile
Je me doute bien. Quand Jérém est sous pression, il nest pas facile à vivre
Il a eu quelques difficultés, au début, je considère.
Oui, y a pas mal de choses quil navait pas anticipées.
Il ten a parlé ?
Oui, il mappelait assez régulièrement. A Paris, il a eu du mal à trouver sa place. A Toulouse, il avait ses potes. A Paris, il navait personne. Il est arrivé comme une fleur dans une équipe constituée et on ne la pas vraiment accueilli à bras ouverts. A Toulouse il était The Jérémie Tommasi, lun des meilleurs joueurs de son équipe. A Paris, il nétait plus quun gars parmi tant dautres. Il était le dernier arrivé, celui qui avait du mal à faire ses preuves. Il a cru quil trouverait facilement sa place, mais il lui a fallu ramer. »
« Au trot, allez, au trot ! » jentends mon bobrun lancer à lappalooza. Le bruit cadencé des sabots qui foulent le sable se fait plus sonore, plus rapproché.
« Tu dois ten être rendu compte, continue Charlène, mais Jérémie est quelquun qui aime bien briller. Il aime être remarqué, admiré. A Toulouse il y arrivait presque sans effort, et ça le faisait se sentir bien. Jérémie aime se sentir le meilleur et montrer quil na besoin de personne. Mais, au fond de lui, cest tout le contraire. Ce dont il a le plus besoin, cest du regard des autres. Jérém na jamais eu de reconnaissance de ses parents. Sa mère est partie quand il nétait quun gosse et son père est quelquun de très dur. Il a eu une enfance difficile à lécole. Il sest construit dans le regard des autres. Sans ce regard, il se sent un moins que rien. »
« Galop ! Galop ! Galop ! » jentends mon Jérém lancer. Sa voix claque et se diffuse dans le grand espace, estompée par le sol en sable et la structure en bois. Le bruit rythmé et très rapproché des sabots qui tapent le sable gagne encore en puissance, résonne dans le grand espace, se transmet par le sol, jusquà mes pieds, mes jambes. Il est accompagné par le crissement du cuir de la selle et des harnachements secoués à chaque foulée.
« Jérémie aime bien frimer, se montrer sûr de lui, continue Charlène, les yeux rivés sur lappalooza.
Cest lidée quil se fait dun "vrai mec ". Cest lidée que son père lui a fichu dans la tête. Lidée que, quand on est un bonhomme, il ne faut surtout ne jamais montrer ses faiblesses. Alors il a foncé là-dedans. Il sest construit une image, celle quil voulait renvoyer de lui, une image qui lui offrait des regards admiratifs, et avec laquelle il se sentait bien. Le fait est que quand on veut montrer autre chose que ce que lon est, on se condamne à jouer un rôle, sans jamais pouvoir en changer, sous peine de décevoir, et de recevoir par la même occasion un retour du bâton insupportable. Plus on séloigne de qui on est vraiment, plus cest difficile de faire marche arrière.
Cette image de jeune premier quil sétait construite dans sa tête sest fracassée sur la réalité de Paris, et ça lui a mis un sacré coup au moral. Jérém est trop orgueilleux pour ladmettre, mais parfois, je crois bien quil aimerait pourvoir lâcher prise, et se laisser porter.
Être "quelquun dautre", cest épuisant, surtout quand on narrive plus à tenir le rythme. Parfois lénergie manque, mais les attentes des autres poussent à continuer à renvoyer cette image fausse. On ne veut pas dévoiler le mensonge. Et on devient prisonnier de limage quon sest construite. On devient prisonnier de soi-même.
Ça a dû être plus dur que je le pensais pour lui, je considère. A moi, il ne ma pas dit tout ça. Quand ça ne va pas, il se ferme comme une huître et il me tient à distance ! Jai beau attendre, faire profil bas, ou bien essayer dêtre présent, rien ne marche !
Notre rugbyman a sa fierté, il ne doit pas être vraiment à laise à lidée que tu le voies en position de "faiblesse". Et pourtant, je ne pense pas trop me tromper en disant que si tu laimes, cest justement parce que tu as vu que derrière sa carapace, il y avait un garçon qui a besoin de se sentir aimé, non ?
Non, tu ne te trompes pas, pas du tout !
Pour aimer vraiment, il faut le connaître lautre. Être amoureux, cest facile. Quand on est amoureux, on est simplement en extase devant une image idéalisée, fantasmée. Mais si après avoir découvert les défauts et les faiblesses de lautre, on a toujours envie dêtre avec lui plus quavec nimporte qui, je pense quon peut dire que lamour est là .
Je pense que lamour est là, alors. Jétais attiré par lui parce quil est très beau garçon. Jétais amoureux de lui parce que sa présence me faisait me sentir bien. Mais jai vraiment commencé à laimer quand jai compris que son allure de frimeur nétait quune façon de cacher ses peurs. Et depuis ce moment-là, jai eu vraiment envie dessayer de laider. Mais il ne veut pas de mon aide. Et je commence à penser quon ne peut pas aider quelquun juste parce quon laime ».
