Lectures Érotiques (6). Emmanuelle Arsan : Emmanuelle, La Leçon D'Homme
« Il faudrait que chaque femme se mette, ne serait-ce que dix minutes, une fois dans sa vie, dans la peau d'Emmanuelle», tel était le souhait de l'auteur d'un roman devenu un mythe érotique planétaire, paru en 1959 sous le manteau, dans sa belle couverture bleue sans mention de l'auteur, de l'éditeur ou même de l'imprimeur.
Sa republication en 1968 par l'éditeur Eric Losfeld lèvera un peu le voile sur Emmanuelle Arsan, l'auteur de cette uvre majeure sur la liberté, le plaisir d'un érotisme léger et radieux, et l'émancipation sexuelle, aux antipodes de la norme pornographique actuelle. Sous le pseudonyme d'Emmanuelle Arsan se cache Marayat Bibidh, une jeune Franco-Thaïlandaise dont cette histoire autobiographique d'initiation à l'art d'aimer en repoussant les limites de la convenance a vraisemblablement été rédigée à quatre mains, peut-être dans l'ultime but de dépasser le genre.
En 1956, Marayat, pure mais dévergondée, décide de rejoindre son mari, Louis- Jacques Rollet-Andriane, un diplomate esthète et cultivé, à Bangkok. Ce couple hors-norme va profiter des plaisirs de l'existence dans une vision anticonformiste du couple, régie par la loi d'Éros, véritable fondement philosophique, dont les trois piliers sont la symétrie, le nombre et l'insolite.
Six années après la sortie du roman, le film va lui aussi affronter la censure. Son succès tiendra tout autant dans le casting d'acteurs et comédiens confirmés ayant tenté l'aventure du film érotique qu'au choix fait par le réalisateur, Just Jaeckin, de son héroïne principale, Sylvia Kristel. Ce sera le rôle de sa vie : son nom reste associé dans notre mémoire collective à Emmanuelle, aussi puissamment que cette ritournelle entêtante de la «mélodie d'amour » de Pierre Bachelet qui accompagne le film.
Un film tout en élégance et esthétique, qui reprend sans aucune équivoque ni polémique ' mais en les édulcorant ' les idées d'émancipation, de liberté et d'érotisme du roman.
RESUME
Emmanuelle, jeune épouse de 19 ans, part rejoindre son mari à Bangkok après six mois de séparation. Dans l'avion, elle vit une première expérience sexuelle inaugurale. L'une de ses amies du petit milieu bourgeois de Bangkok lui présente alors un bel italien, Mario. Celui-ci, pressentant une élève «douée», s'instia son «professeur de jouissances», sans jamais la posséder lui-même.
Emmanuelle, elle, elle aimerait beaucoup se taper Mario mais Mario, lui, a l'air plus intéressé par les jeunes conducteurs de taxi thaïlandais et par le fait de prosti Emmanuelle. Jusqu'au final où Mario baise le jeune taxi qui lui-même pénètre Emmanuelle et par un miracle cosmique ils jouissent tous ensemble.
Emmanuelle s'adonne sans retenue aux jeux érotiques qu'invente à son intention un précepteur éclairé. Son corps se métamorphose, ses formes s'affirment sous les caresses d'hommes et de femmes aux mains expertes. La nymphe s'abreuve à la source de leurs désirs, ses fantasmes s'incarnent en des scènes impudiques où elle explore les contours de plaisirs inavouables. Emmanuelle apprend vite, l'amour est sa seule loi.
Elle ne connaîtra désormais, pour tout repos, que celui procuré par la jouissance pure, quel que soit le chemin qui y mène.
J'ai souhaité reprendre ce qu'en a dit l'hebdomadaire Le Point:
http://www.lepoint.fr/culture/coups-de-coeur/extraits-emmanuelle-ou-l-erotisme-radieux-05-04-2013-1650653_792.php
« En 1967, cinq ans après la parution d'Histoire d'O, un livre au titre et à la couverture d'une absolue sobriété bouleverse la tradition du roman érotique, jusqu'alors corseté - c'est un comble - dans la vision sombre et transgressive de Bataille. Emmanuelle ou l'érotisme non plus de la révolte, mais de "l'accord parfait". L'histoire ? On la connaît. Emmanuelle est belle, libre et si sensuelle ; elle a 19 ans, part pour Bangkok rejoindre Jean, son mari, un diplomate français. Dans l'avion, déjà, elle découvre le désir, son secret, sa puissance, le frisson, la jouissance.
Parce qu'avant d'être un phénomène social, un film culte (50 millions d'entrées, dont 9 millions en France ; sur les Champs-Élysées, le film est projeté 553 semaines de suite et beaucoup trop de mauvais téléfilms, Emmanuelle, c'est un livre. Une oeuvre en chef. Plus large encore que le mythe et le fantasme interplanétaire qu'elle a fait naître, plus ample, plus épaisse que le fauteuil en osier, les deux seins invitants, le regard qui frise et le long collier de perles. Parce que Emmanuelle, ce n'est pas du sexe, c'est de l'érotisme vintage, onirique, utopique et tendre, un érotisme optimiste, un érotisme radieux. Parce que l'exercice de l'écriture érotique est si exigeant, trop souvent substitué à celui, plus aisé, plus relâché, de la pornographie. Parce qu'à l'heure du (mauvais) mummy porn (le porno pour mère de famille), Emmanuelle raconte une histoire plus exaltante, une sexualité intelligente, heureuse, qui donne envie. Parce que si l'érotisme a le vent en poupe, peut-être est-il devenu moins libre, moins révolutionnaire, et surtout moins littéraire. Et parce qu'après Emmanuelle, rien n'est plus pareil ».
L'AUTEUR
Emmanuelle Arsan, née Marayat Bibidh, de son nom d'épouse Marayat Rollet-Andriane, née en 1932 à Bangkok, et morte en 2005 est une romancière française d'origine thaïlandaise, principalement connue pour avoir signé le roman érotique Emmanuelle.
