Histoire Des Libertines (13) : Isabelle, La Louve De France.
Isabelle de France (1295-1358), fille de Philippe le Bel, est restée dans l'Histoire sous le surnom que lui a légué la postérité, la « louve de France ». Belle, intelligente, calculatrice et déterminée, elle fomentera, aidée par son amant Roger Mortimer, la révolte des barons anglais, provoquant la chute de son époux honni et l?avènement de son fils aîné, Edouard III. Surtout, elle est à l?origine de la querelle de succession pour le trône de France qui déclenchera la guerre de Cent ans.
ISABELLE THE FAIR
Le mariage d'une mémorable splendeur a lieu à Boulogne-sur-Mer le 25 janvier 1308, en la remarquable présence de cinq rois et trois reines. La garde-robe d'Isabelle nous renseigne sur la richesse et les goûts de l'épousée: robe de baudequin, de velours, de taffetas, ainsi que de nombreuses fourrures ; 72 coiffes ; deux couronnes d'or ; un couvert d'or et d'argent ; enfin, 383 mètres de toile de lin.
A l'époque de son mariage, Isabelle a probablement douze ans, et Geoffroi de Paris la désigne « beauté parmi les beautés du royaume, si ce n'est de l'Europe entière ». Cette description n'est pas ment pure flatterie de chroniqueur : le roi, son père mais aussi ses frères étaient considérés comme fort beaux par leurs contemporains, et le mari d'Isabelle la surnommera « la belle Isabelle », « Isabella the Fair » Tout au long de sa vie, on relèvera le charme et la diplomatie de la reine, avec une adresse particulière pour convaincre et amener les esprits à ses vues. Inhabituel pour l?époque, les contemporains relèvent aussi sa grande intelligence.
Isabelle devint reine d'Angleterre à 12 ans, dans une période de conflit grandissant entre le roi et la puissante faction des barons du royaume : son nouvel époux comblait notoirement de grâces son favori le comte de Cornouailles, Pierre Gaveston, au détriment des anciennes familles du royaume.
Cependant, Isabelle apporta son soutien à son mari dans ces premières années, usant de ses relations avec la cour de France pour asseoir du même coup sa propre autorité dans son pays d?adoption.
EPOUSE HUMILIEE D'UN HOMOSEXUEL NOTOIRE. MENAGE A TROIS AVEC GAVESTON ?
Dès le début, des problèmes apparaissent : avant même que le couple n'ait atteint l'Angleterre, on apprend que le roi a fait don des présents et bijoux offerts par le roi Philippe à son favori Gaveston. Les oncles d'Isabelle, Charles de Valois et Louis d'Évreux, qui l'accompagnent en Angleterre pour le couronnement, s'alarment bientôt de la façon dont Édouard traite son épouse : à leur arrivée, Édouard s'est jeté dans les bras de Gaveston, en l'appelant « frère », conduite qui déplaît grandement à la reine, à ses oncles, et pousse nombre de personnes à s'inquiéter de la force de la relation entre les deux jeunes gens. Même si Isabelle et son entourage décident de passer outre ce comportement pour le moins inopportun, ils vont devoir très vite affronter une humiliation publique sans commune mesure puisque le couronnement, organisé par Gaveston, va se révéler un fiasco et une insulte envers la nouvelle reine.
Bien que la beauté d'Isabelle ait gagné l'admiration de la cour et que son costume de sacre soit, selon les témoignages, magnifique, il semble que son mari n'ait d'attention qu'envers Gaveston le jour du couronnement. Non seulement outrage-t-il les hauts seigneurs en confiant les plus importantes tâches du cérémonial à son favori, l'apparition de ce dernier, vêtu plus somptueusement que le roi lui-même achève de blesser l'orgueil des seigneurs anglais. La journée se déroule dans la confusion et le désordre le plus total. Un chevalier est piétiné à mort par la foule, les cérémonies sont interminables, la nourriture du banquet n'arrive qu'à la nuit tombée et, de plus, mal cuite, mal présentée et mal servie. Mais la reine et sa suite doivent encore endurer une dernière insulte, puisque le roi préfère s'asseoir aux côtés de Gaveston, dans la salle où des tapisseries suspendues représentent les armes du roi et celles de son favori? Aucune de la reine.
