L'Amour Dans Les Fourrés 5



Lors de l’assemblée générale du club de randonnée, en présence du maire et des adjoints, le président fondateur a vivement regretté l’absence de Sylvain. Monsieur le receveur occupait le poste de trésorier et l’un des assesseurs du bureau veut bien assurer l’intérim de notre cher camarade. Celui-ci devra se remettre de ses fractures des avant-bras, des jambes et d’un traumatisme crânien.

Pendant le vin d’honneur, par hasard, placé derrière un pilier, j’entends une autre version de l’accident de ce malheureux Sylvain. Une rumeur, non officielle celle-là, veut que la laisse du chien soit étrangère à l’accident. Tout le monde connaît la propension de la victime à courtiser les jeunes veuves, mais aussi les jeunes femmes mariées en quête de consolation. Toujours prêt à rendre service aux âmes en peine, il a pris l’habitude d’apporter du réconfort aux femmes délaissées ou insatisfaites, sa nature généreuse le poussant à suppléer aux défaillances de maris stressés ou peu portés sur la chose. (J’entends glousser les narratrices).

Adrien et moi avons interrompu notre conversation pour écouter cet éloge rigolard de la générosité de notre compagnon de route. Entre deux rires complices, j’apprends le déroulement prétendument réel de l’événement.

Sylvain serait venu tenir compagnie à mon épouse Anne, ma trop jolie petite femme, objet naturel de convoitise. Apparemment irréprochable. Apparemment, reprend une voix sournoise qui conclut : il faut se méfier de l’eau qui dort. Sylvain m’aurait vu partir sans elle en randonnée, en aurait déduit soit une dispute dans notre couple soit une indisposition de ma femme. Pris de compassion, il aurait voulu prendre des nouvelles d’Anne, s’assurer qu’elle n’était pas malade ou abandonnée à l’ennui par un mari un peu léger.

Selon Geneviève, la visite n’était peut-être pas aussi innocente. Cela ressemblait à un coup monté pour rattr une tentative précédente avortée dans la forêt.

Tout le monde avait eu vent d’une tentative de cette sainte nitouche d’Anne . Elle avait essayé d’attirer le séducteur derrière un fourré. Geneviève parle de mon coup de sang et de mon intervention précipitée pour séparer le couple isolé. C’est un concours d’élégances. Je suis une brute à caractère sanguin, elle en a été témoin.

Ma jolie jeune femme aurait donc reçu son consolateur, peu résisté à son charme et pour prouver son excellente santé se serait soumise à un examen approfondi mais sans prétention médicale de la part de l’aimable visiteur. En résumé, elle aurait cédé à la tentation. On imagine comment. Ils auraient joué au gynécologue …Hélas pour les nouveaux amants, le mari (moi donc) serait revenu à la maison pour y prendre un casse-croûte oublié, aurait été attiré à l’étage par des bruits de sommier grinçant et des plaintes.

Il se serait porté au secours de son épouse probablement victime d’une chute, pourquoi pas d’une rechute, pour découvrir qu’elle ne gémissait pas de douleur mais de plaisir sous les assauts nécessairement d’une vigueur peu commune menés par le chéri de ces dames. Sous ses yeux furibonds, ce malheureux mari découvrait Adam et Ève croquant la pomme au paradis terrestre, disons livrés aux démons de la chair. "Vous me suivez !".

On pourrait croire entendre un témoin de la scène. Le cercle des curieux attentifs à l’évocation détaillée de la consommation de l’adultère s’élargit. Entre deux gorgées de champagne ou de jus de fruit on opine du bonnet ou on se livre à des gorges chaudes. Les histoires de cul font toujours recette.

Furieux, à juste titre, le cocu (moi) aurait mis fin à l’orgie, privant son épouse d’un orgasme imminent, aurait attrapé l‘amant au bord de l‘extase, l’aurait arraché de sa proie frappée de stupeur et jeté dans l’escalier suivi de ses vêtements répandus sur le sol. Puis, malgré les cris de la femme repentante, horrifiée par le déchaînement de violence engendré par sa conduite coupable, il aurait projeté l’infortuné receveur dans l’escalier extérieur en béton.


