55.3 La Dernière Fois Que Jérém Est Venu Chez Moi.
Vendredi 10 août 2001
Il est 16h46 lorsque la sonnerie de la porte dentrée retentit dans la maison.
Je vais ouvrir et limage du bogoss transperce ma rétine, mon cerveau, mon cur, mes entrailles ; et je ressens, tout à la fois, un nud dans la gorge, une brûlure dans le ventre, un choc dans la tête comme si on mavait assené un coup en pleine figure ; jai envie de hurler, de pleurer, de me jeter sur lui direct.
Le bogoss est là, devant moi, ses cheveux bruns coupés très courts autour de tête, faisant raccord avec sa barbe de quelques jours ; sur le haut du crâne, son brushing est relevé et fixé au gel mais pas figé en une sorte de crête partant légèrement sur un côté. Cest beau, cest sexy, cest « petit con » tout craché.
Sa tenue du jour comporte une chemisette couleur bleu pétrole, teinte unie ; le premier bouton défait, mon regard tombe direct sur son petit grain de beauté, si mignon, si sexy ; les manchettes enveloppent parfaitement ses biceps et sarrêtent juste en dessus de ses deux tatouages ; alors que la coupe, visiblement conçue dans le but précis de redessiner ses épaules et ses pecs, retombe à hauteur des poches dun jeans assez clair, taillé dans un tissu qui a lair très doux.
« Salut » il finit par me lancer « tu me files ma chaînette ? ».
Le ton de sa voix est distant, le regard fuyant.
« Tu veux pas rentrer un moment ? »
« Non, donne la chaînette, je dois y aller
».
« Et sil te plaît ? » je cherche à gagner du temps.
« Sil te plait ! » fait-il sur un ton agacé.
« Rentre, Jérém
».
« Je suis pressé
».
« Allez, juste 5 minutes
».
« Je te dis que je dois y aller, je suis juste passé récupérer ma chaîne
».
« Viens, rentre
» je lui répète, tout en attrapant son avant-bras, simple contact qui a leffet dune décharge électrique « rentre juste un moment
je vais te la donner ta chaîne
».
Jérém oppose une résistance.
« Sil te plaît
» jinsiste.
Le bogoss finit par se laisser faire. Il avance, il franchit le seuil de la maison ; sur son passage, mes narines sont percutées par le coup de fouet dune fragrance fraîche et boisée inconnue jusque-là.
Je me retiens de lui sauter dessus sur le champ et je referme la porte derrière nous.
« Bon, tu me la donnes, maintenant ? ».
Jatt la chaînette dans le col de mon t-shirt et je tente de défaire la fermeture ; jai les doigts qui tremblent, jai du mal à y parvenir ; je capte le regard de mon bobrun : il a lair étonné que je la porte. Peut-être touché aussi.
Jarrive enfin à ouvrir le faux maillon, je tire par un bout et je sens les mailles glisser une dernière fois sur ma peau ; je rassemble la chaînette dans ma main et la lui tends.
Je ressens un frisson intense rien quau contact du bout de ses doigts venant chercher lobjet dans le creux de ma main.
Le bogoss la passe aussitôt autour de son cou ; lorsquil relève la tête, les mailles reprennent leur place autour de son cou puissant, retombant sur le deuxième bouton de la chemisette ; définitivement, cette chaînette de mec fait bien plus deffet sur lui que sur moi.
Le bogoss fait déjà demi-tour pour repartir.
« Tu veux pas rester un peu plus ? » je tente de le retenir.
« Non ! ».
Sa réponse est sèche.
Jérém att la poignée de la porte, il se prépare à louvrir. Je mappuie dessus avec mon dos pour len empêcher.
« Quest-ce que tu fais ? » il me lance, toujours sans me regarder.
« Quest ce qui ne va pas, Jérém ? ».
« Tout va très bien ! ».
« Je te trouve bizarre
».
« Ne me casse pas les couilles, Nico ! ».
« Mais regarde-moi, putain ! » je finis par lui lancer. Je nen peux plus de son regard qui me fuit.
« Sors-toi de là, laisse-moi partir ! » fait Jérém en forçant sur la poignée.
« Attends un peu, Jérém ! ».
« Pour quoi faire ? ».
« Pourquoi tu ne passes plus à la pause ? ».
« Je nai pas le temps ».
« Cest des conneries, tavais toujours le temps la semaine dernière
».
« Alors je nai plus le temps
».
« Un jour tu mas dit quil y a toujours le temps pour une pipe
».
« Pas aujourdhui
».
« Quand, alors ? ».
« Je ne sais pas, tu memmerdes ! ».
« Rien quun câlin me suffirait
».
« Arrête, Nico, vraiment ! » fait-il, de plus en plus irrité.
« Tu ne te souviens pas comment cest bon
» je lui chuchote, tout en approchant le nez du creux de son cou pour en capter les arômes boisés, alors que mes lèvres frémissent déjà en rêvant de se poser sur sa peau, alors que mes mains frôlent déjà le Denim tout doux de son jeans à hauteur de sa braguette.
Jérém tente de me repousser. Je reviens à la charge, passe ma main sur sa chemisette à hauteur de ses pecs : je le sens frissonner ; je caresse sa bosse : je sens la bête grossir sous le tissu doux et souple.
« Ne me dis pas que tu nen as pas envie
».
Je connais mon bobrun : sa déglutition nerveuse et sa respiration profonde traduisent son excitation montante.
Le bogoss semble se laisser faire. Je prends confiance, je colle ma braguette contre la sienne, je frotte ma bosse contre la sienne ; jenvoie mes doigts à lassaut du deuxième bouton de la chemisette, impatient de les défaire.