« Au pas
eh ! Ooooh ! Au pas ! Au pas ! » semporte le bobrun pour ralentir léquidé trop fougueux.
« Jérém ne souvre pas parce quil ne saime pas, elle continue, et il pense ne pas être digne de lamour quon pourrait lui porter. Il a peur de lamour, et sa façon de refuser de se dévoiler, est une façon de garder lamour à distance. Mais toi, il na pas pu te garder à distance
»
« Hep hep hep hep hep !!! elle sempresse de crier en voyant Jérém mettre un pied à létrier.
Quoi ? fait mon bobrun sur un ton agacé en remettant son pied à terre.
Tu poses pas ton cul sur la selle sans la bombe !
Je vais juste faire un petit tour !
Petit tour ou pas, tu mets la bombe ! fait Charlène en se dirigeant vers un pan de mur où plusieurs casques sont accrochés.
Allez, me casse pas les couilles, tata !
Ne mappelle pas tata ! Et je te les casse si je veux ! Att ça !
Tes vraiment chiante ! fait Jérém en se saisissant de la bombe que Charlène vient de lui lancer avec un geste brusque, et en la passant sur sa tête avec des gestes tout aussi emportés.
Tête de mule ! lui lance Charlène.
Ta gueule ! » lâche Jérém en montant en selle avec un élan à la fois puissant et tout en souplesse.
« Au pas ! » fait le bobrun en accompagnant la voix par un tout petit coup de talon dans le flanc.
Lappalooza se met à avancer.
« Regarde-le comme il est beau en selle ! fait Charlène. Il a une position magnifique, le buste un peu penché vers larrière, droit comme un "I", le menton dégagé, les épaules à la fois bien placées et souples, les mains à la bonne hauteur, les rênes courts mais souples, le bassin souple lui aussi, les genoux écartés juste ce quil faut, en contact parfait avec lanimal.
Cest vrai que mon Jérém à cheval dégage une aisance et une élégance certaines. Il est très sexy.
Il monte super bien, mais il monte vraiment comme un mec, elle ajoute.
C'est-à-dire ?
Les mecs montent en général avec une attitude dominante vis-à-vis du cheval. Regarde-le, il ne lui laisse rien passer, il le corrige dès quil bouge une oreille. Alors que nous, les nanas, on est plus dans lécoute et dans lempathie
Je vois
Jérém est un mec, et il raisonne comme un mec. Pas étonnant quil réagisse comme un con quand ça ne va pas fort pour lui
Mais être avec quelquun cest ça aussi, non ? Lui parler, chercher son soutien et accepter son aide quand ça ne va pas
Sinon ça sert à quoi dêtre avec quelquun ?
Moi perso, je vois les choses de cette façon
mais moi je suis une nana, elle rigole.
Peut-être quil ne me fait pas confiance
Je ne pense pas que ce soit une question de confiance, mais de pudeur, et de fierté, je dirais même de fierté mal placée. »
Jérém vient de passer lappalooza au trot et la lente ondulation de son bassin sur la selle est plutôt suggestive.
« Il nétait pas préparé à supporter tant de pression sur lui, elle continue. Il ta dit quil a failli tout quitter ?
Je sais quil voulait quitter les études
Non, il voulait carrément tout plaquer et revenir à Toulouse ! Il na pas tardé à se raviser, mais il y a pensé pendant un temps.
Cétait dur pour lui de te dire de ne pas aller le voir à Paris, elle enchaîne. Lui aussi crevait denvie de te voir. Mais il ne voulait pas prendre le risque quon sache quil est homo. Il naurait pas supporté une pression supplémentaire. Alors il allait faire la fête avec ses potes.
Et il couchait avec des nanas !
Oh oui, ça alors ! Il ma dit ça, oui, ce grand couillon. Quil couchait avec des nanas pour que les gars lui fichent la paix.
Ouais
La première fois que tu es allé le voir à Paris, apparemment il ta fait sortir avec lui et avec ses potes.
Oui, cest exact
Je ne sais pas sil te la dit, mais cet élan de confiance la exposé aux railleries de ses potes. Comme il navait pas de nana à présenter et quil ne couchait pas avec les nanas qui lapprochaient, ils ont vite fait de se poser des questions. Ça le minait, et ça lempêchait davancer dans son intégration à léquipe. Et ça avait empiré quand il sétait fait draguer par ce gars et
Qu-quoi ? je la coupe net.
Ah
il ne ta pas raconté ça
Non, je ne crois pas ! Cest quoi cette histoire ?
Ça me gêne de ten parler, vu quil na pas voulu le faire lui-même.
Tu en as trop dit maintenant !