Édouard II était un personnage original si l'on se réfère aux mentalités médiévales.
En dépit du temps qu'il passe avec Gaveston, Édouard ne néglige donc pas la couche de la reine et, en 1312 (Isabelle a alors autour 18 ans), celle-ci donne le jour à un fils, Édouard (le futur Édouard III). Les rapports royaux ne s'interrompent pas puisqu'un second fils nait en 1316, suivi de deux filles en 1318 et 1321.
La relation d'Isabelle au favori de son époux est complexe. L'opposition baronniale conduite par le comte Thomas de Lancastre ne cesse de croître. Édouard doit se résoudre à exiler son favori une première fois en Irlande en 1308, et commence à montrer un plus grand respect envers son épouse, lui accordant de vastes terres et grâces.
Lorsque Gaveston revient l'année suivante, la reine, le roi et le favori semblent vivre ensemble assez pacifiquement: Édouard sait que, sans démonstration de respect de sa part pour sa femme, point de Gaveston à la Cour. Mais cette situation fait apparaître Isabelle comme une alliée du comte de Cornouailles (Gaveston) pour le comte de Lancastre.
En 1312, Lancastre prend les armes contre le roi pour le forcer à se débarrasser définitivement de son favori. Isabelle reste aux côtés d'Édouard, envoyant des lettres véhémentes à ses oncles Évreux et Valois pour obtenir des soutiens. Isabelle accompagne son époux et son favori dans leur fuite vers Newcastle mais, contre la volonté de la reine, le roi la quitte au prieuré de Tynemouth, dans le Northumberland, alors qu'il tente sans succès d'affronter les barons. Incapable de porter secours à son ami qu'il avait laissé d'abord à Scarborough, le roi apprend l'arrestation de Gaveston et son exécution par le parti de Lancastre. Édouard est inconsolable et, selon un contemporain, « le roi pleura sur Piers comme pleure un père sur son fils ; car plus grand est l'amour, plus grand est le chagrin ».
LES APPARENCES SAUVEES
Le respect et la considération dont Édouard II témoigne à sa femme durant ces années rassurent la famille de la reine, en France, qui garde un oeil sur les affaires d'Angleterre. Cependant, le couple ne vit ni en paix ni en harmonie. De façon récurrente, Édouard, qui a pourtant tout fait pour hâter son mariage, répète à son épouse qu'il l'a épousée contre sa volonté ; et lui fait reproche des querelles constantes entre la France et l'Angleterre. Pour une jeune femme aussi fière, l'humiliation est dure, d'autant plus que son époux continu à se divertir dans des activités rustiques, en compagnie de « gens sans condition », ce qui alimente à travers les cours d'Europe les rumeurs et, par conséquent, la honte de la reine. Des signes de discorde à l'intérieur du couple et d'indépendance de la part d'Isabelle peuvent être remarqués. Néanmoins, pendant toute cette période, Isabelle soutient le roi contre ses barons turbulents.
C'est en 1314 qu'Isabelle dénonce auprès de Philippe le Bel l'adultère de ses belles-soeurs. La réputation d'Isabelle en France, à cause du rôle qu'elle aura joué dans l'affaire de la Tour de Nesle, en souffrira durablement. 10 ans plus tard, ce sera elle qui sera une reine adultère. Dans les bras du fougueux Roger Mortimer, a-t-elle pensé au destin de sa belle-soeur, Marguerite de Bourgogne ?
DE NOUVEAUX FAVORIS, LES DESPENSER
C'est dans cette période de trouble que s'élèvent alors les deux nouveaux favoris royaux, à la consternation d'Isabelle : le seigneur Hugues Despenser l'Aîné, qui avait toujours été l'un des plus fervents soutiens du roi et de Gaveston quelques années auparavant, et son fils également prénommé Hugues. C'est avec le fils, Hugues le Jeune, qu'Édouard se montre le plus intime. Hugues a le même âge que le roi. On pense assez généralement qu'Édouard et Hugues ont entamé une relation d'ordre sexuelle à cette époque.
Mais alors qu'Isabelle avait pu s'entendre avec Gaveston, il apparaît vite qu'un tel compromis ne sera jamais possible entre la reine et le nouveau favori.
