Boucler La Boucle (Première Partie)
Jérém&Nico SAISON 1 Episode final.
Boucler la boucle (première partie)
Samedi 25 août 2001, 17 heures.
Le t-shirt noir dépassant du zip largement ouvert de son bleu de travail, la tête sous le capot dune voiture de sport, comme toujours Thibault a lair dun gars bosseur, très appliqué à sa tâche.
Il est 17 heures et je sais quil ne va pas tarder à débaucher.
Je traîne sur le trottoir den face, tout en faisant mine de trifouiller mon téléphone, en attendant quil capte ma présence. Lorsquil lève enfin le nez de son taf, je lui adresse un petit coucou.
Un petit coucou quil me retourne, certes ; cependant, quelque chose me frappe tout de suite : le beau sourire chaleureux et bienveillant auquel il ma habitué, ne semble pas de la partie aujourdhui.
Un instant plus tard, il referme le capot de la voiture, raccroche les outils au tableau, se nettoie les mains dans un bout dessuietout.
Les battements de mon cur semballent lorsque je le vois marcher droit dans ma direction. Malgré lessuietout, ses mains et les avant-bras sont noirs de cambouis, il en porte même des traces sur le visage : il est craquant.
Hélas, au fur et à mesure quil approche, force est de constater que non seulement son beau sourire semble être absent, mais quen plus, ses magnifiques yeux noisette tirant sur le vert ont lair plutôt inquiets aujourdhui.
« Salut Nico
» fait-il, sans tenter la bise.
« Salut Thibault
».
« Tu vas bien ? ».
« Oui
oui
et toi
? ».
« Ça peut aller
» fait-il ; avant denchaîner, sur un ton empressé, impatient, presque fiévreux : « dis-moi, Nico
tu as des nouvelles de Jéjé ? ».
Je sens les larmes monter à mes yeux en entendant le diminutif amical de ce prénom que je nai pas prononcé depuis deux semaines ; et, en même temps, je suis abasourdi de lentendre dégainer pile la même question que jai moi-même envie de lui poser.
« Non
ça fait deux semaines que je nen ai pas
».
« Il fait chier
» fait Thibault, soucieux.
« Mais il nest pas chez toi ? » je minquiète à mon tour.
« Ça fait plus dune semaine que je ne lai pas vu
».
« Et tu nas aucune nouvelle depuis
une semaine ??? » jangoisse.
« Tu mattends deux minutes, Nico ? Je vais me laver et on va prendre un truc ensemble
».
Thibault revient cinq minutes plus tard, habillé du même t-shirt noir qui dépassait de sa cotte ; un t-shirt plutôt bien mis en valeur par sa plastique massive (à moins que ce ne soit le contraire), surmontant un short découpé dans un jeans.
Le bomécano sest nettoyé à la va vite, et des petites traces de cambouis persistent sur ses avant-bras puissants et au-dessus de son arcade sourcilière. Avec son regard un peu triste, si inhabituel chez lui, il est terriblement touchant.
Nous nous installons en terrasse dun bar à proximité du garage.
« Mais il ne crèche plus chez toi ? ».
« Non
» fait-il, tout en tripotant nerveusement sa canette de soda, le regard vague.
« Mais quest-ce qui sest passé ? ».
Dhabitude si calme, si posé, si maîtrisé, à cet instant précis, Thibault na lair pas bien du tout dans ses baskets ; une sorte de frémissement de sa personne, tout un ensemble de petits gestes nerveux (son genou qui ne cesse de sautiller), maladroits (il a failli renverser sa canette), inhabituels (il sort un paquet de cigarettes et il en allume une), semblent témoigner du fait que lanxiété a pris la place de sa solidité légendaire.
Il est tellement touchant quil me donne envie de le prendre dans mes bras pour le rassurer : si seulement je le pouvais, le rassurer.
Le bomécano expire la fumée de cigarette ; puis, il prend une grande inspiration, et il raconte :
« Il a commencé à découcher le week-end dil y a 15 jours
le vendredi soir, il ma envoyé un sms pour me dire quil partait à Paris pour le week-end pour rencontrer des gens du Racing
il ne ma pas donné plus dexplications
il est venu chercher quelques affaires pendant que jétais au taf
sur le coup, je ne me suis pas inquiété, jai cru que cétait lié à ses sélections
».
« Mais tu las quand même revu depuis
».
« Il nest revenu quen milieu de semaine dernière
mais il navait pas été à Paris
».
« Ah bon ? Et tu sais ça comment ?
« Cest lui qui me la dit
il ma dit quil était resté à Toulouse et quil avait juste besoin de prendre lair
»
« Et il a dormi où, alors ? ».
« Ça, je ne sais pas, il na pas voulu me le dire non plus
et en plus il avait un gros bleu sur la figure
je me suis dit quil avait découché pour ne pas me montrer quil sétait battu
évidemment, il na pas voulu me dire ce qui lui était arrivé
».
« Mais il ne ta pas parlé de ce qui sest passé entre nous ? ».
« Vite fait
».
« Et quest-ce quil ta dit ? ».
« Euh
il a été évasif
tu sais comment il est Jéjé
il ma dit que vous étiez en froid
je ne sais plus exactement
il na pas voulu me dire grand-chose
».