Du calme, Nico, il ny a pas de quoi saffoler. Jérém ma dit quil ne sétait rien passé avec ce gars.
Mais cétait qui ce type ?
Un gars qui lui avait fait des avances dans les chiottes dun bar où il était avec ses potes
Il voulait baiser avec lui, quoi
elle précise, en captant mon regard ahuri. Mais Jérém na pas voulu. Et en plus, lun de ses co-équipiers, a débarqué et a surpris leur conversation
Qui, ça ?
Je ne sais plus, un petit con qui narrête pas de le faire chier
Léo ?
Oui, cest ça, Léo
Il est toujours là pour faire chier, celui-là !
Evidemment, il est allé raconter ça à tout le monde, ce qui navait rien arrangé dans la tête de Jérém. »
Je suis scié. Et ça doit sacrement se voir sur ma tronche puisque Charlène sempresse dajouter :
« Ne ten fais pas une montagne, Nico, ok ? Je suis certaine que sil ne ten a pas parlé, cest justement pour ne pas tinquiéter. Il me laurait dit sil sétait passé quelque chose, il na aucune raison de me mentir. De toute façon, Jérém est un très beau garçon. Tu dois ten douter, il attire les regards, ceux des nanas comme ceux des mecs. Et depuis que grâce à toi il a pris conscience quil aime les mecs, il doit désormais plutôt regarder de ce côté-là. Et il doit parfois se faire repérer. Toi aussi tu dois regarder les beaux garçons à Bordeaux, non ? Et parfois, il doit y en avoir qui sont sensibles à tes regards
»
Le beau brun vient de faire passer sa monture au petit galop. Il est vraiment beau en selle, tout concentré sur sa tâche.
« Cest vrai, ça arrive.
Pour lui, cest pareil. Alors, soit, vous vous faites confiance, soit vous devenez fous tous les deux. Sans confiance, il ny a pas de relation, surtout à distance.
Il ta parlé de son idée de couple libre ?
Oui, il men a parlé. Et tu sais pourquoi il men a parlé ?
Non
Parce que ça le faisait flipper à mort !
Flipper ?
Comme il couchait avec des nanas, il ne pouvait pas tempêcher de coucher avec dautres gars. Alors il a eu cette idée du couple libre. Mais ça le faisait vraiment chier, et pas quun peu !
Alors il ne fallait pas proposer ça !
Dans sa tête, il avait imaginé que ces "à côté" ne gâcheraient pas ce quil y a entre vous. Il avait pensé quil arriverait à gérer ça, mais lidée que tu puisses coucher avec dautres gars ne passait pas. Ça le tracassait beaucoup que tu puisses te faire draguer à Bordeaux Il ma dit que tu lui avais déjà montré que tu pouvais plaire à dautres mecs quand il nétait pas assez présent dans ta vie.
Cest vrai, mais personne na compté à part lui.
Plus il essayait de sintégrer à léquipe, elle continue, plus il sortait faire la bringue avec ses potes, plus il avait limpression de séloigner de toi. Il essayait de prendre sur lui, mais ça le tourmentait. Et cétait plus facile à assumer quand il ne te voyait pas. Même tappeler cétait devenu difficile pour lui. Il te sentait de plus en plus triste, en souffrance, en colère contre lui. Il avait peur quà force de te demander des efforts, un jour tu allais en avoir marre et que tu allais le quitter. Et ça, il naurait pas supporté. Jérém a trop souffert de labandon pendant son enfance, et il a trop peur de revivre ça. Il ne peut pas supporter lidée quon le laisse tomber. Et surtout pas toi. Tu comptes vraiment pour lui, nen doute pas. Crois-moi, il avait tellement peur de te perdre !
Sil a couché avec des nanas, cest dabord pour faire taire les rumeurs autour de lui. Il a voulu montrer à ses potes quil était comme eux, fêtard et hétéro. Cétait sa façon de se faire respecter.
Il avait aussi besoin de retrouver un peu de confiance en lui, alors quil doutait de plus en plus de ses capacités en tant que joueur de rugby. Il ne trouvait plus de regards admiratifs autour de lui, et il a voulu au moins se sentir désiré en tant que mec. Et ça le rassurait de voir quau moins ça, ça ne changeait pas par rapport à Toulouse.
Jérém vient de faire tomber deux vitesses à sa monture, lappalooza est désormais à nouveau au pas.
« Bref, à Paris il a voulu sétourdir avec les sorties, lalcool, le sexe, continue Charlène, tout en fixant les jambes du cheval. Et ça laidait à ne pas trop penser à quel point tu lui manquais, à quel point il avait mal de te faire souffrir, et à quel point il ne sentait pas à la hauteur de tes attentes
Il ne sentait pas à la hauteur de mes attentes ?
Tu aimes Jérém et tu as envie de construire une vie de couple avec lui. Mais pour linstant, il ne peut pas te donner ça.