Les barons se révoltent de nouveau en 1321. Isabelle s'agenouille publiquement devant le roi pour le supplier d?exiler les Despenser, lui donnant ainsi l'opportunité de sauver la face en accédant à une supplique. Si le roi se soumet, il n'attend en fait qu'une occasion pour les rappeler. Les efforts d'Isabelle pour sauver la paix ont néanmoins contribué à la rendre populaire auprès de ses sujets, mais le royaume reste fragile et les efforts d'Isabelle de peu d'effets à long terme, que ce fût dans son ménage ou à l'extérieur.
Édouard triomphant, l'ambition des Despenser se met à atteindre des niveaux jamais atteints et Isabelle comprend par elle-même qu'un rival bien plus dangereux que Gaveston l'a supplantée : Gaveston n'avait jamais blessé son intelligence politique. Hugues le Jeune est à présent solidement établit comme nouveau favori, et ensemble, durant les quatre années suivantes, ils vont imposer à l'Angleterre un sévère gouvernement. Isabelle vit, plus que jamais, une situation conjugale, psychologique et financière difficile. Hugues le Despenser, dilapide le Trésor royal et ne cesse d'humilier la reine.
Malgré tous les outrages, Isabelle ne peut faire autrement qu'endurer la situation. En septembre 1324, sous la pression de Hugues le Jeune qui contrôle désormais le roi, Édouard, arguant du fait que les relations avec la France vont empirant, confisque les possessions personnelles de la reine, prend le contrôle de sa Maison, et fait arrêter et emprisonner toute sa suite française. Ses plus jeunes s lui sont enlevés et confiés à la garde des Despenser.
La reine est maintenant sous l'entière dépendance d'Édouard, qui lui a ôté la liberté de ses revenus. Nouveau crime de lèse-majesté pour la jeune souveraine, l'épouse d'Hugues le Jeune, Éléonore de Clare (nouvelle ironie du sort, Éléonore était la soeur de l'épouse de Gaveston) est nommée intendante de la Maison de la reine, avec permission de lire toute la correspondance royale, et d'avoir connaissance de tous ses envois. Quand les Despenser découvrent qu'Isabelle est en contact avec leurs opposants, Hugues le Jeune missionne un certain père Thomas Dunhead pour demander au pape de divorcer Édouard et Isabelle : en effet, en raison de sa nationalité et de l'état des relations franco-anglaises, Isabelle continue à être suspectée d'intriguer avec ses parents, en particulier avec son oncle Charles de Valois, chef de l'armée française qui, en 1324, a de nouveau confisqué le duché d'Aquitaine.
C'est la reprise des hostilités dans ce duché qui va donner à Isabelle l'occasion d'échapper à sa situation intolérable.
REINE ADULTERE
Le pape propose d'envoyer Isabelle comme négociatrice (Isabelle et son frère Charles s'aiment beaucoup) et la reine y voit une opportunité pour secouer le joug des Despenser. Isabelle ayant déjà prouvé son efficacité comme diplomate, et aucun signe d'amélioration ne se faisant jour du côté français, Édouard ne peut que s'y résoudre, de mauvaise grâce. Isabelle promet d?être de retour dès l'été. La Maison de la reine est recomposée avant son départ pour Paris en mars 1325 et, bien qu'une réconciliation soit ménagée entre Isabelle et les Despenser (qui se réjouissent à court terme de la voir s'éloigner), le bruit court déjà que la reine ne reviendra pas en Angleterre tant que les favoris y demeureront.
À Paris, Isabelle parvient rapidement à ménager une trêve en Gascogne, à la condition que le jeune Édouard, prince de Galles et héritier alors âgé de treize ans, viendra rendre hommage au nom de son père. Le prince arrive en France à son tour et l'hommage se déroule en septembre.
Les ennemis d'Édouard se rassemblent à la Cour de France. Isabelle s'habille en veuve et dit tout haut qu'Hugues le Jeune a brisé son mariage « qui est un lien entre mari et femme, et que jusqu'à ce que l'intermédiaire (les Despenser) qui les divise soit parti, elle vivra seule ou dans un couvent » ; enfin, elle réunit une véritable Cour en exil autour d'elle.
