53.3 Du Côté De Chez Thibault
Le bus sarrête. Les portes souvrent, des passagers descendent, dautres montent. Le brun « Thibault-like » na pas bougé de son siège. Les portes se referment. Le bus repart.
Nous nous approchons de notre destination, dans pas longtemps nous allons descendre, je vais découvrir lappartement du bomécano.
Le bus sarrête une nouvelle fois
ça remue autour de nous, mais il ny a toujours pas de place pour sasseoir
le bobrun a toujours le nez planté dans la Dépêche
Le bus repart et cest là que je me rends compte que des « passagers » un peu particuliers sont en train de se balader dans le bus
les contrôleurs. Je les entends demander à droite et à gauche de présenter les tickets
Cest là que le petit ouvrier « Thibault like » lève enfin le nez de son journal, enlève ses écouteurs, ce qui moffre loccasion de croiser à nouveau son regard
il y a quelque chose dans ce regard, comme une inquiétude, un truc que je ne sais pas voir sur le moment, mais que je ne vais pas tarder à découvrir.
Après nous avoir contrôlés, Thibault et moi, le contrôleur sapproche du bogoss, lui demande son ticket. Je le vois trifouiller longuement dans son sac à bandoulière pour en sortir un ticket un peu usé, qui savère non valide. Le contrôleur lui demande sil ne sest pas trompé, le bogoss répond en effet quil a dû se tromper et en cherche un autre qui, après vérification, se révèle tout aussi invalide.
Cest là que je comprends enfin
il le savait bien sûr, le bogoss savait quil navait pas de ticket valide, mais il a tenté sa chance, il a cherché à bluffer. Cest ça que je nai pas su voir dans son regard lorsquil a vu les contrôleurs, ce regard qui disait « merde, je vais me faire gauler, mais je vais essayer de tricher, on ne sait jamais
».
Pourtant, le mec a vraiment lair dun honnête garçon, dun ouvrier, dun bosseur, dun mec qui prend le bus tous les jours pour aller à son taf
pas le genre à tenter de frauder
à mon avis, il a juste oublié den racheter
Ceci dit, je comprends quil ait cherché à bluffer
son salaire doit être assez dur à gagner pour se resigner à lâcher « comme ça » le montant dune amende, surtout à cause dun oubli
Non, il ne me semble pas que le mec soit un voyou
je me dis que si javais su et si javais pu, je lui aurais payé son trajet avant que les contrôleurs ne le captent.
Mais la question ne se pose pas, puisque je nai pas su deviner les raisons de son inquiétude
et, de toute façon, je nai pas de ticket sur moi
et puis, même si jen avais
aurais-je osé ?
Je ne le sais pas, mais jaimerais vraiment avoir le cran de sortir un mec comme lui de la panade
même pas pour le draguer
parce que son regard lumineux me donne simplement envie de le faire
ça me fait mal au ventre de le voir « pris au piège », alors quil a lair tellement gentil garçon
Le bogoss est donc bon pour lamende. Le contrôleur lui demande sa carte didentité. Le garçon est calme, résigné je dirai, le regard toujours doux. Je donnerais cher pour lire le nom sur la carte.
Le contrôleur lui demande quelque chose dont je ne comprends que la fin : « cest 82 ? », et le bogoss répond : « Oui, cest ça », le contrôleur change de position et se tourne pour être plus à la lumière en expliquant quil ne voit pas bien.
82
Quest-ce que ça peut être dautre, à part sa date de naissance ? Putain, il a donc 19 ans
19 ans
tout comme Thibault
je lui en aurais donné au moins 4 ou 5 de plus. Mais sil a 19 ans, il fait tellement mec
cest vrai aussi que Thibault aussi fait tellement mec pour ses 19 ans
Pendant que le contrôleur rédige lamende, je remarque que le regard du bogoss se balade à plusieurs reprises dans notre direction
jai limpression quil me regarde, je me demande sil sest rendu compte que je ne peux pas décoller les yeux de lui
Sauf que je maperçois, un peu plus tard, que ses regards sont plutôt adressés à mon pote Thibault
Thibault qui, lui aussi, semble observer discrètement le bogoss inconnu
suis-je en train dassister à un jeu de regards qui se cherchent, saimantent, tentent de connaître les intentions de lautre ?
Arrête Nico, tu prends ton cas pour des généralités
Thibault nest pas pd
et si même il sintéressait un peu aux mecs, quelle chance que ce mec croisé dans un bus puisse sintéresser à lui ?
Le bogoss écope donc de son amende.
Le contrôleur part et le mec se replonge dans la Dépêche, comme si de rien nétait, un peu seul dans son monde
Ce quil lit doit être drôle, car il rit de temps en temps, sans bruit, mais son sourire est délicieux, celui dun ptit mec de 20 ans, mais déjà viril.
Il ne lève hélas pas souvent la tête pour que je puisse revoir son visage, capter son regard
Jai envie
de savoir qui il est, quel est son prénom
mal au ventre dêtre là, à côté de lui, ne pas oser massoir à côté, lui dire
« Salut, moi cest Nico. Pas de bol pour tout à lheure, avec les contrôleurs
»
Ok, je suis avec Thibault
mais même seul, je sais que je naurais jamais le cran
Jai envie
dêtre à côté de lui, de sentir son odeur, son parfum, son déo peut-être
Jai envie
de mordiller ses oreilles qui me narguent, de toucher sa barbe douce, de frotter ma joue contre ses poils
Jai envie
de savoir comment est son torse, sil est poilu
Jai envie
de savoir ce quil porte sous son pantalon de chantier
Jai envie
de savoir comment il jouit, quand il jouit, comment il fait lamour
Jai envie
de le faire jouir.
Jai envie
dêtre dans ses bras.
Jai envie
de lui, de plus en plus furieusement, de plus en plus irrésistiblement, une étreinte douce, sensuelle, intense. Ou une étreinte torride, puissante, sauvage, sans parole, son regard bleu planté dans le mien, ou pas
Oui, un bogoss se montre, et je pars en délire
Le bus sarrête à nouveau. Trois jeunes montent, ils parlent bruyamment. Surpris par le raffut, le bogoss lève enfin la tête et son regard tombe à nouveau dans notre direction.
Une fois de plus, les regards de Thibault et de son presque sosie semblent se croiser, se rencontrer.
Cest là que jentends la voix calme de Thibault lancer :
« Pas de chance avec les contrôleurs
».
Euh
tu mas volé la réplique, le bomécano
« Ouais
pas de bol
» jentends le bogoss inconnu répondre et expliquer calmement « jai changé de pantalon ce matin et jai oublié de faire les poches du pantalon sale (mais tu as changé de boxer et de t-shirt aussi, hein ? tu as pris ta douche, hein ?)
jespère juste que ma copine va y penser avant de faire la machine
».