Je ne lui ai jamais demandé ça !
Peut-être, mais cest ce que tu veux, au fond de toi, non ?
Oui, cest vrai
Jérém la senti, et ça le rendait triste de ne pas pouvoir tapporter tout ça.
Parfois jai limpression que je my prends comme un pied avec lui
Pour faire face à une personnalité difficile comme la sienne, je pense que tu pourrais déjà essayer de comprendre les craintes et les appréhensions qui motivent ses comportements. Ici vous êtes loin de tout, comme tu las dit, et vous êtes surtout ensemble. Mais dans quelques jours, vous serez à nouveau séparés. La distance sera toujours difficile à gérer. Jérém sera toujours difficile à gérer quand il sera sous pression. Et il le sera, sous pression, encore et encore. Je pense que tu ne dois pas te leurrer en te disant quaprès ces vacances tout sera différent entre vous parce que vous vous êtes retrouvés. Dans les mois à venir, vous rencontrerez les mêmes difficultés.
Les mots de Charlène font écho aux conseils de Thibault, de Denis et dAlbert. Pourquoi je nai pas su en faire meilleur usage ?
« Tu ne le changeras pas, du moins pas tout de suite, elle continue. De toute façon, quand on aime, on nessaie pas de changer lautre. On essaie de le comprendre, et on essaie de faire avec. Tu dois être prêt à accepter de sa part des changements progressif ou incomplets. Tu dois exprimer tes besoins et tes limites, et tu dois le pousser à exprimer les siens. Parce que, nous le savons tous les deux, il ne le fera pas de son propre chef. Mais nessaie pas de lui faire la morale. Pense à ce qui est essentiel pour toi dans cette relation, dis-lui clairement ce qui est insupportable pour toi, et tiens bon sur ce point .
Jérém est heureux quand il est avec toi. Je pense quil se sent plus fort quand vous êtes ensemble. Grâce à toi, il sait désormais qui il est et il la accepté. Mais il nest pas habitué à se sentir aimé et ça lui fait toujours peur. Le rugbyman a besoin dêtre rassuré
Je vais essayer de le rassu
Chut, il arrive !
Cest quoi ces messes basses, vous deux ? nous questionne Jérém, lair à la fois amusé et intrigué.
On parlait géopolitique, se marre Charlène.
Cest ça, oui
prends moi pour un con !
Alors, tu en dis quoi de ce cheval, mon cher Jérém ?
Je pense quil na rien, à part des aplombs de merde
Cest ce que je pense aussi. Ça me fait plaisir quon arrive à la même conclusion. Je vais en parler à son propriétaire. Merci mon grand, le la bombe te va à merveille !
Mais ta gueule !
Ah, bah, tiens voilà les Toulousains ! jentends une voix féminine bien connue nous lancer. Carine est là.
Tu devrais plutôt parler dun Parisien et dun Bordelais désormais » fait JP.
Cest toujours un plaisir de revoir ces gens sympas. Car ce sont vraiment des gens charmants, chacun à leur façon. Carine est une nana attachiante. JP est un gars très bienveillant.
Autour dun véritable repas de fête, nous retrouvons la plupart des cavaliers.
« Ça fait plaisir de vous revoir les garçons ! » nous lance Martine avec sa voix naturellement amplifiée au mégaphone, en nous claquant des bises sonores. Avec son rire franc, son exubérance, son humour, son énergie, elle est une sorte de tornade de bonne humeur contagieuse.
Arielle est là, avec son immanquable quiche ratée.
« Personne ne lui a dit que pour un repas de Premier de lAn, elle pouvait faire autre chose ? fait Daniel en sadressant à Charlène dune façon théâtralement discrète.
Ou bien que pour un repas de Jour de lAn elle aurait pu sabstenir ? relance JP, tout aussi moqueur.
Même le Premier de lAn vous vous foutez de ma cuisine ?
Mais regarde la tête de cette quiche ! Tu nous donnes le bâton pour te battre ! fait Martine.
Je ne sais pas comment fait ta fille qui est obligée de manger au moins un repas par jour à la maison
enchaîne Satine.
Elle na pas le choix
cest ça, ou dépérir ! » surenchérit Martine.
Nadine ponctue cet échange avec ses rires tonitruants et interminables. Benjamin, qui est revenu depuis, a pris place à côté delle et semble tenter dinstaller une complicité avec la jolie blonde.
Ginette et son mari, les aînés de lassemblée, comptent les points.
Florian vient de se pointer avec un gars. Il fait les présentations entre les cavaliers et son Victor.
« Alors, raconte-nous, Florian
où tu es allé débusquer un si beau garçon ? fait Carine.
En Pologne
Tu es Polonais, Victor ? elle minaude.
Ah oui, fait le bel étranger.
Et tu viens darriver en France ?