Le roman est pour une grande partie autobiographique. Marayat épouse un diplomate français à l'âge de 16 ans et vit avec lui à Bangkok où elle multiplie les amants et amantes, suffisamment en tout cas pour écrire Emmanuelle à 20 ans en s'inspirant de sa vie conjugale qui a l'air pour le moins libérale.
NOTES DE LECTURE.
Emmanuelle, jeune femme resplendissante de beauté, pleine de vie et d'entrain, prend l'avion pour rejoindre son mari à Bangok, où il est parti vivre pour les besoins de son travail. Emmanuelle va profiter de ce voyage pour laisser sa sexualité se débrider et profiter de son corps de rêve pour vivre les expériences sexuelles les plus folles.
Les passages sur les ébats d'Emmanuelle dans l'avion sont parmi ceux que je préfère.
« L'hôtesse crut Emmanuelle endormie et elle fit, avec précaution, basculer le dossier, transformant le siège en couchette. Elle étendit une couverture de cachemire sur les longues jambes alanguies, que le glissement du fauteuil avait découvertes à mi-cuisses. L'homme, alors, se leva et fit lui-même la manoeuvre qui plaçait son siège au niveau de celui de sa voisine de cabine. Les s s'étaient assoupis. L'hôtesse souhaita bonne huit à la cantonade et éteignit les plafonniers. Seules, deux veilleuses mauves empêchèrent les objets et les hommes de perdre forme.
Emmanuelle s'était abandonnée sans ouvrir les yeux au soin que l'on prenait d'elle. Sa rêverie, toutefois, n'avait rien perdu de son intensité ni de son urgence, au cours de ses mouvements. Sa main droite rampait maintenant le long de son ventre, très lentement, se retenant, finissant par atteindre le niveau du pubis, sous la couverture légère que sa progression faisait onduler. Mais, dans cette pénombre, qui pouvait la voir ? Du bout des doigts, elle explorait, creusait la soie souple de sa jupe, dont l'étroitesse s'opposait à ce que ses jambes s'entrouvrissent : elles tendaient l'étoffe dans leur effort pour s'écarter ; elles y réussirent suffisamment, enfin, pour que les doigts sentissent, à travers la minceur du tissu, le bouton de chair en érection qu'ils cherchaient et sur lequel ils pressèrent avec tendresse.
Pendant quelques secondes, Emmanuelle laissa l'ovation de son corps s'apaiser. Elle essayait de retarder l'issue. Mais bientôt, n'y tenant plus, elle commença avec une plainte étouffée, de donner à son médium l'impulsion minutieuse et douce qui devait l'amener à l'orgasme. Presque aussitôt, la main de l'homme se posa sur la sienne.
Le souffle perdu, Emmanuelle sentit ses muscles et ses nerfs se nouer, comme si un jet d'eau glacée l'avait fouettée en plein ventre. Elle resta immobile, non point vidée de sensations et toute pensées arrêtés, à la manière d'un film dont on suspend le déroulement sans obscurcir l'image. Ni elle n'eut peur, ni elle ne fut, à proprement dire, choquée. Elle n'eut pas, non plus, le sentiment d'être prise en faute. En vérité, elle n'était pas capable, à ce moment-ci, de formuler un jugement ni sur le geste de l'homme, ni sur sa propre conduite. Elle avait enregistré l'événement, puis sa conscience s'était figée. Maintenant, de toute évidence, elle attendait ce qui allait prendre la suite de ses songes écroulés.
La main de l'homme ne remuait pas. Elle n'était pas, pour autant, inactive. Par son simple poids, elle exerçait une pression sur le clitoris, sur lequel appuyait la main d'Emmanuelle. Rien d'autre ne se produisait pendant assez longtemps. Puis Emmanuelle perçut qu'une autre main soulevait la couverture et la rejetait, pour se saisir à l'aise d'un de ses genoux et en tâter les creux et les reliefs. Elle ne s'attarda d'ailleurs pas et remonta, d'un mouvement lent, le long de sa cuisse, débordant bientôt l'ourlet du bas.
Lorsque la main toucha sa peau nue, pour la première fois Emmanuelle eut un sursaut, et elle tenta d'échapper au sortilège. Mais, en partie parce qu'elle ne savait pas exactement ce qu'elle voulait accomplir, en partie parce que les deux mains de l'homme lui semblaient trop fortes pour qu'elle eût la moindre chance d'échapper à leur prise, elle ne fit guère que soulever maladroitement le buste, rapprocher de son ventre, comme pour le protéger, la main qu'elle avait de libre, et se tourner à demi sur le côté. Elle se rendait bien compte qu'il eût été aussi simple et plus efficace de serrer les jambes l'une contre l'autre, mais, sans qu'elle pût s'expliquer pourquoi, ce geste lui paraissait tout d'un coup si inconvenant et si risible qu'elle n'osait pas le faire et qu'elle finit tout bonnement par renoncer à dominer une situation qui la confondait, se laissant derechef gagner par la paralysie qu'elle n'était parvenue à surmonter que pour un court instant et de façon bien dérisoire.