Pfffff
la copine
le pire défaut dun bogoss
(réflexion de jaloux).
Mais en attendant, sa voix est vraiment douce, elle tranche vraiment avec son gabarit et son allure très masculine.
« Mais on ne sest pas déjà vus ? » finit par lâcher le bomécano.
« Je me disais la même chose
».
« Tu joues pas au rugby ? ».
« Si, je suis pilier à Auzeville
je mappelle Alban
».
Ahhhhhhh
le petit nom dun bogoss
frisson garanti
en plus, jaime bien ce prénom
« Et moi je suis Thibault, demi de mêlé aux Amidonniers » fait Thibault, avant de continuer, sur un ton taquin « je me souviens
on vous a mis une sacrée raclée cet hiver
».
« Cest juste que vous avez le meilleur ailier du tournoi
».
« Il ny a pas que Jérémie Tommasi qui sait jouer, mais cest vrai quil est très bon
».
« Ah, mais oui, je men souviens moi aussi maintenant
cest vrai quil serait moins bon sil navait pas les bonnes passes
vous êtes un sacré tandem tous les deux
».
« Non, je pense que Jérémie est vraiment bon, très bon
» insiste le bomécano « je suis étonné quil nait pas été repéré par les gros bonnets
il y avait des mecs du Stade aux derniers matchs
mais ils ne se sont pas manifestés
jai été très déçu
ok, on a raté la demie, mais on a fait une super saison et la finale a été un feu dartifice
et Jérémie a été extraordinaire
».
« Félicitations pour votre victoire ! ».
« Merci, mais il le fallait
après lavoir raté de si peu lannée dernière
je crois que le capitaine aurait peté un plomb
».
Le bus sarrête à nouveau.
« Nous sommes arrivés » jentends Thibault annoncer, avant de lancer à Alban, adorable « et désolé pour ton amende
si javais su, je taurais filé un ticket
».
Euh
Thibault ! On a le même scénariste ou quoi ?
« Cest pas grave
mais merci, mec
».
« Content de tavoir vu
» fait Thibault en savançant pour serrer la main de son presque sosie qui na toujours pas bougé de son siège « et à une prochaine, sur la pelouse
».
« Ok mec, merci, à la prochaine
» fait le bogoss, en serrant la main de Thibault et en serrant la mienne juste après, une sacrée poignée de mec.
Nous descendons. Depuis le trottoir, je regarde une dernière fois le bogoss à travers les vitres du bus, toujours absorbé dans sa Dépêche
je regarde le bus redémarrer, je regarde Alban retourner vers sa vie qui vient de croiser la mienne, et qui la remplie furtivement denvies.
Nous traversons la route, côte à côte.
« Je le regardais depuis un moment, il me semblait bien que javais déjà vu ce mec
» jentends Thibault commenter.
« Moi aussi il ma tapé dans lil dès que je lai vu
» je rigole.
« Il est bogoss, hein ? » fait il en décelant la petite allusion glissée entre mes mots.
« Grave
je trouve quil te ressemble pas mal
».
Eh merde
pourquoi jai eu besoin de dire ça ? De mettre côte à côte ces deux phrases qui, une fois rassemblées, donnent un clair compliment à légard du bomécano ? Comment prétendre de garder son amitié si je me laisse aller sur ce terrain ? Surveille tes mots Nico
mais en attendant, ça ma échappé
et Thibault a reçu 5 sur 5
« Cest gentil
mais Alban est plus grand que moi, il est vraiment bomec
et puis, il a un putain de charisme
cest le genre de gars quon remarque partout, tout le temps
style Jéjé
tu vois
».
Ce disant, Thibault sarrête devant la barrière dun grand immeuble.
Dans lascenseur, je me sens un peu gêné
je me sens comme pris au piège, même si cest moi qui my suis sciemment pris dedans
de quoi va-t-on parler ? Jai peur, non pas de son jugement, mais de ses observations, de sa franchise, de son objectivité
jai aussi peur de ne pas oser poser les questions
et peur de poser des questions et de ne pas obtenir des réponses
peur de poser des questions et dobtenir des réponses
Lappart de Thibault souvre sur un séjour bien plus grand que celui de Jérém, un vrai séjour, quoi, où il ny a pas de lit, mais un canapé et une table basse. La baie vitrée au 10ème étage offre une toute autre vue que celui de la rue de la Colombette. Du balcon, on a limpression de dominer la ville rose
je vois mon pote le Canal se dérouler avec ses platanes
je vois les clochers de St Sernin, celui des Jacobins, je devine le Capitole
« Assieds-toi Nico
tu veux une bière ? ».
« Oui
sil te plaît
».
« Sinon, jai du coca, jai du café
».
« Une bière ça ira
merci. ».
Un instant plus tard, il revient avec deux bières, il men tend une, nous trinquons et je le regarde en boire une bonne rasade. Il a soif le bogoss. Jaime voir un mec boire à la bouteille, lever le menton, observer sa pomme dAdam bouger nerveusement au rythme de la déglutition, jaime le voir sessuyer les lèvres avec le revers de la main.
« Je vais te laisser 5 minutes, je vais me doucher, je reviens, ok ? Installe-toi, fais comme chez toi
» fait le bomécano en quittant le séjour, tout en ôtant son débardeur et en dévoilant son torse sculpté et velu
Thibault
putain
quest-ce que tes sexy
jai envie dhurler
un mec comme ça, ça donne des envies
envie de lui sauter dessus
je suis fou
pourquoi à chaque fois quun beau mec se montre, je ressens cette folle envie de le faire jouir comme un malade ?
Ahhhh
être à proximité dun tel bogoss qui prend sa douche
ça fait bizarre, un frisson puissant de me dire que je connais ce corps, que jai vu ce garçon dans son plus simple appareil
que jai partagé un intense plaisir avec lui
un frisson qui a des teintes de nostalgie, le sachant si près et désormais si inaccessible
penser que cette nuit a été une parenthèse qui naura pas de suite
Thibault disparaît dans lappartement et un instant plus tard jentends ce bruit bien connu, un bruit continu et monocorde qui est frisson à létat pur dans pareille circonstance, le bruit de leau qui tombe dune pomme de douche et qui sécrase dans un bac en céramique
un bruit qui devient désir brûlant lorsquil change, un peu, un monde, lorsquil devient plus irrégulier, tout à tour étouffé, amplifié
lorsque son corps nu sy glisse dessous
envie furieuse dapprocher cette porte, cette cabine que jai entendue se fermer juste avant
Puis, le bruit deau cesse
une séquence dautres bruits se présente alors à mes oreilles
celui du bouchon du flacon de gel douche qui souvre, celui du flacon pressé, celui du gel douche qui sort en pression, celui du bouchon refermé, celui du flacon remis sur son support
et celui des mains qui se baladent sur la peau pour savonner
Puis, leau se remet à tomber
et mes narines sont happées par cette intense odeur de fraîcheur, de propre et de peau de mec qui se répand dans tout lappart
Oui, lidée de savoir Thibault sous la douche, me rend dingue.