Au fond de moi, jai remarqué le malaise qui sest glissé dans son regard lorsque je lui ai posé cette question ; au fond de moi, jai détecté lempressement avec lequel il a semblé vouloir balayer ce sujet.
Pourtant, sur le moment, pressé de lui parler de ce qui sest passé avec Jérém, je ny ai pas prêté plus attention que ça.
« Cest avec moi quil sest battu
» je lâche à brûle pourpoint.
« Avec toi ? Et cest toi qui las cogné ? ».
« Cétait le vendredi dil y a deux semaines
tu sais, le premier soir quil a découché de chez toi
cet après-midi-là, il est venu chez moi
et il ma largué
on sest disputés
il a été odieux
il ma fait sortir de mes gonds
mais je le regrette, si tu savais comment je le regrette
».
« Tas pas à te justifier, Nico
»
« Jai cru que tu men voulais de lavoir frappé, jai cru que tu pensais que je nétais pas quelquun de bien
».
« Mais non, jamais de la vie, Nico
je sais que tu es quelquun de bien
je ne savais même pas que cétait avec toi quil sétait battu
après, je sais aussi à quel point Jé peut être une tête de con
».
« Je suis soulagé quil ny a pas de malaise entre nous
javais peur de te perdre toi aussi
jai cru que ton silence cétait à cause de ça
».
« Ça faisait un moment que je voulais tappeler
mais les derniers jours ont été intenses
le taf, la caserne
et
tout le reste
».
« Je comprends, ten fais pas
cest moi qui aurais dû tappeler
toi, tu étais occupé, alors que moi, je viens de passer deux semaines à la mer avec ma cousine
mais dis-moi
du coup il est parti à Paris pour les sélections ou pas ? ».
« Si, si
il y a été lundi dernier et il est revenu jeudi, avant-hier
».
« Et il a été retenu ? ».
« Apparemment oui
« Mais tu lui as parlé, alors
».
« Pas vraiment
jeudi soir jai essayé de lappeler plusieurs fois pour savoir comment sétait passé à Paris
il ma répondu par sms à trois heures du mat, en disant juste que cétait signé et quil allait démarrer les entraînements lundi prochain
».
« Et tu ne sais toujours pas où il crèche ? ».
« Je nai pas plus de détails
et aucune nouvelle depuis
dans deux jours il repart à Paris et je ne sais même pas si je vais le voir dici là
».
« Mais quest ce qui sest passé entre vous deux ? ».
Thibault marque une pause, prends une grande inspiration ; il semble hésiter, autant sur la direction à donner à sa réponse que sur le choix des mots à utiliser, comme sil avait un poids très lourd sur le cur ; puis, il finit par se lancer :
« La semaine dernière jai été contacté par le Stade Toulousain
».
« Le Stade Toulousain ? Cest vrai ?? Félicitations ! ».
(* Toute référence à des équipes de rugby, et à leurs responsables, joueurs, collaborateurs de lépoque où se déroule ce récit doit être considérée comme étant purement fictive).
« Merci
».
« Et alors, ça a marché ? ».
« Oui
jai passé les sélections cette semaine
et jai été recruté
».
« Mais cest génial ! ».
« Cest ce que je me dis aussi
mais je narrive pas à men féliciter autant que je laurais imaginé
».
« Pourquoi ça ? ».
« Parce que mon recrutement a fichu un sacré coup au moral de Jéjé
et à notre amitié
».
« Comment ça ? ».
« La proposition du Racing est une belle opportunité pour lui ; ça avait un peu calmé sa frustration de ne pas avoir été contacté par le Stade Toulousain après la fin de notre tournoi
il en rêvait, tu sais
le Stade, ça a toujours été notre équipe de cur
et le rêve ultime, à tous les deux
on rêvait dy jouer, ensemble, comme toujours
et maintenant que jai été recruté, et pas lui, cette frustration le ratt
de plus, le ST cest le Championnat de France
le Racing, cest la Pro D2
on ne va même pas pouvoir jouer en tant quadversaires
».
« Tu crois quil nest pas heureux pour toi ? ».
« Si, quand même
il ma félicité quand je lui ai annoncé la nouvelle
mais jai vite senti quau fond de lui, il y avait en colère
jimagine bien ce qui doit se passer dans sa tête
il doit ressentir un sentiment dinjustice et déchec
il doit en vouloir aux décideurs du ST
et il doit aussi men vouloir dune certaine façon davoir accepté leur proposition
».
« Mais pourquoi le Stade Toulousain na pas recruté Jérém, alors que cest lun des meilleurs joueurs de votre équipe ? ».
« Jéjé nest pas lun des meilleurs joueurs
Jéjé est de loin le meilleur joueur de notre équipe
cest un champion
je pense que sil a été laissé sur la touche, cest plus à cause de son « caractère »
».
« Comment ça ? ».
« Je ne parle pas de « mauvais caractère »
je parle de « caractère », dans le sens de dire tout haut les choses que trop de monde nose pas dire
ou dire trop timidement
après, bien sûr, il nest pas champion de diplomatie
mais il a eu les couilles pour tenir tête à lentraîneur
il nétait pas daccord sur certaines stratégies de jeu et sur le choix de certains joueurs
et il la bien fait savoir
».