Comme si elles voulaient tirer pour l'édification d'Emmanuelle la leçon de cette vaine révolte, les mains de l'homme l'abandonnèrent d'un coup. Mais elle n'eût même pas le temps de se demander ce que signifiait ce soudain revirement, car, déjà, elles étaient de nouveau sur elle, cette fois au niveau de la taille, sûres, rapides, dégrafant le gros grain de sa jupe, faisant glisser la fermeture-éclair, tirant l'étoffe sur les hanches, jusqu'aux genoux. Puis elles remontèrent. L'une d'elle pénétra sous le slip d'Emmanuelle ( léger et transparent, comme tous les sous-vêtements qu'elle a l'habitude de porter- peu nombreux, à vrai dire : un porte-jarretelles, parfois un jupon, sous ses jupes amples, jamais de soutien-gorge ni de gaine, bien que, dans les boutiques du Faubourg St Honoré, où elle achète sa lingerie, elle se fasse essayer par l'une ou l'autre des vendeuses blondes, brunes, belles, à demi réelles, qui s'agenouillent à ses pieds en découvrant leurs longues jambes, d'innombrables modèles de bustiers, de guêpières, de culottes ou de cache-sexe, que leurs doigts gracieux font monter le long de ses seins ou de ses cuisses, et dont elles la caressent, patiemment, avec des gestes répétés et souples, jusqu'à ce que les yeux d'Emmanuelle se ferment et qu'elles ploient doucement les genoux, se posant sur le sol jonché de nylon comme une voile qu'on amène, ouverte, chaude et livrée à la parfaite et assouvissante habileté des mains et des lèvres).
Le corps d'Emmanuelle retomba dans la position d'où son ébauche de résistance l'avait momentanément dérangée. L'homme caressa de la paume, comme on flatte une encolure de pur-sang, son ventre plat et musclé, juste au-dessus du haut renflement du pubis. Ses doigts coururent le long des plis de l'aine, puis au-dessus de la toison, traçant les côtés du triangle dont ils semblaient estimer l'aire. L'angle intérieur en était très ouvert, disposition assez rare, qu'ont néanmoins perpétuée les sculpteurs grecs.
Lorsque la main qui parcourait le ventre d'Emmanuelle se fut rassasiée de proportions, elle força les cuisses à s'écarter davantage ; la jupe roulait autour de ses genoux entravait leurs mouvements : elles se soumirent, cependant, s'ouvrant autant qu'elles le pouvaient. La main prit dans son creux le sexe chaud et gorgé, le caressant comme pour l'apaiser, sans hâte, d'un mouvement qui suivait le sillon des lèvres, plongeant d'abord légèrement entre elles, pour passer sur le clitoris dressé et venir se reposer sur les boucles épaisses du pubis. Puis, à chaque nouveau passage entre les jambes, qui, repoussant la jupe, se séparaient plus largement, les doigts de l'homme allèrent prendre plus loin en arrière leur départ, s'enfoncèrent plus profondément entre les muqueuses humides, ralentissant leur progression, semblant hésiter, à mesure que la tension d'Emmanuelle croissait. Se mordant les lèvres pour endiguer le sanglot qui montait de sa gorge, les reins arqués, elle pantelait du désir du spasme dont l'homme semblait vouloir la rapprocher sans cesse sans le lui laisser jamais atteindre.
D'une seule main, il jouait de son corps au rythme et sur le ton qu'il lui plaisait, dédaigneux des seins, de la bouche, ne semblant friand ni d'embrasser, ni d'étreindre, restant, au milieu de la volupté incomplète qu'il dispensait, nonchalant et distant. Emmanuelle agita la tête de droite et de gauche, fit entendre une série de gémissements étouffés, des sons qui ressemblaient à une prière. Ses yeux s'entrouvrirent et cherchèrent le visage de l'homme. Ils commençaient à briller de larmes.
Alors, la main s'immobilisa, gardant serrée en elle toute la partie du corps d'Emmanuelle qu'elle avait enflammée. L'homme se pencha un peu vers la passagère et prit, de son autre main, une des siennes, qu'il attira vers lui et introduisit à l'intérieur de son vêtement ; Il l'aida à se refermer sur la verge rigide et guida ses mouvements, réglant leur amplitude et leur cadence au mieux de son goût, les ralentissant ou les accélérant selon le degré de son excitation, jusqu'à ce qu'il eût acquis la conviction qu'il pouvait s'en remettre à l'intuition et au désir de bien faire d'Emmanuelle et la laisser achever à sa manière la manipulation à laquelle elle n'avait d'abord apporté qu'un esprit noyé et une docilité ine, mais qu'elle perfectionnait peu à peu avec une sollicitude imprévue.
Emmanuelle avait avancé le buste de façon que son bras remplît mieux son office et l'homme, à son tour, se rapprocha, pour qu'elle pût être aspergée par le sperme qu'il sentait sourdre du fond de ses glandes. Longtemps encore, pourtant, il réussit à se contenir, tandis que les doigts serrés d'Emmanuelle montaient et descendaient, moins timides à mesure que la caresse se prolongeait, ne se bornant plus à un élémentaire va-et-vient, mais s'entrouvrant, soudain experts, pour glisser le long de la grosse veine gonflée, sur la cambrure de la verge, plongeant (en griffant imperceptiblement la peau de leurs ongles limés) le plus bas possible, aussi près des testicules que l'étroitesse du pantalon le leur permettait, puis revenant, avec une torsion lascive, jusqu'à ce que les plis de peau mobile au creux de la paume moite eussent recouvert la pointe du membre, qu'elle semblait ne devoir jamais atteindre tant celui-ci grandissait. Là, serrant de nouveau très fort, la main repartait vers le bas de la hampe, tendant le prépuce, tour à tour étranglant la chair tumescente ou relâchant son étreinte, frôlant à peine la muqueuse ou la harcelant, massant à grands mouvements de poignet ou agaçant à petits coups sans merci' Le gland, doublant de taille, s'embrasait, semblant à chaque instant plus près d'éclater.
Emmanuelle reçut, avec une exaltation étrange, le long de ses bras, sur son ventre nu, sa gorge, son visage, sur sa bouche, dans ses cheveux, les longs jets blancs et odorants que dégorgeait enfin le membre satisfait. Ils semblaient ne jamais devoir se tarir. Elle croyait les sentir couler dans sa gorge, qu'elle les buvait. Une griserie inconnue la prenait. Une délectation sans pudeur. Lorsqu'elle laissa retomber son bras, l'homme saisit du bout des doigts le clitoris d'Emmanuelle et la fit jouir.
