Mister Hyde - 18
18-
Julie versa la dernière goutte de vin dans le verre de Frédérique et leva le sien devant ses yeux : la couleur ambrée du liquide la ravissait. Cétait un liquoreux roumain comparable au Beaume de Venise ou au Moscatel, bien quil soit moins sucré que le second et plus vif que le premier. En bouche, cétait une merveille. Elle fit goulayer la gorgée qui glissa lentement, lui réchauffant le ventre. Elle aimait prendre son temps et savourer chacune des saveurs que lui offrait le vin. Pas comme Frédérique qui, de toute évidence ne faisait pas la différence entre un vulgaire mélange de picrates et un vin de propriété amoureusement travaillé. Cela lénerva. Elle décida de poser la question qui lui brûlait les lèvres.
Tu me parles de punition mais, vue votre relation, ce nest pas anormal. Tu as commis une faute, il te punit, pas de quoi en faire un fromage. Jusquà présent, cest toi qui me la dit, il a toujours usé de la même méthode : quelques jours dabstinence, beaucoup dexcitation suivie dune bonne dose de frustration. Bref, pas la mer à boire. Dautant que tu as lhabitude. Je ne comprends pas que tu sois aussi angoissée
Afin quelle ne sente pas jugée par ses remarques, Julie expliqua à Frédérique quêtre dominée ne lui déplaisait pas, bien quelle ne se fusse jamais aventurée à jurer sa foi à un homme. Sans doute, avait-elle ajouter, par crainte dêtre piégée et contrainte daccepter des situations ou des obligations quelle refuserait si le choix lui en était laissé.
La confiance ! avait répondu Frédérique. Un bon maître ne trahira pas la confiance que tu as en lui. À moins dy être poussé par deux raisons : lenvie de te voir partir sans avoir à te répudier ou la nécessité de te punir dune faute impardonnable. Dans le premier cas, tu endure la peine avant de le quitter parce que ta confiance disparait pendant laction ; dans le second, tu as une chance dy échapper : les maîtres informent souvent leurs soumises des corrections quils leurs réservent.
Donc, ce nest pas une punition classique
Non, cest une punition qui me frappe au cur. Il vise la femme en moi, pas la soumise.
Mais cest dégueulasse !
Peut-être, encore que je nen sois pas sûre. Dans une relation comme la nôtre, on nest pas à labri de ce genre de situation. On est sur le fil du rasoir, tout le temps.
Mais quest-ce quil veut de toi, à la fin ?
Frédérique refusa de répondre, elle avait peur quen le faisant Julie pensât quelle lavait attirée dans un guet-apens. Linsistance de sa nouvelle amie la mit mal à laise, lui prodiguant le sentiment dêtre enfermée dans un cul de sac sans la moindre porte de sortie. Julie, au contraire, soupçonnait que les exigences de Frédéric seraient à même de lexciter. Elle tenait donc absolument à ce quelles lui soient révélées. Elle sobstina, harcela Frédérique qui finit par craquer.
Tu ferais un bon flic, tu sais comment arracher des aveux mais surtout, je veux que tu saches que si jai choisi de me confier à toi, ce nest pas dans le but de tentraîner dans mon histoire et encore moins dans celui de te piéger.
Julie balaya les mises en garde de Frédérique dun revers de main et lincita à poursuivre.
Il veut que je trouve une femme, une soumise, pour la prochaine fois quil viendra. Il veut que je lui explique les règles quelle aura à respecter et que jatteste de son obéissance. Il veut aussi que je lhabille mais jignore encore comment.
Julie tenta de rester impassible mais ne put sempêcher de rosir. Elle sétait promis daccrocher Frédéric à son tableau de chasse depuis quil lui avait ordonné daller au coin, elle trouvait là loccasion rêvée. Cependant, afin de ne pas donner à Frédérique limpression de se jeter sur son mâle, elle tempéra et fit semblant de réfléchir à haute voix.
Il y a bien le club libertin de *** dont je connais un peu le patron. Peut-être y trouverons-nous une soumise sans maître disposée à tenter lexpérience. Ça vaudrait le coup dessayer, tu ne crois pas ?