Thibault se douche longuement. Cest loccasion pour faire un peu plus connaissance avec son appart
Je regarde autour de moi et je me rends compte que cet appartement, très lumineux, est un environnement de vie accueillant
un appartement de mec, certes, décoré avec sobriété, où tout semble fonctionnel, sans superflu
mais un appartement qui respire le propre, le rangé
le tout sans excès, sans prétention
un appartement que je ne peux mempêcher de comparer à un autre, bien connu
Rue de la Colombette
un typique appart détudiant bordélique
aux Minimes
un appart de mec installé dans sa vie, un appartement à limage de son occupant, accueillant, chaleureux, charmant, un endroit où lon se sent bien et à laise tout de suite
Je remarque, accroché au mur, un cadre photo où je reconnais les coupoles de lobservatoire du Pic du Midi
juste avant de reconnaître quatre mecs bien connus
à gauche
Julien, celui du rugby
à droite, Thierry, le quatrième mousquetaire
et au beau milieu, le bras de lun sur lépaule de lautre, le bomécano et mon Jérém tout sourire, la tête légèrement tournée lun vers lautre, semblant échanger un regard très complice
derrière eux, le ciel est si bleu
ça devait être une magnifique journée
je ne vous raconte même pas la vue quils ont dû avoir de la haut
de quoi ont-ils rigolé ce jour-là ? Quels souvenirs ont été gravés dans leurs têtes lors de cette escapade ?
Ont-ils dormi, surement dailleurs, dans cette maison à la montagne, cette vieille maison à Campan venant de je ne sais quel oncle ou grand parent, que les parents de Jérém ont gardé, cette maison dont jai quelque fois entendu mon bobrun parler avec ses potes
cette maison qui est pour moi un lieu mythique, comme hors de lespace et du temps, un lieu où seuls les potes du bogoss sont admis, et doù je serais exclu à tout jamais ?
Je me demande qui a pris cette photo
peut être quils ont prêté lappareil à un inconnu, pour être tous les quatre sur la photo
Il faut vraiment que je trouve le moyen daller moi aussi au Pic du Midi
ça doit vraiment valoir le coup de se taper 15 minutes de téléphérique et de monter à 3000 mètres daltitude
et si je pouvais y aller avec mon Jérém, ce serait le jackpot
on peut toujours rêver
et si je pouvais un jour échanger un regard aussi complice que Thibault sur cette photo, avec mon Jérém
ce serait le Nirvana
on peut toujours rêver
Lorsque je les vois sur cette photo, si proches, presque enlacés, soudainement je les revois, tous les deux, si proches, lautre nuit
je me revois, débordé par ces deux sexualités puissantes, fougueuses
mélangeant mon plaisir au leur
guettant lexplosion de leurs jouissances de mecs, me demandant lequel des deux potes se lâcherait en premier
Et puis voilà que les choses avaient pris cette direction entre eux
une direction qui les avaient conduits très vite dans un monde qui nappartenait quà eux deux et doù je métais très vite senti exclu
Leurs gestes étaient peut-être eux aussi guidés par leffet de cette fumette que nous avions consommé sans modération
Pourtant, javais eu limpression que les regards désiraient, que les gestes exprimaient
que les bouches se cherchaient, luttaient pour résister
Certes, javais fantasmé sur cette possibilité, tout comme je lavais redoutée
mais lorsque je my étais trouvé confronté, autant dire que je ny étais pas vraiment préparé
Pourtant, une fois évacuée la première surprise, la scène mavait paru très sensuelle, touchante même
javais ressenti un sentiment dexcitation assez incroyable du fait dassister à cela
à lexpression de ces désirs qui semblaient sembraser lun au contact de lautre
des désirs qui avaient lair à la fois si forts, si intenses, si anciens, si frustrés, si malmenés
Cétait comme un fantasme qui devenait réalité
le fantasme des deux potes qui ont tout partagé depuis lenfance
les bancs décole, les entraînements, les match de rugby, les vestiaires, les douches, les sorties
deux potes qui ont eu dinnombrables occasions de se voir à poil, de détailler le corps de lautre
mais aussi de se retrouver seuls, dans lintimité dune fin de soirée un peu arrosée où lon na pas envie de se quitter
deux potes qui ont peut-être fini par ressentir lun pour lautre, à un moment ou à un autre, mais pas ment au même moment, une attirance sensuelle inavouée mais brûlante
une attirance qui a germé et grandi dans la frustration et qui nattendait que la bonne occasion pour se manifester enfin
Javais même eu limpression que ça allait au-delà de ça
quil y avait plus que du désir dans leurs regards
quil y avait quelque chose qui ressemblait à de lamour
ou du moins à une sorte de complicité que je ne pourrai jamais avoir avec mon bobrun
Javais limpression que dans leurs regards, dans leurs attitudes réciproques, il ny avait pas juste lenvie de prendre un plaisir différent, interdit
il y avait surtout lenvie de prendre ce plaisir avec ce pote-là
le pote quon aime dun amour viscéral parce quon a tout partagé avec lui, sauf un lit et un orgasme
Alors, cest peut-être insensé, mais dans le feu de laction, jaurais vraiment kiffé voir Thibault et Jérém s'embrasser
cest inhumain de ressentir un désir pareil et sinterdire de lassouvir
on ne peut pas se faire violence à ce point
Un baiser, et puis un autre et un autre encore
les désirs qui se dévoilent, les passions qui se déchaînent, les barrières qui cèdent, le plaisir qui triomphe sur linterdit
Oui, sur le coup, jaurais trouvé ça tout simplement beau et naturel...
