Le Garçon Boucher 1



En créneau, je garais la voiture de l'entreprise devant la banque. Contre la voiture qui me précédait, un couple faisait ses gammes. De dos je voyais un corps de femme en robe légère qui ondulait de droite à gauche sous les mains adroites, insistantes et audacieuses posées dans le creux de la taille. Les doigts épais pianotaient sur les zones sensibles, inspiraient à la croupe un mouvement de balancier houleux. La tête féminine frisée était rejetée en arrière et accueillait la bouche qui l'embrassait goulûment. Ce mouvement projetait en avant le bassin et le collait indécemment au ventre de l'homme.

L’heureux coquin en avait profité pour insinuer une jambe entre les genoux de sa partenaire. Il faut oser en pleine rue. La femme semblait plaquer son sexe sur le haut de la cuisse masculine et l'y frotter au rythme du déplacement latéral de ses fesses. Une salope seule se laisse aller ainsi en public. Le tableau cru était à la limite de la décence. Ce dandinement sur la cuisse de l'homme, dans la rue, devait en exciter plus d'un. Cloué sur mon siège par l'ahurissant spectacle érotique, je sentis moi-même un début d'érection. Il était passé quatorze heures. Les passants se retournaient en souriant, mais rien ni personne ne dérangeait ce baiser prolongéet scandaleux.

Le visage de l'homme m'était inconnu, les grosses mains qui donnaient le roulis à l'abdomen féminin, là directement sous mes yeux, tenaient ferme une proie volontairement soumise à ce balancement. Croupe et hanches partaient à droite puis à gauche. Parfois déséquilibrée, la femme retrouvait son équilibre en s'accrochant d'une main à la nuque de l'homme et en levant un pied pour le replacer un peu plus à l'extérieur. A la faveur du changement, le genou de l'audacieux progressait et favorisait le frottement de la vulve sur son pantalon de jeans. C'était un ralenti de slow, sur trottoir, d'un sans gêne stupéfiant. La silhouette féminine ressemblait fortement à celle d'une personne connue.

Je décidai d'échapper à l'influence de la scène sur mes sens. Le claquement de la porte de la voiture les surprit. Toujours enlacés, ils séparèrent leurs bouches.
- On se revoit demain ? T'en auras pour ton argent, ma belle.
- Oui, mais viens chez moi. Je t'attendrai après quatorze heures.
- Où ?
- Trois rue Mozart. Un pavillon au crépi crème. Tu trouveras facilement.

Je me dirigeais vers la banque, leur tournant le dos. L'énoncé de l'adresse me cloua sur place. La voix ne pouvait me tromper, la silhouette était la seule à laquelle je ne pouvais pas penser,spontanément tant c’était impensable pour moi. Le trois rue Mozart : C'était l'adresse de ma maison. Je me retournais. La femme qui s'éloignait en tortillant du cul sur ses hauts talons, c'était ma femme ! Oui, mon Émilie. Celle que je venais intérieurement de traiter de salope, la truie en chaleur qui s’allumait la chatte par frottements éhontés, l’excitée du minou mouillé, l’avale salive gourmande et sans pudeur, c’était, à n’en pas douter, ma femme. Ho ! Oui, ma femme ! Là, de dos, directement sous mes yeux, ma femme avait oublié toutes les règles élémentaires de bonne conduite. Son compagnon passa à côté de moi et s'arrêta devant la devanture de l'opticien. La vue des montures devait calmer le bouillonnement de son sang. D'un geste discret et rapide sur sa braguette, il remit ses choses en place et s'en alla.
Qui était ce type qui se permettait une pareille familiarité avec ma femme ? Qui était le dégueulasse, qui était l'inconnu avec lequel ma femme se laissait aller impudemment à un tel abandon, en pleine rue, devant autant de témoins ? Et demain, à l'abri des regards, chez nous, où elle venait de l’inviter, ils ne se gêneraient pas pour faire mieux ou pire selon le point de vue.

