La Belle Des Année Folles - Ch. 7 - Le Quotidien Du &Quot;Carré De Dames&Quot;
Ch. 7 - Le quotidien du "Carré de Dames"
Le quotidien de ces dames, surtout au départ des soirées, est fait de l'attente des clients. Durant ces moments dattente, forts longs parfois, elles soccupent avec des plaisanteries, souvent plus grasses et gouailleuses que subtiles et rigolotes. C'est leur façon à elles de tromper l'ennui des soirs sans surprise et sans
clients !
Soirées faites le plus souvent, d'un désuvrement plus ou moins prononcé des pensionnaires qui peuvent se prolonger certains soirs jusqu'à la fermeture. Pas facile, quand on est porté sur le sexe et que celui-ci devient une habitude, de le vivre des journées et des soirées entières et des jours à suivre
Vivre le sexe ainsi intensément et dans une ambiance aussi explosive, et passer des ''soirées sans '', ce ne doit pas être simple à gérer ! Le désuvrement est tel parfois, qu'il peut vous conduire vite à la déprime et au manque
Ces soirées de disette, la Jeanne ne fait pas long feu et vers les minuits au plus tard elle est au lit, seule, mais avec toujours ce désir chevillé à son corps et à son esprit de baiser et de sucer un sexe
Aussi, en repensant à toutes les situations quelle a vécu depuis ses quatorze ans, elle se branle souvent, parfois fort longtemps, jusquà lorgasme. Elle ny manque jamais, ne serait-ce que pour sentretenir se dit-elle à elle-même, comme pour se justifier de cette envie inextinguible. (Photo 1)
La Fernande, elle, prend ces soirs là où il ny a personne, des cuites dont certaines restent mémorables. Régulièrement, vers les 22 heures, ça commence comme cela : elle sapproche du bar lair de ne pas en avoir lair ; lair de rien quoi. Après quelques échanges de conversation avec lAdèle, elle dit immanquablement :
- Allez la patronne, ça va encore être une soirée sans ! Je ne sais pas ce quils font les salopards, à quoi ils occupent leur temps mais ils sont pas très portés sur la chose !.
Et après un temps où elle se dandine dun pied sur lautre, elle demande enfin :
- ''Aller tiens, lAdèle, donne-moi donc une petite fine, tu la mettras sur mon compte !'' Avec un clin dil aux filles, lAdèle sort un petit verre et lui remplit à partir dune bouteille de fine à leau - boisson très à la mode dans les années 20 / 30 - et avec un ton plein de malice, lAdèle demande invariablement :
- '' Tu veux peut-être toute la bouteille ? '' Et, invariablement, la Fernande rétorque :
- '' Oh, non pas toute la bouteille ! Ce ne serait pas raisonnable !... Eh, toi, doucement hein, je pense que tes en train de te payer sur moi, le manque à gagner de la soirée !!'' Et elle va sasseoir à la table du fond, toujours au même endroit, son verre devant elle, tandis que la patronne att un carton derrière les bouteilles et y met une barre qui sajoute aux autres
Dix minutes après cet épisode, la Fernande revient avec son verre vide et redemande une autre ''petite fine'' ; lAdèle reprend le carton y met une nouvelle barre et ainsi de suite de quart dheure en quart dheure
Jusque vers minuit, heure à laquelle là Fernande, aux trois quarts ivre, vient carrément chercher tout le reste de la bouteille et sattable pour la siffler dans lheure qui suit
Pour une bouteille (entière) lAdèle compte une quinzaine de verres. Certes ce nest pas au même prix que pour la clientèle, mais il nempêche !
Il faut que celle-ci travaille toute une soirée, avec au moins deux commissions sur les bouteilles quelle a fait commander, pour rentrer dans les frais de ses libations dune soirée ! Il arrive souvent des périodes où Fernande a huit à dix jours de ses revenus dentraîneuse dhypothéqués pour payer ses soirées de solitude alcoolisée.
Certains soirs, elle est tellement saoule au moment de la fermeture, quelle sest endormie sur son coin de table, les cheveux trempant dans la fine étalée sur la table. La patronne juge préférable de la laisser dormir là jusquau lendemain matin. Elle descend alors le rideau-grille extérieur, ferme la porte dentrée, éteint le bar et monte chez elle, laissant la Fernande ronfler sur son coin de table
Vers les 5 ou 6 heures du matin, lorsque le jour pointe, La Fernande se réveille, la bouche pâteuse, et titubant encore, monte à sa chambre où elle va dormir jusquà midi. Parfois aussi, au lieu de monter directement, elle fait un détour derrière le bar. Là en labsence de la patronne, elle se jette dans le gosier quelle a ment très sec, quelques lampées dun alcool fort, peu importe lequel, à même la bouteille.