Maintenant qu'elle a auprès d'elle le prince de Galles, Isabelle saisit l'occasion de sa revanche. Officieusement, il semble qu'Isabelle se soit assurée de la protection de son frère en lui révélant que si elle retournait en Angleterre, sa vie serait menacée à la fois par les Despenser et par le roi qui semble, dans un accès de rage, avoir juré de déchirer Isabelle entre ses dents s'il n'avait pas d'arme à côté de lui pour la .
La liaison passionnée de Mortimer et d?Isabelle débute en décembre 1325.
Je reprends ce qu?en a dit Maurice Druon dans le tome V des « Rois Maudits », intitulé la « Louve de France » :
« La reine n'avait pas sommeil. Plus tard peut-être, la lassitude la prendrait ; pour l'instant, elle demeurait éblouie, stupéfaite, comme si une comète continuait de tournoyer en elle. Elle contemplait, avec une gratitude éperdue, le lit ravagé. Elle savourait sa surprise d'un bonheur jusque-là ignoré. Elle n'avait imaginé qu'on pût avoir à s'écraser la bouche contre une épaule, pour un cri. »
Isabelle prend un énorme risque en faisant cela : l'adultère féminin était un des plus lourds crimes dans l'Europe médiévale, comme l'affaire de la Tour de Nesle l'a montré ? les deux belles-soeurs d'Isabelle en sont d'ailleurs mortes. Les motivations d'Isabelle ont été sujettes à discussion : la plupart des historiens s'accordent sur la forte attirance sexuelle des deux protagonistes, leur intérêt commun pour le cycle arthurien, leurs goûts pour les Beaux-Arts et la magnificence. Un historien a décrit leur liaison comme l'une des « grandes romances du Moyen Âge ». Mais ils partagent aussi le même ennemi : le régime d'Édouard II et des Despenser.
Malgré le premier soutien apporté à sa soeur, il semble que les rumeurs autour d'Isabelle et Mortimer aient refroidi les relations entre Charles IV et Isabelle : c'est une chose d'offrir protection et refuge à sa soeur et son neveu ; c'en est une autre de laisser penser qu'on ferme les yeux sur un adultère, encore plus au regard de l'affaire de Nesle dont Charles IV fut victime à travers son épouse.
LA REINE CRUELLE
Avec son amant Roger Mortimer, Isabelle rassemble une armée contre son mari, et revient en Angleterre : en une campagne éclair, la reine s'empare du pays.
L'épuration commence immédiatement. En dépit de quelques tentatives d'Isabelle pour le protéger, Hugues l'Ainé est rapidement exécuté par ses ennemis, son corps dépecé et jeté aux chiens. Ce qui reste de l'entourage du roi est amené auprès d'Isabelle. Edmond Fitzalan, comte d'Arundel, l'un des piliers de l'ancien gouvernement et qui a reçu de nombreuses terres confisquées à Mortimer en 1322, est exécuté le 17 novembre. Hugues le Despenser le Jeune est condamné à l'être brutalement le 24 du même mois. Une immense foule se rassemble afin d'assister à ses derniers instants. On le fait tomber de son cheval, on lui arrache ses vêtements, on lui gribouille des versets bibliques sur le corps dénonçant la corruption et l'arrogance. Puis on le traîne vers la cité, où il est présenté à Isabelle, Mortimer et le parti Lancastre. Il est condamné à être pendu en tant que voleur, à être châtré et écartelé comme traître, ses membres dispersés à travers l'Angleterre. Simon de Reading, l'un des soutiens des Despenser, est pendu à ses côtés, sous l'accusation d'insultes à la reine.
Edouard II est à abdiquer. La fin d'Édouard et le rôle qu'Isabelle y aurait joué demeurent un sujet de discussion parmi les historiens. Le point minimal sur lequel on s'accorde est qu'Isabelle et Mortimer font déplacer Édouard du château de Kenilworth à celui, plus sûr, de Berkeley, sur les marches frontières, où Édouard est placé sous la garde du seigneur du lieu, le baron Thomas Berkeley, gendre de Mortimer et que le 23 septembre, on informe Isabelle et Édouard III qu'Édouard est mort au château, d'un « fatal accident »
Selon l'histoire la plus répandue, Isabelle et Mortimer auraient organisé le d'Édouard, de telle façon qu'on ne puisse les en accuser formellement. Édouard aurait été tué à l'aide d'un tison chauffé à blanc et introduit dans son fondement.
