53.3 Du Côté De Chez Thibault

Le bus s’arrête. Les portes s’ouvrent, des passagers descendent, d’autres montent. Le brun « Thibault-like » n’a pas bougé de son siège. Les portes se referment. Le bus repart.
Nous nous approchons de notre destination, dans pas longtemps nous allons descendre, je vais découvrir l’appartement du bomécano.
Le bus s’arrête une nouvelle fois… ça remue autour de nous, mais il n’y a toujours pas de place pour s’asseoir… le bobrun a toujours le nez planté dans la Dépêche…
Le bus repart et c’est là que je me rends compte que des « passagers » un peu particuliers sont en train de se balader dans le bus… les contrôleurs. Je les entends demander à droite et à gauche de présenter les tickets…
C’est là que le petit ouvrier « Thibault like » lève enfin le nez de son journal, enlève ses écouteurs, ce qui m’offre l’occasion de croiser à nouveau son regard… il y a quelque chose dans ce regard, comme une inquiétude, un truc que je ne sais pas voir sur le moment, mais que je ne vais pas tarder à découvrir.
Après nous avoir contrôlés, Thibault et moi, le contrôleur s’approche du bogoss, lui demande son ticket. Je le vois trifouiller longuement dans son sac à bandoulière pour en sortir un ticket un peu usé, qui s’avère non valide. Le contrôleur lui demande s’il ne s’est pas trompé, le bogoss répond en effet qu’il a dû se tromper et en cherche un autre qui, après vérification, se révèle tout aussi invalide.
C’est là que je comprends enfin… il le savait bien sûr, le bogoss savait qu’il n’avait pas de ticket valide, mais il a tenté sa chance, il a cherché à bluffer. C’est ça que je n’ai pas su voir dans son regard lorsqu’il a vu les contrôleurs, ce regard qui disait « merde, je vais me faire gauler, mais je vais essayer de tricher, on ne sait jamais… ».
Pourtant, le mec a vraiment l’air d’un honnête garçon, d’un ouvrier, d’un bosseur, d’un mec qui prend le bus tous les jours pour aller à son taf… pas le genre à tenter de frauder… à mon avis, il a juste oublié d’en racheter…
Ceci dit, je comprends qu’il ait cherché à bluffer… son salaire doit être assez dur à gagner pour se resigner à lâcher « comme ça » le montant d’une amende, surtout à cause d’un oubli…
Non, il ne me semble pas que le mec soit un voyou… je me dis que si j’avais su et si j’avais pu, je lui aurais payé son trajet avant que les contrôleurs ne le captent.


Mais la question ne se pose pas, puisque je n’ai pas su deviner les raisons de son inquiétude… et, de toute façon, je n’ai pas de ticket sur moi… et puis, même si j’en avais… aurais-je osé ?
Je ne le sais pas, mais j’aimerais vraiment avoir le cran de sortir un mec comme lui de la panade… même pas pour le draguer… parce que son regard lumineux me donne simplement envie de le faire… ça me fait mal au ventre de le voir « pris au piège », alors qu’il a l’air tellement gentil garçon…
Le bogoss est donc bon pour l’amende. Le contrôleur lui demande sa carte d’identité. Le garçon est calme, résigné je dirai, le regard toujours doux. Je donnerais cher pour lire le nom sur la carte.
Le contrôleur lui demande quelque chose dont je ne comprends que la fin : « c’est 82 ? », et le bogoss répond : « Oui, c’est ça », le contrôleur change de position et se tourne pour être plus à la lumière en expliquant qu’il ne voit pas bien.
82… Qu’est-ce que ça peut être d’autre, à part sa date de naissance ? Putain, il a donc 19 ans… 19 ans… tout comme Thibault… je lui en aurais donné au moins 4 ou 5 de plus. Mais s’il a 19 ans, il fait tellement mec… c’est vrai aussi que Thibault aussi fait tellement mec pour ses 19 ans…
Pendant que le contrôleur rédige l’amende, je remarque que le regard du bogoss se balade à plusieurs reprises dans notre direction… j’ai l’impression qu’il me regarde, je me demande s’il s’est rendu compte que je ne peux pas décoller les yeux de lui…
Sauf que je m’aperçois, un peu plus tard, que ses regards sont plutôt adressés à mon pote Thibault… Thibault qui, lui aussi, semble observer discrètement le bogoss inconnu… suis-je en train d’assister à un jeu de regards qui se cherchent, s’aimantent, tentent de connaître les intentions de l’autre ?
Arrête Nico, tu prends ton cas pour des généralités… Thibault n’est pas pd… et si même il s’intéressait un peu aux mecs, quelle chance que ce mec croisé dans un bus puisse s’intéresser à lui ?
Le bogoss écope donc de son amende.
Le contrôleur range son carnet de pv, lui tend le double et le bogoss dit « merci ». Je n’en crois pas à mes oreilles… le mec vient de se faire verbaliser et il dit merci comme si on venait de lui faire un cadeau. C’est mignon et touchant.
Le contrôleur part et le mec se replonge dans la Dépêche, comme si de rien n’était, un peu seul dans son monde…
Ce qu’il lit doit être drôle, car il rit de temps en temps, sans bruit, mais son sourire est délicieux, celui d’un p’tit mec de 20 ans, mais déjà viril.
Il ne lève hélas pas souvent la tête pour que je puisse revoir son visage, capter son regard…
J’ai envie… de savoir qui il est, quel est son prénom… mal au ventre d’être là, à côté de lui, ne pas oser m’assoir à côté, lui dire… « Salut, moi c’est Nico. Pas de bol pour tout à l’heure, avec les contrôleurs… »…
Ok, je suis avec Thibault… mais même seul, je sais que je n’aurais jamais le cran…
J’ai envie… d’être à côté de lui, de sentir son odeur, son parfum, son déo peut-être…
J’ai envie… de mordiller ses oreilles qui me narguent, de toucher sa barbe douce, de frotter ma joue contre ses poils…
J’ai envie… de savoir comment est son torse, s’il est poilu…
J’ai envie… de savoir ce qu’il porte sous son pantalon de chantier…
J’ai envie… de savoir comment il jouit, quand il jouit, comment il fait l’amour…
J’ai envie… de le faire jouir.
J’ai envie… d’être dans ses bras.
J’ai envie… de lui, de plus en plus furieusement, de plus en plus irrésistiblement, une étreinte douce, sensuelle, intense. Ou une étreinte torride, puissante, sauvage, sans parole, son regard bleu planté dans le mien, ou pas…
Oui, un bogoss se montre, et je pars en délire…
Le bus s’arrête à nouveau. Trois jeunes montent, ils parlent bruyamment. Surpris par le raffut, le bogoss lève enfin la tête et son regard tombe à nouveau dans notre direction.
Une fois de plus, les regards de Thibault et de son presque sosie semblent se croiser, se rencontrer.

C’est là que j’entends la voix calme de Thibault lancer :
« Pas de chance avec les contrôleurs… ».