Le premier, Sylvain, pris de remords et l’autre, Julien, apitoyé par l’état lamentable du blessé, donc Sylvain et moi nous aurions, pour des raisons très différentes, inventé la fable de l’accident provoqué par la laisse du toutou, en attendant les secours. Sylvain ne tenait pas à divulguer ses activités extraconjugales, je n’avais aucun intérêt à révéler mon peu glorieux cocuage ou à affronter un interrogatoire qui dévoilerait à quel point je pouvais être violent. La honte d’avoir été surprise en flagrant délit avait réduit Anne à un silence complice. Avait-elle tout vu ? Elle devait avant tout se présenter dans une tenue convenable après des galipettes aussi chaudes.

Les commentaires vont bon train, les opinions sont partagées. Les deux amies interchangeables dans le lit du maire et de l’adjoint, se refont ainsi une virginité aux dépens de ma réputation et de celle de mon épouse . Elles pourront se vanter d’avoir captivé l’auditoire. Je sors de l’ombre. Le cercle se disperse lâchement. Les deux commères me regardent avec commisération. Elles font semblant de croire à leur histoire si amusante.

- Sabine, j’aimerais vous dire deux mots en particulier, puis je souhaiterais un petit entretien avec Geneviève. M’accorderez-vous cette faveur chères amies?

Comment s’échapperaient-elles, elles sont, avec moi, le point de mire de l’assemblée. À l’écart, je demande à la première de faire une déclaration publique immédiate démentant formellement ses déclarations précédentes. En cas de refus, je me verrai dans l’obligation de rendre publics ses agissements dans les fourrés avec monsieur l’adjoint. Même si les faits se sont déroulés avec la bénédiction de son mari (ce serait un comble), digne maire et cocu notoire, si je parle, leur publication accompagnée de photos (je bluffe, mais elle connaît ma passion pour cet art) créera un scandale capable de compromettre les résultats des prochaines échéances électorales. La population ne pardonnerait pas cette conduite aux chantres de la morale.
Les « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. » Pour faire bonne mesure, je lui laisse entendre que son propre mari n’est pas aussi vertueux qu’elle semble le croire. Veut-elle des noms ? Ses sources, dont Geneviève, pourraient la renseigner.

Toute pâle, elle va m’envoyer l’autre langue de vipère. À Geneviève je rappelle une journée dont elle vient d’évoquer le souvenir en oubliant ses confidences sur ce bon Sylvain et leur disparition derrière une certaine meule de paille ou de foin. Si par ailleurs elle veut faire répandre le bruit de sa liaison avec le mari de sa comparse, il suffira de continuer à salir notre réputation. Elle se confond en excuses. J’exige un démenti public.

Je demande la parole. En réponse à mes questions, ces dames reconnaissent ne pas avoir assisté aux faits relatés par elles, ne connaître aucun témoin oculaire de l’accident, n’avoir reçu aune information d’une personne qui aurait pu apporter la moindre preuve de ma culpabilité, et avoir simplement rapporté des bruits sans fondements. Elles s’excusent publiquement, à ma demande, d’avoir colporté des ragots et participé à répandre cette rumeur infamante pour Anne et pour moi. . Le public en reste bouche bée, mais ceux qui ont surveillé de loin mon entretien avec les deux mégères ont compris : leur rétractation ne doit rien à leur générosité légendaire. Certains doivent se douter de la cause réelle de ce retour à de meilleurs sentiments. Si elles ont accepté aussi vite de présenter des excuses, je dois avoir de quoi les avoir fait plier.

Ainsi l’honneur de ma femme est-il sauf et, de cocu vengeur, je redeviens l’époux soucieux de protéger de la calomnie un gentil couple si sympathique. Mais comme le disait Voltaire : "Mentez, il en restera toujours quelque chose." Le maire en personne me félicite d’avoir mis fin à une vilaine rumeur qu’il entendait avec peine et à laquelle il avait refusé de croire dès l’origine. Il rebondit sur l’occasion pour rappeler tout le mal ressenti par une communauté frappée par des rumeurs infondées et exhorte ses chers concitoyens à rejeter en toutes circonstances la tentation de céder aux ragots malveillants.
L’assemblée applaudit poliment. Le comité remercie nos illustres visiteurs. Je reçois quelques témoignages de sympathie. De la part des maris cela sonne comme des remerciements, dans les yeux de quelques épouses je lis une étincelle d’admiration.

- Alors, c’était comment, cette assemblée générale ? me demandera Anne.

- Comme toujours, long et ennuyeux. Le vin d’honneur a plus de succès que les comptes rendus d‘activité ou le quitus des commissaires aux comptes !