LA REGENTE ET LA CHUTE
Isabelle et Mortimer gouvernent conjointement durant quatre années marquées par l'enrichissement de la reine et d?importantes acquisitions de terres. Quand l'alliance politique avec le parti Lancastre commence à s'effriter, Isabelle continue à soutenir son amant.
Malgré la défaite de Lancastre, le mécontentement continue à enfler. Le frère du défunt roi, le comte Edmond de Kent, qui avait rejoint Isabelle en 1326, commence à remettre en question ses choix, et se rapproche petit à petit d'Édouard. En mars 1330, Edmond se retrouve impliqué dans un complot. Isabelle et Mortimer abattent le complot, arrêtent Edmond et les autres conspirateurs. Edmond peut espérer un pardon, au moins d?Édouard III, mais Isabelle insiste pour qu?il soit exécuté. Mortimer s?arrange pour obtenir les terres de Kent, ce qui est considéré par beaucoup comme un avertissement à tous ceux qui voudraient s?élever contre le régime ; mais désormais, Isabelle et Mortimer se sont aliénés ceux qui les avaient regardés comme des libérateurs quatre ans auparavant.
Au milieu de l'année 1330, le régime d'Isabelle et de Mortimer devient de plus en plus précaire et le fils de la reine, Édouard III, est de plus en plus frustré de la mainmise de Mortimer sur le pouvoir.
La rumeur se répand qu'Isabelle est tombée enceinte de Mortimer. Craignant que ce dernier ne le fasse pour devenir régent du royaume ou se fasse proclamer roi à sa place, Édouard III organise un coup d'État : malgré les supplications d?Isabelle, Mortimer est arrêté dans la chambre conjugale, condamné sans procès et immédiatement pendu à Tyburn le 29 novembre 1330. Le Parlement est réuni, afin de juger Mortimer pour trahison. Il est intéressant de noter que la seule charge retenue contre lui qui impliquât Isabelle fut qu'il avait été cause de discorde entre la reine et son époux le roi ! Isabelle fut reconnue victime innocente durant le procès, et aucune mention publique de sa liaison avec Mortimer ne fut faite.
Édouard III exile sa mère et gouverne à présent seul. Elle vivra encore longtemps, en exil, avec dans sa tête le souvenir de son grand amour Roger Mortimer.
UNE FEMME ADULTERE, BELLE MAIS CRUELLE
C'est un personnage d?une extrême complexité, et d'une rare volonté. Femme belle, mais manipulatrice et cruelle, Isabelle fut héritière des tendances sanguinaires de son père. Vaniteuse, égoïste, sadique, elle est profondément homophobe et obsédée par l?idée de détruire son mari et ses favoris, plus à cause de sa fierté blessée que d?un amour déçu.
N'ayant vécu qu?un grand amour, elle est une femme adultère et non pas une grande libertine au même titre que Cléopâtre, Messaline ou même Aliénor d'Aquitaine.
Sa cruauté envers ses belles-soeurs, à qui elle reprochait ce qu'elle ferait elle-même une décennie plus tard, la manière dont elle s'est vengée de son mari et de son entourage, font froid dans le dos. Le personnage n'inspire guère la sympathie.
On se souviendra néanmoins qu'Isabelle est une femme meurtrie par la raison d'Etat qui l'a conduite à se marier avec le souverain anglais. Homosexuel notoire, ce dernier la délaisse pour l'amour des courtisans qui se pressent dans son sillage?
L'humiliation qu'elle subit au quotidien dans sa vie privée génère chez cette reine une vengeance terrible dont elle ne mesure pas au préalable toutes les conséquences. Femme meurtrie, femme libre, elle deviendra La Louve de France et laissera son amour pour Roger Mortimer prendre des proportions démesurées.