Euh… tu m’as volé la réplique, le bomécano…
« Ouais… pas de bol… » j’entends le bogoss inconnu répondre et expliquer calmement « j’ai changé de pantalon ce matin et j’ai oublié de faire les poches du pantalon sale (mais tu as changé de boxer et de t-shirt aussi, hein ? tu as pris ta douche, hein ?)… j’espère juste que ma copine va y penser avant de faire la machine… ».
Pfffff… la copine… le pire défaut d’un bogoss… (réflexion de jaloux).
Mais en attendant, sa voix est vraiment douce, elle tranche vraiment avec son gabarit et son allure très masculine.
« Mais on ne s’est pas déjà vus ? » finit par lâcher le bomécano.
« Je me disais la même chose… ».
« Tu joues pas au rugby ? ».
« Si, je suis pilier à Auzeville… je m’appelle Alban… ».
Ahhhhhhh… le petit nom d’un bogoss… frisson garanti… en plus, j’aime bien ce prénom…
« Et moi je suis Thibault, demi de mêlé aux Amidonniers » fait Thibault, avant de continuer, sur un ton taquin « je me souviens… on vous a mis une sacrée raclée cet hiver… ».
« C’est juste que vous avez le meilleur ailier du tournoi… ».
« Il n’y a pas que Jérémie Tommasi qui sait jouer, mais c’est vrai qu’il est très bon… ».
« Ah, mais oui, je m’en souviens moi aussi maintenant… c’est vrai qu’il serait moins bon s’il n’avait pas les bonnes passes… vous êtes un sacré tandem tous les deux… ».
« Non, je pense que Jérémie est vraiment bon, très bon… » insiste le bomécano « je suis étonné qu’il n’ait pas été repéré par les gros bonnets… il y avait des mecs du Stade aux derniers matchs… mais ils ne se sont pas manifestés… j’ai été très déçu… ok, on a raté la demie, mais on a fait une super saison et la finale a été un feu d’artifice… et Jérémie a été extraordinaire… ».
« Félicitations pour votre victoire ! ».
« Merci, mais il le fallait… après l’avoir raté de si peu l’année dernière… je crois que le capitaine aurait peté un plomb… ».

Le bus s’arrête à nouveau.
« Nous sommes arrivés » j’entends Thibault annoncer, avant de lancer à Alban, adorable « et désolé pour ton amende… si j’avais su, je t’aurais filé un ticket… ».
Euh… Thibault ! On a le même scénariste ou quoi ?
« C’est pas grave… mais merci, mec… ».
« Content de t’avoir vu… » fait Thibault en s’avançant pour serrer la main de son presque sosie qui n’a toujours pas bougé de son siège « et à une prochaine, sur la pelouse… ».
« Ok mec, merci, à la prochaine… » fait le bogoss, en serrant la main de Thibault et en serrant la mienne juste après, une sacrée poignée de mec.
Nous descendons. Depuis le trottoir, je regarde une dernière fois le bogoss à travers les vitres du bus, toujours absorbé dans sa Dépêche… je regarde le bus redémarrer, je regarde Alban retourner vers sa vie qui vient de croiser la mienne, et qui l’a remplie furtivement d’envies.
Nous traversons la route, côte à côte.
« Je le regardais depuis un moment, il me semblait bien que j’avais déjà vu ce mec… » j’entends Thibault commenter.
« Moi aussi il m’a tapé dans l’œil dès que je l’ai vu… » je rigole.
« Il est bogoss, hein ? » fait il en décelant la petite allusion glissée entre mes mots.
« Grave… je trouve qu’il te ressemble pas mal… ».
Eh merde… pourquoi j’ai eu besoin de dire ça ? De mettre côte à côte ces deux phrases qui, une fois rassemblées, donnent un clair compliment à l’égard du bomécano ? Comment prétendre de garder son amitié si je me laisse aller sur ce terrain ? Surveille tes mots Nico… mais en attendant, ça m’a échappé… et Thibault a reçu 5 sur 5…
« C’est gentil… mais Alban est plus grand que moi, il est vraiment bomec… et puis, il a un putain de charisme… c’est le genre de gars qu’on remarque partout, tout le temps… style Jéjé… tu vois… ».
Ce disant, Thibault s’arrête devant la barrière d’un grand immeuble.
Dans l’ascenseur, je me sens un peu gêné… je me sens comme pris au piège, même si c’est moi qui m’y suis sciemment pris dedans… de quoi va-t-on parler ? J’ai peur, non pas de son jugement, mais de ses observations, de sa franchise, de son objectivité… j’ai aussi peur de ne pas oser poser les questions… et peur de poser des questions et de ne pas obtenir des réponses… peur de poser des questions et d’obtenir des réponses…
L’appart de Thibault s’ouvre sur un séjour bien plus grand que celui de Jérém, un vrai séjour, quoi, où il n’y a pas de lit, mais un canapé et une table basse. La baie vitrée au 10ème étage offre une toute autre vue que celui de la rue de la Colombette. Du balcon, on a l’impression de dominer la ville rose… je vois mon pote le Canal se dérouler avec ses platanes… je vois les clochers de St Sernin, celui des Jacobins, je devine le Capitole…
« Assieds-toi Nico… tu veux une bière ? ».
« Oui… s’il te plaît… ».
« Sinon, j’ai du coca, j’ai du café… ».
« Une bière ça ira… merci. ».
Un instant plus tard, il revient avec deux bières, il m’en tend une, nous trinquons et je le regarde en boire une bonne rasade. Il a soif le bogoss. J’aime voir un mec boire à la bouteille, lever le menton, observer sa pomme d’Adam bouger nerveusement au rythme de la déglutition, j’aime le voir s’essuyer les lèvres avec le revers de la main.
« Je vais te laisser 5 minutes, je vais me doucher, je reviens, ok ? Installe-toi, fais comme chez toi… » fait le bomécano en quittant le séjour, tout en ôtant son débardeur et en dévoilant son torse sculpté et velu…
Thibault… putain… qu’est-ce que t’es sexy… j’ai envie d’hurler… un mec comme ça, ça donne des envies… envie de lui sauter dessus… je suis fou… pourquoi à chaque fois qu’un beau mec se montre, je ressens cette folle envie de le faire jouir comme un malade ?