Le médecin et le kinésithéute partagent le même avis : après rééducation, Anne devra ménager sa cheville jusqu’à véritable consolidation. Ils lui recommandent de ne pas accomplir de longs périples pendant deux ou trois mois. Malgré elle, je décide donc de renoncer à ce plaisir. Mais après ma première défection, Anne revient à la charge. Elle a reçu la visite d’Isabelle, Cécile et Alexia. Les bonnes copines ont regretté mon absence, ont vanté le courage avec lequel j’avais défendu son honneur et souhaitent me voir reprendre place dans l’équipe. Je n’ai donc pas pu lui épargner leur bavardage. Elles veilleront particulièrement sur moi pendant son absence. Anne aimerait savoir comment j’ai obtenu les excuses de ces deux dames.

Pour la tranquillité d’esprit des participants, le comité a convié un journaliste à prendre des photos officielles des déplacements et recommande aux photographes amateurs de ne plus troubler le bon déroulement des randonnées en prenant des photos surprises tendancieuses. Je sais d’où vient le coup. Elles n’ont pas osé réclamer l’interdiction des appareils. Le président, de peur d’une scission, aurait refusé une fouille des effets et sacs, préconisée par l’adjoint !

La décision ne pouvant pas avoir d’effet rétroactif, prié de remettre l’ensemble des photos de la saison précédente, en vue d‘une exposition des meilleures triées et choisies par un jury impartial, j’ai fait valoir que payées de mes deniers, elles m’appartenaient. On m’a promis une indemnisation, j’ai réclamé de pouvoir imposer certaines vues particulièrement intéressantes selon moi. On n’en parle plus !

J’ai raconté à mes accompagnatrices la pression exercée. Un vent de fronde s’est levé, la base a grondé, et à mon insu, chacun et chacune s’est fait un malin plaisir de porter ostensiblement son appareil photographique sur le lieu de rassemblement du mois suivant.

Désormais, après une marche arrière spectaculaire du comité, à chaque inspection d’un chantier forestier la dame Sabine est escortée par deux ou trois chroniqueuses-photographes. Elle devra choisir d’autres occasions pour assouvir ses passions. Une jeune nouvelle, ignorant le lien marital de l’adjoint et de Geneviève, interrogée par cette dernière sur les raisons de cet acharnement des photographes contre son amie Sabine, lui a crûment révélé les amours cachées des deux amants.

Geneviève stupéfaite a giflé le petit tyran municipal et l’a séparé d’une Sabine rouge de honte à la suite de l’étalage public de ses aventures. Le conseil municipal trimestriel a été houleux, le maire et l’adjoint se sont violemment empoignés verbalement à propos du budget communal en présence d’une assistance exceptionnellement nombreuse.

Étrange, Sabine s’est déplacée pour prendre des nouvelles d’Anne, lui a offert de sa part et de la part de son mari une bonbonnière, m’a chaudement recommandé de soigner ma chérie. Ingénument elle m’a laissé entendre que le maire me verrait volontiers figurer en bonne place sur sa liste. Quand Geneviève à son tour s’est inquiétée de sa santé, Anne m’a demandé ce que j’avais tramé pour lui gagner ces marques d’amitié. Je ne lui ai pas parlé de l’offre du premier adjoint, via son épouse retrouvée, de m’inclure dans sa future équipe.

Ainsi, pour avoir bousculé un peu brutalement, en l’absence de témoin, un audacieux séducteur, occupé à lutiner et à importuner sexuellement mon épouse, je deviens, aux yeux des autres, celui que je ne suis pas. Parce que quelques mignonnes créatures m’ont idéalisé j’aurais des aptitudes et des compétences nouvelles pour les affaires municipales ! Je crois avoir posé pour une photo "nous deux seulement", avec toutes les randonneuses. Certaines ont voulu poser entre leur mari et moi. Cet engouement aura heureusement une fin quand Anne reprendra les chemins en me donnant la main. Je ne tiens pas à perdre mes meilleurs amis. La rumeur naît si vite.

Sabine a voulu que j’expertise avec elle l’opacité d’un fourré. Je devrais savoir si un sanglier pourrait s’y installer confortablement, ou des amoureux s’y retrouver un soir de clair de lune dit-elle en plaisantant. Le hasard a voulu que s’ouvrent deux boutons de sa blouse et deux seins laiteux gonflés de désir m’ont ébloui. Je regardais éberlué, une main impérieuse a saisi ma nuque, ses yeux pleins de langueur m’ont ordonné de céder à la pression de la main. Mon nez a quitté la moiteur du sillon entre les deux globes parfumés, ma bouche est passée d’une aréole à l’autre, a sucé deux tétons durs. Le courage de résister m’a manqué. Nous nous sommes embrassés, encore et encore. J’étais perdu. J’ai émis un avis assez vague sur la qualité de l’endroit. Sabine a pris note et m’a remis la page arrachée à son carnet. Elle comportait une adresse, une date et une heure.