Je la croyais en train de diriger son salon de coiffure. J'étais à mille lieues d'imaginer qu'elle pût s'exhiber plutôt en public dans les bras d'un porc. Voilà pourquoi je n'avais pas mis de nom sur ce corps qui se trémoussait de façon aussi impudique devant moi.
Jamais je n'aurais supposé ! En public, ma femme se conduisait comme une chienne en chaleur, sans souci pour sa réputation ou la mienne d’ailleurs. Depuis quand était-elle exhibitionniste ? Avait-elle fait un pari ? Que penseraient ses clientes' On allait jaser. C'était comme si je portais, inscrit en lettres de feu sur le front « Cocu ».

Sans réfléchir, je suivis l'inconnu. Il marchait comme un homme pressé. A trois cents mètres de là, une femme bien en chair lui tendait les bras. Visage rougeaud et jovial, c'était la bouchère. Il s'arrêta, l'enlaça et se livra à la répétition de la scène précédente. Ou presque, car il y avait une importante différence de gabarit entre les deux femmes. La mienne plutôt élancée et mince contrastait avec cette silhouette rondouillarde. Cette fois le genou ne franchissait pas le passage plus resserré entre des cuisses certainement plus volumineuses. Mais le jeu de mains respectait la même stratégie et le déhanchement suivit immédiatement, presque obscène sur ce trottoir, à la vue des passants. La bouchère était veuve et semblait se moquer du qu'en dira-t-on. Son défunt n'en souffrait pas.

- Dépêche-toi, je t'attends. J'ouvre à 15 heures. Tâche d'être là avant, j'ai envie.

Incroyable, ce démon mettait le feu dans les boutiques de la ville, passait sans transition d’une moule baveuse à une cramouille brûlante et semait à tout vent.

L homme reprit son chemin. Il finit par s'arrêter devant un immeuble de trois étages. Il appuya sur une sonnette du milieu. Une femme apparut à une fenêtre:

- C'est toi, Marcel. Dépêche-toi, ta patronne t'appelle au téléphone. Où étais-tu fainéant
?
Il s'engouffra dans un couloir sombre. Je lus son nom : Marcel Couillard. J'aurais aimé en savoir plus. Marcel sortit avec une bicyclette et roula vers le centre. La bouchère l’attendait.

Je sonnai. La même voix agacée demanda :

- C'est toi, Marcel. Quoi encore ?
- Excusez-moi madame, j'effectue un sondage sur les produits d'entretien.
Vous pourriez gagner un lot de produits efficaces. Voudriez-vous répondre à quelques questions simples
- Montez à l'étage.

J'arrivai sur le palier et découvris une nouvelle surprise.

- Mais, tu es Jean. C’est toi hein ? Bien sûr. J'ai reconnu ta voix ! Si je m'attendais. depuis le temps. Entre.

Une étude récente dit que les femmes sont avant tout sensibles aux voix masculines. Celle-ci le prouvait.

- Laure, toi ici ?

Après des années, je me retrouvais en face de mon premier amour. Laure, la quasi fiancée. Depuis l'âge de quatorze ans nous étions amoureux, inséparables. Nous avions découvert ensemble le baiser, les caresses timides, les premières audaces. J'avais vu pousser sous mes mains ses jeunes seins, connu les premiers émois charnels. Nous nous étions juré un amour éternel. Quand nous étions séparés nous nous donnions rendez-vous dans l'étoile polaire.

- A minuit, tournons nos yeux dans la même direction, nos regards se rencontreront, m’avait-elle écrit.