Un bourdonnement indiqua que le haut-parleur allait être utilisé. La voix de l'hôtesse, volontairement assourdie pour que les passagers ne fussent pas trop brusquement réveillés, annonça que l'appareil se poserait à Bahrein dans une vingtaine de minutes. Il en redécollerait à minuit, l'heure locale. Une collation serait servie à l'aéroport.
La lumière renaissait progressivement dans la cabine, imitant la lenteur d'un lever du jour. Emmanuelle se servit de sa couverture (qui avait glissé à ses pieds) pour éponger le sperme dont elle avait été éclaboussée. Elle remonta sa jupe, recouvrit ses hanches. Lorsque l'hôtesse entra, Emmanuelle, assise sur la couchette, dont elle n'avait pas relevé le dossier, essayait encore de mettre de l'ordre dans sa tenue.
Lorsque les passagers eurent regagné l'avion, ils virent qu'il avait été nettoyé, remis en ordre, ventilé. Un parfum frais avait été vaporisé dans les cabines. Les couchettes étaient garnies de couvertures neuves. De gros oreillers, d'une blancheur lumineuse, gonflés de duvet, rendaient plus tentant encore le velours bleu de nuit sur lequel ils étaient posés. Le steward vint demander si l'on désirait des boissons. Non ? eh bien ! bonne nuit ! L'hôtesse apporta à son tour ses voeux pour le sommeil. Tout ce cérémonial ravissait Emmanuelle. Elle se sentit redevenir heureuse, de manière positive, avec élan, avec certitude. Elle voulait que le monde fût exactement ce qu'il était. Tout, sur terre, était définitivement bien.
Elle s'étendit sur le dos. Elle n'avait pas peur, cette fois de montrer ses jambes ; elle envie de les remuer. Elle les souleva tour à tour, pliant et dépliant les genoux, faisant jouer les muscles de ses cuisses, frottant, avec un doux crissement de nylon, ses chevilles l'une contre l'autre. Elle goûta en détail le plaisir physique que lui causait cet exercice de ses membres. Pour pouvoir mieux bouger, elle releva sa jupe plus haut encore, délibérément, sans se cacher, en tirant des deux mains sur l'étoffe.
« Après tout, soliloqua-t-elle, ce ne sont pas seulement mes genoux qui valent la peine d'être regardés, ce sont mes jambes en entier. Il faut reconnaître qu'elles sont vraiment jolies : on dirait deux petites rivières couvertes de feuilles sèches et toutes gonflées de mauvais esprit qui s'amusent à passer l'une par-dessus l'autre. Et ce n'est pas la seule chose que j'aime bien. J'aime aussi ma peau, qui se dore au soleil comme un grain de maïs, sans jamais rougir ; et j'aime aussi mes fesses. Et aussi les toutes petites framboises au bout de mes seins, avec leur collerette de sucre rouge. Je voudrais tellement pouvoir les lécher. »
Les plafonniers déclinèrent et elle tira sur elle, avec un soupir de bien-être, la couverture imprégnée d'une senteur d'aiguilles de pin que la compagnie aérienne lui offrait pour protéger ses rêves.
Quand il ne resta plus d'allumées que les veilleuses, elle se tourna sur le côté et chercha à distinguer son compagnon de cabine, qu'elle n'avait pas osé regarder franchement depuis qu'elle se trouvait allongée près de lui. A sa surprise, elle rencontra le propre regard de l'homme posé sur elle et qui semblait l'attendre, visible malgré la presque totale obscurité. Quelque temps, ils restèrent ainsi, les yeux dans les yeux, sans autre expression que celle d'une parfaite tranquillité. Emmanuelle reconnaissait l'étincelle d'affection un peu amusée, un peu protectrice, qu'elle avait remarquée au moment où ils s'étaient rencontrés pour la première fois (quand au juste ? était-ce à peine sept heures plus tôt ?) et elle se disait que c'était cela, en lui, qu'elle aimait bien.
Parce que ce voisinage, de façon imprévue, lui devenait aussi agréable, elle sourit en fermant les yeux. Elle avait confusément envie de quelque chose mais ne savait pas de quoi. Elle ne trouva d'autre distraction que de recommencer à se réjouir d'être belle : sa propre image tournait dans sa tête comme un refrain favori. Le coeur battant, elle cherchait en pensée la crique invisible qu'elle savait enfouie sous son promontoire d'herbes noires, au confluent des deux rivières : elle sentait leur courant venir lécher ses bords. Lorsque l'homme se souleva sur un coude et se pencha vers elle, elle ouvrit les paupières et le laissa l'embrasser. Le goût de ses lèvres sur ses lèvres avait la fraicheur et et le sel de la mer.
Elle redressa le buste et leva le bras, afin de lui faciliter la tâche lorsqu'il voulut lui retirer son maillot.
Elle savoura le trouble de voir jaillir de dessous la laine rousse ses seins que la pénombre faisait paraître plus ronds et volumineux encore que de jour. Pour lui laisser intact le plaisir de la déshabiller, elle ne l'aida pas lorsqu'il cherchait la fermeture de sa jupe : cependant, elle souleva les hanches pour qu'il pût la faire glisser sans peine. Cette fois, l'étroit fourreau ne resta pas entortillé autour de ses genoux : elle en fut complètement délivrée.
Les mains actives de l'homme la débarrassèrent de son mince slip. Après qu'elles eurent aussi décroché le porte-jarretelles, Emmanuelle roula elle-même ses bas et les envoya rejoindre sa jupe et son sweater au pied de la couchette.