Frédérique nétait pas emballée par lidée mais elle ne pouvait évincer aucune possibilité, chaque heure, chaque jour qui passaient lapprochaient de léchéance et elle navait pas dautre idée, hormis celle dimplorer Julie de la dépanner et cela, elle ne pouvait le faire. Non quelle conservât la moindre rancur à légard de son amie pour leurs premiers et difficiles contacts ; ce nétait pas non plus parce quelle se doutait que les fantasmes de Julie la portaient vers Frédéric, bien au contraire. Elle refusait de le faire, par crainte que Frédéric ne la blessât physiquement et moralement. Parce que, à choisir, tant quà être cocufiée elle préférait que ce ne soit pas par une inconnue en qui, par la force des choses, elle naurait aucune confiance.
Cest une bonne idée, dit-elle à contrecur. Mais il va falloir que je demande la permission de me rendre là-bas. Je le ferai demain matin.
Dès que tu sauras, dis-le-moi, jappellerai le patron, il me dira quel soir venir pour augmenter nos chances de trouver la perle rare. Maintenant, allons nous coucher.
***
Frédéric accorda son autorisation du bout des lèvres en précisant que de strictes consignes arriveraient par courriel le jour même. Il fallut plus dune heure à Frédérique pour en faire la lecture à Julie, le soir même, au téléphone.
Au moins, ton mec ne laisse rien au hasard convint Julie tout en finissant de griffonner ses notes.
Cest mon Maître, pas mon mec corrigea Frédérique que la volubilité de Julie agaçait parfois.
Tout doux ma jolie, je dis comme je veux, je nsuis pas sa soumise, moi !
Elle disait vrai et Frédérique sexcusa. Julie émit un petit rire.
Je nsuis pas ta maitresse non plus, détends-toi.
Frédérique sourit. Julie lui faisait du bien. Elle avait beau avoir passé dans la région toute sa jeunesse et son adolescence, elle ny avait plus un seul ami. Ils avaient tous migré vers Paris après leurs études et pas un nétait redescendu. Elle se demandait quelquefois si elle navait pas commis une erreur en revenant.
Jappelle mon type et je te rappelle avait dit Julie. Cela ne prit pas cinq minutes.
***
Bon ! Il faut que tu te trouves une baby-sitter pour jeudi. Prends-la pour la nuit, cest plus prudent. On risque de finir tôt
euh
ou tard ça dépend comment on voit les choses.
Jeudi
Demain ?
Bah oui ma biche. Tu croyais quon allait attendre décembre ?
Euh
! non, bien sûr. Mais ça ne me laisse pas beaucoup de temps.
Tinquiète
Jai tout sous la main, la fille de mes voisins fera ça très bien. Je peux encore aller les voir dit-elle en consultant sa montre. Je te tiens au courant.
Moins dune heure plus tard, Julie confirmait la présence de la gamine pour le jeudi soir. Elle lamènerait en venant chercher Frédérique et la raccompagnerait de même. Tout avait été réglé.
***
Julie se changea dans la voiture au prix de milles contorsions.
Je npouvais pas aller chercher la gamine dans cette tenue ou adieux ma réputation, avait-elle affirmé à Frédérique qui lattendait, accotée à laile du coupé.
Sa chevelure châtaine librement répandue sur ses épaule nues, Julie portait un bustier bois de rose et une mini-jupe de la même couleur qui ne masquait rien de ses bas. À contrario, Frédérique était recouverte dune longue robe noire qui la couvrait jusquaux chevilles mais dont la vertigineuse échancrure dorsale laissait deviner la nudité des seins. Cette robe, elle lavait serrée à la taille dune écharpe de soie fermée sur le devant par un nud papillon. Toutes deux portaient des escarpins dont les talons rivalisaient de finesse et de hauteur.
En chemin, Julie avait exposé son plan à Frédérique. Pour une fois, celle-ci jouerait le rôle de la dominatrice à la recherche dune soumise et Julie qui ne pouvait décidément pas déroger à sa réputation, celui de lélectron libre lui servant de guide.
Elles entrèrent et Frédérique eût limpression de changer de planète.