Je nen aurai pas le loisir : ses mains repoussent les miennes, avant de me repousser tout court, mobligeant à me décoller de lui.
Le regard toujours fuyant, il commence à défaire les boutons, lun après lautre, lentement : je le regarde faire, dabord déçu de ne pas pouvoir le faire moi-même ; puis, très vite, je me prends à observer le naturel, sa simple beauté de ses gestes avec une sorte denchantement ; je suis envouté par lharmonie de ses mouvements, mélange de puissance et de nonchalance, une grâce éminemment masculine.
Mais comment est-ce possible de dégager autant de sexytude ?
Et lorsque le bogoss a ce geste inouï il défait sa ceinture, avant douvrir le premier bouton de sa braguette, sans aller plus loin, comme une injonction à aller chercher ce à quoi je ne peux résister jai tout simplement envie dhurler.
« Viens, on monte
».
Jérém semble réticent à ma proposition.
« Allez, viens
on sera plus tranquilles là-haut
» je tente de le rassurer, tout en saisissant un bout de lélastique de son boxer, en frôlant de mes doigts la peau douce et ferme de ses abdos chauds. Je brûle de désir.
Le bogoss me défie du regard mais finit par me suivre.
Je referme la porte de ma chambre et, très vite, je suis à genoux devant lui, en train de défaire sa braguette au tissu si doux, en train de caresser le boxer bleu intense et de provoquer la bête tapie à lintérieur. Tout aussi vite, son jeans et son boxer finissent sur le carrelage. Alors que le maillot blanc et rouge atterrit en vrac sur mon bureau.
« Jai envie de fumer
».
« Vas-y, fais toi plaisir
» jai envie de le mettre à laise, alors que jai horreur de lodeur de la fumée de cigarette dans ma chambre.
Je me déshabille pendant quil allume sa cigarette et je commence à pomper avidement cette belle queue tendue.
Les épaules appuyées au mur, la chemisette ouverte sur son torse dessiné, le bassin bien en avant, le bogoss me laisse le sucer, tout en fumant sa clope ; il se laisse sucer en silence, un silence cadencé par le bruit de ses taffes et de ses expirations.
Le contact de ses doigts sur mes tétons me manque. Non seulement pour le plaisir et lexcitation que ce contact me procure, mais aussi et surtout pour le changement que cela semble illustrer dans son attitude, preuve supplémentaire du fait que notre complicité sensuelle a bel et bien disparu. Jai presque limpression que cette pipe, il ne lapprécie pas vraiment ; jai comme la désagréable impression de lui forcer la main.
Dans un geste presque désespéré, jatt sa main libre, je la porte à mes tétons, en espérant quelle retrouve le plaisir de me faire plaisir.
Elle sy attarde un très court instant, sans entrain, et elle repart aussi vite ; elle atterrit sur ma nuque, et elle semploie aussitôt à impulser des mouvements désordonnés, là aussi sans entrain.
Mais il y a un autre truc qui me chiffonne, en plus de tout ça : cest un petit goût que ma langue a décelé dès le premier contact avec son gland : cest un goût que je connais trop bien pour ne pas le reconnaître : cest le goût de sa queue
après une première jouissance.
Bien sûr, ça fait plusieurs jours que nous navons pas couché ensemble : mon bobrun, habitué à jouir plusieurs fois dans laprès-midi, nallait pas faire disette pendant tout ce temps ; mais jai du mal à limaginer en train de se branler, alors que tant de regards se tournent sur son passage
Il arrive doù à cette heure si inhabituelle ? Avec qui il a passé le plus clair de sa pause ? Avec qui il a joui, putain ?
Soudainement, lidée que mon bobrun puisse avoir pris du plaisir avec quelquun dautre que moi mapparaît insupportable, et déclenche en moi une violente décharge de jalousie. Tellement violente quelle me coupe toute envie ; tellement violente que jarrête de le sucer : tellement violente que je dégage ma nuque de la prise de sa main et je plante mon regard dans le sien, en quête dune réponse à une question que je nose pas poser.
« Y a un problème ? » fait le bogoss, une étincelle de défi dans son regard, avant de me sommer : « suce, sinon je me tire ! ».
Alors, je le suce. Je le suce malgré les questions qui assaillent mon esprit et que sa réaction de petit con na fait quattiser ; je suce alors que sa main se pose désormais lourdement sur ma nuque pour imprimer un puissant mouvement de va-et-vient ; je le suce, alors que je nen ai plus vraiment envie.
Je suis obsédé par cet arrière-goût qui disparaît au gré de ma pipe, mais qui persiste dans mon nez, et dans mon esprit.
Ses coups de reins se font de plus en plus puissants, de plus en plus débordants, de plus en plus étouffants.
« Je vais jouir et tu vas tout avaler
» fait-il en sortant enfin de son silence.
Cest au mot près ce quil mavait dit, au même moment, dans la même position, dans la même circonstance, le jour de notre toute première révision.
Je suis percuté, assommé par linquiétante sensation dune sorte de boucle qui se referme sur notre relation, comme si nous venions de faire une révolution complète qui nous aurait ramenés au point de départ ; comme si ce clin dil, volontaire ou pas, au tout début de notre relation, était un présage de la fin.
Pourtant, si les mots sont les mêmes, le ton sur lesquels ils sont balancés change : ainsi, sa totale assurance du premier jour semble désormais replacée par une sorte de mélancolie, que son attitude de macho daujourdhui narrive pas complètement à masquer.
Un instant plus tard, il jouit bien au fond de ma gorge. Sa semence est chaude, bonne, délicieuse. Pourtant, elle a un goût amer.