« Il y a eu des accrochages ? ».
« Oui
mais le fait est quil avait raison
on a commencé à bien jouer à la mi saison, quand il y a eu des changements tactiques suite à plusieurs défaites
au fond, cest pas seulement grâce à ses qualités de joueur que nous avons gagné le tournoi
mais aussi grâce à ses coups de gueule
des coups de gueule qui, au final, lui coûtent son recrutement au ST
si tu savais comment ça me fait chier pour lui
».
« Je comprends
».
« Quand le ST ma contacté, jai de suite su que ça allait créer un gros malaise avec Jéjé
jai même hésité à accepter
».
« Tu ne pouvais pas renoncer à ton rêve
tu laurais regretté toute ta vie
».
« Non, bien sûr, je ne pouvais pas dire non à cette opportunité
mais, putain ! Je ne veux pas devoir choisir entre une carrière pro et mon meilleur pote ! ».
Jai toujours vu mon pote Thibault bien dans ses bottes, plein de ressources, rassurant ; jai toujours vu en lui le gars pur qui il ny a jamais de problèmes, que des solutions ; alors, de le voir si déstabilisé, ça fait mal.
« Jéjé ne va pas bien en ce moment
» il ajoute « jai peur quil fasse des conneries
jai peur quil lui arrive quelque chose
».
Je suis interloqué par ses derniers mots ; je me dis que si le bomécano est autant angoissé au sujet de son pote, cest quil a des raisons de lêtre. Et je me laisse gagner à mon tour par linquiétude.
La cigarette rien quà moitié fumée écrasée dans le cendrier, ses doigts se baladent toujours nerveusement sur la canette. Après un instant de silence, lourd comme du plomb, il finit par lâcher :
« Nico
maintenant il ny a plus que toi qui peut veiller sur lui
».
« Mais pourquoi tu dis ça ? Vous êtes toujours amis quand même
».
« Je ne sais plus où nous en sommes avec Jéjé
et
» sarrête net le bomécano, lair de plus en plus affecté par toute cette affaire, avant de continuer : « le rugby nous a rendu comme des frères, et maintenant, il nous éloigne
notre amitié en a vraiment pris un coup
je naurais jamais cru que ça arriverait
pourtant
il va falloir du temps pour que les choses se tassent
cest pour ça que, pour linstant, il ny a plus que toi qui peut garder un il sur lui
».
« Quest-ce que je vais pouvoir faire, moi ? Il ma largué comme une merde ! ».
« Tu lui manques, Nico
cest aussi à cause de ça quil ne va pas bien
cest beaucoup à cause de ça
».
« Il ten a parlé ? ».
« Cest sûr, tu lui manques
appelle-le
sil te plaît
ça lui fera du bien
».
« Je ne peux pas
je ne peux pas
il ma fait trop mal, il ma dit des choses horribles
il ma dit de dégager de sa vie
« Jéjé me fait penser à un animal blessé qui se débat, qui réagit par la violence contre quiconque veut lapprocher
» lâche Thibault.
Les mots de Thibault me touchent ; mais mon instinct de survie a encore le dessus :
« Si je lappelle, je vais encore me faire jeter
de toute façon, il ne va même pas me répondre
».
Thibault a lair de plus en plus abattu et désarçonné. Le silence entre nous devient très vite insupportable.
« Il est grand, il sait ce quil fait
il ne va pas foutre en lair son rêve
» je me surprends à tenter de rassurer mon pote Thibault, pour la toute première fois.
« Je lespère
je lespère
» fait le bomécano, la voix cassée par lémotion.
Son inquiétude et son désarroi me touchent au plus haut point. Et cette petite larme que sa main sest empressée dessuyer avant quelle ne glisse sur sa joue, men arrache des dizaines et me vrille les tripes ; cest bouleversant de voir un garçon comme Thibault si désemparé, laissant enfin paraître ses émotions.
Je me surprends à prendre ses mains entre les miennes, comme il lavait fait lors de notre premier apéro, lors de mon coming out. Elles sont grandes, chaudes, puissantes.
Un contact qui, hélas, ne durera pas longtemps, car la sonnerie de son portable retentit bruyamment, et Thibault décroche en suivant.
« Cétait la caserne
je dois partir en mission
» il mannonce, en raccrochant.
« Je vais essayer de lappeler
je te le promets
» je décide de prendre sur moi, face à la détresse de ce garçon en or.
« Merci, Nico
» fait-il en se levant de la table.
Nous nous prenons dans les bras ; et nous pleurons ensemble, en silence.
Je réalise à cet instant à quel point jétais dans le faux dans linterprétation de son attitude depuis deux semaines ; et à quel point jai été égoïste. Je me sens mal, et je men veux terriblement.
A aucun moment je nai envisagé quil pouvait être silencieux pour dautres raisons que le fait dêtre « déçu » par mon comportement vis-à-vis de son pote ; je pensais quil men voulait, alors quil ne savait même pas ce qui cétait passé ; jai pensé quil allait bien, alors quil était lui aussi particulièrement angoissé et déjà malheureux.
On se trompe souvent sur les intentions des gens, et rarement quelque chose se passe comme on lavait imaginé : en tout cas, cest souvent mon cas.