Laure m'avait montré comment était faite une fille en écartant le tissu de sa culotte ou en déboutonnant sa blouse de coton. Je l'avais vue passer au rouge quand j'avais appuyé mes caresses. Elle avait voulu vérifier qu'une verge enflait dans les doigts d'une fille. Les poils de son pubis avaient poussé avant les miens. Par étapes nous avions tout appris du corps de l'autre. Notre curiosité repoussait les interdits. Son clitoris avait aimé mes doigts, avait pris du volume au toucher et Laure avait fermé les yeux, au bord de l'extase. Ses premiers soupirs de bonheur avaient été le cadeau de mes 17 ans. Restait à nous connaître au sens biblique du mot. Ah ! Amours de jeunesse.
Pour son dix-huitième anniversaire je l'avais emmenée au bal sous chapiteau dans un village voisin, à vélo. J'étais allé lui acheter une boisson. A mon retour elle avait disparu. Elle n'était pas sur la piste, elle n'était pas attablée, je cherchais à l'extérieur.
Son vélo était toujours à côté du mien. Un copain me dit l'avoir vue se diriger vers une deux chevaux. Je cherchais encore et aperçus une deudeuch. La carrosserie était animée, secouée en roulis et en tangage. Sur le siège arrière, je reconnus la tache claire de la robe de Laure. Elle avait enfourché les cuisses d'un homme, montait et descendait comme sur les chevaux de bois, les bras enroulés autour de son cou, la tête penchée sur son épaule, visage tourné vers l'extérieur, bouche ouverte sur un souffle court, yeux exorbités, soudains fixes quand elle me vit collé à la vitre.

Elle avait promis, je serais le premier et le dernier, elle serait à moi, rien qu'à moi. C'était pour cette nuit. Depuis des semaines je patientais. L'amour allait nous unir en secret mais pour la vie. Maintenant, là, elle me fixait, hagarde, mais continuait son manège, soulevée et abaissée par la vigueur des deux mains plaquées sur ses hanches. Elle me fixait, incapable de se dégager, le visage déformé par la douleur ou le plaisir, grimaçant, des larmes plein les yeux. Désirée elle m’avait fait patienter et là, pendant que je lui achetais à boire, elle s’était laissé emballer par un type plus rapide et plus expéditif. Je partis en courant, sautai sur mon vélo.

Plus tard, je refusai de lui adresser la parole, elle pleura, je l'oubliai. J'ignorais ce qu'elle était devenue. Elle était devant moi. Le temps avait guéri la blessure. Nous nous sommes gentiment embrassés sur les joues. Elle me fit entrer. Elle était caissière de grande surface, avait voyagé dans la région, avait divorcé et vivait en concubinage avec un garçon boucher prénommé Marcel. Elle venait de le chasser au travail : Il avait un poil dans la main et préférait chasser les filles plutôt que découper des pièces de viande. J'aurais pu confirmer. Elle n'avait pas de chance avec les garçons et regrettait l'erreur de jeunesse qui nous avait séparés. Nous avons évoqué l'heureux temps. Jamais elle ne pensait à moi sans regrets.

Je sus qu'elle avait accepté de « voir » la fameuse voiture. Elle avait été troublée par le baratin de ce beau parleur; il l’avait fait monter pour apprécier le confort. Ils s’étaient assis à l’arrière côte à côte. Elle était impressionnée par la nouveauté. C’était mieux qu’un vélo. L’inconnu avait réclamé un bisou, le bisou avait tourné au baiser tandis que ses fortes mains s’emparaient de la taille puis des seins de Laure avant d’attr ses jambes paralysées soudain. Finalement il avait soulevé le bas de la robe, écarté la culotte, et ilavait profité de sa naïveté pour lui ravir douloureusement sa virginité dans une cavalcade échevelée, avant de disparaître comme il se doit. Elle était rentrée seule à la maison.

Laure connaissait le salon de coiffure d'Émilie, appréciait l'originalité des coupes de mon épouse et me félicita d'être l'époux d'une aussi jolie personne. Émilie avait plus de chance qu'elle avec les hommes. J’avais perdu du temps et dus m’en aller.

- Il faut que je retourne au travail. Mais nous devrions nous revoir.
- C'est que Marcel est très jaloux. Il travaille surtout le matin. Dans deux jours, j'ai une journée de congé, si tu veux venir vers dix heures…
Notre baiser n'avait rien de comparable aux embrassades dont je venais d'être le témoin.
Laure n'entendit plus parler de produits d'entretien et dut se demander ce qui m'avait conduit à elle.

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