Ahhhh… être à proximité d’un tel bogoss qui prend sa douche… ça fait bizarre, un frisson puissant de me dire que je connais ce corps, que j’ai vu ce garçon dans son plus simple appareil… que j’ai partagé un intense plaisir avec lui… un frisson qui a des teintes de nostalgie, le sachant si près et désormais si inaccessible… penser que cette nuit a été une parenthèse qui n’aura pas de suite…
Thibault disparaît dans l’appartement et un instant plus tard j’entends ce bruit bien connu, un bruit continu et monocorde qui est frisson à l’état pur dans pareille circonstance, le bruit de l’eau qui tombe d’une pomme de douche et qui s’écrase dans un bac en céramique… un bruit qui devient désir brûlant lorsqu’il change, un peu, un monde, lorsqu’il devient plus irrégulier, tout à tour étouffé, amplifié… lorsque son corps nu s’y glisse dessous… envie furieuse d’approcher cette porte, cette cabine que j’ai entendue se fermer juste avant…
Puis, le bruit d’eau cesse… une séquence d’autres bruits se présente alors à mes oreilles… celui du bouchon du flacon de gel douche qui s’ouvre, celui du flacon pressé, celui du gel douche qui sort en pression, celui du bouchon refermé, celui du flacon remis sur son support… et celui des mains qui se baladent sur la peau pour savonner…
Puis, l’eau se remet à tomber… et mes narines sont happées par cette intense odeur de fraîcheur, de propre et de peau de mec qui se répand dans tout l’appart…
Oui, l’idée de savoir Thibault sous la douche, me rend dingue.
Thibault se douche longuement. C’est l’occasion pour faire un peu plus connaissance avec son appart…
Je regarde autour de moi et je me rends compte que cet appartement, très lumineux, est un environnement de vie accueillant… un appartement de mec, certes, décoré avec sobriété, où tout semble fonctionnel, sans superflu… mais un appartement qui respire le propre, le rangé… le tout sans excès, sans prétention… un appartement que je ne peux m’empêcher de comparer à un autre, bien connu…
Rue de la Colombette… un typique appart d’étudiant bordélique… aux Minimes… un appart de mec installé dans sa vie, un appartement à l’image de son occupant, accueillant, chaleureux, charmant, un endroit où l’on se sent bien et à l’aise tout de suite…
Je remarque, accroché au mur, un cadre photo où je reconnais les coupoles de l’observatoire du Pic du Midi… juste avant de reconnaître quatre mecs bien connus… à gauche… Julien, celui du rugby… à droite, Thierry, le quatrième mousquetaire… et au beau milieu, le bras de l’un sur l’épaule de l’autre, le bomécano et mon Jérém tout sourire, la tête légèrement tournée l’un vers l’autre, semblant échanger un regard très complice… derrière eux, le ciel est si bleu… ça devait être une magnifique journée… je ne vous raconte même pas la vue qu’ils ont dû avoir de la haut… de quoi ont-ils rigolé ce jour-là ? Quels souvenirs ont été gravés dans leurs têtes lors de cette escapade ?
Ont-ils dormi, surement d’ailleurs, dans cette maison à la montagne, cette vieille maison à Campan venant de je ne sais quel oncle ou grand parent, que les parents de Jérém ont gardé, cette maison dont j’ai quelque fois entendu mon bobrun parler avec ses potes… cette maison qui est pour moi un lieu mythique, comme hors de l’espace et du temps, un lieu où seuls les potes du bogoss sont admis, et d’où je serais exclu à tout jamais ?
Je me demande qui a pris cette photo… peut être qu’ils ont prêté l’appareil à un inconnu, pour être tous les quatre sur la photo…
Il faut vraiment que je trouve le moyen d’aller moi aussi au Pic du Midi… ça doit vraiment valoir le coup de se taper 15 minutes de téléphérique et de monter à 3000 mètres d’altitude… et si je pouvais y aller avec mon Jérém, ce serait le jackpot… on peut toujours rêver… et si je pouvais un jour échanger un regard aussi complice que Thibault sur cette photo, avec mon Jérém… ce serait le Nirvana… on peut toujours rêver…
Lorsque je les vois sur cette photo, si proches, presque enlacés, soudainement je les revois, tous les deux, si proches, l’autre nuit… je me revois, débordé par ces deux sexualités puissantes, fougueuses… mélangeant mon plaisir au leur… guettant l’explosion de leurs jouissances de mecs, me demandant lequel des deux potes se lâcherait en premier…
Et puis voilà que les choses avaient pris cette direction entre eux… une direction qui les avaient conduits très vite dans un monde qui n’appartenait qu’à eux deux et d’où je m’étais très vite senti exclu…
Leurs gestes étaient peut-être eux aussi guidés par l’effet de cette fumette que nous avions consommé sans modération…
Pourtant, j’avais eu l’impression que les regards désiraient, que les gestes exprimaient… que les bouches se cherchaient, luttaient pour résister…
Certes, j’avais fantasmé sur cette possibilité, tout comme je l’avais redoutée… mais lorsque je m’y étais trouvé confronté, autant dire que je n’y étais pas vraiment préparé…
Pourtant, une fois évacuée la première surprise, la scène m’avait paru très sensuelle, touchante même… j’avais ressenti un sentiment d’excitation assez incroyable du fait d’assister à cela… à l’expression de ces désirs qui semblaient s’embraser l’un au contact de l’autre… des désirs qui avaient l’air à la fois si forts, si intenses, si anciens, si frustrés, si malmenés…
C’était comme un fantasme qui devenait réalité… le fantasme des deux potes qui ont tout partagé depuis l’enfance… les bancs d’école, les entraînements, les match de rugby, les vestiaires, les douches, les sorties… deux potes qui ont eu d’innombrables occasions de se voir à poil, de détailler le corps de l’autre… mais aussi de se retrouver seuls, dans l’intimité d’une fin de soirée un peu arrosée où l’on n’a pas envie de se quitter… deux potes qui ont peut-être fini par ressentir l’un pour l’autre, à un moment ou à un autre, mais pas ment au même moment, une attirance sensuelle inavouée mais brûlante… une attirance qui a germé et grandi dans la frustration et qui n’attendait que la bonne occasion pour se manifester enfin…
J’avais même eu l’impression que ça allait au-delà de ça… qu’il y avait plus que du désir dans leurs regards… qu’il y avait quelque chose qui ressemblait à de l’amour… ou du moins à une sorte de complicité que je ne pourrai jamais avoir avec mon bobrun…
J’avais l’impression que dans leurs regards, dans leurs attitudes réciproques, il n’y avait pas juste l’envie de prendre un plaisir différent, interdit… il y avait surtout l’envie de prendre ce plaisir avec ce pote-là… le pote qu’on aime d’un amour viscéral parce qu’on a tout partagé avec lui, sauf un lit et un orgasme…
Alors, c’est peut-être insensé, mais dans le feu de l’action, j’aurais vraiment kiffé voir Thibault et Jérém s'embrasser… c’est inhumain de ressentir un désir pareil et s’interdire de l’assouvir… on ne peut pas se faire violence à ce point…
Un baiser, et puis un autre et un autre encore… les désirs qui se dévoilent, les passions qui se déchaînent, les barrières qui cèdent, le plaisir qui triomphe sur l’interdit…
Oui, sur le coup, j’aurais trouvé ça tout simplement beau et naturel...