***
Julie présenta Frédérique sous le pseudo de Mrs Hyde tandis quelle, pour loccasion, serait Miss Jec. Annonce fut faite au micro, de leur arrivée et elles purent sengager dans un long couloir au lumières rouge sombre. Au bout, un rideau écarlate sécarta de lui-même leur laissant le passage. Elles aboutirent dans une vaste pièce dont les murs de pierre, nue, renvoyaient léclairage savamment dosé pour créer des zones dombre.
Julie entraîna Frédérique vers une table en pleine lumière, à proximité de la piste de danse et dune petite estrade. Toutes deux prirent un siège et restèrent figée plusieurs minutes. Julie expliqua :
Cest un rituel de la boîte. Chaque nouvel arrivant sassied là ou va sur lestrade pour que les autres puissent le voir. Il y reste quelques minutes et va sinstaller ou il veut. Cest, en quelque sorte, une façon de se présenter. Bien sûr, ceux qui vont sur lestrade, ce sont les soumis. Tu ny as pas ta place ce soir.
De fait, les sièges étaient placés de telle façon quils fissent face à la salle et Frédérique put distinguer que les tables les plus obscures étaient déjà très occupées.
Elles sinstallèrent définitivement à une table qui avait une vue dégagée sur lestrade et restait suffisamment dans la lumière pour quelles pussent être vues.
Ici, serveurs et serveuses sont soumis. Nous sommes des femmes, ont nous enverra donc un homme. Sil te convient, passe ta commande et demande-lui de te lécher le pied. Sinon, renvoie-le sans commander et sans parler. Juste un geste de la main. On ten enverra un autre.
Et si je veux une fille ?
Oh dis donc
Madame est coquine
Tu le renvoies à quatre pattes. On tenverra une fille. Même rituel avec elle.
Lalcool, bien quautorisé, nétait pas très en vogue dans le club, cela, pour éviter que les esprits, déjà échauffés par lambiance érotique des lieux, ne senflammassent. Elles commandèrent donc deux cocktails de fruits aux propriétés, évidemment, aphrodisiaques. Frédérique se plia exactement au rituel tandis que Julie poursuivait ses explications tout en dirigeant le regard de son amie vers tel ou tel point de la salle, vers telle ou telle table. Elles furent interrompues par larrivée dun homme qui, sinclinant devant Frédérique, lui demanda la permission duser de sa soumise.
Miss Jec nest pas ma soumise, adressez-vous directement à elle.
Derechef, il sinclina puis se pencha sur loreille de Julie qui, dun mouvement de cou, déclina linvitation. Cela faillit les distraire de lentrée dune femme. Elle nétait pas de prime jeunesse mais portait beau. Elle avait surtout une démarche royale. Avec beaucoup de grâce, elle accéda à lestrade et retira sa fine cape de soie grège. Son corps, malgré quelques lourdeurs de hanches dues aux ements plus quau passage des ans, avait une prestance folle. Il était droit mais souple, délié mais nerveux. Elle ne portait sur elle quun porte-jarretelles et des bas à large bande de dentelles, de simples artifices qui servaient à masquer un rien de cellulite sur ses cuisses et le bas de son ventre. Sa poitrine, en revanche, était parfaite. Menue, aux tétons érigés, elle était juste assez oblongue pour être évocatrice et assez légère pour rester fière.
Elle se mit à tourner, avec la grâce dune ballerine, sur elle-même dabord puis en cercles concentriques. Enfin, elle exécuta quelques pirouettes qui démontrèrent sa souplesse. Elle se pencha pour ramasser sa cape dont elle se couvrit et partit sagenouiller au bord de la piste de danse.
Il ne fallut quune minute pour quune domina sapproche delle et linvite à la suivre dun claquement de doigts. Lune derrière lautre, elles séloignèrent vers un coin de pénombre. Les tractations durèrent à peine. La domina quitta la salle, la soumise reprit sa place.
Frédérique fut fascinée par ce spectacle et le courage de la femme. Jamais elle noserait sexposer comme elle venait de le faire mais surtout, elle se savait incapable dêtre aussi fascinante.