Mais comment imaginer quun gars comme Thibault, un mec dhabitude si bien dans ses baskets, quelquun qui semble si solide, sorte de pilier servant de repère à tous ceux qui ont la chance de le côtoyer : comment imaginer que SuperThibault puisse ne pas aller bien ?
Thibault est un homme, si jeune et pourtant si mûr, si solide et rassurant ; mais là, face à cette inquiétude qui le travaille, je découvre une toute autre facette de lui.
Je découvre quau-delà de ce physique de mec, de cette force, de cette virilité, de cette maturité, au-delà de ces bras dans lesquels on se sentirait à labri et en sécurité, se trouve un mec à la sensibilité à fleur de peau, comme une fragilité qui nest en aucun cas faiblesse, juste lexpression la plus touchante de sa profonde humanité.
Cest un Thibault dont javais parfois imaginé lexistence, mais que là se révèle au grand jour. Et face à ça, je fonds.
Je quitte Thibault bien déterminé à tenir mon engagement : prendre des nouvelles de Jérém, coûte qui coûte.
Je marche, jarrive au Grand Rond, je trouve un endroit tranquille, je tapote son numéro ; je lappelle ; à la première sonnerie, mon cur est déjà prêt à exploser.
Deuxième sonnerie : lappeler, savère un exercice particulièrement difficile ; ma respiration est suspendue dans lattente quil décroche ; entendre sa voix, ça va être une épreuve, tout comme « entendre » son silence.
Troisième sonnerie : je stresse, jétouffe ; le simple fait de lappeler, ravive ma souffrance. Pourquoi je minflige ça ?
Parce que si je ne tente rien, je risque de le regretter, et de souffrir encore plus longtemps après. En prenant les choses en main, en forçant le destin, je pourrai au moins me dire « j'ai essayé ». Même si ça ne marche pas.
Cest à la fin de la quatrième que ça décroche.
« Allo, bonjour ? » fait une voix
de cruche !
Jéloigne le téléphone de mon oreille, je regarde lécran : il ny a pas derreur, cest le bon numéro.
« Allo ? Allo ? AAAAllooooo ! » jentends se lâcher la voix de crécelle à lautre bout des ondes.
« Cest qui ? » jentends demander en arrière-plan par une voix de mâle. Illico, la vibration chaude et masculine de SA voix vient remuer dinfinies cordes sensibles en moi.
« Cest marqué « MonNico »
mais ça ne parle pas
cest qui « MonNico » ? ».
« Cest personne !!! » assène-t-il, en mettant précipitamment fin à la communication.
Je glisse mon téléphone dans la poche comme un automate. Je suis sonné.
« MonNico » !!!! Ces 7 lettres résonnent à tout rompre dans ma tête et dans mon cur. Sept lettres qui semblent tout dire, tout révéler de ce quéprouve Jérém, tout ce quil na jamais voulu admettre. Sept lettres qui semblent contenir toutes les réponses que jattends depuis toujours.
Est-ce quil a vraiment pensé que je pouvais être son « MonNico », un Nico spécial à ses yeux, à linstant où il a rentré ces sept lettres dans son répertoire ? Comment jai pu passer à côté de ça ?
De toute façon, si tant est que ça ait pu être le cas à un moment, ça a cessé de lêtre après cette pipe manquée, après son recrutement au Racing, après notre dispute ; et encore plus, après le choc du recrutement de Thibault au Stade Toulousain, ce qui a dû bousculer complètement la priorité de ses soucis.
Désormais, cest dune nana dont il a besoin, apparemment ; une nana qui, dans ce moment de grands changements, de colère, de frustration, un moment où même son amitié avec Thibault est mise à mal, va le rassurer au moins en tant quhétéro ; une nana avec laquelle il venait peut-être de coucher pendant que je minquiétais pour lui.
Je savais que ce nétait pas une bonne idée de minfliger le supplice daller vers lui.
Ce coup de fil ma doublement blessé : car il ma confirmé que je lai perdu, quil ne souhaite plus avoir de contact avec moi ; et aussi, que jai définitivement perdu le statut que jai peut-être eu un jour à ses yeux, sans men rendre vraiment compte, celui de « MonNico ».
Aujourdhui, « MonNico », « Cest personne ». Personne. Ça calme.
Jenvoie un sms au bomécano :
« Je lai appelé, cest sa cruche qui a répondu, mais lui ma raccroché au nez ».
« Je suis désolé Nico ».
Moi aussi je suis désolé que ça se termine de cette façon.
Le vent dAutan souffle, souffle, souffle. Il souffle et il emporte mes derniers espoirs ; il souffle et il disperse mon amour.
Je vais tout faire pour toublier, mon Jérém : toi qui, pour ne pas être quitté, tu quittes.
Samedi 25 août 2001, 23h55.
Lorsque je pousse la porte du B Machine, je suis frappé de plein fouet par la puissance des décibels. A droite de lentrée, un escalier senfonce dans le sous-sol : cest de là que vient lincessante vibration de la musique techno.
Mais dès quon avance un peu dans la salle, cest une ambiance sonore plus apaisée qui est proposée aux clients : la magnifique « Angels » de Robbie Williams retentit dans la sono du haut.