Mon regard était certainement déformé par les effets de la fumette… mais c’était un regard attendri que je portais sur ces deux potes qui, au final, n’ont pas osé aller au bout de leurs envies…
Au point que mon subconscient avait dû projeter ma frustration de ne pas les voir aller plus loin en m’apportant ce rêve érotique où Jérém et Thibault étaient carrément sur le point de s’emboiter…
Pourtant, plus le temps passe plus, en me repassant la scène, le regard attendri laisse la place à un insistant sentiment de malaise, comme de tromperie…
Je ne peux m’empêcher de me demander si ce dérapage était prémédité, du moins de la part de Jérém… dans ce cas, je me dis que j’ai été comme un objet sexuel dans ses mains, un objet qu'il ne s’est pas privé de partager avec un pote, de la même façon qu’il partagerait sa voiture… comme s’il pouvait disposer de moi à sa guise, comme si je n’avais pas mon mot à dire…
Dans ce cas, je me dis que non seulement Jérém voulait montrer à son pote que je ne représente rien pour lui, ou du moins rien de plus qu’un doudou sexuel… mais qu’il avait aussi voulu se servir de moi pour se rapprocher sensuellement de son pote, mais sans avoir à l’assumer… ma présence lui offrant une prétexte du genre : « j’ai couché avec mon pote, mais c’était juste pour nous faire vider par le pd »…
Dans ce cas, quel sale petit con ce Jérém !
Mais même sans que ce soit prémédité, ce dérapage ouvre quand même la voie à des inquiétudes, à des questionnements… qu’est qu’ils ressentent l’un pour l’autre, au juste ? Que se passe-t-il entre ces deux jeunes étalons ?
Je me dis que c’est quelque part un peu dommage que ce moment n’ait pu exister que dans ce genre de contexte, lorsque les barrières mentales des uns et des autres étaient artificiellement baissées, lorsque tout devient possible, parce qu’on ne se contrôle plus vraiment… car on se demandera toujours quelle est la part « réelle » de l’effet du joint et la part « réelle » des envies de chacun…
Je viens tout juste de remarquer, sur le meuble à côté de la porte d’entrée, enseveli sous un tas d’objets tels que des clefs, un stylo, un calepin, sa casquette, un calendrier des pompiers… la tentation de le feuilleter est trop forte…
Dès le premier contact, j’ai l’impression que ce calendrier dégage une sorte d’énergie, de puissance propre… tel un « portoloin », dès que mes doigts se posent dessus, j’ai l’impression de transplaner loin de cet appart et de cet instant, au cœur de l’urgence d’une intervention des soldats du feu… j’ai l’impression d’entendre le bruit des sirènes, la course contre la montre, l’odeur de la fumée, l’odeur de la peur, des larmes, la puissance des hommes, de leur courage, l’odeur de la sueur…
Ce calendrier m’intimide… car il résume presque à lui tout seul la grandeur d’un gars comme Thibault… ce calendrier est le symbole de l’engagement, du courage, de la droiture, du respect de l’autorité et des valeurs humaines, de tout ce qui fait que Thibault est un garçon en or… oui, ce calendrier est vraiment un objet magique… un objet capable de graver définitivement dans mon esprit cette image d’homme, jeune par l’âge, mais très mur dans son être profond, incarnée par mon pote Thibault.
Je mate la couverture et je suis étonné de voir que c’est le calendrier de cette année… étonnant qu’il ne soit pas accroché au mur… enfin, pas si étonnant que ça en fait… c’est tout Thibault ça… être, plutôt que paraître… agir, plutôt que (se la)raconter…
Photo de couverture, photo d’équipe toute entière… c’est une photo très basique, loin des mises en scène plus élaborées que tout calendrier masculin prendra quelques années plus tard, à l’image de celui des Dieux du Stade… les hommes du feu de la caserne de Thibault alignés sur trois rangées devant un camion rouge vif… tout le monde est là, tous les âges, tous les gabarits, toutes les gueules… pas de tri… dans une équipe de pompiers, il n’y a pas de vieux, pas de jeunes, pas de beaux, pas de moches, juste des héros ordinaires…
Je cherche mon pote… le voilà, un peu sur la gauche, rangée du milieu, le torse et la tête bien droits, les bras croisés sur la poitrine, posture qui fait gonfler les biceps, qui finissent par très très bien remplir les manchettes du polo bleu foncé règlementaire, qui n’a pourtant rien d’une pièce bien coupée…
Thibault est là, avec tous ses collègues… le regard droit vers l’objectif, l’air fier de son uniforme, de son rôle… mais pas un brin frimeur, juste heureux d’être là, à sa place, heureux de pouvoir être utile à son prochain…
Une fois de plus, je me dis que ce petit mec est vraiment un ange tombé du ciel…
Lorsque le bomécano revient de la salle de bain, s’essuyant les cheveux encore humides, en bataille, avec une grande serviette, la peau fraîche dégageant cette délicate effluve de mec qui sort de la douche, un débardeur immaculé, un short gris molletonné marquant son entrejambe d’un joli relief, une paire de claquettes aux pieds… je ne sais pas si c’est normal ou pas… mais j’ai vraiment envie de lui sauter dessus…
« Ah, t’as vu ça… » fait il, un peu gêné.
« L’uniforme te va très bien… » je ne peux m’empêcher de lui lancer « et je suis vraiment admiratif pour ton engagement… ».
« Les pompiers m’ont sauvé la vie lors d’un accident de voiture lorsque j’avais sept ans… ma vie et celle de mon père… ce jour-là, je me suis dit que j’en serai moi aussi… ».
« C’est beau… ».
« Je te jure que j’y aurais réfléchi deux fois si j’avais su que c’était si chiant de faire les photos… » rigole le bomécano.
Juste adorable. J’ai envie de le serrer dans mes bras et de le couvrir de bisous.
Au lieu de quoi, je pose le calendrier et je le rejoins sur le canapé où il vient de s’installer.
« Ça va Nico ? » fait le bomécano en posant sa serviette sur le dossier d’une chaise à côté, avant de reprendre sa bière sur la table basse et d’en avaler une nouvelle longue rasée.
« Ça va, oui… et toi ? ».
« Moi ça va… mais toi… je te trouve soucieux… » fait Thibault.
Je ne sais pas quoi répondre… tant de questions se bousculent dans ma tête, mais elles me paraissent soudainement lointaines face à l’émotion de me trouver confronté à cette partie si noble de la vie de mon pote Thibault.
C’est le bomécano qui se charge de me mettre à l’aise. Pour ce faire, il y va direct.
« Tu sais… il ne faut pas qu’il y ait de malaise par rapport à ce qui s’est passé l’autre nuit… désolé de mettre les pieds dans le plat, mais je ne veux pas que tu te sentes gêné vis-à-vis de moi… si tu es gêné, je vais l’être aussi… et entre potes on n’a pas à être gênés, sinon c’est la fin de l’amitié… ».
« Tu as raison…» j’admets.
« Ça ne va rien changer entre toi et moi… je te considère un pote, et ça, ça ne changera jamais, je te promets… ».
« Moi aussi je te considère comme un pote… ».
Thibault pose son regard dans le mien et, en décalage avec son discours rassurant, son petit sourire touchant semble traduire une petite inquiétude.
« Alors dis-moi ce qui te tracasse, Nico… » je l’entends quand même me relancer.