Seulement lorsqu'elle fut ainsi entièrement dévêtue, il la serra contre lui et commença de la caresser, des cheveux aux chevilles, n'oubliant rien. Elle avait maintenant tant envie de faire l'amour que le coeur lui faisait mal et que sa gorge était nouée : elle croyait qu'elle ne pourrait plus jamais respirer, revenir au jour. Elle avait peur, elle aurait voulu appeler, mais l'homme la tenait trop étroitement enlacée, une main dans le sillon de ses fesses, dilatant la petite crevasse tremblante, un doigt tout entier englouti. En même temps, il l'embrassait avidement, léchant sa langue, buvant sa salive.
Elle se plaignait, à petites plaintes, sans qu'elle sût au juste pourquoi cette peine, était-ce le doigt qui la fouillait, si loin au fond de ses reins, ou la bouche qui se nourrissait d'elle, avalant chaque souffle, chaque sanglot, était-ce le tourment du désir ou la honte de sa luxure ? Le souvenir de la longue forme cambrée qu'elle avait tenue au creux de sa main la hantait, magnifique et dressé, rogue, dur, rouge, brûlant à ne pouvoir le supporter. Elle gémit si fort que l'homme eut pitié : elle sentit enfin le membre nu, fort comme elle l'avait attendu, se poser sur son ventre, et elle se pressa contre lui de toute la douceur de son corps.
Ils se tinrent un long moment ainsi, sans bouger, puis l'homme, semblant se décider brusquement, l'enleva dans ses bras et la fit passer par-dessus lui, de sorte qu'elle était désormais allongée sur la couchette qui se trouvait du côté du couloir.
Moins d'un mètre la séparait des s anglais.
Elle avait oublié jusqu'à leur existence. Elle se rendit compte tout d'un coup qu'ils ne dormaient pas et qu'ils la regardaient. Le garçon était le plus proche, mais la fillette s'était blottie contre lui pour mieux voir. Immobiles et le souffle retenu, ils fixaient Emmanuelle de leurs pupilles élargies, où elle ne put rien lire d'autre qu'une curiosité fascinée. A la pensée d'être possédée sous leurs yeux, de se livrer, elle, Emmanuelle, à cet excès de débauche, elle éprouva une sorte de vertige. Mais, en même temps, elle avait hâte que cela se fit et qu'ils puissent tout voir.
Elle était couchée sur le côté droit, les cuisses et les genoux repliés, les reins offerts. L'homme la tenait aux hanches par derrière. Il glissa une jambe entre celles d'Emmanuelle et s'introduisit en elle par une poussée rectiligne, irrésistible, que rendaient facile l'absolue rigidité de son pénis aussi bien que l'humidité de la chair d'Emmanuelle. Ce n'est qu'après avoir atteint le point le plus profond de son vagin et s'y être arrêté, le temps de soupirer d'aise, qu'il commença de faire aller et venir son membre à grands coups réguliers.
Emmanuelle, délivrée de son angoisse, pantelait, plus liquide et plus chaude à chacune des ruées du phallus. Comme s'il se nourrissait d'elle, celui-ci augmentait de taille et ses mouvements, d'amplitude et d'allant. A travers la brume de sa félicité, elle réussit à s'émerveiller que la course de ce bélier pût être aussi longue dans son ventre. Ses organes, s'amusa-t-elle à se représenter, ne semblaient pas s'être atrophiés, pendant tant de mois qu'ils n'avaient pas été stimulés par un aiguillon masculin. Cette volupté retrouvée, elle souhaitait maintenant en profiter le plus complètement et le plus longuement possible.
Le voyageur ne paraissait pas, de son côté, près de se lasser de forer le corps d'Emmanuelle. Elle aurait aimé savoir, à un moment donné, depuis combien de temps il était en elle ; mais aucun point de repère ne lui permettait d'en juger.
Elle se retenait de céder à l'orgasme, sans que cela lui coûtât d'effort ni de frustration, car elle s'était entraînée, depuis l'enfance, à prolonger le plaisir de l'attente et elle appréciait plus encore que le spasme cette sensitivation croissante, cette extrême tension de l'être qu'elle savait à merveille se procurer seule lorsque ses doigts effleuraient pendant des heures, avec une légèreté d'archet, la tige tremblante de son clitoris, refusant de se rendre à la supplication de sa propre chair, jusqu'à ce qu'enfin la pression de sa sensualité l'emportât, s'échappant en tornades effrayantes comme les convulsions de la mort, mais dont Emmanuelle renaissait sur-le-champ plus alerte et dispose.
Elle regardait les s. Leurs visages avaient perdu tout air de morgue. Ils étaient devenus humains. Non point excités, ni ricanants, mais attentifs et presque respectueux. Elle essaya d'imaginer ce qui se passait dans leur tête, le désarroi où devait les plonger l'événement dont ils étaient témoins, mais les idées s'effilochèrent en elle, son cerveau était traversé d'éblouissements et elle était bien trop heureuse pour se soucier vraiment d'autrui.
Quand, à l'accélération des mouvements, à une certaine raideur des mains qui agrippaient ses fesses et, aussi, à une brusque enflure et aux pulsations de l'organe qui la traversait, elle comprit que son partenaire allait éjaculer, elle-même se laissa entraîner. Le fouet du sperme porta au paroxysme son plaisir. Pendant tout le temps qu'il se vidait en elle, l'homme se maintint très loin au fond de son vagin, abuté de ce fait, au col de sa matrice et, même au milieu de son spasme, Emmanuelle gardait assez d'imagination pour jouir du tableau qu'elle se faisait du méat dégorgeant des coulées crémeuses qu'aspirait, active et gourmande comme une bouche, l'ouverture oblongue de son utérus.