Enveloppée par une lumière tamisée sur des tons bleutés, la salle se développe toute en longueur, bordée sur la droite par un bar presque entièrement occulté par les nombreux clients assis et débouts. Derrière le zinc, deux barmans et une barmaid saffairent à servir tout ce beau monde.
En face, sur ma gauche, un alignement de petites tables, toutes bondées ; au fond, une porte battante semble donner accès aux toilettes.
Cest dun pas incertain que je maventure dans cet espace inconnu, comme un lionceau qui, un peu méfiant, un peu craintif, pas vraiment rassuré, prendrait sur soi pour poser ses premières traces dans la poussière de la savane. Intimidé par ce terrain nouveau, javance lentement, sur mes gardes, tout en essayant de me familiariser avec le lieu et sa faune, une faune quasi exclusivement masculine.
Je ne sais pas si cest à cause de mon air désorienté, ou de ma démarche un peu gauche, ou tout simplement du fait de mon statut de tête nouvelle ; jai limpression dêtre plongé dans une sorte de bocal, que les regards se tournent sur mon passage, et quon me toise de la tête aux pieds.
A vrai dire, jai peur quon me trouve ridicule. Je ressens un peu la même crainte quau lycée, dans les vestiaires : la crainte des quolibets : pd ! pd ! Sauf, bien évidemment, quà cet endroit je ne risque pas dêtre traité de pd : qui pourrait donc lancer la première pierre ?!? Non, le risque cest de faire office de papier peint ; le risque cest que, après sêtre aperçu de ma présence, personne ne la trouve intéressante. Quon se moque de moi parce que je ne suis pas assez branché
Très vite je suis captivé par lambiance feutrée, par la déco, par la musique, par la présence de tous ces mecs ; je suis saisi par ce mélange de senteurs dalcool, de fumée de cigarette, et de parfums et déos divers : bref, je suis happé par le son, limage et larôme entêtante dune soirée pleine de promesses.
Au fond de la salle, à côté du comptoir, un deuxième escalier senfonce lui aussi dans le sous-sol, tout en débitant le même boum boum techno que le premier ; ce qui me fait dire quil doit sans doute conduire au même endroit, c'est-à-dire une piste de danse.
Attiré par les basses puissantes, et par la curiosité de compléter la découverte du lieu, jattaque la descente. Lescalier nest pas illuminé, et à chaque marche la pénombre se fait un peu plus sombre ; tout comme, à chaque pas, la musique se fait un peu plus forte.
La première rampe débouche sur un palier, presque dans le noir ; jarrive à discerner une ouverture donnant sur un espace encore plus sombre, une ouverture délimitée par dépais rideaux faits de bandes souples de plastique translucide. Naïvement intrigué par cet endroit mystérieux, je naurai pourtant pas le loisir de mener bien loin mes investigations. Une priorité, une urgence indérogeable se présente à moi : une rythmique familière vibre sous mes chaussures et dans mon ventre, mattirant irrésistiblement vers le sous-sol.
Je descends une nouvelle rampe ; marche après marche, le rythme se fait de plus en plus pressant ; jusquà ce que je débouche dans une grande piste de danse, aussi grande que la salle du haut, remplie de centaines de mecs serrés comme des sardines, sagitant au rythme dun immense tube que je ne connais que trop bien et qui commence par :
Hey Mister Dj, put a record on, I wanna dance with my baby
And when the music starts, I never wanna stop, Its gonna drive me crazy
Music
music
Music
makes the people came together
yeeeaaaah !
Music
mix the bourgeoisie and the rebels
Presque un an déjà que ce titre est sorti et me voilà enchanté de découvrir quil tourne toujours en boîte de nuit : rien détonnant, il est tellement puissant, quil reste toujours dactualité.
Alors je me laisse aller, je cherche à me glisser dans la piste et à me mélanger à la foule pour danser moi aussi sur ce tube phénoménal.
Je danse et je me sens bien, je danse et je me sens libre ; je danse pour essayer de menivrer de cette nuit, des lumières de la piste, de lodeur du gaz de brouillard, de cette ambiance, de cet étourdissant parfum de fête. Je cherche à me mélanger, à me fondre dans la masse.
Je danse et je laisse mon regard divaguer ; je capte des regards, je surprends des regards venant à moi : cest grisant.
La monumentale « Music » vient de se terminer, et je me laisse porter par le prochain tube ; danser me fait du bien, la puissance des décibels et le mouvement de mon corps maide à faire le vide, à ne plus penser au passé.
Je danse, tout en me disant à quel point jaimerais quElodie soit là avec moi, en train de danser et de déconner avec moi, comme cétait au « Fire », à Londres. Oui, là aussi javais été dans une boîte gay : mais cétait avec ma cousine, à une soirée Madonna ; et ce soir-là, javais juste envie de danser avec elles, tout en me berçant dans le bonheur dimaginer mes retrouvailles avec mon Jérém à notre retour à Toulouse. Un bonheur qui mest désormais interdit.
Alors je ferme les yeux pour freiner les larmes qui voudraient sortir, je pousse un immense cri silencieux pour me débarrasser de la solitude qui vient me trouver au beau milieu de cette piste bondée ; et je danse, toujours et encore, pour oublier, pour métourdir, pour mépuiser, bien décidé à ne pas marrêter de sitôt.