Très vite, il se retire dentre mes lèvres, il sallonge sur le lit, en silence. Il a lair fatigué.
Je mallonge à côté de lui, dans lespoir fou quil me serre dans ses bras comme il la fait parfois la semaine dernière. Mais le bogoss ne bouge pas un orteil.
Le silence devient vite pesant ; je plonge un instant, jémerge en sursaut.
Jérém sest déjà levé, il est en train de fumer à la fenêtre.
Je regarde lheure, il est 17h25.
« Tu reprends quand ? ».
« Je vais y aller
».
« Déjà ? ».
« Oui
»
Je le regarde, tout juste habillé de sa chemisette ouverte, ses jolies fesses dépassant au-dessus du tissu léger. Je ne veux pas quil parte : jai envie de lui, horriblement envie de lui.
Je dois aussi lui parler : je dois lui parler sans faute.
Mais pour lheure, je suis happé par sa présence, pas le désir ; et tant que cette envie me brûlera de lintérieur, je naurai pas lesprit assez clair pour l« affronter ».
Je cherche à me rassurer en me disant quaprès une nouvelle jouissance, il sera peut-être dans de meilleures dispositions, que ce sera plus facile de lui parler.
« Jai envie de toi
» je finis par lâcher, tout simplement.
« Jai pas le temps
» cest sa réponse laconique.
Mon corps est une torche dexcitation embrasée. Je me tourne, je mallonge sur le ventre, face à lui.
Le bogoss tourne légèrement le visage, la cigarette fumante entre deux doigts.
Jai vraiment trop envie de lui ; plus quune envie, cest un besoin. Et jai aussi besoin de me prouver quil a encore de la ressource, quil na pas trop baisé cet après-midi.
Ma queue est dure comme du bois, hypersensible : jai besoin davoir mon mâle en moi.
Du coin de lil, je capte la présence de son boxer bleu sur le sol. Je plonge pour le saisir, et je plonge mon visage dans lintimité odorante du mâle.
Ses yeux, ses oreilles, ont tout petit un mouvement soudain, le genre de mouvement qui se produit inconsciemment lorsque certaines cordes vraiment sensibles sont sollicitées.
Preuve en est que sa main sest glissée sur sa queue, et elle a commencé à la caresser. Je suis tellement fou de désir que jen tremble.
« Il ny a que toi qui me fait cet effet, Jérém
».
Un instant plus tard, il écrase son mégot sur le rebord de la fenêtre, il avance vers le lit ; armé de son assurance de jeune mec, il passe à côté de moi, laissant derrière lui une trainée de son nouveau parfum, comme un coup de fouet olfactif ; et il disparait, dans mon dos.
Le matelas se dérobe sous mes jambes, sous leffet du poids de son corps. Ses doigts empoignent mes fesses avec fermeté, les écartent avec un bon geste puissant de mec ; la chaleur de ses paumes me rend dingue. Lenvie me consume.
Déjà, une bonne perle de salive tombe à laplomb de ma rondelle ; puis, son gland vise juste, très juste. Ses mains écartent encore, son bassin exerce une pression croissante, jusquà ce que les muscles de mon petit trou cèdent pour le laisser venir en moi.
Sa queue senfonce dune seule traite. Le bogoss marque une pause au fond de moi, cette pause qui est depuis toujours sa signature virile. Sa chemisette atterrit sur le lit, juste à côté de moi.
Ses mains saisissent mes épaules, et le bogoss se sert de cet appui pour commencer à me limer.
Son bassin claque contre mes fesses, ses cuisses contre mes cuisses, ses couilles contre mes couilles, son gland bien au fond de mon ventre.
Jai tant voulu que ça arrive ; pourtant, très vite, je me rends compte que ce qui est en train de se passer ne correspond pas du tout à mes attentes : ses mains sagrippent de plus en plus fermement à mes épaules, et elles ne cherchent à aucun moment à aller me faire du bien auprès de mes tétons ; ses va-et-vient ont une allure comme mécanique, qui tranche rudement avec la complicité des dernières fois.
Cest une sensation rendue encore plus insupportable par son silence assourdissant, un silence souligné par les bruits de fond sa respiration monocorde, le grouillement de la ville qui remontent de la rue, un petit couinement du lit, le rideau malmené par le Vent dAutan.
Voilà tout un ensemble de (mauvaises) sensations qui me renvoient à lun des pires souvenirs de ma vie, à cette baise inutile avec ce Mourad levé devant le On Off quelques temps auparavant.
Quand je pense quil y a seulement quelques jours je faisais lamour, un amour intense, complice, explosif, avec ce même garçon, sur ce même lit
quest-ce quon est en train de faire, là ?
Rien de plus quune saillie qui a quelque chose dincroyablement triste. Je me sens sous les coups de cette baise sans bonheur. Cette baise, cest une erreur, une insulte au bonheur de la semaine magique.
Dans un sursaut de désespoir, je me déboite de lui, je marrache à la prise de ses mains, je me retourne ; fou de désir, mais avant tout de frustration, de tristesse et dangoisse, à la recherche désespérée de notre complicité perdue, jembrasse fébrilement son torse, ses pecs, son cou, ses lèvres.
Jérém ne réagit pas : il reste immobile, comme médusé, le regard toujours absent.
Dans un geste encore plus désespéré, je prends son visage entre mes deux mains et je le couvre de bisous ; Jérém tourne la tête, il détourne ses lèvres. Ses mains saisissent mes épaules pour minviter à me retourner à nouveau.
Cest avec un mélange de tristesse et de désolation que je seconde son geste, et que je le laisse revenir en moi. Ses mains reviennent agripper fermement à mes épaules, et il recommence à me pilonner de la même façon, mécaniquement, en silence.