Mon regard était certainement déformé par les effets de la fumette
mais cétait un regard attendri que je portais sur ces deux potes qui, au final, nont pas osé aller au bout de leurs envies
Au point que mon subconscient avait dû projeter ma frustration de ne pas les voir aller plus loin en mapportant ce rêve érotique où Jérém et Thibault étaient carrément sur le point de semboiter
Pourtant, plus le temps passe plus, en me repassant la scène, le regard attendri laisse la place à un insistant sentiment de malaise, comme de tromperie
Je ne peux mempêcher de me demander si ce dérapage était prémédité, du moins de la part de Jérém
dans ce cas, je me dis que jai été comme un objet sexuel dans ses mains, un objet qu'il ne sest pas privé de partager avec un pote, de la même façon quil partagerait sa voiture
comme sil pouvait disposer de moi à sa guise, comme si je navais pas mon mot à dire
Dans ce cas, je me dis que non seulement Jérém voulait montrer à son pote que je ne représente rien pour lui, ou du moins rien de plus quun doudou sexuel
mais quil avait aussi voulu se servir de moi pour se rapprocher sensuellement de son pote, mais sans avoir à lassumer
ma présence lui offrant une prétexte du genre : « jai couché avec mon pote, mais cétait juste pour nous faire vider par le pd »
Dans ce cas, quel sale petit con ce Jérém !
Mais même sans que ce soit prémédité, ce dérapage ouvre quand même la voie à des inquiétudes, à des questionnements
quest quils ressentent lun pour lautre, au juste ? Que se passe-t-il entre ces deux jeunes étalons ?
Je me dis que cest quelque part un peu dommage que ce moment nait pu exister que dans ce genre de contexte, lorsque les barrières mentales des uns et des autres étaient artificiellement baissées, lorsque tout devient possible, parce quon ne se contrôle plus vraiment
car on se demandera toujours quelle est la part « réelle » de leffet du joint et la part « réelle » des envies de chacun
Je viens tout juste de remarquer, sur le meuble à côté de la porte dentrée, enseveli sous un tas dobjets tels que des clefs, un stylo, un calepin, sa casquette, un calendrier des pompiers
la tentation de le feuilleter est trop forte
Dès le premier contact, jai limpression que ce calendrier dégage une sorte dénergie, de puissance propre
tel un « portoloin », dès que mes doigts se posent dessus, jai limpression de transplaner loin de cet appart et de cet instant, au cur de lurgence dune intervention des soldats du feu
jai limpression dentendre le bruit des sirènes, la course contre la montre, lodeur de la fumée, lodeur de la peur, des larmes, la puissance des hommes, de leur courage, lodeur de la sueur
Ce calendrier mintimide
car il résume presque à lui tout seul la grandeur dun gars comme Thibault
ce calendrier est le symbole de lengagement, du courage, de la droiture, du respect de lautorité et des valeurs humaines, de tout ce qui fait que Thibault est un garçon en or
oui, ce calendrier est vraiment un objet magique
un objet capable de graver définitivement dans mon esprit cette image dhomme, jeune par lâge, mais très mur dans son être profond, incarnée par mon pote Thibault.
Je mate la couverture et je suis étonné de voir que cest le calendrier de cette année
étonnant quil ne soit pas accroché au mur
enfin, pas si étonnant que ça en fait
cest tout Thibault ça
être, plutôt que paraître
agir, plutôt que (se la)raconter
Photo de couverture, photo déquipe toute entière
cest une photo très basique, loin des mises en scène plus élaborées que tout calendrier masculin prendra quelques années plus tard, à limage de celui des Dieux du Stade
les hommes du feu de la caserne de Thibault alignés sur trois rangées devant un camion rouge vif
tout le monde est là, tous les âges, tous les gabarits, toutes les gueules
pas de tri
dans une équipe de pompiers, il ny a pas de vieux, pas de jeunes, pas de beaux, pas de moches, juste des héros ordinaires
Je cherche mon pote
le voilà, un peu sur la gauche, rangée du milieu, le torse et la tête bien droits, les bras croisés sur la poitrine, posture qui fait gonfler les biceps, qui finissent par très très bien remplir les manchettes du polo bleu foncé règlementaire, qui na pourtant rien dune pièce bien coupée
Thibault est là, avec tous ses collègues
le regard droit vers lobjectif, lair fier de son uniforme, de son rôle
mais pas un brin frimeur, juste heureux dêtre là, à sa place, heureux de pouvoir être utile à son prochain
Une fois de plus, je me dis que ce petit mec est vraiment un ange tombé du ciel
Lorsque le bomécano revient de la salle de bain, sessuyant les cheveux encore humides, en bataille, avec une grande serviette, la peau fraîche dégageant cette délicate effluve de mec qui sort de la douche, un débardeur immaculé, un short gris molletonné marquant son entrejambe dun joli relief, une paire de claquettes aux pieds
je ne sais pas si cest normal ou pas
mais jai vraiment envie de lui sauter dessus
« Ah, tas vu ça
» fait il, un peu gêné.
« Luniforme te va très bien
» je ne peux mempêcher de lui lancer « et je suis vraiment admiratif pour ton engagement
».
« Les pompiers mont sauvé la vie lors dun accident de voiture lorsque javais sept ans
ma vie et celle de mon père
ce jour-là, je me suis dit que jen serai moi aussi
».
« Cest beau
».
« Je te jure que jy aurais réfléchi deux fois si javais su que cétait si chiant de faire les photos
» rigole le bomécano.
Juste adorable. Jai envie de le serrer dans mes bras et de le couvrir de bisous.
Au lieu de quoi, je pose le calendrier et je le rejoins sur le canapé où il vient de sinstaller.
« Ça va Nico ? » fait le bomécano en posant sa serviette sur le dossier dune chaise à côté, avant de reprendre sa bière sur la table basse et den avaler une nouvelle longue rasée.
« Ça va, oui
et toi ? ».
« Moi ça va
mais toi
je te trouve soucieux
» fait Thibault.
Je ne sais pas quoi répondre
tant de questions se bousculent dans ma tête, mais elles me paraissent soudainement lointaines face à lémotion de me trouver confronté à cette partie si noble de la vie de mon pote Thibault.
Cest le bomécano qui se charge de me mettre à laise. Pour ce faire, il y va direct.
« Tu sais
il ne faut pas quil y ait de malaise par rapport à ce qui sest passé lautre nuit
désolé de mettre les pieds dans le plat, mais je ne veux pas que tu te sentes gêné vis-à-vis de moi
si tu es gêné, je vais lêtre aussi
et entre potes on na pas à être gênés, sinon cest la fin de lamitié
».
« Tu as raison
» jadmets.
« Ça ne va rien changer entre toi et moi
je te considère un pote, et ça, ça ne changera jamais, je te promets
».
« Moi aussi je te considère comme un pote
».
Thibault pose son regard dans le mien et, en décalage avec son discours rassurant, son petit sourire touchant semble traduire une petite inquiétude.
« Alors dis-moi ce qui te tracasse, Nico
» je lentends quand même me relancer.
« Je sais pas, jai limpression que cette nuit on a peut-être été trop loin
enfin, surtout moi jai été trop loin
».