- Je t’attendrai, sois à l’heure. Nous ne ferons pas ensemble la fin de la randonnée pour ne pas donner l’éveil.

Je marche à côté de Jérôme et de son adorable Cécile. Qu’a-t-il donc à bouder ? Cécile pépie, il fait la gueule. Par chance Geneviève vient à mon secours. Elle doit me transmettre un message.

- Asseyons- nous sur ce banc. Soyons discrets, je préfère ne pas être vue en ta compagnie par Sabine. Nos accords, s’ils restent secrets seront plus efficaces. Nous sommes les derniers.

Et voilà, j’ai droit à une folle déclaration d’amour. Elle s’assied sur mes genoux, me prend par le cou sans attendre un refus et fouille ma bouche. Si c’est un piège, elle n’hésite pas à y être étroitement mêlée. J’en sors et j’y replonge. Après le baiser de Sabine, vient celui de Geneviève. Un baiser n’est pas un autre. Chacune a sa technique, à chacune sa saveur particulière. L’un est-il meilleur que l’autre ? Je goûte, je savoure, je voudrais donner une note. Impossible de les départager. Il faudrait plus de temps. Je n’en reviens pas. Alors, je me retrouve avec un tissu léger en boule dans la main. J’ai vu le même il y a quelques mois dans la main de ma femme !

- Ce soir, il est trop tard. Mais regarde ce qui t’attend. Debout elle soulève le bas de sa robe. Dis-moi, tu le préfères barbu ou rasé ?

- Euh !

- Prends ça. Bon, tu es indécis. Ce sera d’abord barbu, puis rasé la fois suivante. Tu embrasses comme un dieu. À bientôt, beau gosse.

Ça: C’est une carte de visite avec une adresse, une date et une heure. Toute frétillante elle se met à courir ! Beau gosse ! Je vais devoir m’examiner dans la glace le matin en me rasant.

Abasourdi, je me souviens de l’existence d’un raccourci par lequel je vais me retrouver dans le groupe, sans me faire remarquer si j’allonge le pas. Les deux, le même jour ! C’est un complot. Je ne crois pas aux coïncidences. Deux dates différentes, deux hôtels éloignés, à 18 heures. J’enregistre, je déchire les convocations ? Non, il y a peut-être mieux à faire. La petite culotte. Que faire de la petite culotte ? Je n’ai pas l’intention d’imiter le receveur.

Or Sylvain rétabli, vient de reprendre le travail. Il m’a salué. Je l’ai trouvé triste et abattu. Je vais lui remonter le moral. Il sera le premier à ouvrir un petit colis et à y découvrir la culotte perdue il y a des mois, accompagnée d’une carte de visite fixant un rendez-vous avec Geneviève, à 18 heures. Reste le rendez-vous de la femme du maire, le lendemain à 18 heures. Qui en sera l’heureux bénéficiaire ? Je pourrais tenter de réconcilier les deux clans ennemis du conseil municipal en rapprochant Sabine de Joël, son ex amant et adjoint au maire? Mas plutôt Sylvain.

Sylvain pendant sa cure post opératoire s’est retrouvé célibataire : sa femme est partie avec le facteur ! Persuadé de ne plus faire rire son supérieur, le facteur a demandé et obtenu sa mutation. Sylvain supportera-t-il deux rendez-vous galants aussi rapprochés ? Je lui dois bien ça. Il pensera moins à la conquête d’Anne. Mais ? Et ça, dans la poche de ma gourde ! Quoi, encore une petite culotte. Mais sans broderie. Ce soir je vais à confesse. Il faut, oui, il faut mettre Anne au courant des dangers que je cours.

Sur la place on se dit au revoir, comme d’habitude.

- À bientôt, me dit Sabine avec un sourire engageant, plein de malice. Prends cette enveloppe. N’oublie surtout pas. Je t’attendrai.

- Curieux, me dit Geneviève, tu pactises avec l’ennemi. C’est quoi cette enveloppe ?

- Sabine envoie un mot à ma femme.

- Oh! La vache ! Elle lance la campagne électorale de très loin. J’en ferai autant, écrirai à cette chère petite Anne. Mais ne lui montre surtout pas le contenu de l'enveloppe de Sabine.

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