Comme cest triste de revenir à la baise, alors quon a gouté au bonheur de faire lamour, avec le garçon quon aime.
Les minutes passent, sa respiration semballe, ses coups de reins senchaînent dans des séquences dune puissance inégale ; son corps semble fatiguer dans cette course derrière un orgasme qui ne veut pas se laisser attr.
Désormais il ny a plus de doute, Jérém sest déjà vidé les couilles cet après-midi.
La jalousie, linquiétude, la tristesse de cette baise sinistre font évaporer toute excitation de mon corps ; je nai plus quune envie, cest quil arrive vite au bout de cette saillie interminable.
Jessaie de tenir bon, de prendre sur moi, en me disant quil ne doit plus être très loin de son orgasme : mauvaise spéculation, ses assauts nont pas lair de vouloir cesser de sitôt.
« Arrête, Jérém, jai plus envie
» je lui lance.
« Je viens
» fait-il, tout en ralentissant ses va-et-vient.
Ses mots sont immédiatement suivis par de nombreux râles bruyants, comme de grands cris de triomphe après un effort considérable.
Ce qui ne mempêche pas de ressentir en moi le souvenir de lune des pires baises avec Jérém, dans une cabine des chiottes du lycée ; une baise tout aussi mécanique, aussi froide, tout aussi déplaisante sur la fin.
Lorsque ses coups de reins cessent, la prise de ses mains sur mes épaules disparaît également, et sa queue sarrache de moi aussitôt.
Je me retourne, et Jérém est déjà assis sur le bord du lit, le boxer à la main.
Après cette baise sans âme, je ne peux pas le laisser repartir comme ça. Jai plus que jamais besoin dun peu de chaleur de sa part. Je mapproche de lui, je pose ma main sur son épaule, je tente un câlin.
« Arrête ! » fait-il, sur un ton très agacé, tout en se secouant avec un geste énervé.
« Jérém
».
« Arrête, je te dis ! ».
« Mais quest-ce quil te prend ? ».
« Fiche-moi la paix ! ».
« Quest-ce quil tarrive depuis quelques jours ? ».
« Arrête, Nico
».
« Non, je narrête pas
la semaine dernière on a passé des moments de fou, cétait magique
tu étais si différent
tu étais souriant, détendu
on était si complices
pourquoi du jour au lendemain tu ne viens plus, tu ne réponds même pas à mes messages, tu mévites, tu es froid et distant ? ».
« Ne me casse pas les couilles, Nico
».
« Tu me manques, Jérém
».
Le bogoss se tait, immobile, la respiration haletante. Plus je le regarde, plus jai limpression quil nest pas dans son assiette. Cest comme sil voulait me dire quelque chose, et quil narrivait pas à trouver le courage de le faire ; comme si quelque chose le tracassait vraiment, comme sil étouffait dêtre dans cette pièce ; comme sil regrettait déjà davoir couché avec moi, de sêtre laissé faire.
Cest dur de savoir, à priori, ce qui le tracasse ; de savoir et de le voir le garder pour lui, de voir quil na pas lintention de men parler, alors que je suis aussi concerné que lui ; cest dur de savoir et de ne pas pouvoir lui en parler, parce que jai promis de ne pas le faire.
Je regarde son dos en V, ses épaules, ses tatouages, ses beaux cheveux bruns, ses oreilles adorables ; je regarde ce garçon que jai envie de couvrir de bisous et de câlins, sans pouvoir le faire.
« Est-ce que jai fait ou jai dit quelque chose quil ne fallait pas ? » je tente dattaquer ses remparts par un côté qui me semble moins bien gardé.
« Arrête Nico ! » fait-il en passant son boxer bleu.
« Mais putain, parle-moi, Jérém ! » je lui lance, tout en passant à mon tour mon boxer et mon t-shirt et en me glissant sur le bord du lit, juste à côté de lui.
« Je nai rien à te dire ! » fait-il sur un ton agacé, en se penchant pour attr son jeans.
Le geste est rapide et brusque ; cest lorsque le jeans atterrit sur ses genoux que quelque chose tombe de sa poche et atterrit sur le carrelage juste devant nous. Un petit bruit sec, pourtant assourdissant.
Mes yeux mapportent une image à laquelle mon cerveau se refuse de croire. Jai envie de hurler mais je me sens comme tétanisé. Jai la tête qui tourne, jai limpression que le ciel vient de me tomber sur la tête.
Ce nest que lorsque Jérém se baisse pour ramasser ce qui est tombé que je trouve la force de réagir :
« Cest quoi, ça ? ».
Mes mots ne sont que le reflexe de cette souffrance soudaine qui envahit mon cerveau, mon cur, et mon corps même.
« Cest rien
».
« Tu te fiches de moi ? »
Limage de cette capote tape dans ma tête comme un Cognard ensorcelé. Je ressens un douloureux sentiment de désolation envahir mon cur, mon cerveau, mon esprit, comme une présence de Détraqueur, me laissant dans le désespoir absolu que tout bonheur me soit interdit, à tout jamais.
Ça fait mal, ça fait trop mal ; tellement mal que je sens approcher le point au-delà duquel il maura fait trop souffrir pour que je puisse lui pardonner, le point à partir duquel mon amour sera tellement meurtri quil cassera en mille morceaux. Ce point que je vois approcher à grand pas, cest le point de non-retour de notre relation.
« Tu
tu
tu couches ailleurs ? » je finis par linterroger, face à son silence obstiné.
« Ça ne te regarde pas
».
« Ta queue sentait le jus
» je me parle tout seul, sans même réagir à ses mots.
« Cest toi qui a voulu me sucer à tout prix
».