Personnage effrayant par sa violence et sa soif de vengeance, Isabelle sera allée au bout d'un destin d'exception. Isabelle est à la fois belle, sensée et pleine de caractère. Son destin ne manque pas d'ironie puisqu'une femme aussi belle qu'exceptionnelle sera tout de même délaissée par son mari qui préfère les hommes? Rebelle pleine d'autorité, elle ne saura pas maîtriser sa vengeance ou se laissera forcer la main par Mortimer.
On se rappellera au final son courage et de son audace, quand, femme amoureuse, elle a affiché une liaison adultère à une époque où l'adultère, tout particulièrement féminin, était un crime, sévèrement puni. Je me plais à croire qu?à ce moment, elle a eu une autre image de Marguerite de Bourgogne et a peut-être eu des remords d'avoir dénoncé les amants de la Tour de Nesle.
LES LECONS D'UN DESTIN
Je me plais toujours, après avoir retracé un destin ou fait part d'une lecture qui m'a marqué, d'en tirer quelques leçons, et d'abord au regard de mon expérience personnelle.
Femme d'un seul grand amour, Isabelle n'est en apparence pas une hypersexuelle. Encore que la façon dont elle s'est comportée envers ses belles-s?urs dans l'affaire de la Tour de Nesle permet de mesurer l'immense frustration d?une reine qui en veut à Marguerite de Bourgogne de connaître ces plaisirs dont elle-même est privée et dont, au fond d'elle-même, elle a tant envie. On peut penser qu'elle est une hypersexuelle refoulée, profondément frustrée, ce qui explique, sans justifier, sa jalousie envers ses belles-s?urs et sa cruauté.
Cela est confirmé par la façon dont elle s'est offerte à Roger Mortimer et qu'a si bien raconté Maurice Druon dans le tome qu'il lui a consacré dans sa série des Rois Maudits.
La liaison d'Isabelle et de Mortimer fut relativement brève, un peu plus de quatre ans, mais intense, comme si la jolie reine voulait rattr le temps perdu, à un âge, trente ans, où, à cette époque, une femme, fut-elle reine, était proche de la vieillesse. Elle fit scandale car leur liaison était de notoriété publique. C?est d?ailleurs dans la chambre de la reine que fût arrêté Mortimer en novembre 1330 et il fallut l'arracher des bras de son amante.
On ne peut naturellement transposer les situations et les mentalités. On peut seulement regretter, car l'histoire en aurait été bouleversée, que les protagonistes n'aient pas une toute autre mentalité.
On se plait à rêver qu'Edouard II, en particulier du fait de sa préférence manifeste pour les hommes, ait encouragé sa belle épouse à prendre des amants et à apaiser son envie de mâles qui la consommait et qu'elle n'assouvira que tardivement dans la couche de Roger Mortimer. Il aurait fallu qu'Edouard II soit candauliste, mais ce n'était pas dans l'air de ces temps-là.
Si Isabelle, au lieu d'être jalouse des amants de son époux, avait pu comprendre, encouragé et accompagner cette préférence, cela aurait tout changé également. Ayant moi aussi un époux bisexuel, je l'ai encouragé à passer à l'acte et à assumer cette part de sa sexualité. J'ai déjà eu l'occasion de dire tout le plaisir que je ressens quand je peux assister aux ébats de Philippe avec un homme. Voir deux hommes faire l'amour, c'est si beau et c'est particulièrement excitant quand l'homme qu'on aime assume, devant sa femme, sa part de féminité. Oui j'adore quand un mâle vigoureux possède devant moi mon homme et voir le plaisir monter sur son visage, jusqu'au moment où il jouit, comme une femelle.
Hélas, les mentalités de l'époque ne concevaient ni le candaulisme, ni la tolérance envers la bisexualité, en particulier masculine.
Cela aurait-il permis d'éviter la guerre de cent ans à laquelle a puissamment contribué la louve de France, notamment par son rôle dans l'affaire des brus de Philippe le Bel, laquelle a débouché sur la « loi salique » excluant les femmes du trône de France et même du droit à y prétendre par filiation (situation d?Edouard III, fils d'Isabelle) ? Sans doute pas, car il y a bien d'autres causes dans une longue rivalité franco-anglaise. Mais je me plais à imaginer le candaulisme et la liberté sexuelle au service de la paix !
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