Cest lorsque je rouvre les yeux, que je capte son regard fixe et insistant : le dos appuyé au mur, installé à côté de lescalier par où je suis venu, un mec est en train de me dévisager. Il me regarde, je le regarde, il me sourit ; je le regarde toujours, en essayant de savoir pourquoi cette tête ne me parait pas inconnue.
Il me faut quelques instants avant que ça fasse « tilt » dans ma tête.
Bien sûr que sa tête ne mest pas inconnue : oui, je connais ce mec qui est en train de me faire un petit coucou en levant son verre dans ma direction. Je quitte la piste pour aller lui dire bonjour.
« Hey, salut, comment tu vas ? » fait-il, tout pimpant, en me claquant la bise.
« Bien et toi ? ».
« Bien, bien
alors, quest-ce que tu deviens ? ».
« Ça va, jai eu mon bac, je passe bientôt mon permis, et à la rentrée, je vais aller à la fac à Bordeaux
».
« Cest cool
et tu vois toujours mon cousin ? ».
Direct le sujet que je voulais éviter. Je savais que ce nétait pas un bon plan daller parler à Guillaume.
« Non, je ne le vois plus
» je coupe court.
« Ah, dommage
».
« Tu es au courant quil a été recruté par un club de rugby à Paris ? » je tente de dévier le sujet.
« Non, je ne savais pas
je nai plus de nouvelles de lui
il va quitter Toulouse, alors ? ».
« Cest ça
» je fais, sans joie.
« Ne sois pas triste, tu trouveras dautres mecs
tes bogoss
» fait-il, avant denchaîner : « vous vous êtes revus souvent après ce soir-là ? ».
« Oui, pas mal de fois
».
« Ten as, de la chance, toi
».
« Mais elle est finie, la chance
il est revenu aux meufs
».
« Tu sais
il est hétéro
parfois les hétéros font un petit détour pour aller voir des mecs
mais ils restent hétéros
et il ny a pas de remède pour ça, hélas
».
« Et toi, tu las
revu, après ce soir-là ? ».
Je ne sais pas pourquoi je me lance dans ce genre de question dont la réponse peut potentiellement faire mal.
« Non, jamais
et cest pas faute de lui avoir proposé pourtant
».
« Tu lui as proposé ? ».
« Oui
ça tembête ? ».
« Un peu
je suis amoureux de lui
enfin
je létais
bref
de toute façon, ça na plus dimportance
».
« Moi aussi je suis amoureux de lui, depuis tellement longtemps
bien avant le lycée
alors, techniquement, cest moi qui lai vu en premier
alors, il est à moi
» il rigole ; avant de continuer plus sérieusement : « mais il faut croire quil te kiffe davantage quil me kiffe
».
« Et tu avais déjà couché avec lui avant ? ».
Je ne sais toujours pas pourquoi je me lance dans ce genre de questions
« Non
enfin
oui
je lai sucé quelques fois, lannée dernière
mais il na jamais voulu me baiser
à part la fois où tu es venu
».
dont la réponse peut potentiellement faire mal. Et ça fait mal.
« Mais tu mavais dit que cétait la première fois que
».
« Les pipes, ça compte pas
».
« Si tu le dis
».
Définitivement, ce nétait pas un bon plan daller parler à Guillaume. Parfois, il faut savoir être impoli.
Découvrir que Jérém sest fait sucer par un mec avant moi, ça me fait mal ; à côté de ça, même le fait quil na jamais cédé aux avances de son cousin après ce soir-là, ne ressemble à mes yeux quà un petit lot de consolation.
Déjà quà la base je nai pas envie de parler de Jérém, jai de plus en plus envie de mettre fin à cette conversation qui, réplique après réplique, menfonce le moral. Jai besoin de prendre lair.
« Je vais te laisser, je vais prendre un verre à létage
».
« Je taccompagne
».
« Je vais retrouver des potes
» je mens promptement « je ne sais pas si on va rester longtemps
».
« Ah
ok
à un de ces quatre, alors
» fait-il, visiblement déçu.
« Oui
cest ça
».
Je remonte lescalier, japproche du comptoir et je commande mon mojito en pensant une fois de plus à Elodie, tout en savourant le soulagement de mêtre débarrassé de Guillaume.
Mon répit ne sera que de courte durée : jattends ma boisson, lorsque mon regard tombe sur un mec assis à une table avec des potes ; cest un mec barbu, beau comme un Dieu ; nos regards se croisent, le sien semble me toiser, me caresser, me déshabiller : ce qui est plutôt flatteur, vu le spécimen.
Le fait est que ce mec non plus ne mest pas totalement inconnu : et que là encore, je nai pas envie de provoquer des retrouvailles qui finiraient inévitablement par ressasser les souvenirs dune autre nuit torride dans lappart de la rue de la Colombette.
Je tente de détourner mon regard, mais il est déjà trop tard : du coin de lil, je vois le mec se lever et approcher inexorablement.
« Salut ! » fait-il, la voix chaude et charmante, en approchant sa joue de la mienne pour me faire la bise. Le contact avec sa barbe bien fournie et très douce me donne des frissons.