Si nous allions la voir ? murmura Frédérique.
Attendons un peu, nous nen sommes quau début. Dautres vont arriver.
De fait, les haut-parleurs annoncèrent maître Jean.
Lhomme entra dans la salle comme en pays conquis. Il se tourna vers lassistance et annonça le prêt dune de ses soumises en échange dune idée de punition la plus perverse possible. Sur ce, il claqua des mains et deux jeunes filles sortirent de derrière le rideau pour se diriger directement vers lestrade. La première se mit de face, la seconde de dos. Elles restèrent ainsi trois minutes puis se retournèrent pour la même durée. Quand ce temps fut passé, elles quittèrent lestrade et sagenouillèrent au pied de leur maître.
Celles-là, on les oublie glissa Julie à Frédérique, pas question de sembringuer dans une histoire avec ce vieux cochon.
Frédérique remercia intérieurement le « vieux cochon » dêtre ce quil était : les petites étaient trop jeunes et trop jolies, elle les voyait plus comme un danger pour elle-même que comme une offrande raisonnable. Une voix la tira de ses pensées.
Vous êtes nouvelle ici madame, vous maccorderez bien cette danse
?
En moins de temps quil nen faut pour le dire, elle ses dirigeait vers la piste au bras de maître Jean.
Contrairement à Frédérique, il était bon danseur. Il était aussi très direct.
Offrez-moi vingt-quatre heures de votre temps et je vous léchange contre quarante-huit avec mes deux soumises. Croyez-moi, le marché est honnête.
Danser et réfléchir au moyen de sortir de ce piège ne fut pas chose aisée pour Frédérique. Elle réussit néanmoins à trouver une parade sans user la patience de son partenaire.
Mon orientation sexuelle moblige à décliner votre offre. Je vous remercie cependant pour votre générosité.
Peuh ! répondit lhomme dun ton pincé et méprisant, vous ne seriez pas la première gougnotte que je ferais grimper au rideau
je suis certain que très bientôt, vous vous mordrez les doigts de mavoir repoussé.
Et il labandonna au milieu de la piste.
Durant cet intermède, trois soumises avaient rejoint lestrade.
Celles-ci sont sans maître glissa Julie à Frédérique. En revanche, ne men veux pas, jai promis à quelquun de le rejoindre au fond.
Laissée seule, Frédérique suivit du regard le balancement de la croupe rose de Julie. Elle se dirigeait effectivement vers le fond de la salle où un homme isolé attendait. Il ny a quune chaise à sa table sétonna Frédérique. Où
Elle neut pas besoin de sinterroger plus avant sur la place quoccuperait Julie. La jeune fille se glissa sous la table et se mit à sucer lhomme. Frédérique regarda, fascinée. Julie avait adopté la même position quelle devait prendre pour satisfaire son maître. Les mains jointes dans le dos. Et cétait tout le torse de son amie qui ondulait au rythme des allers-retours de sa bouche sur le membre. Frédérique se demanda si le spectacle quelle offrait était aussi excitant que celui quelle avait sous les yeux. Habituée à se déprécier, elle pensa que non et en éprouva de la peine.
Dun geste, elle héla sa serveuse qui attendait, agenouillée au coin du bar.
Lèche-moi lui dit-elle en retroussant sa robe.
Son regard ne quitta pas Julie.
***
Jaime la queue de ce mec, dit Julie en se rasseyant. Jaime aussi le goût de son sperme. Quand sa femme est partie, il ma demandé dêtre sa soumise. Jai dit non. Jaime trop mon indépendance. Jaime être soumise mais jamais au même. Et puis surtout, jaime pouvoir changer de camp et martyriser un soumis de temps en temps.
Sur ce, elle éclata de rire.
Bon. Cest pas tout ça. Tu as fait ton choix ?
Frédérique regarda Julie. Son cur saccéléra.
Oui ! Mon choix cest toi !
Elle trembla en prononçant ces mots. Elle trembla dexcitation mais aussi de crainte dêtre abandonnée par Julie comme elle venait de lêtre par maître Jean. Ce ne fut pas du tout ce qui arriva.