Le voyageur acheva son orgasme, et Emmanuelle se calma à son tour, envahie par un bien-être sans remords, à quoi la moindre chose contribuait : le glissement du mâle qui se retirait, le contact de la couverture qu'elle sentit qu'il étendait sur elle, le confort de la couchette et l'opacité montante et tiède du sommeil qui la recouvrit. »
Un dernier extrait :
« L'avion avait franchi la nuit comme un pont, aveugle aux déserts de l'Inde, aux golfes, aux estuaires, aux rizières. Lorsque Emmanuelle ouvrit les yeux, une aube qu'elle ne pouvait voir irisait les contours de la Chaîne Birmane, cependant qu'à l'intérieur de la cabine la lueur mauve des veilleuses ne laissait rien deviner du dépaysement ni de l'heure du jour.
La couverture blanche était tombée de la couchette et Emmanuelle était étendue, nue, sur le côté gauche, pelotonnée comme un frileux. Son vainqueur dormait.
Emmanuelle, reprenait conscience par degrés, restait immobile. Rien de ce qu'elle pouvait penser ne se laissait lire sur son visage. Au bout d'un temps assez long, elle étira lentement les jambes, cambra les reins, se retourna sur le dos, tâtonnant de la main pour se recouvrir. Mais son geste resta suspendu : un homme, debout dans le couloir, la regardait.
L'inconnu, dans la position qu'il occupait par rapport à elle, lui parut d'une stature gigantesque et la jeune femme se dit aussi qu'il était invraisemblablement beau. C'est sans doute cette beauté qui fit qu'elle oublia sa nudité, ou du moins n'en fut pas gênée. Elle pensait : c'est une statue grecque. Un tel chef d'oeuvre ne peut pas être vivant. Un fragment de poème la traversa, qui n'était pas grec : Deité du temple en ruine' Elle aurait voulu des primevères, des herbes jaunies, à foison au pied du dieu, des feuillages en vrille autour de son socle et qu'un souffle de vent fît remuer les courts cheveux d'agneau qui bouclaient sur ses oreilles et son front. Le regard d'Emmanuelle longea l'arête rectiligne du nez, se posa sur les lèvres ourlées, sur le menton de marbre. Deux tendons fermes sculptaient la ligne du cou jusqu'à la chemise entrouverte sur une poitrine sans toison. Les yeux de la femme poursuivirent leur étude. Une saillie démesurée tendait le pantalon de flanelle blanche, près du visage d'Emmanuelle.
L'apparition se pencha et prit la jupe et le pull-over qui gisaient à terre. Elle ramassa aussi le slip et le porte-jarretelles, les bas et les escarpins éparpillés, puis se redressa et dit :
- Venez!
La voyageuse s'assit sur sa couchette, posa les pieds sur la moquette du sol et prit la main qui se tendait. Puis, s'étant levée d'un souple effort, elle avança, nue comme si elle avait changé de monde dans l'altitude et dans la nuit.
L'inconnu la conduisit dans le salon de toilettes où elle était déjà venue avec l'hôtesse.
Il s'adossa à la cloison capitonnée de soie et disposa Emmanuelle de sorte qu'elle lui fit face. Elle faillit laisser échapper un cri lorsqu'elle vit le reptile herculéen qui se dressait devant elle hors de sa broussaille dorée. Parce qu'elle était sensiblement plus petite que l'homme, le gland trigonocéphale atteignait jusqu'entre ses seins.
Le héros saisit Emmanuelle à la taille et la souleva sans peine. La jeune femme entoura de ses doigts croisés la nuque masculine, dont elle sentit les muscles durcir sous ses paumes, et elle disjoignit ses jambes pour que le membre écarlate sur lequel son ravisseur la faisait retomber pût la pénétrer. Des larmes coulèrent sur ses joues, tandis que l'homme entrait en elle avec précaution, la déchirant. Emmanuelle, s'appuyant des genoux contre le mur et sur les hanches de son partenaire, aidait de son mieux le serpent fabuleux, à ramper aux tréfonds de son corps. Elle se tordait, griffait le cou auquel elle s'accrochait, sanglotant, criant des râles et des mots inintelligibles. Elle ne fut même pas consciente, dans son égarement, que l'homme jouissait, vite, avec une poussée si sauvage de son bassin qu'il semblait vraiment vouloir s'ouvrir une voie à travers elle, jusqu'à son coeur. Lorsqu'il se retira, le visage éclairé, il la garda debout, pressée contre lui. Le phallus mouillé rafraîchissait la peau endolorie d'Emmanuelle.
- Tu as aimé ? demanda-t-il.
Emmanuelle posa la joue sur la poitrine du dieu grec. Elle sentait sa semence bouger en elle.
- Je vous aime, murmura-t-elle.
Puis :
- Voulez-vous me prendre encore ?
Il sourit.
- Tout à l'heure, dit-il. Je reviendrai. Habille-toi, maintenant.
Il se pencha, posa au milieu de ses cheveux un baiser si chaste qu'elle n'osa plus rien dire. Avant même qu'elle eût compris qu'il la quittait, elle se retrouva seule.
Avec des gestes ralentis, comme s'il s'agissait d'une cérémonie ( ou parce qu'elle n'avait pas encore entièrement retrouvée le rythme du réel), elle fit couler sur elle l'eau de la douche, couvrit son corps de mousse, se rinça avec minutie, frotta sa peau de serviettes chaudes et odorantes qu'elle tira d'un distributeur électrique, vaporisa sur sa nuque et sa gorge, sous ses aisselles et sur la fourrure de son pubis un parfum qui évoquait la verdeur d'un sous-bois, brossa ses cheveux. Son image lui était rendu de trois côtés par de longs miroirs : il lui parut qu'elle n'avait jamais été si fraîche ni resplendi de plus de beauté. L'inconnu allait-il revenir, comme il l'avait promis ?
Elle attendit jusqu'à ce que le haut-parleur annonçât l'approche de Bangkok. Alors, avec une moue de dépit, le coeur brouillé, elle s'habilla, regagna la cabine, retirant son sac et sa jaquette du filet à bagages et les posant sur ses genoux comme elle s'asseyait dans le fauteuil dont une main prévenante avait de nouveau modifié la forme et auprès duquel avaient été placés une tasse de thé et un plateau de brioches. Son voisin, sur lequel elle jeta un regard distrait, eut une réaction de surprise.