Frissons qui me transportent à une nuit où Jérém mavait traîné au On Off ; le On Off où, justement, nous avions croisé la route de ce bobarbu.
Je repense au On Off et à cette maudite back room dans laquelle Jérém mavait dégagé avant de séclipser avec deux mecs ; je repense à mon départ de la boîte, le bobarbu aux trousses, à ma difficulté à lui faire comprendre que je ne suis pas dhumeur à le suivre chez lui ; je repense à Jérém qui attend à lextérieur, et qui propose à lautre daller chez lui, qui me propose de me joindre à eux ; je repense au duel détalons pour savoir qui serait le « plus mâle » au lit ; à Jérém qui moffre à cet inconnu, comme un lot de consolation, comme sil sen foutait de moi ; je repense à sa jalousie pendant que le bobarbu me baise ; à la provocation de ce dernier avant de partir ; à Jérém qui veut le cogner et qui se fait maîtriser ; je repense au bobarbu qui lui balance ses quatre vérités au sujet de son arrogance et de son manque de consideration à mon égard.
Et je repense à Jérém hors de lui après le départ de ce mec ; Jérém qui me demande pourtant de rester dormir, ce qui permettra à cette nuit magique dexister, nuit magique où nous avons partagé, en plus du sexe, de la tendresse, des confidences, un petit début de complicité ; une nuit où je lai senti si proche, si humain, pour la première fois.
Pourtant, lorsque je métais réveillé le matin suivant, Jérém était parti. Je nai jamais su pourquoi.
Nuit magique, nostalgie terrible.
« Salut
» je finis par répondre au sexy Romain, tout en revenant de mes rêveries.
« Comment ça va depuis le temps ? ».
« Euh
bien
on va dire
et toi ? ».
« Ça gaze
mais dis-moi, tu es seul ici ou bien tu es venu accompagné de ton chéri ? ».
Et de deux. Il ménerve déjà.
« Cest pas mon chéri
».
« Ah bon, je croyais
».
« Je suis seul
» je coupe court.
« Tu las laissé chez lui ? ».
« Je ne le vois plus
».
« Tu las enfin largué ? Tas bien fait ! Il ne te mérite pas ce mec
».
« Cest lui qui ma largué ! ».
« Je pense que cest le mieux quil pouvait faire
ce mec navait aucune considération pour toi
».
« Arrête, tu sais pas de quoi tu parles
» je lâche, agacé.
« Jespère que ce nest pas ce que je lui ai balancé ce nuit-là qui a pas foutu la merde
» il ricane.
« Non, au contraire, ça nous a rapprochés
quand tu es parti, jai passé la nuit avec lui, et ça a été la plus belle nuit que nous avons passé ensemble
».
« Ah, cest nouveau ça
moi qui joue les Cupidons en jouant un plan à trois
jaurai tout entendu ! ».
« De toute façon, cest fini
».
« Alors, que sest-il passé ? ».
« Je prends un joker, sil te plaît
».
Mon mojito arrive enfin.
« Cest si dur pour toi ? ».
« Laisse tomber, va ! ».
« Tu le kiffes vraiment, hein ? ».
« Je le kiffais
».
« Tu le kiffes toujours
».
« Mais je suis le seul à kiffer
».
« Mais lui aussi il te kiffe
il était jaloux à mort de nous voir coucher ensemble
mais il navait pas les couilles dassumer quil tient à toi plus quil nose se lavouer
une fois de plus, ce mec ne te mérite pas
».
« Il faut croire
ou alors cest moi qui ne le mérite pas
».
« Ne dis pas ça, tu es un bon mec
jen connais pas beaucoup de mecs amoureux comme toi qui supporteraient que leur mec leur fasse ce quil ta fait
inviter un mec chez lui sans te demander ton avis, baiser avec, devant toi, puis le laisser te baiser, toujours sans te demander ton avis, en faisant mine de sen foutre
je trouve quil a été horrible avec toi
moi, à ta place, je lui aurais mis une torgnole
mais toi, toi tu as tenu bon
sil ne sait pas se rendre compte de la chance quil a, cest quil nen vaut pas le coup, un point, cest tout ! ».
Il ne me mérite pas, il nen vaut pas le coup : si seulement ces arguments suffisaient à calmer ma tristesse et ce sentiment dabandon qui me hante.
Jai envie de pleurer en pensant à cette nuit déjà lointaine où jai été si bien avec Jérém.
« Tu fais quoi, après ? ».
« Je ne sais pas
rien, je crois, je vais rentrer, je suis fatigué
».
« Moi, je vais partir
viens prendre un verre chez moi
».
« Je ne sais pas si cest une bonne idée
».
« Pourquoi ça ne le serait pas ? ».
« Je ne suis pas dans mon assiette ce soir
».
« Allez, secoue-toi, tu ne vas pas te laisser gâcher la vie par ce type qui couche avec tout ce qui bouge ! ».
« De quoi tu parles ? ».
« Quand on sest rencontrés au On Off, javais eu limpression davoir déjà vu ce mec
».
« Où, ça ? ».
« Dans « le milieu »
».
« Dans le milieu gay ??? ».
« Ouaisss
».
« Tu te trompes
».