Oooh Maîtresse, dit Julie en lui baisant les mains, rien ne pouvait me faire plus plaisir que cette demande. Commandez et jobéirais !
Et puis elle se laissa glisser sur le sol et se mit à baiser les pieds de Frédérique, frénétiquement.
Frédérique devina que Julie blaguait. Elle nen fut pas moins émue et passablement excitée. Puis elle se mit à douter de son jugement : Julie cherchait son sexe sous son vêtement.
***
À la suite de cet exploit, les filles senfuirent très vite du club car tandis que Julie fouillait sous sa robe, Frédérique eut tout loisir de constater que la salle contenait beaucoup plus de personne quelle navait cru de prime abord. Certaines parties du lieu était si sombre quelle les avait cru désertes. Ce nétait pas le cas et, quand Julie commença à sagiter, Frédérique discerna de nombreuses personnes qui comme sorties des limbes sapprochaient pour jouir de la représentation. Ce navait pas été le cas quand elle avait exigé pareille caresse de la serveuse. Mais cétait une soumise confirmée, elle était là pour ça. A priori, ce nétait pas le cas de Julie et le spectacle dune femelle se soumettant pour la première fois était une rareté quaucun des présents ne voulait rater.
Elles senfuirent donc mais Frédérique ne fut pas rassurée pour autant. Tout dabord, elle venait de désobéir à son Maître dont lune des directives interdisait le moindre attouchement, sauf absolue nécessité et uniquement avec une soumise du lieu. Techniquement, elle navait pas commis de faute avec la serveuse alors quavec Julie, il en allait tout autrement. Dautant que les caresses de la jeune fille ne lui avaient procuré quune désagréable sensation de gratouillis tandis que celles de son amie
Ensuite elle avait vraisemblablement échoué dans sa mission puisquelle navait pas trouvé de soumise. Elle était certaine que Julie navait fait cette réponse que sous le feu de lexcitation. Elle venait de prodiguer une pipe à un type, elle était encore chaude comme la braise
Et Frédérique nosait pas reposer la question. À quoi bon dailleurs ? Pour se heurter à un refus ?
Elles restèrent silencieuses une bonne partie du trajet. Frédérique, perdue dans ses pensées ne se rendit pas tout de suite compte quelles avaient pris la direction de la maison de Julie, pas celle de son appartement.
Où on va ?
Chez moi ! Je pense quil faut quon parle un peu. Tu ne crois pas ?
Le ton de Julie était neutre de telle sorte que Frédérique fut incapable de déterminer le degré de colère de son amie. Elle opina en murmurant un « oui » qui se voulait serein mais révélait, en fait, toute linquiétude qui lhabitait.
***
Julie leur servit à boire, ce que Frédérique apprécia. Il lui arrivait rarement de boire de lalcool et ce nétait jamais plus fort que du porto. Ce soir, elle avait besoin de quelques degrés supplémentaires, elle choisit une vodka.
Julie lui sourit en lui tendant son verre. Cétait plutôt bon signe, elle ne devait pas être si fâchée que ça, après tout. Elles sirotèrent leurs alcools quelques minutes dans le plus grand silence. Julie se comportait souvent comme ça, elle savourait le vin, lalcool, la nourriture
Elle prenait son temps comme si elle voulait fixer dans sa mémoire toutes les sensations quelle ressentait et chaque détail de la situation quelle vivait.
Je suis une jouisseuse, disait-elle. Et jouir, ça prend du temps. Une heure pour déjeuner, ce nest pas suffisant ; une heure pour se nourrir, cest trop.
Julie posa son verre sur la table et son regard et son regard sur Frédérique. Il était temps de parler.
Tu mas dit tout à lheure que ton choix, cétait moi. Pourquoi nous avoir fait jouer cette mascarade ?
Julie attaquait et elle ny allait pas de main morte. Droit au but, exactement comme laurait fait le Maître. Pourtant, Frédérique répondit aisément.
Parce que je me suis décidée en te voyant sucer cet homme, dans le fond de la salle. Dire que je ny avais pas pensé avant, ce serait te mentir mais je croyais que tu refuserais, que tu serais choquée, que tu penserais que javais voulu te piéger, que tu men voudrais et, je ne voulais pas perdre une amie.