- But'aren't you going to Tokyo ? s'enquit-il, une nuance de contrariété dans la voix.
Emmanuelle devina assez aisément ce qu'il avait voulu dire et secoua négativement la tête. Le visage de l'homme s'assombrit ; Il posa une autre question, qu'elle ne comprit pas et, d'ailleurs, elle n'avait guère l'esprit à lui répondre. Elle regardait droit devant elle avec une expression de chagrin.
Le voyageur avait sorti un carnet et il le tendit à Emmanuelle, lui faisant signe d'y écrire. Sans doute voulait-il qu'elle lui laissât son nom, ou une adresse où il pût la retrouver. Mais elle refusa d'un nouveau hochement de tête, le front buté. Elle se demandait si l'inconnu au visage de lierre et à l'odeur de pierre chaude, si le génie fantasque du temple en ruine quitterait avec elle l'avion à Bangkok, ou s'il s'envolerait vers le Japon. Même en ce cas, allait-elle du moins le revoir à l'escale?
Elle chercha des yeux parmi les passagers qui, descendus de l'appareil, attendaient, groupés sous ses ailes, dans le matin de l'aéroport tropical, qu'on les conduisit aux bâtiments de ciment et de verre, dont la silhouette futuriste se détachait sur un ciel déjà blanc de chaleur. Mais elle ne reconnût personne qui eût sa taille ni ses cheveux d'automne. L'hôtesse lui souriait : elle la vit à peine. Déjà, on la poussait vers les grilles de la douane. Quelqu'un franchit un barrage, montrant un laisser-passer, et appela Emmanuelle. Elle courut en avant et se jeta, avec un cri de joie, dans les bras tendus de son mari. »
Les personnages du roman ont la même sexualité débridée qu'elle, et vont même servir de tuteurs pour les expériences à venir d'Emmanuelle. Un personnage en particulier, Marie-Anne, jeune fille de treize ans qui a découvert sa sexualité très jeune avec ses amies, va lui enseigner une sexualité encore plus libérée, et va lui montrer par quelles pratiques peut se décliner le plaisir sexuel.
Beaucoup de passages du livre, dont je recommande la lecture ou la relecture, auraient mérité de figurer ici. J'ai tout particulièrement aimé les chapitres où Emmanuelle découvre les plaisirs saphiques dans les bras d'Ariane ou de Marie-Anne, et les moments où Mario dispose de son corps pour l'offrir à d'autres mâles, y compris en la prostituant.
EMMANUELLE ET MOI
Si le terme candaulisme n'est pas employé, il est pratiqué clairement par Jean, le mari, comme par Mario, le mentor, qui ont plaisir à offrir Emmanuelle et à assister. Mario en particulier insiste sur le plaisir que donne la présence d'un témoin, d'un tiers.
Le témoignage de la jouissance est aussi un plaisir.
Ce livre est une véritable ode au plaisir charnel : Emmanuelle s'amuse dans tous les endroits possibles avec le premier inconnu qui passe, tout cela dans la bonne humeur et le respect mutuel. En cela, Emmanuelle est aux antipodes du livre Histoire d'O, qui quant à lui est plus centré sur le plaisir par la douleur, par les brides et autres symboles d'asservissement. En plus clair, là où Histoire d'O est un porte-parole du sadomasochisme et du rapport dominant-dominé, Emmanuelle est un symbole complet du plaisir et d'une sexualité débridée et joyeuse, libre et insouciante.
Le livre est donc une sorte d'essai, livrant toutes les bases d'une sexualité révolutionnaire pour l'époque, choquante et outrageuse. Emmanuelle dégage une joie de vivre communicatrice, et qui est vraiment agréable à lire et qui m'a enchantée du début à la fin.
Avec ce livre, le sexe est vécu comme libération, et non plus asservissement (comme il est d'ordinaire présenté) dans un rapport vécu avec une simplicité assez époustouflante, juste lumineuse. Quelque chose d'un état primitif à retrouver (ou à découvrir), comme l'indique la citation d'Artaud qui ouvre le livre: «Nous ne sommes pas encore au monde / Il n'y a pas encore de monde, / Les choses ne sont pas encore faites, / La raison d'être n'est pas trouvée.»
Comme le dit Emmanuelle, « j'appelle vierge la femme qui n'a fait l'amour qu'avec un seul homme. »
Il y au moins une chose qu'Emmanuelle a faite et que je n'ai pas (encore?)eu le plaisir de reproduire : me faire baiser dans un avion. C'est pour cela que j'ai publié de longs extraits de ces scènes merveilleuses où la jeune femme s'offre à des inconnus dans cet avion. C'est une scène d'un érotisme torride.
Je me suis promise de connaître ça un jour, de prendre une place en « business class » dans un long courrier, un Airbus A380 ou un Boeing 777 et de me faire baiser. Ce sera évidemment en présence et avec les encouragements de mon mari. Il y aura bien des hommes d'affaires qui sauront profiter de la générosité de mon mari, entre Paris et Singapour. Je m'habillerai en conséquence et Philippe saura encourager ces mâles à m'honorer comme il se doit. Je rêve même d'aller plus loin qu'Emmanuelle et faire ce qu'elle n'avait pu faire, à savoir faire l'amour avec une hôtesse. Mon Agun, je l'espère, me pardonnera cette infidélité, elle sait que j'ai toujours été séduite par l'uniforme et les jolies femmes.