« Si toi tas été trop loin, on y a été tous les trois
».
« Javais peur que tu aies une mauvaise opinion de moi
».
« Pourquoi donc ? ».
« Parce que jai
».
« Tu nas pas à te justifier Nico
et tu nas pas à avoir honte, pas plus que moi ou Jéjé
».
Je suis une fois de plus extrêmement touché par ses mots, pas sa façon de rendre tout beau et simple. Même si son regard reste fuyant et que son attitude me parait toujours aussi déphasée par rapport à ses mots.
« Comment ça se fait que tu es venu à lappart samedi dernier au milieu de la nuit ? ».
La question sort toute seule, elle tombe comme un cheveu sur la soupe.
Thibault marque un moment de silence, de réflexion, ou dhésitation, mais il ne se débine pas.
« Cest une longue histoire
».
« Si tu nas pas envie den parler, je comprends
».
« Cest pas ça
le fait cest que je navais pas de nouvelles de Jéjé depuis une semaine
».
« Depuis la finale ? ».
« Cest ça
».
Jhésite à lui poser la question qui me brûle la langue
mais le jeune pompier semble une fois de plus lire dans mes pensées.
« Après le barbec chez lentraîneur, Jéjé était rond comme une bille, alors je lai raccompagné à lappart
il navait pas lair très bien, et je suis resté un peu avec lui
on a commencé à discuter
jai essayé de lui faire dire ce qui nallait pas
je sentais quil avait un truc sur le cur depuis un moment, et que ça le perturbait
cest pas que je voulais moccuper de ses affaires, mais je me suis dit quil fallait que ça sorte
jai dû forcer un peu les choses et il a fini par mavouer quil couchait avec toi
».
Silence de la part de Thibault, regard fuyant, comme sil hésitait à en lâcher davantage, comme sil regrettait déjà den avoir trop dit.
Jai à la fois très envie den savoir plus et je me sens incapable de le forcer à dire des choses quil voudrait peut-être garder pour lui
« Et alors, quest-ce quil a dit ? » je ne peux pourtant pas mempêcher de lui demander.
Thibault semble fixer en coin indéfini dans la pièce
je vois sa pomme dAdam vibrer sous leffet dune déglutition nerveuse
il boit une dernière rasade de bière et il plonge son regard dans le mien.
« Tu sais, il avait vraiment beaucoup bu
il nétait pas bien
il a eu des mots que jai trouvé déplacés
il a essayé de me faire croire quentre toi et lui, ce nest quune histoire de baise
il me soutenait que lui nest pas pd, que cest toi qui la entraîné dans ces délires
des mots quil ne pense pas, je le sais
il fait son macho, mais je sais quil tient à toi
jai essayé de le raisonner, de lui dire que tu es un gars bien et quil ny a rien de mal à ce que vous faites
il sest énervé et il ma envoyé chier
ça ma énervé aussi et je suis parti presque en claquant la porte
Evidemment, après ça, tu connais Jéjé, pas de nouvelles de la semaine
cest pour ça que jai voulu passer le voir samedi
je sais quil finit à peu près à 2 heures, et cest le seul soir de la semaine où je peux attendre si tard
javais besoin de le voir pour mettre les choses à plat
cette histoire ma foutu le bourdon pendant toute la semaine
».
Je regarde la serviette abandonnée sur le dossier de la chaise et je me dis que jai envie de lattr et de plonger mon visage dedans
« Javais remarqué que tu nétais pas dans ton assiette quand on sest vu la semaine dernière
».
« Tu connais la raison, à présent
» fait le bomécano, le regard un peu éteint, presque mélancolique, avant denchaîner « jai été surpris de te trouver chez lui samedi
enfin
cest normal que vous vous voyiez mais lautre nuit je pensais le voir seul à seul pour discuter
».
« Cétait pas prévu
rien nest jamais prévu avec Jérém
avec lui, cest quand lui il en a envie
il ma fait venir quand il a débauché
» jexplique.
« Tu sais, jai vraiment hésité quand Jérém ma demandé de rester avec vous
».
« Jai vu
».
« Jai hésité parce que je ne voulais pas rentrer dans son jeu
».
« Quel jeu ? ».
« Le jeu de me montrer, et de se prouver, que tu ne représentes rien dautre à ses yeux quun bon coup
style
on va samuser tous les deux avec Nico
».
« Cest ça que je suis à ses yeux
juste un bon coup
disponible à la demande
».
« Mais pas du tout
pas du tout, Nico
crois moi
Jéjé joue au dur, au mec qui na pas de sentiments, mais ses regards, sa jalousie ne trompent pas
quand il est contrarié, Jéjé ne sait réagir que de cette façon, en jouant au con
».
« Quest-ce qui ta fait changer davis, alors, quest-ce qui ta fait rester ? » je le relance.
« Je ne sais pas
pas vraiment » fait le bomécano soudainement gêné, le regard à nouveau dans le vide « pour plusieurs raisons sans doute
la curiosité, je pense
tu vois, depuis que je sais que vous couchez ensemble
enfin
je me pose des questions
Jéjé a toujours été un coureur, un « sciupafemmine », comme lappellent ses cousins napolitains
il a toujours changé de nana comme de t-shirt
mais toi
toi il ne ta pas jeté
toi tu es sa plus longue relation
Cest vrai que jaurais pu partir, pour ne pas rentrer dans son jeu
mais jétais heureux de retrouver mon Jéjé après cette semaine de froid
et puis, je me suis dit que si je restais, je pourrais lui montrer que je nétais pas obligé de rentrer dans son jeu
lui montrer quil navait pas à te traiter de cette façon
et quen tout cas moi je ne te traiterai pas de cette façon
Enfin, tout ça, ça ma traversé lesprit
mais jhésitais encore
après, on a continué à fumer
et quand tu as commencé à toccuper de moi
je crois que je me suis laissé transporter
ne men veux pas, Nico
».
« Je ne ten veux pas
je me suis laissé aller aussi
».
« Javais envie quon passe un bon moment ensemble et que ce soit bon pour tous les trois
javoue que lidée de partager ce moment avec Jéjé et avec toi, le mec qui fait du bien à mon pote, ça me plaisait bien
cétait loccasion de rentrer un peu dans votre intimité
de découvrir le bien que vous vous faites
javoue que jétais un peu curieux
curieux de savoir ce que mon pote aime
pourquoi il narrive pas à laccepter
et pourquoi il se comporte de cette façon avec toi
».
« Tas dû être déçu de mon attitude
».
« Pourquoi, donc ? ».
« Du fait que je me laisse faire
».