« Tu couches ailleurs ? ».
« Tes sûr que tu veux vraiment quon parle de ça ? ».
« Oui, je suis sûr ! » je ménerve.
« Puisque tu veux savoir
jai
une copine
» fait-il, le regard toujours loin de moi.
Sa jambe est animée par une sorte de vibration, un petit tremblement nerveux qui semble trahir son malaise.
« De quoi ? ».
« Tas bien entendu
».
Même si ses mots sont prononcés sur un ton à lapparence détaché, jai limpression quil est plutôt mal dans ses baskets, même sil ne les a pas encore passées à ses pieds.
« Tu te fiches de moi ?!?! ».
« Mais pas du tout
».
Jai une soudaine envie de le frapper, mais je suis tellement assommé que mes membres ne répondent même pas à ma colère.
« Depuis quand ? ».
« Ça ne te regarde pas
».
« Mais tes pas bien toi
je te rappelle que je te laisse me baiser sans capote
».
« Bah, justement, tu vois, je ne prends pas de risque, je mets des capotes ! ».
« Pourquoi tu me fais ça ? ».
« Parce que jai envie de baiser des nanas
cest aussi simple que ça
».
« Sérieux, tu as une copine ? ».
« Oui, parfaitement ! ».
« Et tu las rencontrée où ? ».
« Au taf
».
« Au taf ? ».
Jérém passe son jeans sans répondre à ma question.
Jai un mal de chien. Je suis blessé, meurtri, humilié, je bouillonne de lintérieur.
« Mais bon sang, Jérém
tu crois que ça me fait quoi de découvrir ça, alors que je viens de te laisser jouir en moi ? ».
« Cest toi qui a voulu que je te baise
».
« Mais tas bien pris ton pied toi aussi
tu las dit la dernière fois
tu nas jamais joui aussi fort que comme avec moi
».
« De quoi ? Jai jamais dit ça
» il me balance, pendant quil chausse ses baskets.
« Si tu las dit ! ».
« Je ne suis pas pd, fiche-toi ça dans la tête ! »
« Cest génial ce quil y a entre nous
ne gâche pas tout, sil te plaît ! ».
« On a bien baisé, oui... jai pris mon pied, tas pris ton pied
mais ça sarrête là
».
« Pas pour moi
».
« Bah, ça devrait
» fait-il, en bouclant sa ceinture.
Sur ces mots, il savance vers la porte de la chambre, torse nu, avec sa chemisette à la main. Je me lève dun bond, je me jette sur la porte pour lui empêcher de louvrir.
« Quest-ce que tu fais ? ».
Je nai plus le choix, je nai plus le temps : je ne peux pas lui laisser passer cette porte sans lui avoir dit ce que je ressens pour lui.
« Jérém
».
Jérém, trois syllabes qui contiennent pour moi toute la poésie de lUnivers ; Jérém, ce beau prénom qui rime si bien avec :
«
je taime
».
Juste trois petits mots qui senvolent de mes lèvres ; trois mots, un monde entier.
Cest un cri du cur qui me laisse vidé de toute énergie, la poitrine qui tape à tout rompre, la respiration coupée ; un cri qui na décho que le silence assourdissant de son destinataire, et son regard comme assommé, ébahi, figé.
« Ecoute, tu sais quoi ? » fait Jérém après une pause insupportable « on va en rester là tous les deux, ça devient trop ingérable tout ça
».
Je sens le désespoir menvahir comme un poison mortel, le ciel me tomber sur la tête, je narrive plus à respirer, ma vue se brouille, mes oreilles bourdonnent. Je ne sais même pas comment je trouve la force de le relancer :
« Pourquoi tu veux tout gâcher ? ».
« On aurait dû arrêter tout ça il y a longtemps
on naurait même jamais dû commencer
».
« Tu penses vraiment ce que tu dis ? ».
« Oui
et ce coup-ci, on va arrêter pour de bon ! ».
Je suis sonné, jai limpression de venir de recevoir un grand coup de massue sur la tête.
« Jai pas envie darrêter, moi ! ».
« Moi si ! ».
« Mais putain ! Jérém ! Si tu savais à quel point tu comptes pour moi
je nai jamais ressenti pour personne ce que je ressens pour toi
quand je te vois, et même quand je pense à toi, jai le cur qui bat la chamade
tu es tout pour moi
jai besoin dêtre avec toi
je nai besoin de personne dautre, juste de toi
».
Je sens mes larmes monter à grands pas.
« Ça ne peut pas finir comme ça entre nous ! » je pleure.
Jérém se tait, le regard posé sur la poignée de la porte. Ses traits sont figés, ses paupières clignent nerveusement, ses lèvres sont serrées, parcourues par un frémissement incontrôlable ; sa pomme dAdam bondit sous leffet dune déglutition fiévreuse ; ses yeux se ferment lourdement, se rouvrent ; sa tête a un petit mouvement sur le côté, comme sil voulait chercher le mien, puis il se perd à nouveau dans le vide.
Jai limpression de me retrouver devant un garçon qui nest pas mon Jérém ; un garçon qui se fait violence pour être aussi méchant. Cest horrible cette barrière en verre quil a érigé pour minterdire laccès à son cur. Et ces barbelés quil est en train de tirer partout autour pour me blesser et méloigner de lui.
« Laisse-moi partir maintenant ! » il me lance, tout bas.
« Jérém, sil te plaît
je taime Jérém, je taime tellement, je taime plus que tout, je taime depuis le premier instant que je tai vu dans la cour du lycée ! ».
« Et moi, ce que jaime, cest juste te baiser
».
« Cest vrai ? ».