J'ai aussi été touchée par ce passage où ces jeunes « unaccompanied minors » anglais assistent aux ébats d'Emmanuelle. Cette scène est naturellement choquante. Emmanuelle, s'en rendant compte, aurait dû immédiatement mettre fin à ce qu'elle était en train de faire. Mais, en même temps, je me suis remémorée ce que j'ai connu alors que j'étais à peine pubère, la première fois où j'ai, en cachette, observé ma mère avec son amant. « Le garçon était le plus proche, mais la fillette s'était blottie contre lui pour mieux voir. Immobiles et le souffle retenu, ils fixaient Emmanuelle de leurs pupilles élargies, où elle ne put rien lire d'autre qu'une curiosité fascinée ». Oui, je me mets à la place de cette fillette : chez moi aussi il y avait de la curiosité. J'avais été attirée par des gémissements, qui se transformaient en cris, puis en hurlements de plaisir. J'avais reconnu la voix de ma mère, au départ j'étais inquiète, je croyais qu'elle souffrait. Je me suis approchée sans faire de bruit. Et c'est que j'ai vu, sans me faire repérer, à travers cette porte entrouverte, m'a moi aussi fascinée. Ce n'était plus la mère sévère que je craignais et détestais, celle que je considérais comme une rivale auprès de mon père, mais une autre femme, qui suppliait son amant de la baiser plus fort, encore et encore. Comme cela a dû être le cas pour cette gamine, cette vision a été déterminante pour moi dans mon évolution vers l'hypersexualité. J'en reparlerai ultérieurement
« Il faudrait que chaque femme se mette, ne serait-ce que dix minutes, une fois dans sa vie, dans la peau d'Emmanuelle», disait l'auteure. Je me suis souvent imaginée dans un parcours que j'ai été amené à revivre, en tant qu'hypersexuelle. Comme beaucoup des lecteurs de HdS, Emmanuelle est le premier roman érotique que j'ai lu.
L'ouvrage, je l'ai découvert, clandestinement, dans la bibliothèque familiale.
Je l'ai lu en Français, que je parle et écrit depuis l'enfance. Non seulement c'est pour moi la langue de l'amour, du plaisir et de la liberté, celle du pays qui était celui de ma mère et qui est désormais le mien, depuis que j'ai lié, je l'espère définitivement, mon destin à celui qui m'a fait découvrir tout le potentiel de mes sens, qui m'a fait comprendre que j'étais faite, pour mon plaisir et le sien, pour les étreintes avec le de plus d'hommes possibles.
Philippe a été à la fois pour moi ce que Jean et Mario ont été pour Emmanuelle.
Depuis les débuts de ma puberté, j'avais découvert peu à peu l'effet que je fais aux hommes.
Je ne comprenais pas pourquoi ma mère me reprochait de plus en plus en vivement la façon dont j'avais de m'habiller, de laisser les boutons de mon chemisier ouverts alors que je ne portais pas de soutien-gorge pour maintenir mes petits seins on encore de porter des jupes courtes. Je ne comprenais pas le regard appuyé des hommes, je ne comprenais pas pourquoi ma mère se fâchait quand je persistais à vouloir monter sur les genoux de mon père et à chercher auprès de lui bisous et caresses. Je sentais bien qu'il se passait quelque chose, car je sentais quelque chose de dur dans le pantalon de mon père. Je la détestais alors, mettant ses reproches sur le compte de la jalousie et j'étais bien décidée à lui prendre sa place, d'autant que je connaissais son secret: elle ne l'aimait plus et le trompait sans vergogne, elle avait osée tomber amoureuse d'un autre. Le fait que mon père s'était depuis toujours affranchi de son serment de fidélité, ne me choquait pas, je ne la jugeais pas digne d'un tel homme qui était pour moi un Dieu.
Mon insolence envers ma mère n'avait pas de bornes, et, même quand, à bout de patience, elle me battait, je lui tenais tête, d'autant que mon père donnait toujours raison à moi, sa princesse.
La curiosité me poussait de plus en plus, à l'adolescence, à être à l'affût des ébats des adultes, en me cachant soigneusement. Je matais mon père et ma mère, mon père avec ses maîtresses (que je détestais, car j'étais folle de jalousie) et ma mère avec son amant. C'est aussi le moment où j'ai commencé à découvrir également la masturbation. Je comprenais peu à peu le pourquoi des gémissements, ces cris, ces visages déformés par le plaisir.
La lecture du roman d'Emmanuelle Arsan a été fondatrice pour moi.
A partir de là, je n'ai eu de cesse de devenir enfin une femme. J'ai déjà raconté comment j'ai harcelé mon père, qui a refusé d'aller au bout de mon complexe d'Electre.
C'est la raison pour laquelle, à l'âge de 15 ans et demi, je me suis offerte, comme je l'ai raconté, à ce couple de touristes italiens, Gianni et Maria, qui furent mes initiateurs. Puisque celui à qui je voulais offrir mon pucelage n'en n'avait pas voulu, je me suis offerte à cet inconnu. Dès ce moment j'ai compris que mes sens appelaient le mâle. Puisque je ne pouvais être à celui que je voulais, alors, il me faudrait des hommes, beaucoup d'hommes.
Emmanuelle a été pour moi fondateur dans la prise de conscience que j'étais hypersexuelle.
Emmanuelle incarne la liberté sexuelle, la découverte d'un érotisme solaire, d'un épanouissement des sens et des corps. Après elle, plus rien n'est pareil. " Tout temps passé à autre chose qu'à l'art de jouir est un temps perdu. "
Emmanuelle propose une conception révolutionnaire de l'érotisme. Le roman met sur le devant de la scène une femme libre de toute croyance et de toute religion, libérée de tout sens moral. Une femme au service de ses émotions, de son corps et de son intelligence. Une femme qui, en repoussant les limites de sa propre féminité, invente une nouvelle façon, pour les deux sexes, de vivre la sexualité. C'est ce que je ressens également, c'est ce que je suis. Je suis Emmanuelle, je suis Olga.
Olga T.
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