La Lecture

1/ La proposition de mon mari

Mon mari m'a proposée pour faire la lecture au père d'un collègue privé de la vue. Sa compagne est décédée et il n'a personne de proche pour la lui faire. Son fils, le collègue de mon mari, doit partir en province pour quelques mois. Ce qui me surprend d'emblée c'est qu'il y a des radios qui diffusent des histoires que des conteurs professionnels racontent avec beaucoup de talent. Mon mari m'explique qu'il se sent un peu redevable auprès de ce collègue qu'il a pris en sympathie et qui lui a rendu de nombreux services par le passé. Cela me laisse un peu circonspecte.
J'avais rencontré ce fils à l'occasion de soirées professionnelles auxquelles les épouses étaient conviées. Je ne l'aimais pas beaucoup et moi, je ne le trouvais pas sympathique du tout. Il arborait toujours un air condescendant et quelque peu méprisant. J'avais aussi surpris des regards sans ambiguïté sur moi. Très assuré de son pouvoir de séducteur, il s'attardait souvent mes charmes, sans aucun respect ni considération pour mon mari. Il avait des certitudes et l'assurance de faire de moi sa conquête. Il a bien fallu qu'il se résigne, je suis fidèle à mon mari. Mais bon, il s'agit de son père ! Je me gardais bien d'en parler à mon chéri.
Dans un premier temps j'ai fait la sourde oreille espérant que le vieux monsieur finirait bien par trouver une autre lectrice. Mais c'était sans compter sur la ténacité de mon époux et devant son insistance, j'ai fini par céder et accepter. J'ai su qu'il s'agissait d'une heure par semaine et que sa maison n'était séparée de la nôtre que de quelques kilomètres. Il me faudrait à peine 15 minutes de déplacement en auto. En plus, et cela n'est pas négligeable, il proposait un gros dédommagement que je pourrais utiliser pour mes seuls caprices, me précise mon chéri.

2/ La rencontre

C'est le père qui me contacte par téléphone pour convenir du premier rendez-vous. Sa voix est chaude, grave.

Je suis d'emblée séduite par ce timbre envoûtant. Je ne sais pas pourquoi mais déjà des pensées lubriques me submergent. Il faut que je me contrôle sinon ma parano va exploser ! Mais c'est vrai qu'une voix sensuelle chante le désir pour des personnes comme moi aux sensibilités exacerbées.

Aussi quand je sonne au portail de sa petite maison, je me sens tendue, la faute à cette voix dont j'entends encore la résonance des mots. Une gâche électrique libère un petit portillon. Je m'engage jusqu'à un petit perron couvert d'une marquise de verre. La porte de la maisonnette est ouverte. Je pénètre lentement, timidement.

- Entrez-Chantal. Avancez jusqu'au bout du couloir. Je vous attends.

Je me fige, surprise. Cette voix me donne la chair de poule. Elle mélange intimité tendresse et amitié. Elle est encore plus chaude qu'au travers du téléphone. A cet instant je me retrouve dans le souvenir du vieux tamoul rencontré en Asie et qui m'avait subjuguée au point de m'abandonner à ses caresses. Je suis déstabilisée, j'ai du mal à me ressaisir.
Je trouve debout auprès d'un fauteuil, un homme assez grand, aux cheveux blancs. Il porte une veste d'intérieur du plus bon goût, au dessus de vêtements légers. Une main posée sur un des accoudoirs, j'imagine qu'il s'agit d'un repère pour assurer sa position dans la pièce.
C?est son regard qui me trouble maintenant. Il regarde derrière moi, nulle part, un regard vide aux yeux verts, grands ouverts, trop ouverts, mais c'est normal chez ces personnes. Je sens qu'il cherche à me percevoir, sentir ma présence. J'ai plusieurs fois rencontrés des malvoyants et leur regard particulier. Mais ici cet homme, dont je ne connais rien, a un regard qui me tétanise. Je finis par arriver à parler.

