Chapitre 14 : S
Coralie est de retour en ville depuis quelques semaines. Elle loue une maison non loin dune bonne école primaire. Aymeric a du mal à sadapter, il a perdu tous ses amis, et il ne comprend pas pourquoi son père nest pas là. Coralie se refuse à parler de divorce, pour le moment, elle promet à son fils que la situation va saméliorer. Le petit nest pas dupe, il sait que sa mère se leurre, je le vois sur son visage. Pourtant, il shabitue petit à petit. Heureusement, ce sont les va-cances dété, ça lui laisse le temps de se faire de nouveaux amis, pendant que sa mère travaille à lhôpital. Elle a des horaires irréguliers, et souvent, le petit dort à la maison, et cest toujours un ravissement pour nous.
Ça éveille en moi des envies d. Cest un sujet quon na jamais abordé, Syl-vain et moi. Jusque-là, ça ne mest jamais venu à lesprit, pour moi, être père ne signifiait rien. Etant gay, jai toujours cru que ça métait interdit. Moccuper dAymeric a réveillé linstinct paternel qui sommeille en moi. Je nose pas en par-ler avec Sylvain. Bien quil soit mature, il lui arrive dêtre très infantile. Il de-mande beaucoup dattention de ma part, je ne suis pas sûr quil accepte de me partager avec un . En plus, nos vies risquent de changer pour toujours. Alors, je rêve dun :
-Tu veux un bébé, hein ?, me lance-t-il alors quon est au parc des Ilets avec Aymeric. Ça serait bien un mini toi.
-Tu en veux un ?, métonné-je.
-Oui et non. Jaime bien Aymeric, cest un gentil garçon, je suis content quand on passe du temps avec lui. Javoue que je ne pourrai pas supporter den avoir un à la maison.
-Je comprends, dis-je déçu, ne tinquiète pas.
-Attends, me coupe-t-il, on peut faire autre chose. Jai pensé quon pour-rait devenir famille daccueil, pour des jeunes qui en ont besoin. Des jeunes comme toi, par exemple.
-Cest un bon compromis, mais cest compliqué davoir lagrément, et peu de couples gays lont obtenu.
-Qui ne tente rien na rien, en plus, jai une nouvelle qui va pouvoir nous aider. Finis les voyages, cest quelquun dautre qui sen chargera. Pareil, je vais avoir des horaires normaux, et je travaillerai plus souvent à la maison.
-Cest vrai ?
-Oui, finie la galère des derniers mois.
Cest ainsi que laventure a commencé. La semaine suivante, on lance la procé-dure. Tout dabord, on remplit un dossier et on fournit un certificat médical et un extrait de casier judiciaire. Pendant quatre mois, on subit linstruction de notre demande dagrément en suivant des réunions dinformation. Une assis-tante maternelle et une assistante sociale des services de lenfance viennent nous rendre visite à domicile et on doit voir un psychologue. Tout ce beau monde vérifie si on est disposé à nous engager dans la durée, si on maitrise le français, si la maison convient. Ils sintéressent à notre mode de vie, à nos aptitudes au dialogue et à notre disponibilité.
Après tout cela, et langoisse de lattente, nous recevons la réponse, notre de-mande est acceptée. On suit alors les deux formations obligatoires pour obtenir le Diplôme dEtat dAssistant Familial. Peu de temps après, une assistante so-ciale arrive avec un jeune garçon de douze ans. Il sappelle Samuel, et il vient de perdre ses parents. Lassistante sociale a fait exprès de nous confier ce garçon à cause de mon passé. Cette première mission mexcite et meffraie en même temps. Elle nous fait un rapide topo, la pauvre a lair surmené :
-Ses parents sont morts dans lincendie de leur maison, lenquête est en cours.
-Et le garçon ?, demande Sylvain dune voix douce.
-Il dormait chez un ami. Ecoutez, il est très en colère, cest arrivée hier soir.
-Je le comprends, dis-je. Jétais pareil, on va lui laisser un peu de temps.
-Ce nest pas tout. Attendez, oui, voilà, vous devez lemmener demain au commissariat. Tenez, cest une copie de son dossier pour vous.
-Ne vous inquiétez pas, intervient Sylvain, on va gérer.
Lassistante sociale nous quitte, un peu inquiète quand même. En haut, jentends un bruit de meuble qui craque. A part la fenêtre, rien ne peut casser, tout est en bois massif. Jattends dix minutes, et je monte, les mains dans les poches. Jentre sans frapper. Comme je my attends, les draps sont défaits, les oreillers sur le sol, les couvertures par la fenêtre. Le sac de Samuel, lui, est intact, preuve quil y a dedans quelque chose de précieux pour lui. Samuel frappe le mur en criant, il a le poing en sang. Je larrête avant quil ne se casse la main.