Non, je suis là dans ? de-depuis ? Il y a
tro
trzy
trois années, il trime.
Depuis trois ans, laiguille JP.
Depuis trois ans » il se corrige, avec un sourire charmant, avec un accent craquant, notamment autour de lintonation des voyelles. Cest un accent charmant, un accent dailleurs.
Ça ne fait que quelques semaines que nous nous sommes rencontrés, explique Florian.
Trinquons aux belles rencontres ! fait Daniel en levant son verre.
Tas pas besoin des belles rencontres pour trinquer, toi ! fait sa compagne Lola, avec cet humour décapant qui est leur marque de couple.
Tu sais que je suis un bon vivant
Très bon vivant ! »
Leur complicité est toujours aussi forte, marrante, touchante.
« Trinquons à lamour, et à lamitié, qui est aussi une forme damour. Ce sont les biens les plus précieux dont nous disposons !
Bien dit JP, sexclame Martine.
A lamitié, à lamour ! fait lassemblée.
Quelquun se souvient de cette image de la Terre prise par une sonde américaine il y a une dizaine dannées ? fait JP de but en blanc.
Quelle image ? fait Satine.
Quelle sonde ? fait Martine.
La sonde Voyager. Cet engin a été lancé dans les années 70 pour explorer les limites de notre système solaire. Il y a une dizaine dannées, il nous a envoyé une dernière photo de notre planète, juste avant que la distance nempêche les instruments den faire dautres. On y voyait une image granuleuse, sombre, avec un épais rayon de soleil au milieu. Et dans ce rayon de soleil, on y distinguait tout juste un petit point bleu pâle. Ce point pâle cétait notre Terre, qui faisait figure de minuscule grain de sable dans limmense nuit de lUnivers.
Lastronomie nous apprend lhumilité
fait Daniel, inspiré, avec une attitude de druide.
Quand on regarde ce point insignifiant dans cette grande photo, continue JP, on a presque du mal à se dire que cest là que se trouvent tous ceux quon connaît, tous ceux quon aime, ceux quon déteste, tous ceux dont on a entendu parler, et quil porte la somme de nos joies et de nos souffrances. Si je dois retenir une leçon de cette photo, cest que nous sommes perdus au beau milieu de nulle part, dans lespace et dans le temps. Perso, ça me donne le tournis.
Cest clair que ça remet les idées en place ! fait Ginette.
Tout cela devrait nous aider à relativiser pas mal de choses, fait Charlène.
Tout ça, ça nous montre que nous ne sommes pas immortels, et que rien ne nous appartient. Et que, par conséquent, nous devons respecter tout ce qui nous entoure, notre Terre et nos semblables. Et lamitié et lamour ce sont des façons de respecter nos semblables.
Des verre bien remplis aussi cest une façon de respecter ses semblables ! fait Daniel en réservant une tournée. »
Autour du dessert, un Mont Blanc très généreux en calories préparé par Charlène, Daniel sort sa guitare et ses cahiers de textes de chansons. A partir de là, tout senchaîne sans répit.
Je vais vous raconter/avant de vous quitter/lhistoire dun petit village près de Napoli/Nous étions quatre amis/Au bar tous les samedis/A chanter à jouer toute la nuit
J'habite seul avec maman/Dans un très vieil appartement/Rue Sarasate/J'ai pour me tenir compagnie/Une tortue, deux canaris/Et une chatte
Colchiques dans les prés/Fleurissent, fleurissent/Colchiques dans les prés/C'est la fin de l'été/La feuille d'automne/Emportée par le vent/En rondes monotones/Tombe en tourbillonnant
Je me sens perdre pied, jai limpression de flotter. Je ressens en moi cette douce fatigue, cette dérive délicieuse, ce lâcher prise libératoire, cette abdication provisoire de la volonté, cette impression que tout est possible et que le bonheur est là, juste devant moi. Cest leffet de lalcool.
Jai la tête qui tourne un peu, je me laisse porter par lambiance festive et chaleureuse. Jérém est heureux, je le suis aussi, tellement heureux. Depuis son « je taime » de la veille, je suis fou de lui comme je ne lai jamais encore été.
Je me sens bien et tout me paraît encore plus beau et heureux depuis que je suis pompette. Plus jamais je ne veux repartir de Campan, plus jamais. Je me sens tellement bien ici. Charlène a raison, dans quelques jours nos problèmes davant Noël vont nous rattr. Et Campan est le seul endroit où je suis sûr dêtre heureux avec mon Jérém. Ici il ne peut rien arriver à notre amour.