« Puisque je te le dis
» il lâche, le regard sur ses pompes, les yeux plissés.
« Regarde-moi dans les yeux, Jérém
regarde-moi dans les yeux et redis-moi ça ! » je le mets au défi.
Et là, son visage se redresse lentement, son regard se plante dans le mien et il assène froidement :
« Tu veux vraiment savoir ? ».
Je sens lorage venir. Et quil va être violent.
« Il ny a toujours eu que ton cul qui mintéressait ! ».
Je me sens de plus en plus humilié, je sens ma colère monter en flèche.
« Ça cest ce que tu dis pour ne pas avoir à assumer ce qui se passe entre nous
» je lui gueule dessus.
« Arrête donc de faire ton psy à deux balles ! ».
Jérém me regarde fixement dans les yeux, son regard noir est plein déclairs mauvais. Je sais que si je provoque encore, sa méchanceté peut être sans limites. Mais je veux en avoir le cur net, au risque de me faire terrasser :
« Tu ne me fera pas croire quil ny a pas un truc spécial entre nous
».
« Mais quel truc ? Quand est-ce que tu as vu quil y avait ce truc ? ».
« Tu te souviens du samedi quand tu mas défendu de cet abruti à lEsmé
».
« Et donc ? ».
« Quand on est rentrés, tu mas fait lamour pour la première fois
».
« Tu prends tes rêves pour des réalités ! ».
« On a passé lune des plus belles nuits ensemble
tu mas même demandé de rester dormir
».
« Javais juste envie que tu me suces encore pendant la nuit ! ».
« Ce nest pas vrai
tu avais besoin de câlins
tu mas donné des câlins
mais le matin tu mas jeté comme une merde
».
« On naurait jamais dû commencer ces conneries
».
« Ce ne sont pas des conneries
tu ne vas pas me faire croire que tu nas pas aimé tout ce qui sest passé entre nous ! ».
« Tais-toi
tout ça c'est de ta faute ! ».
« Ma faute ? » je chauffe.
« T'aurais pas dû me proposer de réviser... tu voulais juste baiser avec moi
».
« Je te rappelle que cest toi qui a voulu que je te suce ce jour-là ! ».
« Tu mas allumé
tarrêtais pas de me mater en cours ! ».
« Bien sûr que je te kiffais, je te kiffais à mort, je te kiffais comme un fou depuis le premier jour du lycée
mais moi je naurais jamais osé te proposer quoi que ce soit
».
« Tu en crevais denvie
».
« Alors, si tu savais que javais envie de coucher avec toi, pourquoi tas répondu « oui » quand je tai proposé de réviser ? ».
« Parce que je voulais me payer ton cul
».
« Donc tes aussi pd que moi ! ».
« Arrête de me chercher ou ça va mal se finir... » fait-il, les yeux exorbités, les veines apparentes dans le cou, lair menaçant.
« Jérém
» je tente de le raisonner « nous ne faisons rien de mal, nous sommes juste deux mecs qui se font du bien
».
« Ferme-la, putain
je ne suis pas pd et je ne veux pas devenir pd comme toi ! Tu entends ? ».
Ses mots sont blessants, injustes, violents, gratuits.
Ses mains me dégagent de la porte de la chambre. Jai les larmes qui me montent aux yeux en le regardant disparaître dans le couloir. Je ne peux pas le laisser partir comme ça.
Je sors de la chambre, je dévale lescalier, et je le ratt alors quil est tout proche de la porte dentrée.
« Mais bon sang ! » je memporte « ça pourrait être si génial entre nous deux si seulement tu étais moins con ! Il y a un truc spécial entre nous
les chanceux cest nous, Jérém ! ».
« Spécial ? Pourquoi ça ? Tes pas le seul mec que jai fait couiner
».
« Oui, mais avec ton cousin et avec le mec du On Off, cétait pas pareil
» je tente de me rassurer.
« Si tu crois que cest les seuls
» fait Jérém, odieux.
« De quoi ???????????? » je tombe sur la tête.
« Tas très bien compris ! ».
Lorsque je reçois ce nouveau coup de massue sur la tête, encore plus puissant que le précèdent, je sens immédiatement que quelque chose est sur le point de casser en moi.
Ça en est trop, vraiment trop. Même si je veux mon Jérém pour moi tout seul, je peux encore tolérer quon se fasse des plans à trois ; et même si ça me fait profondément chier, si vraiment il a envie de coucher avec des nanas, je nai pas de recours contre ça.
Mais le fait de savoir quil sest tapé dautres mecs à mon insu, alors que je crève denvie de lui ; quil a trouvé le moyen de franchir le pas daller voir ailleurs, alors quil nassume même pas notre relation : ça, ça me blesse à vif.
Le point de non-retour est là, devant moi.
« Tes quun connard ! » je lui lance, toujours incrédule, le regard défait.
« De quoi tu tétonnes ? Tes pas le seul cul à baiser de la ville ! ».
Cest à cet instant précis que le point de non-retour, celui que jai vu approcher de seconde en seconde, est atteint : ce coup-ci, Jérém a vraiment dépassé les bornes ; sa méchanceté est telle, que même tout lamour que je lui porte ne suffira pas pour lui pardonner. Oui, quelque chose vient de casser en moi. Je sens mon sang bouillir, je sens une violente envie de lui faire mal au moins autant quil vient de men faire. Je vois rouge. Et je perds les pédales.
Tout se passe en une fraction de seconde : je le charge et je le frappe au visage.
Jérém na rien vu venir ; attaqué par surprise, il reçoit mon droit de plein fouet.