« Bah, écoute
si je devais être déçu, ce serait de tous les trois alors
».
« Comment ça ? ».
« Jéjé na pas à avoir cette attitude humiliante à ton égard
Jéjé est un bon petit macho, il a souvent été assez méprisant à légard des nanas
il les traitait mal, il en parlait encore pire
mais là, jai trouvé quil dépassait vraiment les bornes avec toi
».
« Il nest pas tout le temps comme ça
» je tente de relativiser « juste quand il est jaloux
parfois, il sait être même très doux, mais cest rare
».
« Je nen doute pas, mais il na pas à se comporter de cette façon avec toi
jamais
alors, si je devais être déçu, je devrais lêtre de Jéjé
et de moi aussi
».
« Pourquoi de toi ? ».
« Pour ne pas lavoir remis à sa place avec plus de fermeté
».
« Tu as fait beaucoup Thibault
».
« Mais tu ne dois pas te laisser faire, Nico, tu dois timposer
».
« Tas bien vu comme il est avec moi
il a tout le temps le dessus avec moi
il fait de moi ce quil veut
je mentirais si je disais que je naime pas son côté macho, directif, de mec qui sait ce quil veut
mais parfois il dépasse les bornes, comme tu le dis
et cest là que je ne sais pas me faire respecter
lui dire clairement ce que je ressens
».
« Tu vois
cest justement ça ton erreur, peut-être
tu devrais lui balancer tout ce que tu as sur le cur une fois pour toutes
Jéjé est une tête de mule, parfois il lui faut un électrochoc salutaire pour lui faire comprendre les choses quil refuse de regarder en face
».
« Je nose pas
».
« Je tassure, Nico, je le connais un peu pour savoir quil faut parfois le brusquer
combien de fois il est parti dun entraînement en claquant la porte
mais il est toujours revenu
Je peux te dire que dans dautres circonstances, je ne me gênerais pas pour aller à laffrontement
on senverrait chier, on se retrouverait plus tard
ne crois pas que parce quon est potes, on ne sest jamais pris la tête
jai vécu ça un million de fois depuis que je le connais
Jéjé a un sacré caractère, je tapprends rien
au fond, cest un écorché vif, les nerfs à fleur de peau
il est impulsif, colérique
mais vouloir le ménager à tout prix ça ne lui rend pas service
».
« Je comprends
».
« Tu vois, Nico
je pense que si jétais intervenu, surtout devant toi, il aurait été capable de me dire de moccuper de mes oignons
il se serait senti attaqué, trahi, humilié, il se serait cabré
déjà que la dernière fois que je lai calmé jai eu peur quil menvoie chier
enfin
il la quand même fait à moitié, tas bien vu
alors, je pense vraiment que cest toi quil doit voir se rebiffer, se rebeller
ça va le marquer, mais uniquement si ça vient de toi
il naime pas perdre la face, mais il va mieux le supporter si vous nêtes que tous les deux
».
« Vous êtes beaux tous les deux
tu es fou de ton Jérém
et tu comptes pour lui, beaucoup, même si parfois il se comporte avec toi comme le roi des crétins
».
Au fil des dernières phrases, jai senti la voix de Thibault se charger dune fébrilité palpable. Jai limpression que le bomécano est secoué par une émotion inattendue.
Ses mots, sa bienveillance, sa gentillesse me touchent et mémeuvent profondément. Je ressens une émotion menvahir, monter de mon bas ventre, se propager dans mon torse, agir sur les poumons, monter aux yeux, faire perler quelques larmes
Je passe une main sur le visage, jessaie de respirer profondément, dessuyer mes joues, de me ressaisir
mais un sanglot méchappe, je suis démasqué
Et là, son bras se pose sur mon épaule, mattire à lui
je lève les yeux, je vois son sourire doux et ému
je me laisse aller, je me retrouve dans ses bras, je pleure dans larrondi de son débardeur, réconforté par sa double, douce pilosité, celle qui recouvre son torse, celle qui rend son visage si viril
je pleure enivré de lodeur frais de sa peau
Nous restons ainsi enlacés, pendant un bon petit moment. Quest-ce que ça fait du bien de se retrouver dans ses bras puissants.
« Je vais te montrer quelque chose
» je lentends dire, alors que ses bras relâchent leur étreinte et que son regard vert se pose dans le mien.
Et, ce disant, le bomécano de lève, se dirige vers le meuble télé en face de nous et en revient avec un gros album photo à la main.
« Je vais te monter des photos
là-dedans il y a presque 10 ans damitié entre Jéjé et moi
enfin
si tu as envie de les voir
».
Envie de feuilleter cet album ? Je crois que je serais prêt à payer une fortune pour voir des photos de mon Jérém
Un album photo, ça ? Mais ça ce nest pas juste un album photo, cest un grimoire de sorcellerie, cest le Graal
jai le cur qui tape à mille dans la poitrine juste en pensant aux trésors renfermés dans ses pages
jai les larmes prêtes à couler en imaginant les émotions qui vont encore me submerger en voyant mon Jérém dans des moments que je nai pas partagés avec lui
« Bien sûr que jai envie de voir ça
» jarrive à énoncer sobrement, en retenant de justesse un nouveau sanglot.
Thibault pose lalbum sur ses genoux et, avec un geste lent, il pose sa grosse paluche sur la couverture cartonnée et la fait pivoter
je le regarde feuilleter les premières pages
ce qui me rappelle que le bomécano est gaucher... chose qui, pour une raison que je trouve complètement inexplicable, le rend encore plus sexy à mes yeux.
« Tas des photos de lui, toi ? ».
« Juste une que jai découpé de la Dépêche la semaine dernière ».
« Vas-y, choisis en une
ou même deux
».
« Mais je ne peux pas, ce sont tes souvenirs
».
« Des photos, jen ai plein
mais les meilleurs souvenirs, ils sont là-dedans » fait il en posant sa main à plat sur son cur « photo ou pas photo, ils ne vont jamais partir de là
vas-y, prend lalbum et choisis
».
Et, ce disant, il att le bouquin quil avait posé sur la table basse avant de me serrer dans ses bras et il le met dans mes mains
Lobjet est lourd, physiquement et symboliquement
jai limpression quil me brûle les doigts, tellement lhistoire de vies et damitié quil contient me touchent, mémeuvent
Je commence à le feuilleter depuis le début
je repasse le film dune vie
page après page, le bogoss grandit, le gamin se transforme en jeune étalon hyper sexy
Euh, Thibault
cest un cadeau empoisonné que tu me fais là
comment choisir parmi toutes ces merveilles ?