Porté par les vapeurs de lalcool, je dérive très vite, très loin. Je nous verrais bien tout laisser tomber et vivre ici à Campan, ensemble. Je ne sais pas de quoi on vivrait, mais je suis sûr quon trouverait et quon serait bien, jen suis sûr ! Tiens, pourquoi pas ? Jai une idée formidable ! Puisque Charlène va bientôt prendre sa retraite et que Jérém a du mal à se faire à lidée que le centre équestre pourrait fermer ses portes, pourquoi ne reprendrions-nous pas laffaire à notre compte ? Jérém est un très bon cavalier, et je laiderais, je laiderais, tout serait si simple
Florian vient dembrasser Victor dans le cou. Ils sont beaux tous les deux. Ça me fait plaisir de les voir heureux ensemble. Je regarde mon Jérém qui est en train de discuter avec Martine. Je ne peux mempêcher dattirer son attention en saisissant son bras. Le beau brun se retourne, il me regarde et me sourit. Je me penche vers lui et je lembrasse sur la bouche. Le bobrun est surpris, mais il ne se retire pas.
Il nest que 16 heures, mais le jour se retire déjà. Dehors il a recommencé de neiger. Les cavaliers sempressent de rentrer chez eux.
« Regardez ce que jai eu ce matin au magasin ! fait Martine en sortant un billet de la poche de sa veste et en lexhibant fièrement.
Cest quoi, ça ? demande Satine.
Un billet de Monopoly !
Quoi ?
Une nana ma filé un billet de 20 euros ! Mon premier !
Mon précieux ! fait Daniel en imitant la voix visqueuse et la grimace de Gollum.
En ville, les billets ont été changés pendant la nuit
lance JP.
La nana venait de Bagnères. De la civilisation, quoi ! »
Peu à peu le grand séjour se vide et la magie de cette belle journée sévapore. Je suis triste que ça se termine déjà, cette chaleur humaine est addictive, ça fait du bien et jen redemande. Quest-ce que ça fait du bien de faire la bringue avec des gens aussi sympas ! Je ne veux pas laisser les fêtes se terminer, je nai pas envie de méloigner à nouveau de Jérém.
« Tu nous ramènes, Benji ? fait ce dernier.
Allez, on y va, répond le beau barbu.
Ah non, vous ny allez pas, non, fait Charlène sur un ton péremptoire.
Quoi, tu vas nous mettre au box ? fait Jérém, railleur.
Sil le faut, oui ! Il va reneiger et je ne veux pas vous savoir là-haut isolés et sans courant ! Vous restez dormir ici cette nuit, cest non négociable !
On a du bois, on va pas mourir de froid !
Vous ne bougez pas dici, cest tout !
Dis plutôt que tas besoin dun coup de main aux chevaux parce que tu tes pété le bide à midi ! la taquine Jérém.
Eh, petit con, de quoi je me mêle ! Bon, daccord, il y a un peu de ça aussi
»
Après ce petit échange damabilités, Jérém finit par accepter, et avec plaisir, la proposition de Charlène « coup de main contre gîte et couvert pour la nuit ». Ça me fait tellement plaisir de jouer un petit peu les prolongations de cette belle journée. Nous finissons les restes de midi et nous passons la soirée en jouant au rami tout en ignorant un indigeste vidéogag de lannée qui défile à la télé avec laudio coupé.
« Cest vrai que tu tes fait draguer par un gars, à Paris ? je ne peux mempêcher de questionner Jérém lorsque nous nous retrouvons seuls dans la chambre damis de Charlène.
Doù tu sors ça ?
Charlène
Mais elle ne sait pas tenir sa langue !
Ça lui a échappé
Celle-là, je te jure !
Alors, cest vrai ?
Ouiiiiiii, cest vrai
Pourquoi tu ne men as pas parlé ?
Parce que cétait déjà très compliqué entre toi et moi, je ne voulais pas en rajouter. Et surtout parce quil ne sest rien passé.
Il était beau ?
Pas mal
Pas mal ou
plutôt sexy ?
Daccord, il était plutôt sexy.
Et ça ta fait quoi de te faire draguer par un mec ?
Ça ma mis en rogne. Le gars était insistant. Et en plus ce con de Léo est arrivé pendant que je lenvoyais balader. Et il en a fait tout un foin avec les autres gars. Il ma fait chier, putain !
Et si tu navais pas été avec tes potes ?
Tu veux savoir si jaurais eu envie de coucher avec lui ?
Cest le sens de ma question, oui.
Je nai pas envie de coucher avec dautres gars, Nico. Cest de toi dont jai envie. Jai couché avec des nanas pour faire comme les autres. Mais cest à toi que je pensais
Moi aussi jai toujours pensé à toi quand je
Nen parlons plus
» il me chuchote. Et il me fait des bisous, beaucoup de bisous, accompagnés par la caresse inlassable de ses doigts qui glissent dans mes cheveux, qui massent la base de ma nuque. Jai envie de me laisser porter par ce bonheur apaisant, doux et sensuel. Jen ai vraiment envie. Et pourtant, quelque chose me tracasse. Je pense aux non-dits entre nous, ces non-dits qui, sils persistent, feront que notre vie après Campan ressemblera à celle quon a connue avant Campan. Je ne veux plus quon dérive à nouveau chacun de notre côté.