Un filet de sang rouge vif commence à couler presque instantanément de son nez ; cest à ce moment-là que je réalise que je viens de frapper le garçon à qui jai envie de faire tous les câlins du monde, jusquà mon dernier souffle. Moi qui ne me suis jamais battu de ma vie, il faut que je commence par Jérém. Si cest pas malheureux, ça !
Alors que je regrette déjà mon geste, je le vois porter deux doigts sous son nez, et les retirer ensanglantés. Son regard est désormais rempli de haine.
Jai peur de la violence de sa réaction : et cest moins la douleur physique que je redoute, bien moins que le chagrin de voir notre histoire se terminer à coups de poings dans la figure.
« Je suis désolé, Jérém, je ne voulais pas
» je tente de le calmer.
Hélas, mes excuses nont aucun effet ; Jérém voit rouge, aussi rouge que moi un peu plus tôt, aussi rouge que le sang qui coule de son nez, qui éclabousse son torse et laisse des traces sur son jeans et sur le carrelage.
Je le vois charger comme un taureau, et je sais que ça va faire mal. Je suis tellement dégouté par la tournure que sont en train de prendre les choses, dégouté que ce soit par ma faute, davoir frappé en premier, que je nai même pas le réflexe de tenter de me protéger le visage : lorsque son droit à lui me percute, je ressens une douleur aigue se propager depuis le milieu de mon visage, jusquà lintérieur de ma tête.
Non, je ne me suis jamais battu auparavant : je réalise à cet instant à quoi font référence les petites étoiles quon voit tourner autour de la tête des personnages de dessin animés lorsquils prennent un coup au crane ou au visage.
Cest le goût bizarre sur mes lèvres qui me fait pleinement réaliser que je viens de me faire frapper par le garçon que jaime ; ce garçon dont le goût viril persiste dans ma bouche, le garçon qui, quelques minutes plus tôt, ma rempli de sa semence. Cest triste à en pleurer.
« Tes vraiment quun gros con qui ne sait pas assumer ce quil ressent dans son cur
» je lui crie en pleurant.
Sa réaction ne se fait pas attendre :
« Et toi, tes vraiment quune petite merde ! ».
« Dégage connard ! ».
« Oh, oui, je vais dégager, tinquiète, mais toi aussi tu vas dégager, tu vas dégager de ma vie ! ».
Ses mots sont sans appel, et ils me rendent malade. Mais il est dautres mots qui senchainent aux siens et qui vont me rendre encore plus malade.
« Quest-ce qui se passe ici ? » jentends une voix familière sécrier.
Je lève les yeux : maman vient de débarquer.
« Cest quoi tout ce sang ? » elle sinquiète, en voyant le carrelage tâché.
« Cest rien, un petit accident, rien de grave, madame
» fait Jérém.
Maman le regarde, puis me regarde fixement, les yeux écarquillés, le regard anxieux.
Je regarde Jérém se baisser pour ramasser sa chemisette sur le carrelage et la passer très vite autour de son torse, tout en essayant de tamponner avec la main son nez qui narrête pas de pisser le sang.
Jérém accroche deux boutons à la va vite, et il se précipite vers la porte dentrée. Dans mes tripes, je ressens malgré tout linstinct dessayer de le rattr, une fois encore ; je sais que si je lui laisse passer cette porte, ce sera vraiment fini entre nous. Mais mon corps ne suit plus ; je suis à bout de forces, physiquement, moralement.
Jérém saisit la poignée, la fait tourner, il commence à tirer le battant ; et là, au lieu de partir comme une fusée, il marque une pause ; un instant de rien, le temps dun regard qui en dit plus que mille mots.
Je le vois tourner la tête vers moi, planter ses yeux dans le miens : son regard noir a soudainement disparu, pour laisser la place à un regard perdu, rempli de désolation, de détresse, et de chagrin ; ses yeux, ses narines ont cette vibration conjointe comme lorsquon se fait violence pour ne pas céder à lémotion.
Ce que je vois à cet instant, ce nest plus le connard qui vient de me balancer plein dhorreurs et son poing dans la figure, mais un garçon très malheureux ; pendant un instant, je me prends à rêver quil soit sur le point de me lancer un : « Je suis désolé », capable de soigner toutes mes blessures.
Il nen est rien : Jérém finit pas détourner le regard et disparaît dans lentrebâillement de la porte.
Oui, son regard était plein de tristesse ; et, au plus profond de moi, je ressens la ferme impression que Jérém a détourné le regard juste avant quils ne soient pleins de larmes aussi.
Oui, cest triste de se faire aussi mal lun lautre ; et de se rater de cette façon.
La serrure vient tout juste de claquer un dernière fois derrière le garçon que jaime plus que moi-même ; je sens le désespoir menvahir ; je ne peux me retenir, je fonds en larmes.
« Nico ! ».
Cest à cet instant précis que jai vu dans le regard de maman quelle avait tout compris, sans besoin dun mot dexplication. Dans mes larmes, maman a su à quel point jétais amoureux dun putain de beau gosse qui me rendait terriblement malheureux.
« Sil te plaît, maman
laisse-moi seul
je vais nettoyer
je viendrai te parler plus tard
».
« Tu veux pas que je tamène voir un toubib ? ».
« Non, maman, ça va aller, cest rien, vraiment
» je tente de minimiser, en étant rassuré moi-même par le fait que mon nez ne saigne pas trop.
« Comme tu voudras, Nico, je serai dans la cuisine
».
Je vais dans le cellier chercher un seau et une serpillère ; je reviens nettoyer les dernières traces du passage de Jérém chez moi ; à chaque tâche effacée, je me demande pourquoi on en est arrivés là, comment jen suis arrivé à frapper le garçon que jai envie daimer plus que tout au monde.