Tu mas espionnée pendant que je suçais
Tu sais que ton mec a raison, tes une vraie petite salope !
Frédérique rougit. Elle venait de ressentir la même poussée de dadrénaline et dexcitation que quand son Maître la traitait ainsi.
Oui, je tai regardée et je tai trouvée belle. Belle comme jamais je nle serais même si mon
mec, comme tu dis, mimpose la même position. Jai aimé voir bouger ton dos et tes fesses. Ce nétait pas une pipe, cétait une danse. Cétait aussi beau, aussi hypnotisant que la femme, tout à lheure, sur lestrade. Et jai eu envie dêtre à la place du mec. Je suis désolée ma chérie, désolée de tavoir dit ça, mais cest vrai : mon choix, cest toi parce que je ne serais pas jalouse de toi, parce que ce que jai vu était si beau que je nai pas le droit den priver mon Maître, parce que
lidée de te voir à genoux devant lui mexcite
Et parce que tu as envie de moi ?
Oui !
Frédérique espérait, attendait que Julie se jette sur elle comme elle lavait fait au club, mais elle nen fit rien. Elle poursuivit la discussion avec beaucoup de calme.
Jaccepte dêtre ton choix et ton maître sera mon maître le temps dun week-end. Jy mets juste une condition : que ce soir, tu sois ma maîtresse et que demain tu me sois soumise.
Tu sais bien que je ne peux pas te dire oui. Frédéric
Je dois lui demander la permission.
Tes pas croyable ! Quest-ce quon en a à foutre de ton Frédéric ? Quest-ce quon en a à foutre de sa permission ? Finalement, je crois que la maîtresse, ce soir, ça va être moi. Viens ici et sois ma chienne, cette nuit.
Frédérique nhésita que le temps dun battement de cil. Depuis que Frédéric lavait asservie, elle navait éprouvé cette attirance que pour les mots dun seul homme. Les entendre dans la bouche dune femme, de celle-ci en particulier, et découvrir quils lui faisaient le même effet, la ravagea. Elle se laissa glisser sur le sol et rampa jusquà sa Maîtresse.
***
Julie accueillit Frédérique en caressant tendrement sa chevelure et sa frimousse. Mais cela ne dura que quelques secondes. Comme une serre, la main de la jeune femme empoigna les cheveux et guida le visage vers son entrecuisse. Julie ne sétait pas changée et sa jupette ne cachait pas grand-chose de son anatomie, Frédérique y plongea les lèvres puis la langue. Elle prit son temps, heureuse de laisser à Julie les instants nécessaires pour savourer sa dévotion puis, posant les mains sur ses cuisses, elle limplora de souvrir toujours plus.
La douceur, la tendresse que mit Frédérique dans ses caresses emmena Julie très très loin. Ce nétait pas la première fois quune femme laimait, ce nétait pas la première fois quune bouche lui offrait du plaisir mais jamais elle navait ressenti une telle intensité, une telle ferveur, une telle adoration. Ni une telle jouissance. Cependant, en un instant, elle venait de comprendre ce qui motivait Frédérique. Ce nétait pas le cul, pas au premier chef en tous cas. Cétait le mysticisme. Eut-elle été nonne, elle aurait fait partie de cette petite frange oubliée : celle de ceux qui confondaient si tant est quil ny en ait plus contrition et flagellation.
« Cela explique son comportement se dit Julie en dressant des analogies avec certaines anecdotes récemment contées par Frédérique. Elle assimile certains rituels à ceux de lEglise. Première fellation : le baptême. Absorption de lurine : confirmation. Quen sera-t-il si un jour il ceinture son cou dun collier
? » Julie décida que, désormais, elle ferait tout pour la faire changer de crédo et lentraîner vers lhérésie.
***
Frédéric nétait pas certain que lamour guidât ses pas tandis quil marchait vers saint-Lazare. Frédérique lui manquait-elle vraiment ou son désir de la voir nétait-il dû quà une trop longue abstinence ? Que la question se posât le mettait mal à laise et, bien quil refusât dy répondre, celle-ci lui revenait sans cesse à lesprit.