Charlène a raison, pour mettre toutes les chances de notre côté pour que notre relation marche, nous devons avoir une discussion, mettre certaines choses au clair, fixer des limites. Je ne peux pas laisser passer ce moment parce que je sais que ce sera toujours difficile daffronter ce genre de sujet. Je ne crois pas non plus que Jérém va le faire de son initiative, alors je décide de prendre les choses en main.
Jérém vient de se coller dans mon dos et de me serrer dans ses bras.
« Sil te plaît, Ptit Loup, ne méjecte plus de ta vie si tu as un problème, parle-moi, je lui glisse.
Je te le promets, Ourson.
Tu vois comment notre relation quand nous serons revenus à Paris et à Bordeaux ? jenchaîne. Jimagine que nous ne pourrons pas nous voir chaque week-end
Je ne pense pas
Et tu vas tenir bon ? »
Je sens sa respiration dans mon cou, il ne répond pas.
« Je veux dire, tu as 20 ans et je sais que tu as des besoins
je taime, Jérém, je nai pas envie que tu ailles voir ailleurs, mais je ne veux pas que tu me promettes quelque chose que tu ne peux pas tenir. Tu es un super beau mec, et les nanas ne vont pas te lâcher. Et des gars comme celui des chiottes du bar tu vas en croiser dautres
Et toi, tu vas pouvoir tenir ? Si un très beau mec te draguait, est-ce que tu sais comment tu réagirais ? » il me questionne à son tour.
« Je tente de lui répondre, sans trop savoir comment, mais le bogoss enchaîne direct :
« Je préfère ne pas savoir, en fait.
Moi non plus je préfère ne pas savoir
je crois.
Tant que ça ne reste que du sexe
il considère.
Tant quon met une capote
je considère, avant dajouter : elles ne cassent pas en général
Tant quon sait quOurson et Ptit Loup font bande à part, il me glisse tout bas.
Oui, Ourson et Ptit Loup font bande à part !
Et quoi quil arrive, ça ne changera pas.
Exactement. Donc, maintenant que tout ça est dit, nen parlons plus » je conclus.
Nous nen parlons plus et nous faisons lamour, longuement, tendrement. Et puis, nous retrouvons le bonheur de nous prendre lun dans les bras de lautre. Et je ressens un bonheur dautant plus fort et sincère dans la mesure où il nest pas basé sur de promesses insensées, tout en étant bâti sur lessentiel. Et nous nous endormons comme des gosses heureux.
Les entraînements de Jérém commencent le lundi 7 janvier. Mes partiels commencent le 9 janvier, et les siens la semaine suivante. Par chance, nous pouvons rester ensemble jusquà la fin de la semaine.
Cest la plus longue période que nous ayons passée ensemble jusquà maintenant. A chaque fois que je repense aux trois petits mots quil ma glissés au moment où lannée 2001 laissait la place à lannée 2002, je sens un élan de joie et de motivation. Le bonheur de ces jours avec Jérém me donne de lénergie pour réviser.
Jérém révise lui aussi, il a lair motivé à réussir ses partiels. Ces révisions « parallèles » me renvoient aux révisions dans lappart de la rue de la Colombette. Car ce sont des révisions entrecoupées par des bonnes pauses sexuelles. Le beau brun a besoin dêtre détendu pour réviser, et je me charge de lui rendre service plusieurs fois par jour. La capote sinvite presquà chaque fois, en tout cas dès que sa présence est nécessaire. Mais quimporte, cest devenu un geste mécanique et nous nous y habituons. Notre tendresse, notre complicité sensuelle sont telles que cela ne pose plus de problème.
Certes, le fait de réviser des cours différents me renvoie aux vies séparées que nous retrouverons dans quelques jours. Mais être avec lui, ici et maintenant, cest tout ce qui compte pour moi. Je veux profiter, et je profite, de chaque instant, de chaque regard, de chaque sourire.
En fait, non, ces révisions ne ressemblent pas du tout à celles de la rue de la Colombette. Ni dans le sexe, qui était alors domination et soumission et qui est désormais partage et tendresse. Ni dans mon état desprit, qui était alors pétri de tristesse de ne pas pouvoir atteindre le cur de mon bobrun, et de peur que chaque « révision » soit la dernière. Une tristesse et une peur qui se sont envolées définitivement à Campan lorsque jai entendu mon bobrun me dire « je taime ».
Dimanche 6 janvier 2002.
Lorsquil glisse sur le bonheur, le temps semble filer plus vite, trop vite. Et la fin de la parenthèse enchantée et enneigée finit par arriver. Le dimanche matin, il est temps de dire au revoir à Campan, à la petite maison et à tout le bonheur quelle contient.