Je narrive vraiment pas à me décider
je parcours lalbum plusieurs fois
je ne sais pas pendant combien de temps je passe et repasse ce parcours de vie
A travers ces photos, je revis les trois dernières années depuis que je le connais
je revis litinéraire dun amour qui est né au premier instant et qui a jalonné ma vie depuis trois ans
« Alors, tas choisi ? » jentends Thibault me demander, marrachant une fois de plus à mes divagations, tout en sinstallant à nouveau sur le canapé à côté de moi.
« Jaime bien celle-ci
».
Jérém assis sur la pelouse de la prairie des Filtres, on voit une arcade du Pont Neuf tout à gauche de limage
le buste soutenu par ses bras tendus et ses mains posés à plat sur le sol derrière son dos
habillé dun simple jeans, et de la même chemise à carreaux noirs et blancs que sur lautre photo, les manches retroussées, ouverte sur un t-shirt blanc sur lequel sa chaînette de mec est négligemment abandonnée, le regard ténébreux
tenue et attitude, très, très
mais alors
très très très très mec
« Vas-y, décolle-là, elle est à toi
».
« Merci infiniment, Thibault
».
Je la décolle lentement et je contemple le vide laissé par la photo.
« Vraiment, ça me gêne
».
« Il faut pas
allez, vas-y
choisis-en une autre
».
Je feuilleté jusquà ce que je retrouve une photo en maillot rugby.
« Celle-là aussi me plait beaucoup
».
« Tu prends
».
« Merci
».
« Une dernière, pour la route
».
« Cest abusé
».
« Non, puisque je te le propose
».
Je ne peux mempêcher den viser une où mon bobrun est sur la plage, torse nu, le bronzage ajoutant des couleurs à sa peau mate, la lumière du soleil mettant en valeur et en relief la musculature parfaite de son corps
« Celle-ci alors
».
« Vas-y
».
« Merci, ça me touche vraiment
».
« Cest normal, et en plus ça me fait plaisir
».
Je regarde ma montre et je me rends compte que j'ai passé une heure assis sur ce canapé, à regarder des photos à côté de ce charmant mécano
A la suite de mes manipulations pour décoller les images, soudainement, lalbum photo se referme tout seul et glisse entre mes genoux
jessaie de le rattr avant quil ne touche le sol, jai un mouvement brusque, mes cuisses frôlent les siennes, en dessous de son short gris molletonné...
Nos regards se croisent. Son regard est beau, il happe le mien
en plus dêtre adorable, ce petit mec est aussi incroyablement sexy
Thibault est typiquement le genre de garçon quon a envie de câliner pendant des heures et de faire jouir pendant des heures aussi... très envie de le serrer contre moi, très envie aussi de passer ma main dans ce short et aller caresser sa bosse... lodeur de sa peau fraîchement douchée me rend dingue
mais il ne faut pas
Nos regards ne se quittent pas
il esquisse un petit sourire doux et un brin gêné
jessaie de lui rendre son sourire
il porte une main sur mon épaule
« Tu sais, je taime beaucoup, Nico
».
« Moi aussi je tadore
».
« Jai vraiment adoré cette nuit
».
« Moi aussi
moi aussi
».
« Tu es un mec formidable, Nico
je suis content que Jéjé soit tombé sur quelquun comme toi
parce que toi
toi tu laimes
et ça, cest beau et précieux
Jéjé est le plus gentil des garçons, il a juste besoin
de toi
Je vois Thibault ému, je le suis aussi
je ne comprends plus rien, jai la tête qui tourne, jai envie de me jeter dans ses bras, jai envie de lembrasser, jai envie de tout avec lui
A cet instant précis, son portable se met à sonner.
« Cest Jéjé
» il mannonce, après avoir regardé lécran, avant de décrocher.
« Hey, mec
ça va ? » démarre le bomécano. A chaque fois je suis touché par sa façon de montrer sans ambiguïté quil est heureux de retrouver un pote.
« Oui, je técoute
» je lentends lancer, après un instant de silence.
Jessaie de capter lautre moitié de la conversation, mais Thibault tient le portable collé à la « mauvaise » oreille, ce qui ne me permet dentendre autre chose que de vagues grésillements de bobrun.
« Demain tu dis ? » sétonne le bomécano.
Ecoute en silence. Grésillements indistincts de bobrun.
« Ok, ok, cest faisable
tu peux commencer demain à ta pause, si tu veux, je déposerai le double des clefs de lappart dans ta boîte aux lettres demain matin
».
« Bon, ok, tas quà tout laisser dans la chambre damis, je vais faire de la place tout à lheure
».
« Il ny a pas de quoi
à plus
et bon courage pour ce soir
travaille pas trop
allez, ok, bises
».
Le bomécano vient de raccrocher. Il me fixe droit dans les yeux et il enchaîne :
« Ça tombe bien quil ait appelé, il faut que je te dise un truc
».
« C'est-à-dire ? ».
« Je ne pense pas quil ten ait parlé, lui
».
« Il ne me dit jamais rien
» je le mets à laise.
« Jérém na pas payé son loyer depuis des mois
il sest fait expulser
il doit quitter lappart à la fin du mois
».
Ahhhhhhhhhhhhhhh
voilà que jai raté un épisode
enfin, quà moitié
comme quoi, parfois les rêves, même érotiques, peuvent se révéler prémonitoires
« Mais cest dans quelques jours à peine
» je minquiète.
« Je suis sur le cul aussi
il me la annoncé pas plus tard que hier soir, au tel, alors quil le sait depuis des semaines, ou des mois
sil men avait parlé quand il a commencé à avoir des problèmes, jaurais pu laider
mais il a rien dit, et là, il doit plus dun an
« Mais ses parents ne lui donnent plus rien ? ».
« Je savais quil avait eu une grosse dispute avec sa belle-mère il y a quelques mois
mais je ne savais pas quil avait coupé les ponts avec son père
apparemment, il ne lui file plus un centime
et là il est à sec complet
en plus, Jéjé nest pas le genre à faire attention à largent
tout ça le dépasse jusquau jour où il est vraiment dans la merde
bref
il ma demandé si je pouvais lhéberger, le temps de se retourner
évidemment, jai dit oui
et là, il vient de mappeler pour savoir sil peut commencer à amener des affaires dès demain soir
».
Décidemment, ce soir je vais de surprise en surprise
je ressens un étrange sentiment de vide, de fin de chapitre, de page qui se tourne à lidée que dans quelque jour je naurai plus accès à cet appart, à ce lieu magique au milieu de la rue de la Colombette, ce lieu hors du temps et de lespace qui a été le théâtre des premières révisions avec Jérém
la scène de mon dépucelage, le cadre de tout ce plaisir qu'on s'est donné, le décor de mon amour naissant, despoirs sans cesse renouvelés et de frustrations de plus en plus difficiles à assumer...