Il avait pris par Richelieu et Chabanais et gagné la rue du quatre septembre en empruntant les passages Sainte-Anne et Choiseul. Certes, cétait un peu plus long que de passer par lavenue de lOpéra mais le trajet était plus calme, il le préférait donc de beaucoup à celui qui passait par les grandes artères ; dautant quil allait devoir se fader les grands magasins et leur foule de badauds.
Il ne sétonna guère dapercevoir Marc sortant dun bistrot puisque la journée finissait et que son ami travaillait dans le coin. Il fut néanmoins surpris de le trouver en compagnie de Julien. Tous deux étaient des ex de Frédérique et, aux dernières nouvelles, leurs relations étaient plus que tendues. Mais, après tout, ses rapports avec Marc navaient pas toujours été au beau fixe et ils sétaient considérablement améliorés, pourquoi nen serait-il pas de même pour eux ?
Marc lui fit un grand signe, linvitant à sapprocher. Frédéric joua les hommes pressés en tapotant sa montre. Cinq minutes, lui demanda Marc en levant haut la main, tous les doigts écarté. Frédéric savança.
Salut toi, tu connais Julien
Ouais. Salut.
Frédéric ne tendit pas la main et se concentra sur Marc.
On se demandait si tu avais des nouvelles de Frédérique
Elle va bien mais tu sais, pour prendre des nouvelles de quelquun, le mieux, cest de lappeler
Devant lair étonné de Marc, il ajouta.
Je ne suis pas un geôlier, elle a le droit de recevoir des coups de fil
Et si cest ma permission que tu demandes, tu las. Et même, si ça ne vous fait pas trop loin, venez donc dîner tous les deux demain soir. Le loft est assez grand pour vous loger une nuit.
Bon ! il faut que jy aille sinon je vais rater mon train. Salut.
Il séloigna tout en notant que marc lui faisait signe quil lappellerait.
***
Lucile nétait pas dans le train, ou elle ne se montra pas, ce qui revint au même. Frédérique joua également à la femme invisible, ce qui eut le don de lagacer sans quil pût pour autant y trouver à redire. Après tout, il navait pas prévenu de sa visite comme il en avait convenu au commencement de leur nouvelle relation. Donc, il patienta ou plutôt il rongea son frein.
Frédérique narriva que vers vingt-deux heures. Naturellement, il linterrogea.
Où étais-tu ?
Tu permets ! Je couche Franck et nous discuterons ensuite. Merci.
Apparemment, elle nétait pas à prendre avec des pincettes et il remonta lattendre à létage.
Tu mas donné une mission, jétais en train de men occuper. Tu ne penses tout de même pas que je le fais sur mon temps de travail
Le week-end commençait fort. Il en éprouva un désagrément tel quil hésita un instant à se lever et à partir. Il se ravisa en distinguant un changement dans le comportement de Frédérique. Elle se tordait les mains et avait pris lair dune petite fille prise en faute, les excuses nallaient pas tarder. Magnanime, il lui tendit la main, elle se jeta dans ses bras.
Pardon, pardon ! murmura-t-elle. Jai peu dormi et la soirée dhier ma
troublée.
Ce disant, elle frotta tendrement son visage contre le torse de Frédéric qui, bien que sa main fût apaisante sinterrogeait sur la conduite à suivre. Une fois de plus, Frédérique le mettait au pied du mur. Lattaque avait été frontale, le maître quil était pour elle ne pouvait laisser passer ça sans réagir. Il se raidit. Elle le sentit. Elle leva les yeux vers lui dans une question muette. Dune main, il masqua ce regard, de lautre, il entraîna la fille contre le mur, entre deux fenêtres.