« Je sais pas, j’ai l’impression que cette nuit on a peut-être été trop loin… enfin, surtout moi j’ai été trop loin… ».
« Si toi t’as été trop loin, on y a été tous les trois… ».
« J’avais peur que tu aies une mauvaise opinion de moi… ».
« Pourquoi donc ? ».
« Parce que j’ai… ».
« Tu n’as pas à te justifier Nico… et tu n’as pas à avoir honte, pas plus que moi ou Jéjé… ».
Je suis une fois de plus extrêmement touché par ses mots, pas sa façon de rendre tout beau et simple. Même si son regard reste fuyant et que son attitude me parait toujours aussi déphasée par rapport à ses mots.
« Comment ça se fait que tu es venu à l’appart samedi dernier au milieu de la nuit ? ».
La question sort toute seule, elle tombe comme un cheveu sur la soupe.
Thibault marque un moment de silence, de réflexion, ou d’hésitation, mais il ne se débine pas.
« C’est une longue histoire… ».
« Si tu n’as pas envie d’en parler, je comprends… ».
« C’est pas ça… le fait c’est que je n’avais pas de nouvelles de Jéjé depuis une semaine… ».
« Depuis la finale ? ».
« C’est ça… ».
J’hésite à lui poser la question qui me brûle la langue… mais le jeune pompier semble une fois de plus lire dans mes pensées.
« Après le barbec chez l’entraîneur, Jéjé était rond comme une bille, alors je l’ai raccompagné à l’appart… il n’avait pas l’air très bien, et je suis resté un peu avec lui… on a commencé à discuter… j’ai essayé de lui faire dire ce qui n’allait pas… je sentais qu’il avait un truc sur le cœur depuis un moment, et que ça le perturbait… c’est pas que je voulais m’occuper de ses affaires, mais je me suis dit qu’il fallait que ça sorte… j’ai dû forcer un peu les choses et il a fini par m’avouer qu’il couchait avec toi… ».
Silence de la part de Thibault, regard fuyant, comme s’il hésitait à en lâcher davantage, comme s’il regrettait déjà d’en avoir trop dit.
J’ai à la fois très envie d’en savoir plus et je me sens incapable de le forcer à dire des choses qu’il voudrait peut-être garder pour lui…
« Et alors, qu’est-ce qu’il a dit ? » je ne peux pourtant pas m’empêcher de lui demander.
Thibault semble fixer en coin indéfini dans la pièce… je vois sa pomme d’Adam vibrer sous l’effet d’une déglutition nerveuse… il boit une dernière rasade de bière et il plonge son regard dans le mien.
« Tu sais, il avait vraiment beaucoup bu… il n’était pas bien… il a eu des mots que j’ai trouvé déplacés… il a essayé de me faire croire qu’entre toi et lui, ce n’est qu’une histoire de baise… il me soutenait que lui n’est pas pd, que c’est toi qui l’a entraîné dans ces délires… des mots qu’il ne pense pas, je le sais… il fait son macho, mais je sais qu’il tient à toi… j’ai essayé de le raisonner, de lui dire que tu es un gars bien et qu’il n’y a rien de mal à ce que vous faites… il s’est énervé et il m’a envoyé chier… ça m’a énervé aussi et je suis parti presque en claquant la porte…
Evidemment, après ça, tu connais Jéjé, pas de nouvelles de la semaine… c’est pour ça que j’ai voulu passer le voir samedi… je sais qu’il finit à peu près à 2 heures, et c’est le seul soir de la semaine où je peux attendre si tard… j’avais besoin de le voir pour mettre les choses à plat… cette histoire m’a foutu le bourdon pendant toute la semaine… ».
Je regarde la serviette abandonnée sur le dossier de la chaise et je me dis que j’ai envie de l’attr et de plonger mon visage dedans…
« J’avais remarqué que tu n’étais pas dans ton assiette quand on s’est vu la semaine dernière… ».
« Tu connais la raison, à présent… » fait le bomécano, le regard un peu éteint, presque mélancolique, avant d’enchaîner « j’ai été surpris de te trouver chez lui samedi… enfin… c’est normal que vous vous voyiez mais l’autre nuit je pensais le voir seul à seul pour discuter… ».
« C’était pas prévu… rien n’est jamais prévu avec Jérém… avec lui, c’est quand lui il en a envie… il m’a fait venir quand il a débauché… » j’explique.
« Tu sais, j’ai vraiment hésité quand Jérém m’a demandé de rester avec vous… ».
« J’ai vu… ».
« J’ai hésité parce que je ne voulais pas rentrer dans son jeu… ».
« Quel jeu ? ».
« Le jeu de me montrer, et de se prouver, que tu ne représentes rien d’autre à ses yeux qu’un bon coup… style… on va s’amuser tous les deux avec Nico… ».
« C’est ça que je suis à ses yeux… juste un bon coup… disponible à la demande… ».
« Mais pas du tout… pas du tout, Nico… crois moi… Jéjé joue au dur, au mec qui n’a pas de sentiments, mais ses regards, sa jalousie ne trompent pas… quand il est contrarié, Jéjé ne sait réagir que de cette façon, en jouant au con… ».
« Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis, alors, qu’est-ce qui t’a fait rester ? » je le relance.
« Je ne sais pas… pas vraiment » fait le bomécano soudainement gêné, le regard à nouveau dans le vide « pour plusieurs raisons sans doute… la curiosité, je pense… tu vois, depuis que je sais que vous couchez ensemble… enfin… je me pose des questions… Jéjé a toujours été un coureur, un « sciupafemmine », comme l’appellent ses cousins napolitains… il a toujours changé de nana comme de t-shirt… mais toi… toi il ne t’a pas jeté… toi tu es sa plus longue relation…
C’est vrai que j’aurais pu partir, pour ne pas rentrer dans son jeu… mais j’étais heureux de retrouver mon Jéjé après cette semaine de froid… et puis, je me suis dit que si je restais, je pourrais lui montrer que je n’étais pas obligé de rentrer dans son jeu… lui montrer qu’il n’avait pas à te traiter de cette façon… et qu’en tout cas moi je ne te traiterai pas de cette façon…
Enfin, tout ça, ça m’a traversé l’esprit… mais j’hésitais encore… après, on a continué à fumer… et quand tu as commencé à t’occuper de moi… je crois que je me suis laissé transporter… ne m’en veux pas, Nico… ».
« Je ne t’en veux pas… je me suis laissé aller aussi… ».
« J’avais envie qu’on passe un bon moment ensemble et que ce soit bon pour tous les trois… j’avoue que l’idée de partager ce moment avec Jéjé et avec toi, le mec qui fait du bien à mon pote, ça me plaisait bien… c’était l’occasion de rentrer un peu dans votre intimité… de découvrir le bien que vous vous faites… j’avoue que j’étais un peu curieux… curieux de savoir ce que mon pote aime… pourquoi il n’arrive pas à l’accepter… et pourquoi il se comporte de cette façon avec toi… ».
« T’as dû être déçu de mon attitude… ».
« Pourquoi, donc ? ».