Jai un pincement au cur, un très gros pincement à lidée de me dire que jamais je ne remettrai les pieds dans cet appart, qu'une page se tourne avec son départ de ce lieu, une page de nos vies
et quune autre page va bientôt sécrire, une page que nous n'écrirons pas forcement ensemble...
Où allons-nous nous retrouver désormais pour nos galipettes, si tant quil en ait envie ?
Cet appart va vraiment me manquer... il sen est passé des choses, entre ces quatre murs... sils pouvaient parler... Jérém quitte les lieux et dans quelques temps quelquun dautre, un autre étudiant peut-être
peut-être bien un autre petit con ultra bandant comme Jérém prendra sa place, il baisera des nanas à tout va
jusquau jour où, peut-être, il entraînera un de ses camarades dans des révisions chaudes bouillantes
La nuit passée avec les deux potes, était donc la dernière fois que je mettrais les pieds à lappart rue de la Colombette ?
Je naurais même pas pu dire adieu à cet appart où j'ai dormi pour la première fois avec un garçon
« Nico, je taurais bien gardé manger une pizza mais il faut que je passe à la caserne avant 20 heures
».
« Je vais y aller
».
« Ça va aller, Nico ? ».
« Oui, cest juste que la nouvelle du déménagement de Jérém ma un peu secoué
heureusement quil a un pote comme toi
».
« Tu sais, Nico
tu nas pas à être jaloux de mon amitié avec Jéjé
au contraire
cest moi qui devrais être jaloux de ce que tu vis avec Jérém
tu laimes si fort, et il le sait, et ça lui fait du bien, le plus grand bien
même sil ne veut pas ladmettre, laccepter
toi tes fou amoureux de lui
et quelquun daussi amoureux, pour moi, ça force le respect
Tu sais, jusquà il y a pas longtemps, Jérémie Tommasi était « juste » mon pote, mon Jéjé
mais depuis quelques temps, jai découvert quil est aussi « Jérém »
« ton Jérém », Nico
et jai limpressions quil est de plus en plus « ton Jérém » que « mon Jéjé »
Ne crois pas mal, ça ne me gêne pas, pas du tout
ce qui compte pour moi, cest quil soit heureux
quand je dis que je devrais être jaloux, cest quaujourdhui tu lui apportes, avec ta présence et avec ton amour, des choses que je ne pourrais pas lui apporter
Même sil vient sinstaller ici, je sais quil ne restera pas longtemps
Jéjé a besoin de son indépendance
quoi quil fasse, quil trouve un autre boulot, un autre appart, quil reste sur Toulouse ou quil parte je ne sais où
jai besoin que tu maides à garder un il sur lui, si tu le veux bien
».
« Je te promets que je ferai de mon mieux
» jarrive à lui répondre, la voix cassée par lémotion.
Je le prends dans mes bras
autant pour cacher mes larmes que pour chercher du réconfort contre son torse de malade.
Je sens sa main chaude frotter dans mon dos et remonter vers mon cou, caresser larrière de ma nuque
ses mains se portent de chaque côté de mon visage
nos bouches sont à quelques centimètres
et là, le petit coquin me surprend en menvoyant un joli petit sourire et en posant un smack léger sur mes lèvres
« Porte toi bien, Nico
et si ça va pas, tu sais que ma porte est toujours ouverte
».
Dans le bus, je valide le ticket que Thibault ma filé en quittant lappart. Je me dis que vraiment, ce mec est un ange, un ange musclé avec un esprit touchant au possible
Cette rencontre avec Thibault a été un pur moment de bonheur
dans le bus, je feuillète sans cesse les trois photos quil ma données, autant de trésors à la valeur inestimable à mes yeux
Thibault a été adorable, et très honnête avec moi. Il ma rassuré, remonté le moral. Il a apporté des réponses à pas mal de mes questions, de mes inquiétudes. Je me suis confié à lui, il sest confié à moi.
Pourtant, en partant de lappart aux Minimes, je minquiète un peu pour ce bomécano
une partie de moi a comme limpression que derrière son attitude et son discours de mec bien dans ses baskets, il y a des choses non dites, comme un bon petit malaise dans sa jolie tête
jai comme limpression quentre son envie de voir son pote heureux avec moi et celle de me voir heureux avec son pote, il est en train de soublier une fois de plus
Mais, comme dhabitude, je trouve le moyen de me rassurer, avant de me replonger dans mes propres inquiétudes, en me disant que Thibault est un garçon solide et que tout ira bien pour lui
Jaurais dû minquiéter davantage, car sous ses allures rassurantes, il y avait bel et bien un malaise grandissant
Oui, Thibault avait été très honnête avec moi
pourtant, il y avait des choses quil avait préféré garder pour lui
non pas par malhonnêteté, pour agir dans mon dos
cest juste quil ne le maîtrisait pas forcement à cet instant précis
des sentiments quil estimait avoir besoin de digérer tout seul, sans men inquiéter, sans effrayer son pote
des sentiments quil pensait certainement arriver à surmonter en prenant sur lui une fois de plus
des sentiments dont je connaitrai toute lampleur plus tard cet été-là, lorsque les évènements auront vraiment mal tourné.
Hélas, les sentiments sont faits dune matière bien instable
on a beau essayer de les manipuler avec prudence, de les contenir, les isoler, de se les cacher en les enfouissant à des profondeurs abyssales dans notre esprit
il suffit dun instant dinattention, de faiblesse, pour quils refassent surface, se mélangent et fassent tout exploser dans notre tête et dans notre vie
Le bomécano avait passé des années à tenter d les siens
mais ils avaient soudainement refait surface et pris une nouvelle dimension lors de cette incroyable nuit où nous avons été tous les trois réunis
et même en amont de cela
Pour savoir comment Thibault a vécu cette nuit, il faudrait pouvoir rentrer dans sa tête, lorsquil est tout seul devant son café en ce dimanche matin
Episode complet, avec un voyage dans lalbum photo de Thibault, et dans lévolution des sentiments de Nico pour Jérém, sur www.jerem-nico.com.
« La toute première rémunération de mon travail d'écriture, c'est vous, les lecteurs, votre présence, votre fidélité. Mais sans le temps pour écrire, Jérém&Nico n'existerait pas, n'existerait plus.
Ce temps pour écrire, tu peux me l'offrir, à hauteur de tes moyens. Pour faire continuer ce partage qui dure depuis trois ans déjà. TIPEE.COM/jerem-nico-s1. Simple, rapide, sans engagement. Merci davance. Fabien ».
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