Samuel me repousse et tente de recommencer. Je lui att les bras, il se dé-bat. Il me donne des coups de pieds, minsulte, méchappe à nouveau, je le re-tiens. Je me rappelle ma propre expérience, les éducateurs avaient agi comme moi, et ça navait pas eu beaucoup deffets. Je persiste tout de même, Samuel a besoin de sentir quon est là pour lui. Il pousse dautres hurlements de bêtes blessées, et continue de minsulter, de me menacer. Jai fait pareil et pire. Ses forces finissent par labandonner, son corps mince se ramollit. Sa gorge se noue, des larmes coulent de ses yeux marrons. Il sécroule au sol, vaincu. Je le porte sur le lit, et je massois près de lui :
-Pardon, dit-il entre deux sanglots, je voulais pas faire ça. Vous avez lair gentil.
-Tu peux nous tutoyer, je mappelle Loïc, et en bas, cest Sylvain, mon compagnon. Cest ta maison ici, le temsp que ça durera.
-Merci. Mes parents vont vite venir me chercher.
-Je suis désolé, mon bonhomme, ils sont morts. Je sais ce que tu tra-verses
, commencé-je dune voix douce.
-Mes parents sont pas morts, tu ne sais rien, sénerve-t-il.
-Mes parents sont morts quand javais à peu près ton âge, continué-je sur le même ton. Accident de voiture, jai vécu en foyer pendant cinq ans.
-Arrête, crie-t-il en se bouchant les oreilles, je veux pas entendre ça. Je suis pas en colère, et jai pas mal. Je suis un homme et les hommes ne pleurent pas.
-Non, tu es un adolescent en pleine crise. Samuel, plus tôt tu admettras la vérité, plus vite tu retrouveras une vie normale. Les règles de la maison, main-tenant. Le petit déjeuner est à huit heures, le déjeuner à midi, et le diner à sept heures. Pour linstant, tu niras pas à lécole, pas de sortie sans prévenir, couvre-feu à vingt-et-une heure. La salle de bain est juste à côté. Lève-toi que je puisse te soigner.
Jai prononcé ces derniers mots dun ton autoritaire. Surement par réflexe, Samuel obéit et me suit jusquà la salle à manger. Sylvain a préparé la trousse de secours, Samuel sassoit près de moi et me tend son poing. Je lexamine rapide-ment, la peau est déchirée sur les jointures qui saignent beaucoup. Je les net-toie à lalcool et je bande sa main. Sylvain lui ramène une poche de glace, et sassoit à son tour face à lui, le visage neutre. De mon côté, jexprime toute ma compassion. Samuel a cessé de pleurer, il fixe Sylvain pour jauger sa réaction :
-Je suis Sylvain, Loïc a dû te parler des règles. Je vais ajouter autre chose. Ici, la violence est interdite, par contre, tu as le droit de texprimer verbalement, en évitant les insultes. On va laisser passer pour aujourdhui, mais dorénavant, si tu veux taper quelque chose, il y a un sac pour ça dehors.
-Tes pas mon père, répond Samuel, tas pas le droit de me donner des ordres.
-Cest vrai, continue Sylvain dangereusement calme, Loïc et moi, on nest pas tes parents.
-Pour pas perdre votre agrément, ironise Samuel.
-Pour toi, dis-je. Samuel, on nest pas là pour te faire souffrir ou te mal-traiter.
-Loïc a raison, on veut ton bonheur. Alors, voilà le deal, tu obéis, tu fais tes corvées, et en échange, on est cool. Fais une bêtise, et cest la punition.
-Daccord, cède Samuel.
-Une dernière chose, conclus-je, évite les remarques homophobes, sil te plait. Va ranger ta chambre, défait ton sac, tu pourras ensuite aller dans le jar-din.
-Merci, réplique-t-il. Je mexcuse encore pour le mur, je vais réparer. Sylvain, tu nes pas mon père, mais tu parles comme lui. Je vais essayer de bien me comporter.
Samuel monte le pas lourd. Ce gamin joue assez bien la comédie, pas assez pour me berner. Je décide de garder lil sur lui, quelque chose me dit quil va tenter de fuguer. Sylvain et moi échangeons un regard, il pense comme moi. Cette pre-mière incursion dans le monde de laccueil durgence savère bien compliquée. Je prépare le déjeuner tandis que Sylvain surveille notre pensionnaire. Je fais simple, saucisse et purée maison. Samuel se comporte trop bien, il fait la vais-selle et essuie la table. Je fais comme si de rien nétait. Laprès-midi, je vais au boulot, et Sylvain me fait des rapports réguliers. Tout se passe à la perfection, jusquà minuit :
-Alors, tu prends la fuite, petit ?, dis-je en reposant mon livre.
-Merde, lâche-t-il. Comment tu as su ?
-Tu as abandonné bien trop vite. La prochaine fois, continue à tout casser et à être en colère. Assis-toi, on va parler.
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