- Bonjour Monsieur. Je suis heureuse de vous rencontrer.
-
Je réalise la pauvreté de ma phrase.

- Moi aussi, Chantal. Vous avez un fauteuil devant vous. Asseyez-vous je vous prie.
Vous pouvez enlever votre veste et la déposer avec votre sac sur le divan sur votre droite.

Comment sait-il que j'ai emmené un sac ?
Mon trouble s'accroît. A peine sa phrase terminée, je vois très nettement son regard se poser sur moi. Il me détaille, je le sens qui me déshabille. Ma parano ? A mon tour je le regarde, mal à l'aise. Ce regard figé sur moi me fixe droit dans les yeux. Je finis par m'asseoir, mon sac et ma veste posés sur le divan. Il prend place dans son fauteuil face à moi. Je surprends ses yeux furtivement posés sur mes genoux découverts. Un frisson parcours mon corps me donne la chair de poule. Il fait chaud dans le salon, ce doit être une autre raison. Je dois me ressaisir, cet homme est aveugle, je dois réprimer ma parano avant qu'elle n'explose !

Un peu calmée, je détaille le bonhomme. Il approche la soixantaine (peut-être dépassée ?), presque trente années nous séparent ! Il se tient bien physiquement, même si sa cécité absolue le rend presque entièrement dépendant.
Je dis presque car je devais m'apercevoir qu'il se déplace facilement dans sa maison dont il connaît parfaitement l'aménagement des meubles et la distribution des pièces. C'est un homme soigné, sauf aux soins du visage. Il est mal rasé et de ses narines épanouies dépassent des poils longs raides et blancs. J'en comprends facilement la raison.
Je fais le tour de la pièce du regard. Il y a une grande bibliothèque remplie de livres. Cela ne manque pas de me surprendre, mais je savais que son épouse faisait la lecture depuis bien longtemps. Je ne peux refréner ma stupéfaction quand il me dit :

- Comment me trouvez-vous ? Vous aimez ma maison ?

Je panique. Voit-il ou a-t-il un sixième sens comme on le prête aux non-voyants de naissance ? Je respire un grand coup avant de lui répondre, encore bêtement.

- Elle est soigneusement entretenue et meublée avec goût.
- Vous savez Chantal, le compliment en revient à mon épouse.


Je réalise à nouveau le ridicule de ma réponse. Comme je m'en excuse, un nuage de tristesse traverse son visage. Quand je parle, ses yeux sont fixés sur mes lèvres. Puis, je me rends compte que son regard descend lentement vers ma poitrine. Je suis troublée. Je me souviens des aveugles au musée Rodin qu'on autorise à « voir » les sculptures avec leurs mains qui caressent les formes froides mais tellement sensuelles des œuvres. Ce vieil homme est charmant et je reconnais que je suis sous le charme. Mon dieu, je dois absolument chasser de mon esprit toute idée érotique.

- Je vous demanderais de lire des ouvrages très divers et variés, Chantal. Je voudrais tout de suite préciser que je suis friand de certains textes, disons, quelque peu osés, voire peu convenables. J'espère que vous accepterez de me faire également la lecture de ces textes interdits.

A ces mots, mon sang se glace dans mes veines. Je ne m'attendais pas à cela. Ce n'était pas dans notre convention. En même temps qu'il parle, son regard m'a semblé changer, et j'y ai vu un peu de perversité. Et un frisson me parcours à nouveau des pieds à la tête, en même temps qu'une chaleur, que je connais bien, s'empare de mon bas ventre et de la pointe de mes seins ! Mes seins, sur lesquels maintenant il braque ses yeux.
Soudain un coup de folie ! Lentement sans faire le moindre bruit, j'avance une main vers le premier bouton de mon chemisier que je défais toujours aussi lentement. Son absence de réaction me rassure, alors que mon soutien gorge est très visible et que son regard reste figée sur ma poitrine.

(à suivre)

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