« Du fait que je me laisse faire… ».
« Bah, écoute… si je devais être déçu, ce serait de tous les trois alors… ».
« Comment ça ? ».
« Jéjé n’a pas à avoir cette attitude humiliante à ton égard… Jéjé est un bon petit macho, il a souvent été assez méprisant à l’égard des nanas… il les traitait mal, il en parlait encore pire… mais là, j’ai trouvé qu’il dépassait vraiment les bornes avec toi… ».
« Il n’est pas tout le temps comme ça… » je tente de relativiser « juste quand il est jaloux… parfois, il sait être même très doux, mais c’est rare… ».
« Je n’en doute pas, mais il n’a pas à se comporter de cette façon avec toi… jamais… alors, si je devais être déçu, je devrais l’être de Jéjé… et de moi aussi… ».
« Pourquoi de toi ? ».
« Pour ne pas l’avoir remis à sa place avec plus de fermeté… ».
« Tu as fait beaucoup Thibault… ».
« Mais tu ne dois pas te laisser faire, Nico, tu dois t’imposer… ».
« T’as bien vu comme il est avec moi… il a tout le temps le dessus avec moi… il fait de moi ce qu’il veut… je mentirais si je disais que je n’aime pas son côté macho, directif, de mec qui sait ce qu’il veut… mais parfois il dépasse les bornes, comme tu le dis… et c’est là que je ne sais pas me faire respecter… lui dire clairement ce que je ressens… ».
« Tu vois… c’est justement ça ton erreur, peut-être… tu devrais lui balancer tout ce que tu as sur le cœur une fois pour toutes… Jéjé est une tête de mule, parfois il lui faut un électrochoc salutaire pour lui faire comprendre les choses qu’il refuse de regarder en face… ».
« Je n’ose pas… ».
« Je t’assure, Nico, je le connais un peu pour savoir qu’il faut parfois le brusquer… combien de fois il est parti d’un entraînement en claquant la porte… mais il est toujours revenu…
Je peux te dire que dans d’autres circonstances, je ne me gênerais pas pour aller à l’affrontement… on s’enverrait chier, on se retrouverait plus tard… ne crois pas que parce qu’on est potes, on ne s’est jamais pris la tête… j’ai vécu ça un million de fois depuis que je le connais… Jéjé a un sacré caractère, je t’apprends rien… au fond, c’est un écorché vif, les nerfs à fleur de peau… il est impulsif, colérique… mais vouloir le ménager à tout prix ça ne lui rend pas service… ».
« Je comprends… ».
« Tu vois, Nico… je pense que si j’étais intervenu, surtout devant toi, il aurait été capable de me dire de m’occuper de mes oignons… il se serait senti attaqué, trahi, humilié, il se serait cabré… déjà que la dernière fois que je l’ai calmé j’ai eu peur qu’il m’envoie chier… enfin… il l’a quand même fait à moitié, t’as bien vu… alors, je pense vraiment que c’est toi qu’il doit voir se rebiffer, se rebeller… ça va le marquer, mais uniquement si ça vient de toi… il n’aime pas perdre la face, mais il va mieux le supporter si vous n’êtes que tous les deux… ».
« Vous êtes beaux tous les deux… tu es fou de ton Jérém… et tu comptes pour lui, beaucoup, même si parfois il se comporte avec toi comme le roi des crétins…».
Au fil des dernières phrases, j’ai senti la voix de Thibault se charger d’une fébrilité palpable. J’ai l’impression que le bomécano est secoué par une émotion inattendue.
Ses mots, sa bienveillance, sa gentillesse me touchent et m’émeuvent profondément. Je ressens une émotion m’envahir, monter de mon bas ventre, se propager dans mon torse, agir sur les poumons, monter aux yeux, faire perler quelques larmes…
Je passe une main sur le visage, j’essaie de respirer profondément, d’essuyer mes joues, de me ressaisir… mais un sanglot m’échappe, je suis démasqué…
Et là, son bras se pose sur mon épaule, m’attire à lui… je lève les yeux, je vois son sourire doux et ému… je me laisse aller, je me retrouve dans ses bras, je pleure dans l’arrondi de son débardeur, réconforté par sa double, douce pilosité, celle qui recouvre son torse, celle qui rend son visage si viril… je pleure enivré de l’odeur frais de sa peau…
Nous restons ainsi enlacés, pendant un bon petit moment. Qu’est-ce que ça fait du bien de se retrouver dans ses bras puissants.
« Je vais te montrer quelque chose… » je l’entends dire, alors que ses bras relâchent leur étreinte et que son regard vert se pose dans le mien.
Et, ce disant, le bomécano de lève, se dirige vers le meuble télé en face de nous et en revient avec un gros album photo à la main.
« Je vais te monter des photos… là-dedans il y a presque 10 ans d’amitié entre Jéjé et moi… enfin… si tu as envie de les voir… ».
Envie de feuilleter cet album ? Je crois que je serais prêt à payer une fortune pour voir des photos de mon Jérém… Un album photo, ça ? Mais ça ce n’est pas juste un album photo, c’est un grimoire de sorcellerie, c’est le Graal… j’ai le cœur qui tape à mille dans la poitrine juste en pensant aux trésors renfermés dans ses pages… j’ai les larmes prêtes à couler en imaginant les émotions qui vont encore me submerger en voyant mon Jérém dans des moments que je n’ai pas partagés avec lui…
« Bien sûr que j’ai envie de voir ça… » j’arrive à énoncer sobrement, en retenant de justesse un nouveau sanglot.
Thibault pose l’album sur ses genoux et, avec un geste lent, il pose sa grosse paluche sur la couverture cartonnée et la fait pivoter… je le regarde feuilleter les premières pages… ce qui me rappelle que le bomécano est gaucher... chose qui, pour une raison que je trouve complètement inexplicable, le rend encore plus sexy à mes yeux.
« T’as des photos de lui, toi ? ».
« Juste une que j’ai découpé de la Dépêche la semaine dernière ».
« Vas-y, choisis en une… ou même deux… ».
« Mais je ne peux pas, ce sont tes souvenirs… ».
« Des photos, j’en ai plein… mais les meilleurs souvenirs, ils sont là-dedans » fait il en posant sa main à plat sur son cœur « photo ou pas photo, ils ne vont jamais partir de là… vas-y, prend l’album et choisis… ».
Et, ce disant, il att le bouquin qu’il avait posé sur la table basse avant de me serrer dans ses bras et il le met dans mes mains…
L’objet est lourd, physiquement et symboliquement… j’ai l’impression qu’il me brûle les doigts, tellement l’histoire de vies et d’amitié qu’il contient me touchent, m’émeuvent…
Je commence à le feuilleter depuis le début… je repasse le film d’une vie… page après page, le bogoss grandit, le gamin se transforme en jeune étalon hyper sexy…
Euh, Thibault… c’est un cadeau empoisonné que tu me fais là… comment choisir parmi toutes ces merveilles ?