Ses cuites les plus mémorables, la Fernande les a prises bien évidemment dans le cadre de son travail dentraîneuse au ''Carré de Dames''. Nous en aurons un aperçu un peu plus loin
Dailleurs dans le milieu des noctambules fêtards parisiens, sa réputation est faite depuis longtemps. Réputation de paillarde à baiser qui aime se pinter et que labsorption dalcool libère complètement sur le plan de ses instincts sexuels
Et il nest pas rare que certains habitués du bar, viennent sur les fins de soirées, histoire de profiter de la Fernande, qui saoule accepte tout et même nimporte quoi
Sans compter que la patronne est soupçonnée de favoriser cet état de choses : accueillir tard le soir, les clients qui aiment profiter de la Fernande dans cet état. On ne saura jamais si lAdèle sarrange pour faire prévenir la clientèle que lentraîneuse est très saoule, ou bien si cela est le fruit dun hasard, dû au fait quil y a à peu près 2 chances sur 3 pour que Fernande soit ivre
Toujours est-il que certains clients, toujours les mêmes ou à peu près, arrivent à chaque fois après minuit - une heure du matin, la plupart du temps lorsquelle est très échauffée par lalcool et même souvent complètement ivre
Disons tout de suite quelle ne prend pas une cuite par jour non plus.
A propos de femmes qui se prennent régulièrement des cuites, la Fernande nest pas la seule loin de là ! Ainsi, plus souvent quà son tour, la patronne sen prend aussi de sévères
En particulier les soirs où la recette a été bonne et les clients particulièrement entreprenants. A la différence de Fernande, lAdèle nest ivre quen toute fin de nuit quand il y a eu du monde et que le tiroir-caisse est plein ; alors que lautre, la Fernande boit par désuvrement dès le début de soirée
Parfois, quand elles sont toutes les deux bien éméchées, les clients partis, elles passent ensemble une bonne partie du reste de la nuit à se raconter leurs souvenirs danciens combattants des années passées dans plusieurs bordels parisiens où elles ont lune et lautre, travaillé
La Fernande raconte souvent ses " moments de guerre " et comment en 1915 elle a été réquisitionnée avec plusieurs centaines de femmes des bordels parisiens pour aller regonfler le moral des troupes qui revenaient à larrière lorsque les hommes décrochent du front. Les filles étaient cantonnées juste après les lignes de larrière, groupées par quinze à vingt dans les quelques maisons restées debout au milieu de villages dévastés, ou parfois dans des bivouacs de toile
Durant cette guerre, la Fernande était basée avec une quinzaine dautres filles de Pigalle, à Anizy-le-Château, entre Laon et Soissons, juste en arrière du front de lAisne dans un couvent à demi bombardé. Les bonnes surs de la Miséricorde avaient désertées le lieu pour se replier en Normandie, laissant place à un autre genre de surs
Fernande y resta de mars 1915 à Noël 1918. Mangeant bien disait-elle, bien soignée, passant plus de temps allongée que debout
Les soldats venaient là pour une heure ou deux, par sections entières avant de monter au front, tout de suite relayées par dautres sections, et ainsi de suite du matin au soir et parfois la nuit en fonction des contingents disponibles.
- '' Cétait complètement surréaliste, racontait-elle. Pensez, un couvent où lon baisait sans arrêt de bout, le long de toutes les colonnes du cloître ou en levrette sur les margelles, et évidemment aussi dans les cellules des surs, cétait des orgies à nen plus finir. Sans doute que le Bon Dieu navait jamais vu de pareil ici, hein !..."
- " Oh mes pauvres, vous auriez vu ça, une débauche de corps dénudés, de bites, de culs, de râles
Lété 1916 où il a fait si chaud, nous baisions toutes en chur sur lherbe de la grande cour intérieure du cloître
Non, vous narrivez à vous imaginer ?! Cétait la Cour des miracles ! Ah, ils sen donnaient à cur joie les petits poilus, hein, fallait en profiter
Mais ces petits jeunots, ils nous faisaient tellement pitié, vous savez
Nous savions et eux aussi les pauvres, que de tous ceux-là, très peu allaient en revenir. Deux ou trois sur cinq, souvent moins
Quelle désolation ! Et nous, vous pensez bien que nous donnions tout ce que nous pouvions à ces pauvres gars ! (Photos 2 et 3) Si jeunes, pas vrai
Cétait notre façon de produire notre effort de guerre
Nous leur apportions tout le réconfort possible ; ça, vous pouvez en être sûres !! Et puis, ils montaient ensuite directement au front en sortant de nos bras, il fallait aussi les faire boire le plus possible, pensez donc !... Et nous avec
On prenait de ces cuites mémorables, et on faisait tout et le reste avec les types dans le même état !
Je me rappelle que la petite Etiennette, elle ne dessaoulait pas des semaines entières
Pensez, elle navait que 16 ans, à boire comme des hommes à longueur de journées
La pauvre na pas fini la guerre
Elle en est morte à lautomne 17
''
Elle reste pensive un court instant le temps dune respiration et dun recueillement, revoyant devant ses yeux la petite Etiennette.