Un mur de pierre, froid et rêche qui râpa la peau de sa joue tandis que le corps de son maître la pressait de toute part. elle sentit la main tirer sur sa jupe, elle sentit les doigts crocheter son sexe. Elle tenta de se cambrer, de souvrir, Frédéric len empêcha. Il la voulait fermée, rigide ; il la voulait soumise. Du pouce, il la pénétra. Faisant fi de la ridicule ficelle de sa culotte. De la courbe entre pouce et index, il massa son clitoris avec rudesse profitant du renflement de larticulation pour appuyer toujours plus fort. Sa brusquerie raviva la flamme de Frédérique. Elle tenta à nouveau de se cambrer, à nouveau il la plaqua au mur. Ce ne fut pas son pouce qui ly cloua. Il senfonça en elle dun seul mouvement de bassin, comme sil voulait lempaler. Puis il poussa, poussa encore, avec une telle rage quelle sentit, à travers son pull et son T-Shirt, lâpreté de la pierre. Et soudain, il se détendit. Glissant un bras le long de son ventre, il la tira en arrière, empoignant ses cheveux, il la fit se cambrer. Alors commencèrent les interminables et sensuels va et vient quelle aimait. Il la limait avec linfini douceur de lébéniste qui peaufine son uvre tout en la tenant fermement pour quelle se plie à sa volonté. Elle se laissa aller, plongeant dans la jouissance en toute confiance. Jamais elle ne sécraserait au sol, Frédéric serait son élastique, sa ceinture de sécurité. Il serait toujours là pour elle, elle en était persuadée.
Frédéric continua, jusquà la limite de sa résistance. Il se retira prestement et fit glisser sa femme au sol. Elle ouvrit la bouche, sachant ce quil attendait delle. Il sy enfonça avec la même force, le même désir insatiable de la perforer au plus profond quen pénétrant son sexe. Il la pilonna longuement sans quelle pût prendre le contrôle et le caresser savamment. Puis il abandonna la bouche pour la reprendre, à quatre pattes sur le parquet cette fois. Enfin, il explosa, lâchant sur les fesses et le dos de la belle, des jets de jouissance infinis.
***
Bien entendu, Frédérique dormit mal. Son Maître ne layant pas invitée à partager sa couche, elle sétait allongée au pied du lit, sur le parquet, sans même une couverture pour se tenir chaud. Mais ni la dureté du sol ni le froid nétait cause de son manque de sommeil. La vraie raison, la seule, cétait la jouissance de Frédéric. La vaille, il avait joui sur elle. « Sur elle ! » pas « En elle ». Depuis quelques mois, il préférait sa bouche sans pour autant dédaigner ni son con ni son cul. Mais la veille, il avait refusé quelle reçoive sa jouissance, il ne lui avait même pas donné son sexe à nettoyer. Et elle sétait sentie exclue de son plaisir ; dautant plus vivement quelle sen pensait le réceptacle naturel.
***
Frédérique avait étouffé des sanglots durant une bonne partie de la nuit. Naturellement, ce larmoiement lancinant avait fini par tirer Frédéric du sommeil. Il avait néanmoins fait semblant de dormir dans un relâchement paisible, forçant même, à certains moments, sur les ronflements simulés.
Il était donc, en ce samedi matin, dhumeur assez revêche et elle, assez maussade. Heureusement pour lune comme pour lautre, Franck était là, avec son sourire dange et son rire en cascade. Le petit bonhomme galopait désormais partout à quatre pattes et cétait, pour ses deux parents, un véritable enchantement de le voir si joyeux. Et la matinée, qui sannonçait orageuse, passa comme un poème. Jusquà lappel de Marc.
Pas de souci, conclut Frédéric, dix-neuf trente cest parfait. On soccupe de tout. Ciao, à ce soir.
Il raccrocha et sourit face au regard perplexe et interrogateur de Frédérique.
Il va falloir faire quelques courses, jai invité du monde.
***
Franck dormait paisiblement dans sa poussette tandis que ses parents déambulaient dans les allées de lhypermarché, passant aux yeux de tous pour un couple des plus normaux. Mais lun comme lautre savait que le dîner nétait pas la principale préoccupation des futurs convives, tout comme elle ne fut pas dupe lorsque Frédéric imposant une longue étape au rayon animalerie et quil jeta dans le caddy, un collier de cuir noir et clouté ainsi quune laisse coordonnée, tressée de larges brins.
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