Je sais que je ne le reverrai plus jamais. Je nettoie et je pleure, en pensant à la solitude terrifiante de ma vie sans lui.
La douche me fait du bien : mais je suis toujours aussi sonné, et mon nez me fait mal. Ça ne saigne plus. Leau chaude a détendu mes nerfs, emporté mes larmes, je sens une fatigue immense me gagner, je me sens lessivé.
Il est 19h20 lorsque je redescends : il faut que je me dépêche daller voir maman, papa va rentrer dun moment à lautre.
Lorsque jarrive dans la cuisine, elle est en train de préparer une grande salade.
« Ça va, mon Nico ? ».
« Oui, ça va
mieux
» je tente de la rassurer, en prenant sur moi pour contenir mon émotion et ne pas laisser mes larmes jaillir à nouveau.
Jatt un bocal et je commence à mélanger huile, vinaigre, sel et moutarde.
« Cest qui ce garçon ? ».
« Cest un camarade du lycée
».
« Pourquoi vous vous êtes disputés ? ».
« Cétait juste pour une bêtise
».
« Vous vous êtes battus, quand-même ! ».
« Cest rien je te dis
».
« Tavais lair vachement remué, mon Nico
et ton camarade aussi
».
Une partie de moi a envie de tout raconter à maman, de lui dire que jaime les garçons depuis toujours, que jaime CE garçon plus que tout au monde, à part elle
oui, une partie de moi na quune seule envie, celle de me laisser aller à pleurer dans ses bras, de la laisser me réconforter.
Mais la blessure est si profonde, si vive, si brûlante, que je ne me sens pas la force de la remuer, même pas pour tenter de la soigner.
« Maman
» je me lance, pour tenter de la rassurer, pour gagner du temps, sans aucune idée de comment je vais continuer ma phrase.
Heureusement, maman vient à mon secours :
« Tu sais Nico
ne te force pas
» fait-elle en posant son couteau et en attrapant ma main : elle la serre avec force et douceur, tout en posant sur moi ce regard plein daffection et de tendresse que seule une maman sait composer ; puis, elle continue : « si tu nas pas envie den parler, cest pas grave ; tu men parleras plus tard, quand tu ten sentiras capable
demain, après demain, ou même quand tu seras à Bordeaux
quand tu seras là-bas, dans ta petite chambre, tu sais que tu pourras mappeler quand tu voudras, à nimporte quelle heure, je serai toujours là pour toi, mon Nico
».
Je sanglote. Je sens maman très émue aussi.
« Maman
».
« Mais il y a une chose quil faut que tu saches
je taimerai toujours, quoi que tu fasses de ta vie, quoi que ce soient tes choix
enfin, des choix
façon de dire
je taimerai toujours, et rien ne pourra jamais changer cela
tu sais, Nico, tout ce qui mintéresse, cest que tu sois heureux, que tu trouves ta part de bonheur quel quil soit le bonheur que tu recherches
».
Elle pose ma main sur ma nuque et me caresse les cheveux, comme quand jétais , pour me réconforter ; je pleure à chaudes larmes.
« Désolé, maman
».
« Pleure, si ça te fait du bien
».
« Ce garçon
ce garçon
» je tente de lui parler de mon chagrin, de cet amour fou né sur les bancs du lycée : mais les mots restent bloqués au fond de ma gorge.
« Ce garçon est vraiment un très beau garçon
» résume maman « mais jai limpression que ce n'est pas lui qui va te rendre heureux
».
« De toute façon, je ne le reverrai plus jamais
».
« Mon Nico
».
« Maman
promets-moi
».
« Oui, Nico ? ».
« Ne dis rien à papa, s'il te plaît
».
« Je ne lui dirai rien t'inquiète
un jour tu lui diras toi-même, quand tu seras prêt à le faire
».
« Merci, maman
».
« Dis donc, il ne ta pas raté ce petit con
» elle sexclame, en se penchant pour regarder les dégâts de plus prés.
« A côté du nez, sous lil, tu vas avoir un joli cocard, mon Nico
ça fait mal ? » elle continue.
« Oui
».
« Dans le placard de la salle de bain, il doit y avoir une pommade pour soigner les hématomes
».
Dommage quil en existe pas une pour soigner les curs brisés.
« Merci maman
».
« Cest lui qui ta frappé en premier ? ».
« Non, cest moi
».
« Nico ! ».
« Et je le regrette vraiment
même sil la bien cherché ! ».
« En tout cas, toi non plus, tu ne las pas raté ! ».
La porte dentrée vient de souvrir et de se refermer. Papa est rentré. Je messuie les yeux et maman aussi.
« Bonsoir ! » fait papa « quest-ce que tas fait au nez, Nico ? ».
« Bonsoir ! » fait maman « ton fils sest pris la porte de la salle de bain sur le nez en sortant de la douche
».
« Toujours aussi maladroit
» fait papa distraitement « jai le temps de prendre ma douche avant de manger ? ».
4h18, je ne dors toujours pas. Jessaie de ne pas penser à demain, au nouveau jour qui viendra, un jour inutile, odieux, car il ne portera pas avec lui lespoir de revoir Jérém.
Les souvenirs et les larmes se mélangent dans le silence de la nuit.
Imaginer ma vie sans Jérém, ça me parait un aperçu de lenfer.
La nuit avance et la radio continue de débiter des chansons que je nécoute pas.
Puis, soudainement, un texte accroche mon attention, parle à ma tristesse, à ma solitude, à mon désespoir.
Celui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa vie
Seul au fond de son lit/Seul au bout de la nuit
Celui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa vie
Peut-il seulement aimer/Peut-il aimer jamais
Lépisode complet sur jerem-nico.com.
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