- '' Et puis, on était tout près du front à quelques kilomètres à vol doiseau
Vous navez jamais fait lamour au son du canon, vous, hein ?! Se faire tirer en même temps quil y en a des, qui tirent au nom de la Patrie !! Ah ça, cest quelque chose ! Faut avoir vu ça, croyez-moi
Eh, oui, cest des souvenirs tout ça
Je me souviens dun beau gars, superbe et avec un '' Jésus '', je ne vous dis pas les filles
Il pleurait en faisant lamour disant quil ne voulait pas repartir, pas y retourner
Nous nous sommes mises à trois pour le consoler et sans ménager notre peine, hein, vous pouvez me croire !... Il est parti heureux comme jamais
" Cest extra, disait-il... Du jamais vu !!" Et cest vrai, le malheureux, il en avait eu lintuition
Il nest pas revenu le pauvre bougre !... On a bien eu raison, aller, de lui avoir donné les derniers sacrements !''
Ainsi parle la Fernande et ses souvenirs de la Grande Guerre. Et les jours sans clientèle, il nest pas si rare de voir en fin de soirée LAdèle et la Fernande dormir côte à côte complètement ivres (photo 4)
Les soirs où il ny a pas de clients, Jeanne monte tôt dans chambre et se caresse... Fernande boit par ennui et désuvrement.
Que font donc Léo et la petite Joyeuse, direz-vous ? Le plus souvent ces deux-là, se contentent entre elles et nont pas de complexe quant à la façon de se donner du plaisir et de passer le temps
Souvent elles restent toutes deux dans le bar, assises à une table, à se peloter sembrasser, se lécher et même un peu plus. Il leur arrive dêtre surprise dans ces situations par des clients qui viennent sur le tard. Ce nest pas pour leur déplaire dailleurs
Parfois, elles montent dans la chambre de lune ou de lautre en précisant à Adèle en passant devant le bar :
- '' Patronne, nous montons un moment, sil vient du monde appelez-nous, nous descendrons rapidement
''
LAdèle acquiesce dun air plein de sous-entendus, pas dupe de la signification de ce départ. Dans ces moments, indiscutablement Léo est lhomme, avec sa taille et sa corpulence et aussi ses côtés un peu masculins, tels sa mâchoire forte, son franc-parler et ses mains peu féminines
Joyeuse au contraire est une sorte de petite poupée aux grands yeux et au joli sourire et qui soffre à qui veut. Elle écarte très grand les cuisses et attend volontiers les initiatives
(Photo 5)
Les petits jeux entre femmes ne sont pas la tasse de thé de Jeanne
Bien au contraire, elle préfère de loin la compagnie et les caresses des hommes ou à défaut les siennes propres. Elle napprécie pas trop les caresses dune femme et a fortiori celles de ses compagnes de débauche. Ce désir ne lui est encore jamais venu, sauf une fois ou deux, comme dans la boîte à partouses il y a quelques mois, mais cétait dans le feu de laction, quand le désir est exacerbé. Mais ce nest pas quelque chose quelle recherche, même pas en cas de désuvrement
Ainsi il est arrivé à plusieurs reprises que des couples, hommes et femmes, souvent à plusieurs à la fois, soient entrés au ''Carré de Dames''. Les femmes étaient la plupart du temps très belles et sexy, portées sur le sexe et la bisexualité. ment, elles tentaient des approches avec Jeanne. Celle-ci sarrangeait toujours pour éluder ou faisait semblant de ne pas comprendre, en même temps quelle augmentait sa drague envers les hommes présents. Ceux-ci ne laissaient en général pas assez de temps à leurs compagnes pour quelles approfondissent le sujet avec Jeanne, qui ainsi termine toujours dans les bras dun homme et bien plus rarement dans ceux dune femme
Ce qui se passe au " Carré de Dames " est bien différent de ce qui se passe dans une "maison dabattage" comme il en existera un peu avant la seconde guerre mondiale. Dailleurs ce qui se passait durant la Grande guerre avec ces filles dont parle si bien la Fernande, dans les conditions où la Mère Patrie les faisait travailler, relève de "labattage". Là au "Carré de Dames", la différence cest que les filles qui font ce boulot y prennent malgré tout un certain plaisir (voire un plaisir certain !) et gardent une bonne part de leur libre arbitre.
Certes ce nest pas toujours drôle au quotidien et quelques-unes, surtout à lépoque des années 20 30, finissent avec des maladies vénériennes (on dirait de nos jours des "maladies sexuellement transmissibles") ou avec une cirrhose à force dêtre obligées de boire, mais le temps où elles sont là, dans le bordel qui les accueille et les protège, elles y trouvent leur compte
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