Je n’arrive vraiment pas à me décider… je parcours l’album plusieurs fois… je ne sais pas pendant combien de temps je passe et repasse ce parcours de vie…
A travers ces photos, je revis les trois dernières années depuis que je le connais… je revis l’itinéraire d’un amour qui est né au premier instant et qui a jalonné ma vie depuis trois ans…
« Alors, t’as choisi ? » j’entends Thibault me demander, m’arrachant une fois de plus à mes divagations, tout en s’installant à nouveau sur le canapé à côté de moi.
« J’aime bien celle-ci… ».
Jérém assis sur la pelouse de la prairie des Filtres, on voit une arcade du Pont Neuf tout à gauche de l’image… le buste soutenu par ses bras tendus et ses mains posés à plat sur le sol derrière son dos… habillé d’un simple jeans, et de la même chemise à carreaux noirs et blancs que sur l’autre photo, les manches retroussées, ouverte sur un t-shirt blanc sur lequel sa chaînette de mec est négligemment abandonnée, le regard ténébreux… tenue et attitude, très, très… mais alors… très très très très mec…
« Vas-y, décolle-là, elle est à toi… ».
« Merci infiniment, Thibault… ».
Je la décolle lentement et je contemple le vide laissé par la photo.
« Vraiment, ça me gêne… ».
« Il faut pas… allez, vas-y… choisis-en une autre… ».
Je feuilleté jusqu’à ce que je retrouve une photo en maillot rugby.
« Celle-là aussi me plait beaucoup… ».
« Tu prends… ».
« Merci… ».
« Une dernière, pour la route… ».
« C’est abusé… ».
« Non, puisque je te le propose… ».
Je ne peux m’empêcher d’en viser une où mon bobrun est sur la plage, torse nu, le bronzage ajoutant des couleurs à sa peau mate, la lumière du soleil mettant en valeur et en relief la musculature parfaite de son corps…
« Celle-ci alors… ».
« Vas-y… ».
« Merci, ça me touche vraiment… ».
« C’est normal, et en plus ça me fait plaisir… ».
Je regarde ma montre et je me rends compte que j'ai passé une heure assis sur ce canapé, à regarder des photos à côté de ce charmant mécano…
A la suite de mes manipulations pour décoller les images, soudainement, l’album photo se referme tout seul et glisse entre mes genoux… j’essaie de le rattr avant qu’il ne touche le sol, j’ai un mouvement brusque, mes cuisses frôlent les siennes, en dessous de son short gris molletonné...
Nos regards se croisent. Son regard est beau, il happe le mien… en plus d’être adorable, ce petit mec est aussi incroyablement sexy… Thibault est typiquement le genre de garçon qu’on a envie de câliner pendant des heures et de faire jouir pendant des heures aussi... très envie de le serrer contre moi, très envie aussi de passer ma main dans ce short et aller caresser sa bosse... l’odeur de sa peau fraîchement douchée me rend dingue… mais il ne faut pas…
Nos regards ne se quittent pas… il esquisse un petit sourire doux et un brin gêné… j’essaie de lui rendre son sourire… il porte une main sur mon épaule…
« Tu sais, je t’aime beaucoup, Nico… ».
« Moi aussi je t’adore… ».
« J’ai vraiment adoré cette nuit… ».
« Moi aussi… moi aussi… ».
« Tu es un mec formidable, Nico… je suis content que Jéjé soit tombé sur quelqu’un comme toi… parce que toi… toi tu l’aimes… et ça, c’est beau et précieux… Jéjé est le plus gentil des garçons, il a juste besoin… de toi…
Je vois Thibault ému, je le suis aussi… je ne comprends plus rien, j’ai la tête qui tourne, j’ai envie de me jeter dans ses bras, j’ai envie de l’embrasser, j’ai envie de tout avec lui…
A cet instant précis, son portable se met à sonner.
« C’est Jéjé… » il m’annonce, après avoir regardé l’écran, avant de décrocher.
« Hey, mec… ça va ? » démarre le bomécano. A chaque fois je suis touché par sa façon de montrer sans ambiguïté qu’il est heureux de retrouver un pote.
« Oui, je t’écoute… » je l’entends lancer, après un instant de silence.
J’essaie de capter l’autre moitié de la conversation, mais Thibault tient le portable collé à la « mauvaise » oreille, ce qui ne me permet d’entendre autre chose que de vagues grésillements de bobrun.
« Demain tu dis ? » s’étonne le bomécano.
Ecoute en silence. Grésillements indistincts de bobrun.
« Ok, ok, c’est faisable… tu peux commencer demain à ta pause, si tu veux, je déposerai le double des clefs de l’appart dans ta boîte aux lettres demain matin… ».
« Bon, ok, t’as qu’à tout laisser dans la chambre d’amis, je vais faire de la place tout à l’heure… ».
« Il n’y a pas de quoi… à plus… et bon courage pour ce soir… travaille pas trop… allez, ok, bises… ».
Le bomécano vient de raccrocher. Il me fixe droit dans les yeux et il enchaîne :
« Ça tombe bien qu’il ait appelé, il faut que je te dise un truc… ».
« C'est-à-dire ? ».
« Je ne pense pas qu’il t’en ait parlé, lui… ».
« Il ne me dit jamais rien… » je le mets à l’aise.
« Jérém n’a pas payé son loyer depuis des mois… il s’est fait expulser… il doit quitter l’appart à la fin du mois… ».
Ahhhhhhhhhhhhhhh… voilà que j’ai raté un épisode… enfin, qu’à moitié… comme quoi, parfois les rêves, même érotiques, peuvent se révéler prémonitoires…
« Mais c’est dans quelques jours à peine… » je m’inquiète.
« Je suis sur le cul aussi… il me l’a annoncé pas plus tard que hier soir, au tel, alors qu’il le sait depuis des semaines, ou des mois… s’il m’en avait parlé quand il a commencé à avoir des problèmes, j’aurais pu l’aider… mais il a rien dit, et là, il doit plus d’un an…
« Mais ses parents ne lui donnent plus rien ? ».
« Je savais qu’il avait eu une grosse dispute avec sa belle-mère il y a quelques mois… mais je ne savais pas qu’il avait coupé les ponts avec son père… apparemment, il ne lui file plus un centime… et là il est à sec complet… en plus, Jéjé n’est pas le genre à faire attention à l’argent… tout ça le dépasse jusqu’au jour où il est vraiment dans la merde… bref… il m’a demandé si je pouvais l’héberger, le temps de se retourner… évidemment, j’ai dit oui… et là, il vient de m’appeler pour savoir s’il peut commencer à amener des affaires dès demain soir… ».
Décidemment, ce soir je vais de surprise en surprise… je ressens un étrange sentiment de vide, de fin de chapitre, de page qui se tourne à l’idée que dans quelque jour je n’aurai plus accès à cet appart, à ce lieu magique au milieu de la rue de la Colombette, ce lieu hors du temps et de l’espace qui a été le théâtre des premières révisions avec Jérém… la scène de mon dépucelage, le cadre de tout ce plaisir qu'on s'est donné, le décor de mon amour naissant, d’espoirs sans cesse renouvelés et de frustrations de plus en plus difficiles à assumer...