« Non, je ne crois pas
je noublie jamais les visages, ni les corps, même habillé, dun bomec
je men suis souvenu le lendemain
cétait à la Ciguë, au mois de juin dernier
un dimanche soir, je crois
et il est reparti avec un mec, un pote à moi
».
« Tes sûr de toi ? » je me décompose.
« Jai revu ce pote quelques temps après le plan avec vous deux et je lui en ai parlé
quand je lui ai décrit le type
il sappelle Jérémie, cest ça ?... et que je lui ai parlé de lappart rue de la Colombette, il ma dit quil sétait fait baiser par le même mec, au même endroit
».
Jai envie de vomir. Ainsi, Jérém ne ma pas mitonné juste pour me faire du mal. Il a vraiment couché avec dautres mecs. Lui qui ne veut pas être pd ! Quel connard, mais quel connard !
Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi je me suis infligé ça cette nuit ? Pourquoi je ne suis pas resté dans mon lit à me branler ? Vraiment, javais besoin de tout sauf de connaître les exploits gays de mon
ex.
Jai chaud, jétouffe.
« Allez, viens prendre un verre à la maison ! ».
« Je vais retrouver des potes en bas
».
« Comme tu voudras
».
Larme fatale des potes qui mattendent marche à tous les coups.
Je traverse la salle sans trop regarder autour de moi, pressé de méloigner de Romain ; dans mon empressement, je ne fais pas gaffe au mec avec la chemise à petits carreaux noirs et blancs installé debout devant le comptoir, et que je le frôle involontairement au passage.
Le mojito à la main, je menfonce à nouveau dans le sous-sol. Le mojito est la seule raison pour laquelle je ne quitte pas illico le B Machine pour rentrer chez moi ; en descendant les marches, je me rends compte que je risque de recroiser Guillaume, chose dont je nen ai franchement pas envie.
Deux mecs surgissent à limproviste dans le noir, de derrière les rideaux plastique du palier ; dans leur élan, ils manquent de me faire renverser mon verre. Le premier, un petit blond, sexcuse, tout en remontant lescalier ; le deuxième trace son chemin ; pendant une fraction de seconde, nos regards se croisent. Visage connu, physique connu, mec connu. Est-ce quil ma seulement reconnu, lui ? Rien dans son attitude ne le laisse présager. Dans son regard, que de lindifférence ; comme si jétais transparent.
Pourtant, moi je lai bien reconnu ; le revoir, me replonge direct dans le mauvais souvenir dune nuit où je me suis fait jeter par Jérém ; une nuit où, pour échapper à ma tristesse, je me suis laissé faire par ce mec qui ma mis à la porte dès quil eu ce quil voulait.
Il fallait que Mourad soit là, lui aussi, cette nuit. Fidèle à lui-même, dailleurs, sortant de la backroom du B Machine en compagnie de son plan Q du soir.
Sur la piste de danse, toujours aussi bondée, la musique martèle dans ma tête en amplifiant les battements de mon cur. Je danse et je laisse une fois de plus mon regard parcourir le paysage : tant de mecs, quelques caricatures, parfois des bogoss ; mais, surtout, tant de mecs normaux, cherchant juste à échapper à la solitude dun samedi soir.
Tant de mecs, mais pas la force de tenter daccrocher un regard, te tenter une approche. Il ny a quun mec dont jai envie et ce mec mest désormais inaccessible. Dans cette salle bondée de monde, je me sens seul comme je ne me suis jamais senti seul de ma vie.
Croiser Mourad, ma fait penser à ce dont je nai pas envie. Du sexe, du pur sexe. Pourtant, au fond, je suis venu un peu pour ça. Me sentir attirant, savoir que je plais. Chercher à noyer ma détresse dans une nouvelle rencontre sensuelle. Je ne suis pas guéri de mon amour pour Jérém et je ne suis pas prêt à aimer à nouveau. Pourtant, baiser pour baiser, je ne peux pas : un autre « Mourad », non, pas ce soir, je men sens incapable.
Javale rapidement ma boisson et je remonte les escaliers. Je laisse mon verre au bout du comptoir ; et alors que je mapprête à quitter les lieux, jentends mon nom balancé au milieu des décibels.
« Nico ! Nico ! ».
Je me retourne ; un mec me regarde et me sourit. À travers des lunettes carrées lui donnant un look étudiant-intello sexy, ses yeux marron foncé me fixent ; son regard intense, charmant et charmeur, aimante le mien ; son sourire, brûlant comme le soleil du mois daoût, maveugle.
Sa chemise à petits carreaux noirs et blancs, parfaitement ajustée à sa plastique, les manches retroussées jusquaux coudes chemise estampillée du logo à leffigie dun fameux reptile retombe sur un beau pantalon marron-orange ; à son poignet, une belle montre de mec ; ses beaux cheveux châtains souples, bouclent légèrement sur le dessus ; alors que sa barbe brune, drue et bien taillée, donne du caractère à sa mâchoire par ailleurs très virile.
Bref, dans son look élégant et décontract à la fois, le mec en jette. Car le type, il a la classe : définitivement, Martin est le genre de garçon qui attire le regard, comme un rideau blanc la lumière du soleil.
Lépisode complet sur jerem-nico.com.
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!