Avant de nous quitter, jai envie doffrir quelque chose à mon beau brun. Jai envie de lui offrir et de moffrir une dernière bonne gâterie, mais sans capote. Je me dis que le risque est minime.
Jouvre sa braguette, je descends son jeans et son boxer, et je le pompe. Le bobrun se laisse faire, il attendait ça depuis nos retrouvailles. Une bonne pipe, son sperme qui gicle dans ma bouche, qui glisse dans ma gorge.
« Javais presque oublié que cétait si bon ! il me glisse en me prenant dans ses bras, lair ivre de plaisir.
Moi je navais pas oublié » je lui réponds.
« Prenez bien soin lun de lautre, les gars, nous lance Charlène qui nous a rejoints à la superette chez Martine pour nous dire "au revoir".
Toi, Jérém, sois sage. Et toi, Nico, je compte sur toi pour kafter sil ne lest pas. Je moccuperai de son cas
Il ma promis quil le serait ! je lance.
Il a intérêt !
On vous revoit quand, les gars ? nous questionne Martine.
Cet été, je pense, fait Jérém.
Pas avant ? Ça fait loin, ça ! »
Oui, dans ma tête aussi, ça fait loin.
« Ça me paraît compliqué
la deuxième partie de la saison est une période tendue. Et puis, y a les partiels
»
Je repars de ce séjour à Campan, de ces jours ensemble avec pas mal déléments qui devraient me rassurer. Lattitude de Jérém, celle dun gars amoureux qui a lair dêtre aussi bien avec moi que je le suis avec lui, ses regrets pour mavoir fait souffrir en mimposant de la distance, ses promesses de ne plus méjecter de sa vie, le fait de pouvoir compter sur la bienveillance dUlysse, la perspective de se voir à mi-chemin entre Paris et Bordeaux, cette mise au point avec Jérém sur ce qui est important entre nous.
Mais aussi le fait de savoir que Jérém se confie à Charlène, de savoir que je peux compter sur le soutien de cette dernière. Et, cerise sur le gâteau, de disposer désormais de son numéro de téléphone.
Mais ça ne mempêche pas dêtre triste. Nous étions montés là-haut alors que nous venions juste de nous retrouver après avoir cru, lui comme moi, que nous nous étions perdus pour de bon. Et nous descendons en nous étant dit « je taime ». Se séparer à nouveau après de telles retrouvailles est un déchirement.
Je regarde lautoroute défiler. Je regarde Jérém conduire. Nous approchons de Toulouse où je dois faire une étape pour récupérer des affaires et faire un bisou à maman avant de repartir à Bordeaux.
Demain, après demain, et les jours suivants, je serai seul à Bordeaux. Seul avec mes médicaments, seul avec cette attente, avec cette angoisse. Ma tristesse, ma désolation vis-à-vis de lidée de ne plus avoir Jérém à mes côtés ravivent dautres angoisses que le bonheur de ces jours à Campan avait maintenu à bonne distance.
Car même si nous nous sommes promis de nous appeler chaque soir, je sais que ce ne sera pas la même chose. Sentir sa présence à côté de moi, pouvoir le prendre dans mes bras, me sentir enveloppé dans les siens, notamment la nuit, dans le lit, mapaise et me rassure. Ça me fait un bien fou. Tout cela va terriblement me manquer à Bordeaux, je le sais déjà.
Le trajet vers Toulouse est le dernier moment que nous allons passer ensemble avant longtemps. Je ne sais pas quand nous allons nous revoir à nouveau.
Jai envie de pleurer. Ça doit vraiment se voir sur mon visage. Car, juste après le péage de Saint-Gaudens, jentends mon Jérém me lancer :
« Tu as lair si triste, Nico !
Tu vas me manquer ! je lui lance, les larmes aux yeux.
Toi aussi tu vas me manquer, Ourson. Je te promets quon se verra dès que possible, dès que jai un jour de repos, après les partiels. »
Je ne trouve rien à dire, alors que la tristesse me submerge.
« Je naurai jamais dû coucher avec ce type ! je mentends lancer, comme si mon angoisse trouvait le moyen de sortir malgré moi.
Eh, Nico ! » me lance le beau brun, tout en passant une main derrière ma nuque et en caressant mes cheveux.
Je le regarde, il me regarde. Son regard est tendre, touchant, adorable. Je crois que cest de ce regard dont je suis fou amoureux.
« Ça va bien se passer, ok ? il assène, sur un ton à la fois doux, ferme et rassurant. Tu finis ton traitement et tout va sarranger !
Jespère
Viens-là ! » fait-il, tout en se penchant vers moi et en attirant mon buste avec sa main.
Jérém me fait le bisou le plus doux et le plus amoureux quil ne mait jamais fait. Son beau petit sourire lorsque nos lèvres se séparent me met du baume au cur. Tout comme les mots quil me glisse tout bas :
« Je taime, Ourson. »
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