J’ai un pincement au cœur, un très gros pincement à l’idée de me dire que jamais je ne remettrai les pieds dans cet appart, qu'une page se tourne avec son départ de ce lieu, une page de nos vies… et qu’une autre page va bientôt s’écrire, une page que nous n'écrirons pas forcement ensemble...
Où allons-nous nous retrouver désormais pour nos galipettes, si tant qu’il en ait envie ?
Cet appart va vraiment me manquer... il s’en est passé des choses, entre ces quatre murs... s’ils pouvaient parler... Jérém quitte les lieux et dans quelques temps quelqu’un d’autre, un autre étudiant peut-être… peut-être bien un autre petit con ultra bandant comme Jérém prendra sa place, il baisera des nanas à tout va… jusqu’au jour où, peut-être, il entraînera un de ses camarades dans des révisions chaudes bouillantes…
La nuit passée avec les deux potes, était donc la dernière fois que je mettrais les pieds à l’appart rue de la Colombette ?
Je n’aurais même pas pu dire adieu à cet appart où j'ai dormi pour la première fois avec un garçon…
« Nico, je t’aurais bien gardé manger une pizza mais il faut que je passe à la caserne avant 20 heures… ».
« Je vais y aller… ».
« Ça va aller, Nico ? ».
« Oui, c’est juste que la nouvelle du déménagement de Jérém m’a un peu secoué… heureusement qu’il a un pote comme toi… ».
« Tu sais, Nico… tu n’as pas à être jaloux de mon amitié avec Jéjé… au contraire… c’est moi qui devrais être jaloux de ce que tu vis avec Jérém… tu l’aimes si fort, et il le sait, et ça lui fait du bien, le plus grand bien… même s’il ne veut pas l’admettre, l’accepter… toi t’es fou amoureux de lui… et quelqu’un d’aussi amoureux, pour moi, ça force le respect…
Tu sais, jusqu’à il y a pas longtemps, Jérémie Tommasi était « juste » mon pote, mon Jéjé… mais depuis quelques temps, j’ai découvert qu’il est aussi « Jérém »… « ton Jérém », Nico… et j’ai l’impressions qu’il est de plus en plus « ton Jérém » que « mon Jéjé »…
Ne crois pas mal, ça ne me gêne pas, pas du tout… ce qui compte pour moi, c’est qu’il soit heureux… quand je dis que je devrais être jaloux, c’est qu’aujourd’hui tu lui apportes, avec ta présence et avec ton amour, des choses que je ne pourrais pas lui apporter…
Même s’il vient s’installer ici, je sais qu’il ne restera pas longtemps… Jéjé a besoin de son indépendance… quoi qu’il fasse, qu’il trouve un autre boulot, un autre appart, qu’il reste sur Toulouse ou qu’il parte je ne sais où… j’ai besoin que tu m’aides à garder un œil sur lui, si tu le veux bien… ».
« Je te promets que je ferai de mon mieux… » j’arrive à lui répondre, la voix cassée par l’émotion.
Je le prends dans mes bras… autant pour cacher mes larmes que pour chercher du réconfort contre son torse de malade.
Je sens sa main chaude frotter dans mon dos et remonter vers mon cou, caresser l’arrière de ma nuque… ses mains se portent de chaque côté de mon visage… nos bouches sont à quelques centimètres… et là, le petit coquin me surprend en m’envoyant un joli petit sourire et en posant un smack léger sur mes lèvres…
« Porte toi bien, Nico… et si ça va pas, tu sais que ma porte est toujours ouverte… ».
Dans le bus, je valide le ticket que Thibault m’a filé en quittant l’appart. Je me dis que vraiment, ce mec est un ange, un ange musclé avec un esprit touchant au possible…
Cette rencontre avec Thibault a été un pur moment de bonheur… dans le bus, je feuillète sans cesse les trois photos qu’il m’a données, autant de trésors à la valeur inestimable à mes yeux…
Thibault a été adorable, et très honnête avec moi. Il m’a rassuré, remonté le moral. Il a apporté des réponses à pas mal de mes questions, de mes inquiétudes. Je me suis confié à lui, il s’est confié à moi.
Pourtant, en partant de l’appart aux Minimes, je m’inquiète un peu pour ce bomécano… une partie de moi a comme l’impression que derrière son attitude et son discours de mec bien dans ses baskets, il y a des choses non dites, comme un bon petit malaise dans sa jolie tête… j’ai comme l’impression qu’entre son envie de voir son pote heureux avec moi et celle de me voir heureux avec son pote, il est en train de s’oublier une fois de plus…
Mais, comme d’habitude, je trouve le moyen de me rassurer, avant de me replonger dans mes propres inquiétudes, en me disant que Thibault est un garçon solide et que tout ira bien pour lui…
J’aurais dû m’inquiéter davantage, car sous ses allures rassurantes, il y avait bel et bien un malaise grandissant…
Oui, Thibault avait été très honnête avec moi… pourtant, il y avait des choses qu’il avait préféré garder pour lui… non pas par malhonnêteté, pour agir dans mon dos… c’est juste qu’il ne le maîtrisait pas forcement à cet instant précis… des sentiments qu’il estimait avoir besoin de digérer tout seul, sans m’en inquiéter, sans effrayer son pote… des sentiments qu’il pensait certainement arriver à surmonter en prenant sur lui une fois de plus… des sentiments dont je connaitrai toute l’ampleur plus tard cet été-là, lorsque les évènements auront vraiment mal tourné.
Hélas, les sentiments sont faits d’une matière bien instable… on a beau essayer de les manipuler avec prudence, de les contenir, les isoler, de se les cacher en les enfouissant à des profondeurs abyssales dans notre esprit… il suffit d’un instant d’inattention, de faiblesse, pour qu’ils refassent surface, se mélangent et fassent tout exploser dans notre tête et dans notre vie…
Le bomécano avait passé des années à tenter d’ les siens… mais ils avaient soudainement refait surface et pris une nouvelle dimension lors de cette incroyable nuit où nous avons été tous les trois réunis… et même en amont de cela…
Pour savoir comment Thibault a vécu cette nuit, il faudrait pouvoir rentrer dans sa tête, lorsqu’il est tout seul devant son café en ce dimanche matin…

Episode complet, avec un voyage dans l’album photo de Thibault, et dans l’évolution des sentiments de Nico pour Jérém, sur www.jerem-nico.com.

« La toute première rémunération de mon travail d'écriture, c'est vous, les lecteurs, votre présence, votre fidélité. Mais sans le temps pour écrire, Jérém&Nico n'existerait pas, n'existerait plus.
Ce temps pour écrire, tu peux me l'offrir, à hauteur de tes moyens. Pour faire continuer ce partage qui dure depuis trois ans déjà. TIPEE.COM/jerem-nico-s1. Simple, rapide, sans engagement. Merci d’avance. Fabien ».

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